Le Quotidien d'Oran, jeudi 17 juillet 2014
Akram Belkaïd, Paris
Dans l’un de
ses romans policiers, voici ce que l’écrivain italien d’origine sicilienne
Andrea Camilleri fait dire à l’un de ses personnages : « Un jour, je
vis que mon ami avait mis sur le bord d'un puits une écuelle, une tasse, une
théière, une boite à lait carrée, toutes pleines d'eau à ras bord, et qu'il les
observait attentivement. ‘’Qu'est-ce que tu fais ?’’ je lui demandai. Et lui, à
son tour, me posa une question : ‘’Quelle est la forme de l'eau ? - Mais l'eau
n'a pas de forme ! dis-je en riant. Elle prend la forme qu'on lui donne. »
(*)
Ce propos fait
allusion aux différentes manières avec lesquelles on peut présenter un fait ou
une situation. Si l’on assimile l’eau à la réalité – voire à la vérité – on se
rend compte que l’on peut lui donner autant de formes que l’on veut. Certes, et
comme me l’a fait remarquer un ami après que j’ai partagé cet extrait sur les
réseaux sociaux, c’est elle qui prend la forme du contenant et non l’inverse.
On pourrait dire aussi qu’elle s’adapte à son environnement mais rien n’est
jamais figé puisque, d’une manière ou d’une autre, cette eau
« travaille » son enveloppe et arrive souvent à s’en échapper.
J’ai pensé à ce
passage en réfléchissant à deux actualités récentes. La première concerne les
bombardements sur Gaza. C’est à chaque fois la même chose mais j’avoue être
incapable de m’y faire. Concernant la majorité des médias occidentaux, le
traitement de cette situation intolérable obéit aux mêmes règles. C’est simple,
il faut donner l’impression que c’est une guerre entre deux entités comparables
et de forces égales d’où cette fameuse phrase entendue en boucle sur les
chaînes d’information en continu. « Aux roquettes du Hamas répondent les
raids de ‘Tsahal’ ».
Attardons-nous
un instant pour décrypter cette phrase-type très emblématique de cette
couverture médiatique plutôt insidieuse même si elle prétend à l’objectivité.
Parlons d’abord des roquettes. Personne ne peut contester que pour une
population civile, ce genre d’engins est porteur d’effroi. Mais, à ce stade du
conflit, il est rare d’entendre un journaliste préciser qu’ils sont artisanaux
et qu’ils n’ont fait que de légers dégâts matériels. Ajoutons aussi le fait que
durant les premiers jours des bombardements, le Hamas a répété à plusieurs
reprises qu’il n’était pas l’auteur de ces tirs de roquettes (artisanales) mais
cela a été très peu repris.
Surtout, c’est
l’immense déséquilibre des forces en présence qui est presque systématiquement
ignoré ou minimisé. On notera ainsi l’emploi du verbe « répondre »
qui, d’une certaine façon, donne à penser que les armes en présence sont
d’impacts égaux et que chacun a les moyens de terrasser l’autre. On fait donc comme
si les deux camps disposaient de moyens comparables. De même, fait-on semblant qu’il
s’agit de deux Etats en guerre alors que Gaza n’est rien de moins qu’un
bantoustan, une enclave à la plus forte densité humaine du monde qui vit sous
blocus depuis maintenant sept ans. Les habitants de Gaza ne peuvent fuir nulle
part, ni en Egypte ni ailleurs et encore moins prendre le large puisque leurs
côtes sont quadrillées par la marine israélienne. On connaît la fameuse
expression selon laquelle la vérité est la première victime de la guerre. C’est
totalement vrai pour ce qui se passe à Gaza. Les Israéliens et leurs alliés,
déclarés ou tacites, donnent à l’eau la forme qu’ils veulent et il est heureux
que les réseaux sociaux permettent de faire passer d’autres messages.
Ce qui précède
vaut aussi pour la manifestation de solidarité avec le peuple palestinien
organisée à Paris dimanche 13 juillet. Médias et hommes politiques ont repris à
l’unisson la version selon laquelle les manifestants auraient attaqué une
synagogue avec des cocktails molotov. Indignation, sirènes habituelles
condamnant l’antisémitisme croissant au sein de « certaines
population » : nous avons eu droit à la panoplie classique. Reste que
la réalité est toute autre puisque les violents incidents ont été sciemment
provoqués par des groupuscules sionistes dont on se demande pourquoi ils sont
autorisés en France alors qu’ils sont interdits aux Etats-Unis et même en
Israël.
L’autre
événement où la vérité présentée n’a rien à voir avec la réalité concerne
Amina, cette fameuse ex-Femen tunisienne. Il y a quelques jours, j’ai reçu
plusieurs messages, notamment via Facebook me reprochant mon silence et
l’absence de condamnation à propos du fait qu’Amina aurait été agressée et
rasée à l’aube en plein Paris par des salafistes. Je n’ai pas répondu à tous les
messages mais, dans l’un deux, j’y expliquais justement que la forme de l’eau
me paraissait suspecte. Des salafistes qui, en plein potron-jacquet, se
baladent du côté de la place de Clichy – un lieu et une heure où,
habituellement on tombe sur une autre faune – et qui ont tout le temps de raser
les cheveux de la pauvre militante. Bizarre, trop bizarre pour être vrai et
cela sans oublier les versions contradictoires livrée par l’intéressée.
Oui, mais la
forme de l’eau était tellement belle. Elle collait à ce que certains et
certaines aiment à entendre et à lire. Des islamistes radicaux qui s’attaquent
en plein Paris à un symbole de la lutte pour les droits de la femme et qui la
tondent, c’est-à-dire qui ont recours à cet acte par lequel de pauvres femmes
ayant « fréquenté » l’occupant allemand furent traitées. C’est aussi
mobilisateur qu’une somalienne réfugiée en Europe qui affirme avoir subi un
mariage forcée et qui, une fois démasquée, s’en sort en affirmant que le plus
important est que cela aurait pu lui arriver… Concernant ce genre de fable – on
pourrait aussi citer la mythomane du RER D - mes confrères américains ont une
expression toute faite : « I don’t buy it ». Je n’achète pas.
C’est ce que j’ai expliqué ici et là, recevant en retour quelques accusations
détestables de misogynie. Ma3liche.
Pas grave…
Le fait est que
l’on vient d’apprendre que la concernée a été placée en garde à vue pour
« dénonciation de délit imaginaire ». L’ex-Femen maintient toutefois
ses accusations. Dans cette affaire, comme pour tant d’autres, chacun donnera à
l’eau la forme qu’il souhaite…
_
(*) in La forme de l’eau, traduction de
l’Italien par Serge Quadruppani avec l’aide de Maruzza Loria.
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