Le Quotidien d’Oran, jeudi 1er juin 2017
Akram Belkaïd, Paris
Il y a toujours quelque chose d’étrange à jeuner en
terre non musulmane. Au-delà de son caractère religieux, spirituel et culturel,
le ramadan, que l’on soit à Alger, Tunis, Mascate ou Bagdad, c’est d’abord une
ambiance. Une atmosphère particulière qui connaît de multiples déclinaisons au
fil de la journée et de la soirée. Les premiers jours sont quant à eux très
particuliers. Il flotte dans l’air une sorte de pesanteur qui, ces dernières
années, est souvent amplifiée par une inévitable vague de chaleur. Un peu comme
si les éléments se chargeaient de tester la détermination des jeûneurs. Quoi
qu’il en soit, le consensus général est alors à l’acceptation d’un changement
soudain de rythme, d’un ralentissement marqué, d’un report des affaires en
cours, y compris les plus urgentes. Autrement dit, le temps se fige et, en
journée, toute agitation paraît suspecte sauf quand il s’agit d’aller au
ravitaillement.
Juste avant le ftour
(le présent chroniqueur insiste sur ce terme et tente vaille que vaille – même
s’il sait que le combat est perdu d’avance – de résister à la généralisation de
celui, très machrekien ou même khalidji, d’iftar) ;
juste avant le ftour, donc, il y a ce
moment à part, incroyable même, de silence général. Un silence et un calme bien
plus denses que ceux qui accompagnent la diffusion d’une rencontre de football.
La luminosité qui décline, le soleil qui disparaît peu à peu, les rues qui se
sont vidées, les rares voitures qui passent en trombe, leurs conducteurs se
maudissant sûrement d’être en retard pour le repas. Et quand s’achève l’appel à
la prière du maghrib, l’oreille capte
aisément le cliquetis des cuillères et cette rumeur qui va enfler peu à peu,
mélange de voix humaines, de télévisions qui diffusent les inévitables
mièvreries (sketchs à deux sous, caméras cachées,…) en attendant les multiples
feuilletons du soir.
Il y a quelques années, j’ai vécu une expérience de
solitude saisissante lors de ce moment d’avant-ftour. C’était dans les rues du centre d’Abou Dhabi. De grands
immeubles aux façades vitrées, des rues larges, un rien des années soixante-dix
combiné à une modernité plus récente, une chaleur humide, étouffante, et le
silence. Rien que le silence. Seuls mes pas résonnaient sur le dallage pierreux
des trottoirs. Cela avait duré un bon quart d’heure avant que les taxis ne
refassent leur apparition et que n’ouvrent les premières échoppes de
commerçants indiens ou pakistanais. Un quart d’heure singulier : une
éternité où je me suis cru dans un film catastrophe où, dans un environnement
futuriste, un survivant arpente ce qui reste de sa ville.
Rien de tout cela n’est perceptible pour celui qui
jeûne en France. Le rythme habituel demeure inchangé et c’est bien normal.
Comme chaque année, il faut faire preuve de pédagogie – et parfois, de patience
- à l’égard de celles et ceux qui ont une vague idée de cette pratique, de ses
règles et de ses raisons (« non, on
ne peut pas boire », « oui,
on peut avaler sa salive », « oui,
ça dure un mois entier », « non,
ce n’est pas à date fixe, ça recule de onze jours chaque année », « si, si, ça peut faire du bien et
ça permet de mieux se connaître »)*. Il fut un temps où le ramadan
était pratiquement invisible dans l’Hexagone. Néanmoins, depuis plus d’une
décennie les choses changent. D’abord, pour celles et ceux que cela concerne,
la pratique est de plus en plus assumée et donc, plus visible (et comme
toujours, cela peut parfois prendre la forme d’une d’ostentation plus ou moins agressive).
Ensuite, le capitalisme, qui ne manque jamais une occasion d’engranger les
profits, a compris l’intérêt de cette période hautement consumériste comme en
témoignent les « stands ramadans » de plusieurs grandes surfaces.
Enfin, les réseaux sociaux jouent le rôle désormais habituel de caisse de
résonnance. Même les médias, particulièrement la presse écrite, sont plus
attentifs. Pour eux, le ramadan est devenu un marronnier (un sujet récurrent
comme, par exemple, les dossiers sur l’immobilier) presque comme les autres.
Des institutions diverses, qu’il s’agisse de simples
associations ou d’ambassades étrangères ou d’entreprises, organisent des « iftars » (eh oui…) où, temps
électoraux obligent, les politiques se pressent. Nombre d’entre eux se croient
alors obligés de parler de terrorisme et des violences des groupes extrémistes
mais le repas de rupture du jeûne tend néanmoins à devenir un moment de
convivialité et donc de communication. Certaines mosquées l’ont compris. Réunir
les gens autour d’une table, y compris les non-musulmans, c’est saisir à quel
point le plaisir de la nourriture partagée compte en France.
Il serait d’ailleurs intéressant de disposer de
chiffres quant à la généralisation ou non de la pratique du jeûne en France.
L’idée générale est qu’elle augmente et que cela n’est pas sans poser quelques
problèmes. Un ami qui enseigne dans un collège me signale que des élèves de
treize ans jeûnent déjà et cela l’inquiète. Outre le fait que les concernés
décrochent en termes d’attention, il note quelques heurts récurrents entre ceux
qui jeûnent et ceux qui ne jeûnent pas. Et je suis d’accord avec lui quand il
me dit qu’il ne faut pas être un grand devin pour comprendre que cette question
du jeûne des collégiens, parfois des écoliers, va tôt ou tard être
instrumentalisée sur le plan politique. Ces dernièrs temps, le ramadan se
déroulait en été, passant donc un peu inaperçu, le burkini ou la viande hallal
étant les vedettes du cirque médiatique. Désormais, placé au cœur de l’année
scolaire, sa visibilité va être accrue. Cela ouvre des opportunités pour
consolider le vivre ensemble mais, comme toujours, cela peut constituer une
aubaine pour les fauteurs de troubles et les démagogues.
(*) Pour celles et ceux qui seraient confrontés à la même situation, il est possible de faire lire mon texte sur le ramadan publié par le site OrientXXI (lequel a besoin du soutien de ses lecteurs) : Ramadan : http://orientxxi.info/mots-d-islam-22/ramadan,1359
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2 commentaires:
Un témoignage et non un commentaire, plutôt. Le ramadhan aux States pour un jeûneur "non fervent" se passe dans un anonymat des plus apaisant. Comme vous le soulignez dans l'un de vos passages, le bavardage inutile en moins, le jeûneur trouve le temps de méditer sur soi et redéfinir ses priorités. Concernant les enfants, ceux qui sont scolarisés dans le lycée Français, point de brouille mais une compréhension réelle du côté du corps enseignant . Je me rappelle que nous avions demandé au professeur d'éducation physique d'épargner les collégiens jeûneurs et cela a été tres bien accepté. Un surveillant durant la récréation empêchait les camarades "blagueurs" d'importuner leur camarade qui ne mangeaient pas durant la journée. Bref , le ramadhan s'écoule agreablement. Nous assistons cependant ces dernières années a une guerre de leadership entre les Turques et les Seoudiens perceptible dans les lieux de prière. Cette guerre se joue dans les communautés musulmanes Pakistanaise, Ethiopienne, , Somalienne, Soudanaise ainsi que lla communauté noire nouvellement convertie. Les Maghrébins pour leur part sont chapeauté par le mihrab Marocain. Des mosquées sont louées à l'occasion et les imams sponsorisés par la communauté sont acheminés par la royale air. C'est subtile comme entreprise mais hélas ça federe pas mal chez les cadres de la banque mondiale et du FMI. Saha FTOUREK.
Merci pour ce commentaire très informatif. Cela ferait un bon papier !
Saha Ftourek
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