Le
Quotidien d’Oran, jeudi 4 mai 2017
Akram
Belkaïd, Paris
Tic, tac, tic, tac… Dans quelques jours, dans quelques
heures, le second tour de l’élection présidentielle française va avoir lieu. A
qui la victoire ? A Emmanuel Macron ou à Marine Le Pen ? Posons la
question autrement. Le sursis ou la catastrophe ? J’ai pris position la
semaine dernière pour un vote en faveur du premier, je n’y reviendrai donc pas
si ce n’est pour dire qu’il me sera impossible d’oublier ce qui s’est déroulé
cette semaine. J’ai bien pris note du « rien
à foutre de vos peurs » adressé par une partie de la gauche à celles et
ceux, notamment membres des minorités, qu’elles soient visibles ou non, pris
par l’angoisse d’une victoire de la seconde. Quel que soit le résultat de
dimanche, cette désinvolture égoïste et quelque peu méprisante, ce peu me
chaut, laisseront des traces et pas simplement dans la perspective des
élections législatives de juin prochain. No
perdonamos…
Parlons plutôt de la catastrophe qui menace. Certains
balayent son imminence avec assurance et même suffisance. Impossible, est le
terme qui revient en boucle. Impossible… Il était aussi impossible que Donald
Trump l’emporte aux Etats Unis ou que le Titanic coule. En réalité, la
certitude, surtout quand elle est affirmée haut et fort, que la catastrophe ne
peut pas advenir est le premier pas vers sa réalisation. Oh, point d’alarmisme
forcené ici, juste quelques lectures et quelques enseignements passés. Je pense
notamment à un livre de Jean-Pierre Dupuy, un essai intitulé « Pour un catastrophisme éclairé, quand
l’impossible est certain » (*). La catastrophe… On n’y croit pas, on
se trouve mille et une raisons pour se dire qu’elle ne viendra jamais mais elle
finit parfois, heureusement pas toujours, par survenir. Et le pire ennemi de
l’être humain dans ce genre de circonstances, c’est son refus du doute.
Parlons aussi de la loi de Murphy. On la cite souvent,
on lui fait dire beaucoup de choses à propos des choses qui tournent mal mais
il convient ici d’en préciser les termes. On la doit à Edward A. Murphy,
ingénieur américain dont un essai en laboratoire tourna mal en raison de
mauvais branchements réalisés par un technicien. Il en tira la conclusion selon
laquelle toute possibilité de mauvais fonctionnement débouche sur un mauvais
fonctionnement. C’est l’une des premières leçons qu’un ingénieur de conception
ou de maintenance aéronautiques apprend. Concevez une pièce de façon à ce
qu’elle puisse être montée d’une bonne manière ou d’une mauvaise manière, il se
trouvera toujours quelqu’un pour mal la monter et provoquer, au mieux, une
panne. En clair, il faut que la conception s’arrange pour qu’il n’y ait qu’une
seule possibilité de montage : la bonne.
Attention, il ne s’agit pas de confondre « The
Murphy’s law » avec ladite loi de « l’emmerdement maximum »
illustrée par la fameuse tartine beurrée qui tombe toujours du mauvais côté. On
parle ici d’une évaluation rationnelle pas de fatalisme. Ne pas se dire
systématiquement que le pire est toujours possible mais simplement se poser la
question suivante : Y a-t-il, dans un système donné, un facteur de risque
qui peut mener à ce que personne ne souhaite ? Contrairement à certaines
certitudes qui s’expriment haut et fort depuis le dimanche 23 avril, le second
tour n’est pas « Murphy-compatible ». Ce scrutin peut mal se finir parce
qu’il existe nombre de raisons qui peuvent mener à cela. D’abord, le vote caché
pour le Front national. C’est une donnée dont l’importance croit de concert
avec l’essor de ce parti depuis sa création. Ensuite, il y a l’abstention
« naturelle ». Organiser le second tour de la présidentielle durant
un week-end avec un pont (celui du lundi 8 mai) va à l’encontre du respect de
la loi de Murphy. Enfin, il y a l’abstention « volontaire », celle
qui se revendique du « ni-ni » impérieux et sur laquelle nous
n’allons pas nous attarder étant fatigués des vitupérations de nombre
d’atrabilaires bien fidèles en cela à leur grand zaïm. Quelques milliers de voix perdues par-ci, quelques dizaines
de milliers par-là, et le mauvais tour est joué.
Mais revenons à Jean-Pierre Dupuy dont l’ouvrage cité
s’inspire, entre-autres, des travaux d’Henry Bergson (1859-1941). Avant le
premier conflit mondial, ce dernier estimait qu’il était à la fois « probable et impossible ». Et
voici ce qu’écrivait le philosophe français, après-coup, à propos du
déclenchement de la guerre en 1914 et cela en ayant en tête l’idée que
l’humanité forgeait son propre destin apocalyptique : « Malgré mon bouleversement, et bien qu'une guerre, même
victorieuse, m'apparût comme une catastrophe, j'éprouvais [...] un sentiment
d'admiration pour la facilité avec laquelle s'était effectué le passage de
l'abstrait au concret : qui aurait cru qu'une éventualité aussi formidable pût
faire son entrée dans le réel avec aussi peu d'embarras ? Cette impression de
simplicité dominait tout. »
Bien sûr, l’éventuelle élection de Marine Le Pen n’a
rien à voir pour le déclenchement d’une boucherie planétaire. Mais que l’on réfléchisse
un peu à son caractère (aléatoire) d’impossibilité et que l’on essaie, pour
quelques secondes au moins si l’on fait partie des incrédules, d’imaginer le
glissement de cette hypothèse jugée improbable vers le réel. De l’abstrait au concret…
(*) Seuil, Paris, 2002.
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3 commentaires:
http://akram-belkaid.blogspot.fr/2014/03/la-chronique-du-bledard-monologue-de.html
Je devrais commencer toutes mes chroniques "monologue" par l'avertissement habituel : "je, est un autre"
Il y a un facteur de risque et il est élevé mais dans cinq années il n'y aura même plus le doute, le FN passera sauf divine surprise durant ce mandat et ça... j'en doute
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