Le Quotidie d'Oran, mercredi 14 novembre 2012
Akram Belkaïd, Paris
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a jeté un pavé dans la mare concernant le débat, très polarisé, à propos des hydrocarbures non conventionnels. Dans son dernier rapport sur les perspectives énergétiques mondiales (World Energy Outlook), l’Agence basée à Paris a annoncé que les Etats-Unis sont en bonne voie vers l’indépendance énergétique grâce notamment au gaz et pétrole de schiste. Ainsi, ce pays deviendrait le premier producteur mondial de pétrole en 2020 et un exportateur net de brut entre 2030 et 2035, reléguant derrière lui la Russie, l’Arabie saoudite et les autres monarchies pétrolières du Golfe. On imagine sans peine les bouleversements géopolitiques que cela devrait induire…
L’AIE est dans le camp des pays consommateurs
Avant d’aller plus loin, il faut tout de même préciser que l’AIE n’est pas un acteur neutre et impartial. Dans le bras de fer permanent que se livrent les producteurs (surtout ceux membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, Opep) et les consommateurs (Etats-Unis, Europe, Japon), cette agence est clairement dans le camp des seconds et sa mission principale est de faire en sorte que l’offre en énergie soit la plus abondante possible. Du coup, on comprend pourquoi son économiste en chef Fatih Birol estime que les gaz de schiste peuvent être exploités sans dommages pour l’environnement (à condition, précise-t-il néanmoins, que l’industrie pétrolière consente de gros investissements).
Ceci étant précisé, et comme indiqué dans une précédente chronique (*), il ne faut pas se mentir. Les Etats-Unis, même sous la nouvelle présidence d’Obama, ne vont certainement pas sacrifier l’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels. De même qu’Ottawa avec les sables bitumineux de l’Alberta, Washington n’aura aucun scrupule à endommager une partie de son propre environnement pour répondre à sa demande énergétique interne et pour contenter les lobbies pétroliers. Car ce n’est pas qu’une question d’indépendance en matière d’hydrocarbures qui se pose. Pour les Etats-Unis, comme pour le Canada, c’est tout simplement le retour à des taux importants de croissance économique qui est en jeu. Il suffit de se renseigner sur le dynamisme des marchés de l’emploi en Alberta (sables bitumineux) ou dans les deux Etats du Dakota (gaz de schiste) pour en prendre conscience.
Cela signifie que les indignations et protestations des défenseurs de l’environnement risquent de ne pas suffire. Car, encore une fois, c’est une question de civilisation qui est en train de se jouer et le plus fort va imposer sa loi y compris à l’intérieur de ses frontières. Au Canada comme aux Etats-Unis, les organisations écologiques tentent vaille que vaille de stopper les exploitations d’hydrocarbures non conventionnels mais les opinions publiques, sensibles aux questions d’emplois et d’autosuffisance énergétique, sont loin d’être convaincues d’autant que les pouvoirs politiques sont peu transparents sur ce dossier. Question importante : quel pays, quel dirigeant mondial sera capable d’aborder ce dossier dans une enceinte comme l’Onu ? Au passage, on devine pourquoi il n’existe pas à ce jour d’Organisation mondiale pour l’environnement car cette dernière aurait été l’instance idéale pour freiner, voire pour encadrer, le développement des gaz de schiste.
Les pessimistes pas assez réalistes ?
Par ailleurs, cette nouvelle donne énergétique donne finalement raison aux optimistes qui n’ont jamais cru au proche déclin des hydrocarbures. Alors que les pessimistes, dont des géologues reconnus, avançaient que le pic pétrolier (moment où la production mondiale atteint son plafond) interviendrait en 2020, les projections avancées par l’AIE tendent à démontrer le contraire. En clair, cela signifie que l’âge du pétrole et du gaz ne semble pas près de s’interrompre même si le coût environnemental sera de plus en plus élevé.
(*) Les gaz de schiste : nouvelle manne ou future calamité, 7 novembre 2012.
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