Lignes quotidiennes, 15 novembre 2015
Akram Belkaïd, Paris
La guerre… Ce mot est dans
toutes les déclarations officielles, martelé en boucle par le président
François Hollande et son Premier ministre Manuel Valls, repris à l’unisson, et avec une certain jubilation malsaine, par
les médias et leurs inévitables panels de spécialistes habiles à combler d’interminables
temps d’antenne. La guerre donc.
Admettons. Mais encore faut-il préciser quel genre de guerre. La patrie française n’est pas envahie, occupée,
son sol n’est pas souillé par une offensive, massive et éclair, menée par des cavaliers
ou des chars ennemis. Si guerre, il y a, elle est asymétrique et, en apparence,
déterritorialisée. Elle oppose un pays qui possède son armée, ses institutions,
ses frontières bien établies à une organisation opaque régnant sur un
territoire proclamé califat et dont les contours demeurent incertains. En France,
c’est donc une guerre sans front mais avec une menace permanente, une peur
diffuse et une incapacité des pouvoirs publics à garantir que les tueries du
vendredi 13 novembre ne se répèteront pas. En Irak et en Syrie, c’est une
guerre plus classique avec une aviation qui bombarde sans relâche des positions
ennemies.
Cette guerre, c’est la France qui
l’a commencée. C’est le président François Hollande et son gouvernement qui l’ont
décidée en intervenant militairement en Irak contre l’Organisation de l’Etat
islamique (EI) après le chute de la ville de Mossoul à la fin de l’été 2014.
Cette guerre n’a pas fait l’objet d’un débat national. Le Parlement n’a pas eu
à donner de feu vert puisque la Constitution permet au Chef de l’Etat français
de décider seul. En théorie, la décision française d’intervenir peut paraître
louable quand on connaît la sauvagerie et la violence inouïe dont sont capables
les troupes de l’EI. Mais était-ce vraiment l’affaire de la France ? Etait-ce
à elle de s’immiscer dans un conflit vis-à-vis duquel même les Etats-Unis –
responsable direct du chaos irakien depuis l’invasion de 2003 – font preuve d’une
extrême prudence ? Intervention au nom des droits de l’homme ? D’accord,
et pourquoi alors ne pas aller bombarder Boko Haram au Nigeria ou alors les
Farc en Colombie ?
Cette guerre, la France s’y
est encore plus engagée depuis peu en bombardant Daech en Syrie (et en rendant
donc un service indirect au régime de Bachar al-Assad). L’attaque du vendredi
13 novembre est donc le dernier épisode en date de ce conflit entre la France et
l’EI. Les tueries étaient la réplique de cette organisation terroriste. Et,
comme dans tout conflit, ce ne sera pas la dernière. En clair, François
Hollande doit s’expliquer sur les raisons qui ont fondé l’intervention française
en Irak et en Syrie et convaincre que cet aventurisme militaire n’était pas
fondé sur des considérations de politique intérieure (pensons à tous ces articles
obséquieux vantant « Hollande le guerrier »…). Il doit aussi s’expliquer
sur le fait que la population française n’a pas été suffisamment informée sur
les risques, réels et importants, engendrés par cette guerre qu’on a voulu lui faire
croire lointaine et sans conséquences. C’est avant le 13 novembre qu’il aurait
fallu dire aux Français que leur pays était engagé dans une guerre qui, tôt ou
tard, allait faire des dégâts humains sur le territoire national. L’Histoire
retiendra donc cette double faute : un aventurisme militaire intéressé et désinvolte,
d’autant plus dangereux que la France n’a guère les moyens de mener durablement
cette guerre (et de se protéger efficacement), et un silence coupable à l’égard
de l’opinion publique.
La guerre donc… Une guerre se
gagne ou se perd. Ou bien alors elle devient, comme dans le 1984 d’Orwell,
lointaine et permanente. Comment gagner cette guerre ? En « exterminant »
Daech exige l’ancien président de la République française Nicolas Sarkozy. D’accord.
Les raisons de l’engagement français ont beau être controversées, il est
impossible de ne rien faire et de tendre l’autre joue. Il faut donc que l’EI
paie pour ses crimes. Mais comment le vaincre ? Comment l’exterminer ?
Comment faire en sorte d’éviter qu’un monstre pire encore n’émerge de ses
décombres ? Et qui peut croire qu’on peut vaincre, exterminer, une armée
de plus de 30.000 soldats, uniquement par le biais de bombardements aériens
dont le moins que l’on puisse est que leur efficacité reste à prouver ? A
ces questions, Hollande et Valls n’apportent aucune réponse, n’esquissent aucune
réponse tangible.
« Votre guerre, nos morts »
est un slogan qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux dès vendredi soir.
Un slogan que les principaux médias se sont bien gardés de citer ou de chercher
à analyser. Pourtant, il résume bien la situation. Voilà la France et les
Français embarqués dans une guerre voulue par une poignée d’hommes politiques irresponsables
en mal de popularité. Cette guerre, il faudra bien la mener jusqu’au bout mais une
chose est certaine, ceux qui l’ont déclenchée n’ont pas l’étoffe pour la terminer.
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2 commentaires:
merci Akram pour cette chronique avec laquelle je me sens parfaitement en phase. Tout ce qui y est exposé, avec la modération qui est la marque de fabrique de ce blog, me semble fort juste.
Pierre
>Désolé, Akram, tenter de justifier l'injustifiable, c'est déjà choisir son camp! Encore faut-il avoir des arguments, vous en avez un: "Cette guerre, c'est la France qui l'a commencée" C'est une contre-vérité.
La France ne s'est vraiment engagée contre Daech qu'après les évènements de janvier 2015. Auparavant il s'agissait d'un soutien logistique aux rebelles syriens qui ne touchait qu'indirectement l'Etat Islamique. Quelques questions doivent alors être posées: Comment sont entrés dans les mosquées françaises ces imams salafistes qui ont radicalisé ces jeunes sous couvert de religion? Qui sont ces hordes armées qui ont envahi l'Afrique sub-saharienne en tuant, pillant, violant, enlevant les filles pour leur usage ou la revente, dans des états auprès desquels nous étions engagés? Qui attire dans ses camps d'entraînement des jeunes par centaines pour une croisade anti-occidentale visant particulièrement la France, coupable de n'avoir pas su les intégrer, et Paris, lieu de toutes les perversités? Qui entretient dans les banlieues déshéritées un trafic d'armes soutenu parle trafic de drogues?
La vraie déclaration de guerre, c'est le massacre de Charlie Hebdo et la tuerie de l'hypermarché Cacher. Tout le reste est discutable, Cela ne l'est pas.
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