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Le Quotidien d’Oran, jeudi 09 mars 2017
Akram Belkaïd, Tunis
Evacuons d’abord la question du vocabulaire. Si l’on
dit chauffeur de taxi en France, c’est taxieur
en Algérie et taxiste en Tunisie. Dans
ce qui suit, et que cela plaise ou non aux académiciens, aux puristes et aux
picoreurs de la Francophonie (l’organisation), il est donc question de
taxistes, ces conducteurs de véhicules jaunes, héritiers des quatre-chevaux
rouge et blanc de jadis. Première question pour se mettre en train :
comment sait-on, surtout de loin, si un taxi tunisois est libre ou non ?
Le voyant, pardi. Vert ou rouge. Jusque-là rien d’exceptionnel. Que signifie le
voyant vert ? Ah non, vous avez perdu. Toujours se méfier des questions
trop faciles. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le voyant vert veut
dire que le taxi n’est pas libre. Le rouge, qu’il est disponible. Logique de
daltonien.
Revenons au voyant vert. Taxi occupé, donc. Les
Algérois apprendront avec intérêt qu’un taxiste se contente d’un seul client,
qu’il n’en charge pas trois ou quatre aux destinations différentes, ce qui lui
évite de s’arrêter à tout bout de champ. Surtout, il ne peut décider de refuser
un client si la destination ne lui convient pas (les choses changent un peu
depuis 2011…). Contrairement à son homologue algérois, le chauffeur tunisois ne
fait pas la loi. A peine s’accorde-t-il le privilège, rassurant en ces temps de
cavalcades urbaines et de généralisation de la malbouffe, de rentrer chez lui à
l’heure du sacro-saint déjeuner. Il lui arrive aussi de décrocher son cabochon
en fin de journée, au moment où les automobilistes de la capitale tunisienne
communient avec ceux de Mexico, ville officiellement la plus embouteillée du
monde (non, non, ce n’est pas Alger, du moins pas encore).
Apportons une petite nuance à ce qui vient d’être dit.
Il est tout de même un endroit où le taxiste fait sa loi, ou cherche à la
faire. C’est à l’aéroport de Tunis-Carthage que l’on en fait l’expérience (ou
qu’on en subit le désagrément). Petit récit destiné à éclairer le lecteur. On
sort du vieux bâtiment et l’on se dirige vers la station, le pas bien décidé et
le chariot poussé avec autorité, histoire de dissuader les sollicitations des
inévitables clandestins. Et là, première surprise. Empressé, le chauffeur aide
à charger les valises alors que l’habitude de ses pairs, certes récente mais de
plus en plus généralisée, est de rester tranquillement assis à son volant. La
deuxième surprise est encore plus grande. Avant même que la guimbarde
poussiéreuse ne démarre, le compteur est enclenché.
Cela n’échappe pas au client qui se dit, soulagé, que
le conducteur aura droit à un bon pourboire. L’attelage s’éloigne donc de l’aéroport.
« On est d’accord pour vingt dinars ? » demande soudain le
taxiste. Soupir du passager qui se dit que c’était trop beau pour être vrai. Le
voici replongé dans le scénario de toujours. Il peut citer au moins une double
dizaine de plaidoyers et argumentaires mensongers destinés à convaincre
l’arrivant que la course est à prix fixe et que le compteur est inutile. Amorce
systématique des jérémiades, usantes avouons-le : se plaindre du coût de
la vie depuis la Révolution de 2011. Ou bien encore parler du mariage de sa
fille, de son fils ou de son jeune frère. « Ma femme m’a demandé une
épaule d’agneau. Elle est chez son père en ce moment » dira même l’un des
geigneurs. Certains, plus malins, évoquent la générosité des clients libyens ou
la pingrerie de certains touristes européens (on ne citera aucune nationalité).
Mais revenons à notre taxiste. Le silence l’indispose.
Il n’a pas eu de réponse à sa question. Vingt dinars ou pas ?
insiste-t-il. On se résout à lui répondre. Par une interrogation. Pourquoi
avoir enclenché le compteur pour demander ensuite vingt dinars, soit bien plus
que la somme qui sera indiquée par la machine ? A cause du policier qui me
surveillait, avoue l’autre de manière candide avant de raconter le fait du jour.
Une heure auparavant, l’un de ses confrères a déposé un client français au
centre-ville. Pas de compteur, passager pas habitué, tarif exigé et
obtenu : quarante dinars. Une escroquerie, une vraie. A peine arrivé à la
réception de son hôtel, le client apprend qu’il s’est fait plumer. Il ressort
sur l’avenue, happe des policiers en faction devant le ministère de l’intérieur
et fait un scandale. On rattrape le taxiste fripon. Amende, réprimande, remboursement
du trop-perçu et hchouma. Quant aux
képis qui travaillent aux abords de l’aéroport, ils sont priés par leurs
supérieurs de veiller au bon usage du compteur. D’où l’empressement de notre
taxiste, lequel fait grise mine quand on lui apprend qu’il n’empochera que le
tarif normal. Par charité, on ne lui dira pas qu’il aurait eu ses vingt dinars
s’il s’était contenté de réclamer le prix affiché, autrement dit, s’il avait
été honnête et conscient que son comportement doit faire honneur à son beau pays.
Mais l’on n’a pas le temps de trop réfléchir. Voici le
taxi qui s’arrête sur la bande-arrêt d’urgence. Le conducteur sort sans rien
dire et hèle l’un de ses confrères qui affiche un voyant rouge. Palabres puis
le taxiste revient à son siège. « Paie-moi ce qui est affiché sur le
compteur et continue avec lui » dit-il. Il commence à pleuvoir, on est
fatigué et on a faim. Aucune envie de se compliquer la vie. On décharge (seul)
ses valises on les charge (seul) dans l’autre véhicule tandis que le premier
taxi a déjà repris la route de l’aéroport, son filou de conducteur se disant
certainement que le saint-patron des coquins a éloigné les policiers de la
station de taxis.
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