Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 mars 2017
Akram Belkaïd, Paris
Bien qu’une actualité en remplace une autre, j’aimerais
revenir sur la désormais légendaire qualification du Futbol Club Barcelona face
au Paris Saint-Germain Football Club. Passons rapidement sur le fait que rares
étaient celles et ceux qui croyaient vraiment à une « remontada » du
Barça et indiquons au lecteur que cela intéresse que nous nous sommes déjà
penché sur les éventuelles conséquences de l’élimination du PSG sur la
politique de « soft-power », autrement dit d’influence, du Qatar (*).
Pour nombre d’observateurs, la déroute parisienne est
incompréhensible. Comment peut-on se faire ainsi sortir d’une compétition après
avoir compté quatre buts d’avance ? Telle est la question qui a été posée
et qui se pose encore. Il est évident que cette soirée du 8 mars va figurer
dans l’anthologie des grands moments du football hexagonal. Comme pour la
défaite à la dernière face à la Bulgarie en 1993 (synonyme d’élimination pour
la Coupe du monde aux Etats Unis de 1994), il y aura sûrement des
documentaires, des récits et mêmes quelques œuvres littéraires pour explorer le
mystère de cette défaite. Cette dernière, comme pour les grandes victoires et
d’autres événements, rentrera dans la catégorie des « que faisiez-vous à
ce moment-là ? ».
Il y a eu dans cette rencontre une période, celle des dix
dernières minutes, que n’importe quelle personne ayant joué, ne serait-ce
qu’une seule fois dans sa vie, une rencontre sportive à enjeu peut reconnaître.
Il ne s’agit pas simplement de sport à haut niveau. Cela peut aussi concerner
des matchs à enjeu modeste tel un affrontement entre quartiers, comme par
exemple La Tour du Paradou contre la Cité DNC à Hydra (un match pour deux-cent
dix dinars et dont l’intensité pouvait être aussi forte qu’une finale du
mondial).
Dans ces moments-là, il arrive soudain qu’une peur panique
s’empare d’une équipe. Certes, les joueurs du PSG sont rentrés sur le terrain
avec une boule au ventre et l’on a vite compris qu’ils allaient passer une
mauvaise soirée. Mais ils ont tenu le coup pendant quatre-vingt minutes. Puis,
la peur, la vraie, s’est installée dans leur camp. Exception faite de
l’attaquant uruguayen Cavani, véritable guerrier, elle a coupé les jambes de
tous les parisiens qui n’ont réussi qu’une seule passe en sept minutes ce qui
en dit long sur leur état.
Cette peur est un étrange phénomène. Quand on est sur le
terrain et qu’on en est victime, il est très difficile de s’en défaire. On
regarde autour de soi et l’on réalise que les camarades ne valent guère mieux.
Le cerveau émet des signaux contradictoires et, surtout, la lucidité disparaît.
C’est la fameuse « brume de
sensations » décrite par l’écrivain Jules Renard. Il y a quelques
mois, j’ai entendu Laurent Blanc, l’ancien joueur devenu entraineur (notamment
du PSG), évoquer cette panique qui prive une équipe de tous ses moyens. Un
phénomène irrationnel, selon lui, où le terme contagion n’est pas trop fort
pour décrire le fait qu’il est alors difficile pour quiconque d’y résister ou
d’empêcher ses coéquipiers de sombrer.
Dans le premier épisode de la série (culte) Lost, l’un des personnages principaux
demande à une femme de recoudre sa blessure à vif. Quand il devine qu’elle a
peur de le faire, il lui demande de compter jusqu’à cinq, autrement dit
d’accorder cinq secondes à cet état de panique puis de se reprendre. La
technique vaut ce qu’elle vaut mais de nombreux éducateurs l’utilisent sur les
terrains de sports. Ainsi cet entraineur de jeunes en région parisienne qui
conseille à son avant-centre de toujours compter jusqu’à cinq avant de tirer un
pénalty, c’est-à-dire de se donner le temps avant de tordre le cou à
l’appréhension.
Une équipe entière est-elle capable de n’accorder que quelques
secondes de triomphe à la panique avant de reprendre ses esprits ? C’est
peu probable. Il faudrait pour cela une synchronisation parfaite or un groupe
qui perd ses moyens n’est rien d’autre qu’un ensemble de réactions éparses et
antagonistes. Pour y pallier, ou tenter de limiter les dégâts, il faut disposer
d’une forte personnalité dans le collectif. Quelqu’un capable de réveiller ses
camarades, de leur passer – comme adorent le dire les commentateurs sportifs –
une vraie soufflante. Un rôle que personne sur le terrain du Nou Camp était
capable de faire et certainement pas le capitaine Thiago Silva. Un Zlatan
Ibrahimovic l’aurait fait. Peut-être…
Il arrive parfois qu’un joueur expérimenté comprenne vite la
situation et décide de provoquer un incident pour « réveiller » ses
camarades. Une bagarre avec un adversaire ou une gifle assénée à un coéquipier,
de longues chicanes avec l’arbitre, les stadiers ou même le public sont des
moyens classiques pour créer une rupture de charge, une diversion qui canalise
les émotions et qui peut dissiper la panique. Problème, l’arme est à
double-tranchant et, outre le carton rouge garanti, cela peut surtout aggraver
le mal et accélérer le naufrage de l’équipe.
Cette peur collective et soudaine sur un terrain demeure donc
un mystère. Des spécialistes assurent qu’on peut la prévenir avec une bonne
préparation mentale mais rien ne garantit que cette dernière sera efficace en
permanence. Quand la peur s’installe sur le terrain, quand les jambes
deviennent lourdes, quand les oreilles n’entendent plus rien, quand le regard
se brouille et que courir devient un supplice, il faut juste tenir et attendre
le retournement de situation qui vient parfois. Car, c’est cela aussi le foot :
des montagnes russes émotionnelles qui font passer de la panique à l’euphorie.
Un basculement que peut provoquer un but inespéré et que les joueurs du PSG
n’ont pas eu la capacité de provoquer.
(*) « (In)dispensable
PSG pour le Qatar », Horizons
arabes, Les blogs du Diplo, 13 mars 2017.
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