Pour avoir exigé du Sultan Qaboos des réformes, plusieurs dizaines d'activistes omanais sont poursuivis par la justice dans l'indifférence de la communauté internationale. Ces poursuites témoignent du durcissement de cette monarchie absolue dans le contexte tumultueux du Printemps arabe.
Un an de prison et plusieurs centaines de rials d'amende. C'est le verdict d'une Cour d'appel omanaise prononcé le 12 décembre dernier contre 22 activistes des droits de la personne humaine dont des avocats et des bloggeurs. Déjà condamnés au printemps dernier, ils étaient poursuivis pour « lèse-majesté », pour « violation des lois sur l'information et la technologie » ainsi que pour « regroupements interdits ». Le procès d'autres militants a été reporté, ces accusés ayant affirmé que leurs comptes facebook où des critiques contre le régime avaient été mises en lignes avaient été piratés. Au total, depuis la mi-2011, Plus d'une centaine de personnes ont été poursuivies et incarcérées dans cette pétromonarchie des plus discrètes.
En effet, et alors que l'attention médiatique se focalise sur la révolte chiite à Bahreïn, le désordre politique au Koweït (né de la présence de députés chiites au Parlement), la folie des grandeurs du Qatar et les tensions sociales en Arabie Saoudite, le Sultanat d'Oman réussit à échapper aux écrans radars et fait figure d'exception parmi les six membres qui composent le Conseil de coopération du Golfe (CCG*). Certes, ce pays est de plus en plus connu en Europe en tant que destination touristique haut de gamme mais il ne figure pratiquement jamais dans les dépêches rendant compte de l'ébullition générale que connaît la péninsule depuis le déclenchement du Printemps arabe en janvier 2011. Et pourtant, les choses bougent aussi au pays du mythique Sindbad le marin (les Omanais ont été de grands navigateurs jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle).
L'EFFET DU PRINTEMPS ARABE
Voici bientôt deux ans qu'Oman, dirigé sans partage depuis 1970 par le Sultan Qaboos, 72 ans, connaît une agitation politique et sociale. En février 2011, encouragé par le souffle des révolutions tunisienne et égyptienne, des milliers d'Omanais ont investi la rue pour réclamer des réformes politiques et économiques. Ils exigeaient aussi des emplois pour les jeunes diplômés au chômage et dénonçaient la corruption des élites dirigeantes sans jamais toutefois s'attaquer directement au Sultan (ce qui aurait constitué un crime de lèse-majesté passible de plusieurs années de prison ferme). Malgré tout, quelques rares protestataires ont pris le risque d'exiger une véritable Constitution à la place de la Loi basique mise en place par le souverain en 1996 et ont plaidé pour des institutions indépendantes du Palais royal.
A l'époque, la réaction des autorités ne s'est pas fait attendre. Comme ses pairs couronnés d'Arabie saoudite ou des Emirats arabes unis, le Sultan Qabous a usé du bâton et de la carotte contre les manifestants. A Sohar, port industriel au sud de la capitale Mascate, la police a ouvert le feu contre les manifestants. Bilan, deux morts, des dizaines de blessés et autant d'arrestations. Dans le même temps, le souverain déliait les cordons de la bourse. Le salaire minimum a alors été relevé de 20%, la création de plusieurs milliers d'emplois publics était annoncée tandis que des ministres honnis par la rue pour leur corruption supposée étaient débarqués. Parmi eux, Ali al-Mamari (affaires royales), Ahmed Makki (économie) et Maqbool al-Sultan (commerce).
UN CYCLE ININTERROMPU DE CONTESTATIONS
Au fil des mois, les manifestations violentes se sont atténuées mais la contestation n'a jamais disparu. Aux grèves dans les sites de productions de Sohar ou sur les champs pétroliers, aux sit-in d'activistes des droits de la personne humaine et aux pétitions en faveur de la liberté d'expression, ont répondu les arrestations et les mises en garde répétées des autorités contre « les perturbateurs à la solde de l'étranger ». Le pays a ainsi vécu au rythme d'agitations inhabituelles tandis que des avocats et des universitaires locaux se mêlaient de la partie. Et le cycle manifestation-répression s'est répété de manière quasi-identique selon le schéma suivant : D'abord, un collectif demande des réformes ou, à l'image de l'avocat Yaqoub al-Kharoussi, soutient des grévistes. Très vite, les fauteurs de troubles sont arrêtés sous divers prétextes (« usage abusif de la technologie », « regroupement interdit », « atteinte à la sûreté nationale »). Les ordinateurs et téléphones intelligents des mis en cause sont saisis et leurs contacts divers, notamment ceux des réseaux sociaux, sont convoqués par la police. La majorité est relâchée mais d'autres restent en prison. S'ensuit des appels pour leur libération ce qui déclenche de nouvelles arrestations et ainsi de suite La répression n'épargne pas les femmes comme ce fut le cas pour l'avocate Bassimah al-Rajhiyah, en liberté provisoire mais soumise dans un hôpital à un test de virginité par les forces de sécurité.
LA RUPTURE DU PACTE D’ALLÉGEANCE
Aujourd'hui encore, la traditionnelle quiétude du sultanat est mise à rude épreuve. Du jamais vu depuis les années 1970 lorsque la région du Dhofar, frontalière avec le Yémen, avait pris les armes au nom du marxisme contre l'autorité du Sultan (rébellion matée alors dans le sang grâce aux SAS britanniques et aux troupes du Shah d'Iran). Pour de nombreux Omanais, l'agitation engendrée par le Printemps arabe a révélé les mutations et contradictions profondes de leur société. «Il y avait un pacte tacite entre le peuple et le Sultan», explique un diplomate français fin connaisseur du Golfe. «D'un côté, la prospérité et le développement pour tous grâce à une bonne redistribution de la manne pétrolière. Et, de l'autre, l'allégeance totale au souverain et l'absence de revendications politiques qu'il s'agisse de la situation intérieure ou internationale». Une anecdote souvent racontée dans le sultanat résume bien ce «deal». En 2003, un concert de la chanteuse libanaise Nancy Ajram a rassemblé cinq fois plus de monde que l'unique marche autorisée par le régime pour dénoncer l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis et leurs alliés. C'est dire à quel point les Omanais répugnaient à se mêler de politique
Le consensus entre le souverain et son peuple a tout de même commencé à se fissurer au milieu des années 2000. Confrontée au chômage, admirative du boom spectaculaire de l'émirat de Dubaï ou de la montée en puissance du Qatar sur la scène internationale, la jeunesse omanaise entendait participer à la vie politique du pays dont elle exigeait la modernisation. Des groupes de discussion se sont formés sur Facebook en posant des questions dérangeantes. «Pourquoi n'élisons-nous pas de députés ? Sommes-nous condamnés à ne rester que des sujets ?» s'interrogeait ainsi un internaute en 2007. Laissant libre cours à leur frustration, certains osaient même critiquer un souverain capable d'offrir à sa capitale un théâtre-opéra majestueux mais refusant de doter son pays de la moindre institution indépendante. Pour les Omanais les plus âgés, ces revendications n'étaient qu'ingratitude mais les jeunes n'en avaient cure.
Deux statistiques expliquent cette fracture générationnelle : 50% des 3 millions d'Omanais ont moins de vingt ans et, surtout, 85% des Omanais sont nés après l'arrivée au pouvoir de Qaboos. Cela signifie que, contrairement à leurs aînés, ils ne peuvent se consoler de l'absence de libertés en repensant à ce qu'était le sultanat dans les années 1960 alors qu'il était dirigé par Saïd Bin Tamur, père de l'actuel souverain. Un pays isolé, pratiquement sans électricité ni écoles, ni routes ou hôpitaux et cela de part la volonté d'un monarque archaïque, hostile au progrès technique, et qui finira par être déposé par son fils lors d'un coup d'Etat sans effusion de sang. En quarante ans, le sultan Qaboos a donc fait sortir le pays du Moyen-âge, une performance saluée en 2010 par le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud). Les plus anciens lui sont reconnaissants mais, cela ne saurait satisfaire une jeunesse en quête de libertés et de modernité.
DES ELECTIONS MUNICIPALES EN GUISE DE CONCESSIONS
Comme l'explique un avocat omanais qui requiert l'anonymat, «les activistes ne demandent pas la chute du régime comme ce fut le cas en Egypte ou en Libye mais quelques réformes de fond destinées à permettre à leur peuple de participer à la vie de leur pays. Personne ou presque ne parle de monarchie constitutionnelle, c'est dire le caractère raisonnable des revendications». Pour autant, le Palais royal n'a rien cédé ou presque si ce n'est l'organisation d'élections municipale le 22 décembre. Un scrutin ouvert à 1636 candidats dont 49 femmes pour pourvoir 102 sièges sur 11 conseils municipaux. Une première, certes, mais qui est loin de répondre aux attentes de la société civile.
Pas de réforme du droit du travail, pas d'autorisation des syndicats, maintien de l'interdiction de regroupements supérieurs à dix personnes, et intimidations permanentes à l'égard des activistes : le message est clair, le sultan Qaboos défend le statu quo et entend garder la main. En témoigne son refus de nommer un Premier ministre. Pourtant, l'existence d'un chef du gouvernement aurait pour avantage de permettre un débat politique contradictoire. En effet, les critiques qui seraient formulées contre l'action du gouvernement ne seraient plus assimilées à des mises en causes directes du souverain et cela permettrait aux Omanais de s'initier aux subtilités de la démocratie parlementaire. «Il n'y a pas d'institutions, pas de chef du gouvernement, pas de députés. Il est impossible d'émettre le moindre jugement sur la marche du pays sans prendre le risque de poursuite pour crime de lèse-majesté», déplore à ce sujet un membre du Conseil consultatif, un «Parlement» dont les membres sont désignés par le Palais et qui n'a aucun pouvoir législatif.
LA SUCCESSION DU SULTAN EN QUESTION
Pour nombre d'observateurs, ce raidissement de la monarchie et des services de sécurité ne peut s'expliquer que si l'on prend en compte le fait que la succession du sultan Qaboos un grand tabou à Oman occupe les esprits. Célibataire endurci, le monarque n'a pas d'héritier désigné (ce qui n'est pas le cas dans les pays voisins) même si un Conseil de sages a été nommé pour décider, après son décès, qui sera son successeur. De plus, en cas de désaccord entre les membres de ce Conseil, un «testament» du souverain trancherait la question. Reste que personne ne croit que ce mécanisme fonctionnera. «L'un des tours de force du sultan a été d'unifier des tribus rivales en symbolisant l'unité nationale», poursuit le diplomate français. «Tout le monde sait que sa disparition remettrait en cause un édifice fragile». Du coup, la dureté des services de sécurité à l'égard des activistes s'expliquerait non seulement par une volonté d'éviter un scénario comparable à ce qui se passe à Bahreïn mais aussi par un souci de ne pas favoriser les ferments d'une agitation qui ne pourrait que s'aggraver en cas de disparition du sultan.
Mais cette stratégie risque d'être des plus hasardeuses à moyen terme. D'abord, les peines de prison, les menaces et les intimidations ne semblent pas entamer la détermination des activistes. Certes, la majorité de la population se réfugie dans un prudent attentisme mais les vexations subies par les militants ont tendance à renforcer la popularité de ces derniers. Ensuite, rien ne dit que le statu quo empêchera les conflits de succession. En ne déléguant aucun de ses pouvoirs, le sultan Qaboos a peut-être réussi à cimenter son pays autour de lui mais sa disparition risque fort de réveiller les rivalités tribales. Et cela dans un contexte tendu où la jeunesse désespère de voir venir le Printemps omanais.
(*) Le CCG regroupe l'Arabie Saoudite, le royaume de Bahreïn, la fédération des Emirats arabes unis (EAU), l'émirat du Koweït, le sultanat d'Oman et l'émirat Qatar. Depuis peu, la Jordanie et le Maroc, deux autres monarchies arabes, sont candidates à l'adhésion au CCG. A l'inverse, ni le Yémen, ni l'Irak et encore moins l'Iran ne font partie de cet ensemble régional sous influence saoudienne.
Un an de prison et plusieurs centaines de rials d'amende. C'est le verdict d'une Cour d'appel omanaise prononcé le 12 décembre dernier contre 22 activistes des droits de la personne humaine dont des avocats et des bloggeurs. Déjà condamnés au printemps dernier, ils étaient poursuivis pour « lèse-majesté », pour « violation des lois sur l'information et la technologie » ainsi que pour « regroupements interdits ». Le procès d'autres militants a été reporté, ces accusés ayant affirmé que leurs comptes facebook où des critiques contre le régime avaient été mises en lignes avaient été piratés. Au total, depuis la mi-2011, Plus d'une centaine de personnes ont été poursuivies et incarcérées dans cette pétromonarchie des plus discrètes.
En effet, et alors que l'attention médiatique se focalise sur la révolte chiite à Bahreïn, le désordre politique au Koweït (né de la présence de députés chiites au Parlement), la folie des grandeurs du Qatar et les tensions sociales en Arabie Saoudite, le Sultanat d'Oman réussit à échapper aux écrans radars et fait figure d'exception parmi les six membres qui composent le Conseil de coopération du Golfe (CCG*). Certes, ce pays est de plus en plus connu en Europe en tant que destination touristique haut de gamme mais il ne figure pratiquement jamais dans les dépêches rendant compte de l'ébullition générale que connaît la péninsule depuis le déclenchement du Printemps arabe en janvier 2011. Et pourtant, les choses bougent aussi au pays du mythique Sindbad le marin (les Omanais ont été de grands navigateurs jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle).
L'EFFET DU PRINTEMPS ARABE
Voici bientôt deux ans qu'Oman, dirigé sans partage depuis 1970 par le Sultan Qaboos, 72 ans, connaît une agitation politique et sociale. En février 2011, encouragé par le souffle des révolutions tunisienne et égyptienne, des milliers d'Omanais ont investi la rue pour réclamer des réformes politiques et économiques. Ils exigeaient aussi des emplois pour les jeunes diplômés au chômage et dénonçaient la corruption des élites dirigeantes sans jamais toutefois s'attaquer directement au Sultan (ce qui aurait constitué un crime de lèse-majesté passible de plusieurs années de prison ferme). Malgré tout, quelques rares protestataires ont pris le risque d'exiger une véritable Constitution à la place de la Loi basique mise en place par le souverain en 1996 et ont plaidé pour des institutions indépendantes du Palais royal.
A l'époque, la réaction des autorités ne s'est pas fait attendre. Comme ses pairs couronnés d'Arabie saoudite ou des Emirats arabes unis, le Sultan Qabous a usé du bâton et de la carotte contre les manifestants. A Sohar, port industriel au sud de la capitale Mascate, la police a ouvert le feu contre les manifestants. Bilan, deux morts, des dizaines de blessés et autant d'arrestations. Dans le même temps, le souverain déliait les cordons de la bourse. Le salaire minimum a alors été relevé de 20%, la création de plusieurs milliers d'emplois publics était annoncée tandis que des ministres honnis par la rue pour leur corruption supposée étaient débarqués. Parmi eux, Ali al-Mamari (affaires royales), Ahmed Makki (économie) et Maqbool al-Sultan (commerce).
UN CYCLE ININTERROMPU DE CONTESTATIONS
Au fil des mois, les manifestations violentes se sont atténuées mais la contestation n'a jamais disparu. Aux grèves dans les sites de productions de Sohar ou sur les champs pétroliers, aux sit-in d'activistes des droits de la personne humaine et aux pétitions en faveur de la liberté d'expression, ont répondu les arrestations et les mises en garde répétées des autorités contre « les perturbateurs à la solde de l'étranger ». Le pays a ainsi vécu au rythme d'agitations inhabituelles tandis que des avocats et des universitaires locaux se mêlaient de la partie. Et le cycle manifestation-répression s'est répété de manière quasi-identique selon le schéma suivant : D'abord, un collectif demande des réformes ou, à l'image de l'avocat Yaqoub al-Kharoussi, soutient des grévistes. Très vite, les fauteurs de troubles sont arrêtés sous divers prétextes (« usage abusif de la technologie », « regroupement interdit », « atteinte à la sûreté nationale »). Les ordinateurs et téléphones intelligents des mis en cause sont saisis et leurs contacts divers, notamment ceux des réseaux sociaux, sont convoqués par la police. La majorité est relâchée mais d'autres restent en prison. S'ensuit des appels pour leur libération ce qui déclenche de nouvelles arrestations et ainsi de suite La répression n'épargne pas les femmes comme ce fut le cas pour l'avocate Bassimah al-Rajhiyah, en liberté provisoire mais soumise dans un hôpital à un test de virginité par les forces de sécurité.
LA RUPTURE DU PACTE D’ALLÉGEANCE
Aujourd'hui encore, la traditionnelle quiétude du sultanat est mise à rude épreuve. Du jamais vu depuis les années 1970 lorsque la région du Dhofar, frontalière avec le Yémen, avait pris les armes au nom du marxisme contre l'autorité du Sultan (rébellion matée alors dans le sang grâce aux SAS britanniques et aux troupes du Shah d'Iran). Pour de nombreux Omanais, l'agitation engendrée par le Printemps arabe a révélé les mutations et contradictions profondes de leur société. «Il y avait un pacte tacite entre le peuple et le Sultan», explique un diplomate français fin connaisseur du Golfe. «D'un côté, la prospérité et le développement pour tous grâce à une bonne redistribution de la manne pétrolière. Et, de l'autre, l'allégeance totale au souverain et l'absence de revendications politiques qu'il s'agisse de la situation intérieure ou internationale». Une anecdote souvent racontée dans le sultanat résume bien ce «deal». En 2003, un concert de la chanteuse libanaise Nancy Ajram a rassemblé cinq fois plus de monde que l'unique marche autorisée par le régime pour dénoncer l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis et leurs alliés. C'est dire à quel point les Omanais répugnaient à se mêler de politique
Le consensus entre le souverain et son peuple a tout de même commencé à se fissurer au milieu des années 2000. Confrontée au chômage, admirative du boom spectaculaire de l'émirat de Dubaï ou de la montée en puissance du Qatar sur la scène internationale, la jeunesse omanaise entendait participer à la vie politique du pays dont elle exigeait la modernisation. Des groupes de discussion se sont formés sur Facebook en posant des questions dérangeantes. «Pourquoi n'élisons-nous pas de députés ? Sommes-nous condamnés à ne rester que des sujets ?» s'interrogeait ainsi un internaute en 2007. Laissant libre cours à leur frustration, certains osaient même critiquer un souverain capable d'offrir à sa capitale un théâtre-opéra majestueux mais refusant de doter son pays de la moindre institution indépendante. Pour les Omanais les plus âgés, ces revendications n'étaient qu'ingratitude mais les jeunes n'en avaient cure.
Deux statistiques expliquent cette fracture générationnelle : 50% des 3 millions d'Omanais ont moins de vingt ans et, surtout, 85% des Omanais sont nés après l'arrivée au pouvoir de Qaboos. Cela signifie que, contrairement à leurs aînés, ils ne peuvent se consoler de l'absence de libertés en repensant à ce qu'était le sultanat dans les années 1960 alors qu'il était dirigé par Saïd Bin Tamur, père de l'actuel souverain. Un pays isolé, pratiquement sans électricité ni écoles, ni routes ou hôpitaux et cela de part la volonté d'un monarque archaïque, hostile au progrès technique, et qui finira par être déposé par son fils lors d'un coup d'Etat sans effusion de sang. En quarante ans, le sultan Qaboos a donc fait sortir le pays du Moyen-âge, une performance saluée en 2010 par le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud). Les plus anciens lui sont reconnaissants mais, cela ne saurait satisfaire une jeunesse en quête de libertés et de modernité.
DES ELECTIONS MUNICIPALES EN GUISE DE CONCESSIONS
Comme l'explique un avocat omanais qui requiert l'anonymat, «les activistes ne demandent pas la chute du régime comme ce fut le cas en Egypte ou en Libye mais quelques réformes de fond destinées à permettre à leur peuple de participer à la vie de leur pays. Personne ou presque ne parle de monarchie constitutionnelle, c'est dire le caractère raisonnable des revendications». Pour autant, le Palais royal n'a rien cédé ou presque si ce n'est l'organisation d'élections municipale le 22 décembre. Un scrutin ouvert à 1636 candidats dont 49 femmes pour pourvoir 102 sièges sur 11 conseils municipaux. Une première, certes, mais qui est loin de répondre aux attentes de la société civile.
Pas de réforme du droit du travail, pas d'autorisation des syndicats, maintien de l'interdiction de regroupements supérieurs à dix personnes, et intimidations permanentes à l'égard des activistes : le message est clair, le sultan Qaboos défend le statu quo et entend garder la main. En témoigne son refus de nommer un Premier ministre. Pourtant, l'existence d'un chef du gouvernement aurait pour avantage de permettre un débat politique contradictoire. En effet, les critiques qui seraient formulées contre l'action du gouvernement ne seraient plus assimilées à des mises en causes directes du souverain et cela permettrait aux Omanais de s'initier aux subtilités de la démocratie parlementaire. «Il n'y a pas d'institutions, pas de chef du gouvernement, pas de députés. Il est impossible d'émettre le moindre jugement sur la marche du pays sans prendre le risque de poursuite pour crime de lèse-majesté», déplore à ce sujet un membre du Conseil consultatif, un «Parlement» dont les membres sont désignés par le Palais et qui n'a aucun pouvoir législatif.
LA SUCCESSION DU SULTAN EN QUESTION
Pour nombre d'observateurs, ce raidissement de la monarchie et des services de sécurité ne peut s'expliquer que si l'on prend en compte le fait que la succession du sultan Qaboos un grand tabou à Oman occupe les esprits. Célibataire endurci, le monarque n'a pas d'héritier désigné (ce qui n'est pas le cas dans les pays voisins) même si un Conseil de sages a été nommé pour décider, après son décès, qui sera son successeur. De plus, en cas de désaccord entre les membres de ce Conseil, un «testament» du souverain trancherait la question. Reste que personne ne croit que ce mécanisme fonctionnera. «L'un des tours de force du sultan a été d'unifier des tribus rivales en symbolisant l'unité nationale», poursuit le diplomate français. «Tout le monde sait que sa disparition remettrait en cause un édifice fragile». Du coup, la dureté des services de sécurité à l'égard des activistes s'expliquerait non seulement par une volonté d'éviter un scénario comparable à ce qui se passe à Bahreïn mais aussi par un souci de ne pas favoriser les ferments d'une agitation qui ne pourrait que s'aggraver en cas de disparition du sultan.
Mais cette stratégie risque d'être des plus hasardeuses à moyen terme. D'abord, les peines de prison, les menaces et les intimidations ne semblent pas entamer la détermination des activistes. Certes, la majorité de la population se réfugie dans un prudent attentisme mais les vexations subies par les militants ont tendance à renforcer la popularité de ces derniers. Ensuite, rien ne dit que le statu quo empêchera les conflits de succession. En ne déléguant aucun de ses pouvoirs, le sultan Qaboos a peut-être réussi à cimenter son pays autour de lui mais sa disparition risque fort de réveiller les rivalités tribales. Et cela dans un contexte tendu où la jeunesse désespère de voir venir le Printemps omanais.
(*) Le CCG regroupe l'Arabie Saoudite, le royaume de Bahreïn, la fédération des Emirats arabes unis (EAU), l'émirat du Koweït, le sultanat d'Oman et l'émirat Qatar. Depuis peu, la Jordanie et le Maroc, deux autres monarchies arabes, sont candidates à l'adhésion au CCG. A l'inverse, ni le Yémen, ni l'Irak et encore moins l'Iran ne font partie de cet ensemble régional sous influence saoudienne.
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