Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 octobre 2015
Akram Belkaïd, Paris
L’affaire
devrait être entendue tant elle est évidente. Les violences qui se déroulent
aujourd’hui à Jérusalem et dans les Territoires Palestiniens occupés ou
contrôlés par Israël sont incontestablement liées à cette occupation. Et le
plus étonnant c’est que cette flambée n’arrive que maintenant. Pour dire les
choses simplement, le peuple palestinien n’en peut plus d’être privé de ses
droits les plus élémentaires. Il n’en peut plus d’être humilié quotidiennement
et de ne pas voir son sort s’améliorer. Vingt-deux ans après les accords
d’Oslo, le processus de paix est enterré et aucune perspective ne se dégage pour
lui dans le ciel noir d’un Proche-Orient en proie à de multiples conflits.
Dans
les multiples analyses que l’on peut lire dans la presse occidentale, notamment
française, se déploie une campagne insidieuse qui cherche à disqualifier la
révolte palestinienne. Et la méthode employée doit être dénoncée. D’abord, les
attaques au couteau ou, plus rarement, à la voiture-bélier, sont mises dans le
même sac que les manifestations quotidiennes de la jeunesse palestinienne face
aux militaires israéliens. Ainsi, on installe dans l’imaginaire occidental
l’idée qu’il ne s’agit que d’attaques sanglantes contre des juifs. L’intention
est claire, le fait d’insister sur l’usage de la violence discrédite la
revendication politique et la dénonciation de la colonisation.
Ensuite,
et c’est le plus important, il y a une tentative manifeste de répandre la thèse
selon laquelle les motivations réelles de la contestation ne sont pas
politiques mais religieuses. Autrement dit, ce n’est pas le maintien d’une
présence militaire et policière israélienne en Cisjordanie, ni l’essor continuel
de la colonisation ni encore moins les attaques que subissent les villages
palestiniens isolés de la part de colons (lesquels jouissent d’une totale
impunité) qui serait la source de cette colère. Non, on nous explique que c’est
un conflit désormais religieux où les musulmans, comprendre les Palestiniens,
ont décidé de s’attaquer aux juifs, comprendre les Israéliens. Pourquoi
maintenant ? Eh bien, ce serait parce que les musulmans auraient décidé de
défendre coûte que coûte la mosquée d’Al-Aqsa – à laquelle les neuf-dixièmes
des Palestiniens qui vivent en Cisjordanie ou à Gaza n’ont pas accès, il faut
le rappeler – contre une tentative de contrôle accru du Mont du Temple par les
autorités israéliennes.
La
mise en avant de l’aspect religieux pour caractériser la colère palestinienne
n’est pas nouvelle. En 2000, déjà, c’est ce que les partisans d’Israël avaient
avancé lors de la seconde intifada. Les manifestants palestiniens, d’hier et
d’aujourd’hui ont beau réclamer leur terre, le retrait israélien des
territoires occupés et le démantèlement des colonies – illégales selon le droit
international, il faut, là aussi, le rappeler – c’est donc la piste de
l’effervescence religieuse qui est retenue. Pourquoi ? La réponse est
évidente.
Ramener
la question israélo-palestinienne au religieux c’est faire passer au second
plan le fait colonial. C’est occulter cette occupation illégale qui engendre
injustices et drames pour les Palestiniens. Dans un monde où l’islam a mauvaise
presse ne serait-ce qu’en raison des atrocités commises par le groupe de l’Etat
islamique (EI) et d’autres organisations djihadistes, ramener la contestation
palestinienne sur le terrain du religieux, c’est chercher à la discréditer sur
le plan international. Daech et les jeunes lanceurs de pierres, ce serait donc
la même chose… Pour Israël et ses partisans, on comprend l’utilité (et
l’urgence) de cet amalgame quand on sait que les appels récurrents au
boycottage des produits issus des colonies israélienne voire de l’Etat hébreu ne
cessent de gagner en audience dans le monde entier.
Reste
enfin l’argument suprême qui entend fustiger la protestation palestinienne (et
ceux qui ont de la sympathie pour elle). Les Palestiniens, comme le majorité
des Arabes, continueraient à ne pas accepter l’existence d’Israël et
chercheraient encore à détruire cet Etat. Or, cette affirmation ne résiste pas
à l’examen des faits. D’abord, Israël existe et nombre de pays arabes
entretiennent des relations officielles ou, c’est plus fréquent, officieuses
avec ce pays. Ensuite, depuis 1973, aucun pays arabe n’a attaqué Israël
(qui ne s’est pas gêné pour envahir le Liban à plusieurs reprises). Il est
temps que les partisans d’Israël admettent que les Arabes comme les
Palestiniens ont tourné la page. Appelons-ça de la résignation, du renoncement,
du pragmatisme ou du réalisme mature : le résultat est le même : le
temps des slogans tels que « mort à Israël » ou « les Juifs à la
mer » est bel et bien révolu.
Par
contre, ce qui n’existe toujours pas, ce qui ne cesse d’être renvoyé aux
calendes grecques, ce qu’Israël refuse encore et encore de voir apparaître,
c’est bien l’Etat palestinien. Nombre d’experts qui connaissent bien la région affirment
même qu’il n’y aura jamais de solution à « deux Etats ». Le panorama
est donc bien moins compliqué qu’on ne le dit. D’un côté, un Etat reconnu sur
le plan international, une armée puissante, un arsenal nucléaire, des citoyens
qui peuvent aller et venir où bon leur semble, en Israël comme ailleurs dans le
monde (exception faite de nombreux pays arabes). De l’autre, un peuple sans
pays, sans passeport, confiné un jour, parqué le lendemain, qui sait très bien
que l’objectif à long terme est de le maintenir dans cet état de servitude ou,
à défaut, de le faire partir ailleurs. La question israélo-palestinienne est
d’ordre colonial. Chercher à faire croire le contraire, c’est être partisan
d’un statu quo qui fait les affaires (à court terme) d’Israël.
Dans
ce contexte, il n’est guère étonnant de voir le premier ministre Netanyahou
dédouaner Hitler qui, selon lui, n’aurait décidé d’exterminer les juifs que
parce que le Mohamed al-Hussein, mufti de Jérusalem (qu’il n’a rencontré qu’en
novembre 1941…) le lui aurait suggéré ( !). Voilà donc les Palestiniens
accusés d’être à l’origine de la Shoah… Une manœuvre minable qui reprend un
autre mot d’ordre : « les Palestiniens sont pire qu’Hitler ». A
vomir…
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