Le Quotidien d’Oran, jeudi 10 décembre 2015
Akram Belkaïd, Paris
Le score élevé du Front national (FN) au soir
du premier tour des élections régionales françaises est tout sauf une surprise.
Cela fait des semaines, pour ne pas dire des mois, qu’il est annoncé. Les attentats du 13 novembre à Paris n’ont
fait qu’amplifier la tendance, celle d’une montée en force irrésistible de la
formation de Marine Le Pen. Comment pouvait-il en aller autrement dans une
France minée par de nombreux malaises et de multiples peurs ? Désarrois et
craintes auxquels ont répondu désinvolture, comportements irresponsables et
incompétences des dirigeants politiques, de droite comme de « gauche »
…
Sans nier l’existence d’autres raisons, il faut
commencer par insister sur ce point fondamental. C’est l’échec social de l’actuel
gouvernement qui explique l’essor actuel du Front national. Contrairement aux
incantations et aux promesses récurrentes, la courbe du chômage ne s’est
jamais, mais jamais, inversée. Promis aux électeurs du printemps 2012, « le
changement » n’a pas eu lieu. Du moins, pas dans le sens espéré. A celles
et ceux qui attendaient une politique de gauche il a été offert un mélange indéfinissable
de mesurettes libérales saupoudrées
de quelques réformes sociétales.
La prise en compte combinée du chômage, du
travail précaire et des faibles rémunérations, montre l’étendue des dégâts. Au
moins trois Français sur cinq sont en état de grande insatisfaction quand il ne
s’agit pas de colère. Sondage après sondage, c’est la radiographie d’un pays en
grande souffrance qui se confirme. A cela, le duo Hollande-Valls n’a pas apporté
de réponse sérieuse contrairement à ce qui avait été le cas à l’époque du
gouvernement Jospin (1997-2002). Dimanche soir, un électeur habituel du Parti
socialiste a eu ces mots : « quand
la gauche gouverne mal et qu’elle tient des propos de droite, il ne faut pas s’étonner
qu’elle perde les élections. »
Peur du chômage et peur du déclassement ont caractérisé
la dégradation sociale et politique que connaît la France depuis au moins dix
ans. Une majorité d’électeurs vote-t-elle contre le projet de Traité
constitutionnel (printemps 2005) ? Qu’importe, la classe politique trouve
le moyen de contourner ce refus et d’imposer, sans débat populaire, sa volonté
de passer outre. Et l’on ose ensuite s’étonner (et s’indigner) de la
persistance d’une abstention importante ! (on notera à ce sujet que les médias
principaux, qui étaient tous en faveur de ce Traité, évitent d’évoquer cet épisode
pourtant fondateur de la défiance durable des électeurs).
De même, et cela a été abordé à plusieurs
reprises dans cette rubrique, les émeutes urbaines de l’automne 2005 n’ont donné
lieu à aucune réforme majeure et cela alors qu’elles avaient mis en évidence
plusieurs fractures dans la société française dont une menace directe contre le
« vivre-ensemble ». Dans la vie d’une société, comme celle d’un
individu, rien ne s’obtient sans contrepartie. Faute d’action, de travail et de
volonté de (bien) faire, le résultat est toujours une catastrophe à rebours.
Aujourd’hui, cette dernière s’illustre dans la possibilité offerte au Front
national à diriger plusieurs régions – et donc à disposer d’une structure logistique
(et financière) d’importance à même de l’aider à préparer d’autres conquêtes électorales
à commencer par les scrutins présidentiel et législatif du printemps 2017.
Bien entendu, la question sociale n’est pas la
seule à prendre en compte. Nier le fait que la France connaît un malaise
identitaire ne serait pas sérieux. Il y a d’abord l’Europe à qui ce pays a concédé
une partie de sa souveraineté (notamment la monnaie…) ce qui est loin d’être
indolore d’autant que le « projet européen » est de moins en moins
lisible et qu’il est même absent des débats et des démarches pédagogiques. Le
credo est simple : L’Europe, parce que l’Europe, pas de discussion et
passons à un autre sujet…
Ensuite, il y a tout ce qui entoure, de manière
négative, la présence, pourtant en grande majorité tranquille et intégrée, d’une
importante minorité d’origine étrangère et de confession – ou de culture –
musulmane. Les points de friction ou déstabilisateurs sont nombreux : Voile,
viande halal, immigration, fonctionnement et financement des mosquées,
incivilités attribuées à tort ou à raison aux « minorités visibles »,
réfugiés du Proche-Orient, menace terroriste et existence de filières
djihadistes au sein d’une partie de la jeunesse française. Autant d’éléments
qui aggravent un racisme, déjà existant, mais de plus en plus assumé sans
oublier qu’ils donnent une caution aux discours islamophobes, aux discriminations
à l’embauche et pour le logement. Cela, et c’est trop rarement dit, dans un
contexte de persistance d’un inconscient colonial qui fait que des milliers de
jeunes français ont trop souvent du mal à se sentir acceptés dans leur propre
pays.
Menée en deux temps, avant et après les
attentats, une enquête du CSA a pourtant montré qu’une forte majorité de Français
(72%) a envie de préserver le « vivre-ensemble » mais que, dans le même
temps, une proportion comparable (70%) estime que l’identité de leur pays est
menacée. Dans ce face-à-face contradictoire, la parade pour l’apaisement paraît
des plus difficiles car il ne faut pas se faire d’illusions. Le Front national
va continuer à souffler sur les braises de l’extrémisme, de l’exclusion et du
discours xénophobe. Une partie de la droite dite républicaine, mais aussi de la
gauche (celle qui, par exemple, envisage les déchéances de nationalité pour les
djihadistes) vont courir derrière le FN et ses idées nauséabondes. Et les
tensions identitaires sont telles que même une amélioration du climat social
risque d’avoir peu d’effets.
Et c’est là que l’on réalise, comme cela avait été
le cas après les attentats de janvier dernier, qu’il existe peu d’espaces de médiation
et de dialogue destiné à apaiser ces tensions au sein de la société. C’est même
à se demander s’il n’existe pas de volonté politique pour empêcher un dialogue
nécessaire à la « dynamique civique » qu’exigent les circonstances.
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1 commentaire:
Belle synthèse
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