Le Quotidien d’Oran,
jeudi 23 mars 2017
Akram Belkaïd, Paris
Au départ, on s’était
dit qu’un bon polar scandinave ou japonais ferait l’affaire ou bien, qu’avec un
peu de courage, il serait peut-être possible de terminer l’un des multiples
articles censés être rendus à une date butoir depuis longtemps dépassée. Une
autre voix suggérait de rattraper le retard en matière de séries, de celles
dont on n’a vu que les premiers épisodes il y a, on ne sait plus quand, et qui
en sont aujourd’hui à la quatrième voire la cinquième saison. Tout sauf ce
débat, se disait-on.
Et puis, un ado a
voulu voir « le baston ». On a cherché à l’en dissuader mais devant
son insistance, il a bien fallu s’installer avec lui devant le grand petit
écran. Disons tout de suite que le boutonneux à la voix en perte d’octaves n’est
pas resté assis plus d’une heure. Son écoute fut néanmoins attentive ponctuée
parfois de questions pour mieux comprendre ce dont il s’agissait ou pour se
faire préciser une notion agitée par l’une ou l’un des impétrants. A cela
s’ajoutait quelques rires et applaudissements quand l’ineffable Jean-Luc
faisait donner l’artillerie. Au final, avant de se lever pour rejoindre ses
pénates, nous laissant accroché et incapable d’user de la télécommande pour
regarder autre chose ou pour tout simplement s’endormir à une heure décente, il
eut cette phrase en forme de couperet : « ‘Elle’ se comporte comme si
elle avait déjà gagné. »
Et c’est effectivement
cette même impression que nous avons retiré de ce premier débat pour l’élection
présidentielle française. Bien sûr, se comporter comme si l’on avait déjà
emporté la partie ne signifie pas qu’on va y arriver. Il est encore trop tôt
pour avancer tel ou tel pronostic mais, c’est ainsi, il y a cette petite
sensation désagréable, que disons-nous, ce malaise croissant qui incite à
penser qu’avril prochain sera un remake de celui de 2002. On dira que c’est prévu
depuis longtemps et que plus personne ne doute que la patronne du Front
national sera qualifiée pour le second tour du scrutin. Précisons alors notre
pensée. Cela risque bien d’être un autre « 21 avril » mais en pire.
Et ce pire pourra
prendre plusieurs formes lesquelles pourront même se confondre car elles ne
sont pas antagonistes. Il y a d’abord la possibilité d’un gros score,
c’est-à-dire d’une avance bien plus importante que prévu. Une avance qui fera
planer le doute sur le deuxième tour et qui empêchera la répétition du scénario
80%-20% de 2002. Le fumet putride qui se dégage actuellement du monde politique
français contribuera à ce gros score. Pas un jour ne passe sans que des
révélations ne tombent à propos du clientélisme et de l’affairisme ambiants.
L’argent, les privilèges, le mépris du peuple et, surtout, cette certitude
d’avoir le droit de ne pas respecter le droit, voilà ce dont il est question.
Quand les historiens
se pencheront un jour sur cette période, ils relèveront à quel point la France
ressemble désormais à ses post-colonies de la françafrique. Des margoulins qui
paient des cadeaux à des hommes politiques – avec du cash dont on se doute
qu’il vient d’Abidjan, de Libreville ou de Ndjamena en attendant que l’on
apprenne qu’il pourrait aussi provenir d’Alger ou de Rabat… Des élus qui
estiment que l’argent public leur appartient ainsi qu’à leur famille… Certes,
l’Etat de droit fonctionne encore. La justice enquête. Corruption, abus de bien
social, faux et usage de faux, escroquerie aggravée, recel,… Mazette, la belle
liste que voilà ! Mais le mal est fait. En d’autres temps, la colère
sourde et silencieuse, celle à propos de laquelle Jean-Paul Delevoye, alors
médiateur de la République – c’était en février 2010 – avait tiré un signal d’alarme,
se serait exprimée par le biais d’une jacquerie ou l’érection de barricades
dans les rues de Paris. Aujourd’hui, le seul débouché pour cette rage
multiforme est le vote pour le Front national.
Il y a ensuite cette
vacuité que l’on a ressenti en entendant les autres candidats étaler des
mesures et des promesses auxquelles ils semblent si peu croire. En l’état
actuel des choses, deux adversaires semblent possibles face à la candidate frontiste
: Emmanuel Macron ou François Fillon. D’un côté, la dynamique du vide, le
« globish » à la sauce Molière, c’est-à-dire ce discours creux que
l’on peut entendre dans les séminaires de motivation pour managers en quête
d’avancement et de développement personnel. Du langage « HEC », si
l’on préfère. De l’autre, le visage d’un Thénardier de notre temps, réactionnaire
et partisan d’une thérapie de choc néolibérale dont on comprend tout l’intérêt
qu’il a à se faire élire pour suspendre à son profit le temps de la justice.
Qu’il s’agisse de
Macron, chouchou de la presse centre-gauche-caviar – qui a vu en lui le
vainqueur d’un débat (!) – ou de Fillon visiblement heureux de ne pas avoir été
malmené par deux « journalistes », au vrai des péagistes appelés à
uniquement passer les plats, l’idée générale est que la candidate FN sera
battue au final. Qu’entre les deux tours, la « mobilisation
républicaine » battra son plein et que, comme 2002, des électeurs se
rendront dans les bureaux de vote, les doigts pinçant leurs nez, afin de
« faire barrage » en votant pour un candidat qui n’a pas forcément
leurs faveurs. Attention à ce genre de certitudes… En tant qu’auteur de ces
lignes, nous ne saurions prétendre au rôle d’échantillon représentatif mais
qu’il soit dit, et la conviction est largement partagée, que ni Emmanuel Macron
ni François Fillon ne méritent un bulletin de vote et cela même au nom d’un
sauvetage républicain dont on ne peut oublier qu’il fit tant de cocus en 2002.
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1 commentaire:
Si le 2ème tour est serré ce sera compliqué de rester chez soi en se pinçant le nez
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