Akram Belkaïd
Libération, 9 octobre 2001
Contexte : Cette opinion aux conclusions prémonitoires (quelques mois plus tard, Jean-Marie Le Pen arrivait au second tour de l'élection présidentielle française) a été publiée en octobre 2001 dans les pages Rebonds du quotidien Libération. Dans un contexte encore marqué par les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, cela faisait suite au désormais tristement célèbre match entre la France et l'Algérie (4-1) qui fut interrompu après l'envahissement du terrain par des "supporters" de l'équipe d'Algérie. A l'époque, ce texte m'avait valu quelques soucis parmi les représentants des associations contre le racisme et pour la promotion des minorités visibles. Treize ans plus tard, je conviens aisément de sa dureté mais le problème reste posé. Ce qui s'est passé hier au stade de Genève l'a montré : l'Algérie est souvent l'otage de personnes qui prétendent l'aimer mais qui lui font du tort.
Il est regrettable qu'aucune personnalité algérienne, ou d'origine algérienne, présente samedi soir à la tribune officielle, n'ait pris le micro pour dire aux voyous, qui envahissaient alors le gazon du Stade de France, à quel point leur attitude depuis le début de la soirée a fait honte à l'Algérie et aux Algériens. On aurait tort en effet de ne retenir de ce rendez-vous manqué que le déferlement sur la pelouse de «sauvageons» qui a conduit à l'interruption de la partie. De fait, le plus grave dans l'affaire, c'est que la Marseillaise ait été copieusement sifflée par ces jeunes, au nom de leur soi-disant attachement à leur pays d'origine, une attitude que les rares supporteurs venus d'Algérie n'ont pas adoptée, mieux, qu'ils ont déplorée.
On ne manque pas ainsi de respect à un pays, la France, et à son peuple qui, quoique l'on dise, offrent, malgré tous les extrémismes, hospitalité et tolérance. Et dans le cas du match de samedi, jamais équipe étrangère n'aura été reçue en France avec autant de chaleur, d'émotion et de gentillesse. Jouer contre les champions du monde et d'Europe est un honneur et une chance qui méritaient à eux seuls une attitude exemplaire. Bien entendu, il serait aisé de ne pas dramatiser l'incident et de l'oublier rapidement. Mais il est peut-être temps de réagir et de s'impliquer.
Durant des années, au nom de la solidarité avec des «cousins» déboussolés et surtout en vertu du politiquement correct, les intellectuels maghrébins se sont le plus souvent abstenus de dire publiquement leurs inquiétudes quant au devenir des jeunes des banlieues. Se taire n'est peut-être plus opportun. Les voitures que l'on brûle, les compartiments de trains que l'on saccage, Zinedine Zidane que l'on siffle parce qu'il assume sereinement son choix d'être français, les injures racistes que l'on profère à l'égard de Marcel Dessailly ou de Lilian Thuram au nom d'une supposée supériorité des Arabes vis-à-vis des Noirs, rien de tout cela ne peut se justifier.
Il est temps que des membres de la communauté disent à ces jeunes qu'ils sont d'abord français et qu'ils ont des devoirs même si leur pays n'est guère tendre à leur égard. Et puis, de quelle dureté parle-t-on? En observant certains d'entre eux slalomer entre les CRS et les stadiers, je n'ai pas pu m'empêcher de noter qu'ils portaient sur eux l'équivalent, en vêtements de marque, d'un mois de salaire d'un ingénieur en Algérie...
Mais cette soirée du 6 octobre devrait aussi interpeller les politiques. Que veut-on faire de cette jeunesse? A-t-on vraiment envie de l'intégrer ou faudra-t-il toujours compter sur des stadiers et des emplois- jeunes pour lui faire barrage. La question est d'importance. En 1986, c'est en assistant à un déferlement de violence dans une salle de sport algéroise, que plusieurs journalistes algériens ont entrevu les drames qui attendaient leur pays. Faudra-t-il que l'on cite un jour la soirée du 6 octobre comme ayant été elle aussi un signe avant-coureur?
Peut-être enfin, que ces jeunes ne veulent pas être français. C'est leur droit. En étant alors algériens, ils ont le choix. Rentrer dans leur pays d'origine, et comprendre ce que le mot souffrance veut vraiment dire, ou alors rester en France, et c'est aussi leur droit, mais en faisant honneur au drapeau vert, blanc et rouge qu'ils ont traîné dans la boue en ce triste samedi 6 octobre.
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Durant des années, au nom de la solidarité avec des «cousins» déboussolés et surtout en vertu du politiquement correct, les intellectuels maghrébins se sont le plus souvent abstenus de dire publiquement leurs inquiétudes quant au devenir des jeunes des banlieues. Se taire n'est peut-être plus opportun. Les voitures que l'on brûle, les compartiments de trains que l'on saccage, Zinedine Zidane que l'on siffle parce qu'il assume sereinement son choix d'être français, les injures racistes que l'on profère à l'égard de Marcel Dessailly ou de Lilian Thuram au nom d'une supposée supériorité des Arabes vis-à-vis des Noirs, rien de tout cela ne peut se justifier.
Il est temps que des membres de la communauté disent à ces jeunes qu'ils sont d'abord français et qu'ils ont des devoirs même si leur pays n'est guère tendre à leur égard. Et puis, de quelle dureté parle-t-on? En observant certains d'entre eux slalomer entre les CRS et les stadiers, je n'ai pas pu m'empêcher de noter qu'ils portaient sur eux l'équivalent, en vêtements de marque, d'un mois de salaire d'un ingénieur en Algérie...
Mais cette soirée du 6 octobre devrait aussi interpeller les politiques. Que veut-on faire de cette jeunesse? A-t-on vraiment envie de l'intégrer ou faudra-t-il toujours compter sur des stadiers et des emplois- jeunes pour lui faire barrage. La question est d'importance. En 1986, c'est en assistant à un déferlement de violence dans une salle de sport algéroise, que plusieurs journalistes algériens ont entrevu les drames qui attendaient leur pays. Faudra-t-il que l'on cite un jour la soirée du 6 octobre comme ayant été elle aussi un signe avant-coureur?
Peut-être enfin, que ces jeunes ne veulent pas être français. C'est leur droit. En étant alors algériens, ils ont le choix. Rentrer dans leur pays d'origine, et comprendre ce que le mot souffrance veut vraiment dire, ou alors rester en France, et c'est aussi leur droit, mais en faisant honneur au drapeau vert, blanc et rouge qu'ils ont traîné dans la boue en ce triste samedi 6 octobre.
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