Le Quotidien d’Oran, mercredi 21 mars 2017
Akram Belkaïd, Paris
Bien qu’ils soient très décriés, les sondages en période de
campagne électorale offrent toujours des enseignements précieux. Concernant la
présidentielle française, l’un d’eux revient sur les attentes des électeurs en
matière d’économie (*). Et il s’avère que la majorité d’entre eux considère
justement que les enjeux économiques sont leur principale priorité. Trois
thèmes reviennent en force : L’emploi, la protection sociale et le pouvoir
d’achat. Seuls les électeurs du Front national demeurent persuadés que c’est
l’immigration qui prime sur tout puisque ce dossier engloberait le reste. On
voit là à quel point il est facile pour Marine Le Pen de faire campagne.
L’immigration brandie en permanence permet de répondre à toutes les attentes y
compris économiques…
Le poids de la
précarité
Il n’est pas besoin d’être un expert en sciences économiques
pour comprendre pourquoi l’emploi est la question numéro un pour les Français.
Cela fait plus de trente ans que c’est le cas et toutes les politiques censées
redonner du travail aux chômeurs ont échoué. Plus grave encore, la précarité
pour les actifs tend à se généraliser du fait des nouvelles pratiques des
entreprises. Considéré comme le but à atteindre, le contrat à durée illimitée
(CDI) fait désormais figure de Graal impossible pour nombre de jeunes
précaires, y compris des diplômés de l’enseignement supérieur. Dans plusieurs
secteurs des services, le phénomène d’externalisation prend de l’ampleur. Des
salariés sont conviés – le mot est faible – à démissionner et à « créer
leurs boîtes » voire à passer sous le statut d’auto-entrepreneur. Pour les
entreprises, cela permet de diminuer les charges. Pour les ex-salariés, c’est
la porte ouverte à tous les risques sans oublier le fait qu’ils seront
pénalisés sur le plan des acquis sociaux (obligation de cotiser par eux-mêmes
pour la retraite notamment).
Concernant l’emploi toujours, il est fascinant de voir à
quel point s’est installée une certaine résignation sur la question de la
précarité. Même l’Etat français et ses différentes branches y ont recours avec
excès. Dans toutes les administrations, dans les services publics, on use et
abuse des contrats à durée déterminée (CDD). Ne parlons pas non plus de la
flexibilité des horaires tandis que, et la tendance ne date pas d’hier, des
services de contrôle, comme par exemple, l’inspection du travail sont peu à peu
affaiblis. C’est un cercle vicieux global. L’Etat se désengage, il accorde plus
de champ aux entreprises, lesquelles, entre l’optimisation fiscale et les
pratiques managériales destinées à alléger les charges, versent moins de
cotisations. Comme l’Etat est alors incapable d’assumer sa mission, il délègue
puis privatise.
Ainsi, et cela rejoint la question de la protection sociale,
l’un des vrais enjeux dans les années à venir pour la France est l’avenir de sa
sécurité sociale. Officiellement, tous les candidats veulent préserver le
système qui ploie sous les dépenses. En réalité, la mécanique infernale est
déjà enclenchée. Les mutuelles, et plus encore, les sociétés d’assurance, sont
en embuscade et activent dans l’ombre pour s’emparer du gâteau. Bien sûr,
personne n’osera proclamer qu’il veut vendre « la sécu » car c’est là
tout l’art de la politique. Mais mesure après mesure, on se dirige vers un
affaiblissement de la structure, on la fait « maigrir » et, in fine,
on proclamera qu’elle en peut survivre sans apport de capital frais (et privé).
Salaires en berne, inégalités
en hausse
La question du pouvoir d’achat, et donc des salaires, est
elle aussi centrale. Dans un contexte où la mondialisation a eu pour effet de
lisser les revenus des classes moyennes (on dira aussi qu’elle a contenu
l’inflation…), la parade de ces deux dernières décennies a été de recourir au
crédit en guise de compensation. Le problème, c’est que le système atteint ses
limites et que les dynamiques de consommations se tassent. A force de priver
les ménages de ressources, le capitalisme est en train de se pénaliser
lui-même. Les inégalités se creusent, les rémunérations des actionnaires
augmentent et les plus riches voient leur patrimoine augmenter. Dans une telle
situation, on se demande comment les explosions sociales ne sont pas plus
nombreuses.
(*)
« Les Français et les programmes politiques », sondage OpinionWay réalisé les
1er et 2 mars 2017 sur un échantillon de 1 039 personnes. www.printempsdeleco.fr
Note : le titre de cette chronique
fait allusion au fameux slogan de Bill Clinton lors de sa campagne électorale
victorieuse de 1992 face à George H. W. Bush. Ce slogan, « it’s the
economy, stupid » est attribué à son conseiller James Carville et il était
destiné à contrer le discours électoral de Bush qui insistait sur la victoire
militaire américaine durant la première guerre du Golfe (février-mars 1992)
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