Le Quotidien d’Oran, jeudi 10 septembre 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Le terrible drame des femmes et des hommes
qui fuient le Proche-Orient pour gagner l’Europe au péril de leur vie ne va
certainement pas cesser. Le chaos syrien, la décomposition irakienne, les
bombardements occidentaux contre l’Organisation de l’Etat islamique (EI) et le
retour des affrontements entre l’armée turque et le PKK kurde sont autant de violences
qui alimentent le flux de réfugiés. Pour ces derniers, il s’agit tout
simplement de sauver leur vie. On peut gloser à l’infini sur d’éventuelles
motivations économiques – ce que font d’ailleurs de nombreux politiciens
européens– mais le fait est que c’est avant tout une question de survie.
La photographie, déchirante, du cadavre d’un
petit enfant kurde sur une plage de Méditerranée orientale ; celle,
poignante, d’un père qui éclate en sanglots alors qu’il vient de poser le pied
sur le rivage grec ; les images de ces longues cohortes de réfugiés
essayant de franchir la frontière hongroise ou marchant le long d’une autoroute
allemande : tout cela fait naître un sentiment complexe, mélange de
compassion, de pitié, de colère et de découragement accablé. Quiconque vit
« normalement », avec les hauts et les bas de toute existence banale,
ne peut qu’être indigné et ému par cet exode humain.
Cela explique les polémiques plus ou moins
dilatoires auxquelles nous assistons ces derniers jours. L’une d’entre elles,
concerne les pays du Golfe accusés de ne rien faire pour secourir leurs
« frères » arabes. Dans un petit texte posté sur les réseaux sociaux,
j’ai abordé cette question en expliquant que « ce n'est pas un hasard si un réfugié syrien préfère risquer la
mort pour rejoindre l'Europe plutôt que d'aller en Arabie Saoudite. Là-bas, il
sait qu'il n'a aucune chance d'être aidé, d'avoir droit à un traitement humain,
de bénéficier de lois claires. Il est persuadé que l'Europe, c'est aussi
(encore ?) le respect de l'individu et de la loi. On aura beau lui dire que les
choses sont plus compliquées, que les temps y sont de plus en plus durs, que
l'extrême-droite est partout, dans les discours et les mentalités. Rien n'y
fera. »
Mais cette question mérite d’être
développée. Rappelons d’abord – notamment aux Européens qui s’émeuvent des
conséquences pour leur tranquillité de ce flux humain – que les pays qui
accueillent le plus de réfugiés sont le Liban (1,2 millions de Syriens soit le
quart de la population libanaise), la Jordanie (650.000 réfugiés) et la Turquie
(1,8 millions). Autrement dit, il existe des zones « tampons » dont
les dirigeants, cela vaut surtout pour le Liban et la Jordanie, l’un des pays
parmi les plus pauvres de la planète, se débattent dans d’inextricables
problèmes financiers et logistiques. Et c’est aussi parce que la situation de
ces réfugiés se dégrade dans les centres d’accueil qu’ils décident de partir en
Europe, certains étant désormais convaincus que la guerre chez eux, notamment
celle qui concerne l’Etat islamique, est partie pour durer plusieurs décennies.
Il faut aussi rappeler aux Européens que
tout cela ne serait pas arrivé sans les multiples guerres – récentes, ne
remontons pas à la période coloniale - menées dans la région. On parle beaucoup
de l’invasion de l’Irak en 2003, guerre pour laquelle George W. Bush et Anthony
« Tony » Blair méritent d’être jugés, mais on oublie celle de 1991 et
l’embargo qui l’a suivie. On oublie enfin les tergiversations (et les
complicités) occidentales face aux crimes commis par le régime d’Assad père et
fils. Si le Machrek est une poudrière, c’est certes la faute des régimes en
place mais la responsabilité occidentale est pleine et entière notamment dans
le processus qui a conduit à la naissance de « Daech ». Il est donc
normal que l’Europe mais aussi les Etats-Unis et l’Australie paient leur écot au
drame humanitaire en cours. Quand l’Allemagne accueille des réfugiés syriens et
irakiens, ce n’est pas juste de la charité et de la générosité. Cela doit être
vu comme une réparation, partielle, des dégâts occasionnés par les milliards de
dollars d’armements qu’elle a déversés dans la région. Et cela vaut aussi pour
la France dont l’ancien président Nicolas Sarkozy nous expliquait en 2008 –
c’était lors de la création de feu l’Union pour la Méditerranée à Paris – que
Bachar al-Assad était un dirigeant « fréquentable » (qu’il aille le
répéter aux habitants d’Alep…).
Revenons maintenant aux pays du Golfe,
lesquels ont eux aussi leur responsabilité dans la situation puisqu’ils ont
financé à fonds perdus les mouvements djihadistes qui embrasent la Syrie et
l’Irak. Le discours tenu pour répondre aux critiques en dit long sur les mentalités
dans cette région. Ainsi, le « journaliste » koweitien Fahad
Alshelaimi, aghioulissime parmi les brels,
a expliqué à la télévision que son pays ne pouvait accueillir des
réfugiés en raison de leur… pauvreté, ces derniers étant de plus jugés inaptes
à s’intégrer dans l’Emirat en raison de leurs
problèmes psychologiques et nerveux. Plus retors, certains officiels et
universitaires de la péninsule arabique ont insisté sur le fait que les
monarchies pétrolières financent les actions humanitaires en faveur des
réfugiés. Un fait patent mais qui doit être relativisé. Si le Koweït a déboursé
304 millions de dollars pour cette crise, l’Arabie Saoudite n’a dépensé
« que » 18 millions de dollars, un montant dérisoire à comparer avec
le 1,1 milliard de dollars déjà engagé par les Etats-Unis.
Au lendemain du 2 août 1990, le monde arabe
dans sa grande majorité s’était réjoui de l’invasion du Koweït par les troupes
de Saddam Hussein. A l’époque, nombre de ressortissants du Golfe avaient été
choqués par ce qu’ils estimaient être de l’ingratitude (notamment celle des
Palestiniens mais aussi des Maghrébins). Dans le contexte régional actuel, les
monarchies pétrolières seront tôt ou tard confrontées à de sérieuses
difficultés ne serait-ce qu’en raison de la guerre asymétrique qu’elles mènent
au Yémen (ceci est une autre affaire dont on parle peu…). On leur rappellera
alors le comportement égoïste dont elles ont fait preuve à l’égard des réfugiés
du Levant.
Mais l’on ne terminera pas cette chronique
sans quelques lignes à propos des gouvernements maghrébins. La Tunisie porte
déjà son fardeau avec un nombre important de ressortissants libyens installés
sur son sol. On aimerait donc que l’Algérie et le Maroc fassent entendre leurs
voix officielles sur cette question des réfugiés du Machrek et qu’il soit
précisé ce que ces pays ont l’intention de faire ou pas.
_
Post-scriptum :
Face aux critiques, les Emirats arabes unis ont annoncé avoir délivré
100.000 permis de séjour à des Syriens depuis 2011 ce qui porte à 242.000 leur
nombre total dans la Fédération. Cette dernière précise aussi avoir débloqué
530 millions de dollars en réponse à la crise humanitaire qui affecte la Syrie,
une grande partie de cette somme finançant les camps de réfugiés en Jordanie.
Ces informations sont d’importance mais ne lèveront pas les critiques car
100.000 permis de séjour depuis 2011, c’est 20.000 entrées par an soit moins
que ce que la France entend consentir comme effort (et ne parlons pas de l’Allemagne).
1 commentaire:
Merci beaucoup pour cet éclaircissement Akram !
Au plaisir de continuer à vous lire.
Avec mes salutations...
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