Le Quotidien
d’Oran, jeudi 22 juin 2017
Akram
Belkaïd, Paris
S’il faut évoquer
la période que vit actuellement l’Algérie, il ne serait pas anormal ni
outrancier de la qualifier de temps du désarroi et de l’accablement. Pour celui
qui vit à l’étranger et qui reste profondément attaché à sa terre natale, c’est
la première chose qui vient à l’esprit quand il lit les nouvelles en provenance
du pays. On sait que le flux d’informations, d’où qu’il vienne, est rarement optimiste
mais, dans le cas présent, on cherche en vain quelque chose d’optimiste à
laquelle on pourrait se raccrocher. Pire, au-delà de l’habituelle litanie sur
la vacuité de la scène politique et de la prégnance d’une bigoterie d’un autre
âge, il y a des événements qui sidèrent.
Le sort des familles
syriennes expulsées et reléguées dans le no man’s land aux frontières
algérienne et marocain représente un scandale absolu, une insulte infligée aux
valeurs humaines et civilisationnelles dont les Algériens s’enorgueillissent
(et l’on se demande bien à quel titre ils le font aujourd’hui). Il y a quelques
semaines, la diffusion d’un documentaire sur le passé progressiste et militant
de l’Algérie a fait grand bruit et déclenché une vague de fierté nationale pour
ne pas dire de chauvinisme (1). Même si certains commentateurs ont rappelé que
l’Algérie des années 1960 et 1970 n’était pas un havre de démocratie et de
liberté, il n’en demeure pas moins que le pays, et ce fut à son honneur, a
accueilli alors nombre de réfugiés et de révolutionnaires demandeurs d’asile.
Citons, par exemple, les ressortissants chiliens chassés de chez eux par la
sanglante répression du régime de Pinochet après le coup d’Etat contre le
président Allende (11 septembre 1973).
Où est passé
cet engagement ? Où est passé le devoir d’hospitalité dont nous nous
prévalons quand nous donnons des leçons aux Européens, et notamment aux
Français, qui refusent d’accueillir les réfugiés ayant traversé la Méditerranée
au péril de leur vie. En 2017, des hommes, des femmes et des enfants qui ont
fuit une guerre civile terrible, se retrouvent dans la rocaille au milieu de
nulle part, interdits d’installation dans un pays « frère » qui
prétendait, jadis, incarner le combat pour la dignité des plus démunis. Ces
Syriens, dont on n’a même pas à savoir s’ils sont pour Assad ou contre lui,
sont les nouveaux Damnés de la Terre.
Même le fait qu’ils soient arabes et musulmans ne compte pas. Ce n’est pas un
argument qui mérite d’être retenu. Ce sont juste des êtres humains qui
demandaient de l’aide à un pays qu’ils pensaient généreux.
Il faut
rendre hommage aux associations algériennes, marocaines et tunisiennes, sans
oublier celles qui activent en Europe, qui ont appelé à la solidarité avec ces
réfugiés (2). Ces collectifs opiniâtres sauvent ce qui peut être sauvé dans ces
temps de peu où l’honneur de leurs propres pays et sociétés fait tant défaut.
Le 20 juin était la journée mondiale des réfugiés. Le Maroc en a profité pour
annoncer qu’il allait se pencher sur la situation de ces familles. La vile
compétition entre deux régimes qui détruisent l’espérance maghrébine continue
et, dans le cas présent, elle se fait sur le dos de pauvres gens qui ont tout
perdu.
Evoquons
maintenant une autre information qui a beaucoup été commentée sur les réseaux
sociaux. On aurait pu d’ailleurs revenir sur la « caméra cachée »
imaginée par des esprits dérangés pour piéger l’écrivain Rachid Boudjedra ou
d’autres personnalités. Mais c’est la mort violente d’un enseignant qui retient
notre attention. Karoui Serhan, professeur à l'université de Khemis Miliana a été
assassiné, à coups de marteaux, le 18 juin dernier par deux « étudiants ».
Le mobile ? L’enseignant a empêché les deux mis en cause de tricher à un
examen… Ce n’est pas le premier acte de violence que connaît l’université
algérienne où la baltaguiya va et
vient à sa guise, molestant enseignants et personnel administratif. Mais c’est
la première fois, semble-t-il, qu’il y a mort d’homme.
La violence
que l’on pensait circonscrite aux groupes armés, ou du moins à ce qu’il en
reste, a gangréné la société. Comment pouvait-il en être autrement quand le
savoir, la production intellectuelle, la transmission, sont à ce point
dévalorisés par le pouvoir et ses représentants divers. Quelle est la dernière
fois où nous avons entendu (ou lu) un responsable politique ou économique
disserter sur telle ou telle œuvre ? Quand on croise ces gens - comme
lorsqu’ils assistent à une conférence internationale à l’étranger – on a
l’impression désagréable d’être en face d’erreurs de casting. De gens médiocres,
imbus d’eux-mêmes, sûrs de leur bon droit et dont la mission est de débarrasser
le pays de toute forme d’intelligence et de créativité. Au point que le présent
chroniqueur fuit désormais ce genre d’événement pour ne pas subir l’intenable
spectacle d’une honte, encore une autre, infligée à l’Algérie.
Addendum (24 juin 2017) : Bouclée avant que le scandale ne survienne, cette chronique
aurait pu aussi évoquer la question du racisme de certains médias algériens à l’égard
des migrants subsahariens en Algérie. Les crétins qui s’en prennent à nos
frères, notamment Maliens, font honte à l’Algérie et aux Algériens. Ils
souillent l’honneur de leur pays.
(1) « Alger,
la Mecque des révolutionnaires », de Mohamed Ben Slama.
(2) Lire
« Réfugiés syriens bloqués à la frontière algéro-marocaine : Nouvel appel
d’associations maghrébines, syriennes et françaises », Maghreb Emergent, 20 juin 2017.
1 commentaire:
Oui c'est une honte innomable qui nous entache tous
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