Le Quotidien d'Oran, jeudi 26 juin 2014
Akram Belkaïd, Paris
Mais quand une
ex-consœur, officiellement reconvertie dans la communication, incite ses
anciens confrères à dire du mal du Qatar, on dresse l’oreille. Bien sûr, on ne
l’a pas attendue pour savoir que beaucoup de choses sont à critiquer dans cet
émirat dont personne ne parlait il y quinze ans encore et qui, depuis, ne cesse
de faire la une (et de manière de plus en plus négative). Qu’il s’agisse des
conditions troubles dans lesquelles il a obtenu l’organisation de la Coupe du
monde de football de 2022 ou de la manière dont y sont traités les travailleurs
migrants en provenance du continent asiatique, les dossiers de mise en cause ne
manquent pas. A cela, on peut aussi ajouter le rôle controversé dans le
« soutien » aux révoltes arabes notamment en Syrie où de nombreux
observateurs estiment que l’argent en provenance de Doha a beaucoup aidé les
groupuscules islamistes radicaux à prendre le dessus sur l’opposition dite
laïque.
Mais, le
journalisme, c’est aussi se poser des questions sur les motivations des
sources. Quand une attachée de presse vous appelle pour vous demander de vanter
telle ou telle destination, avec la possibilité d’un voyage sur place tous
frais payés, c’est une chose habituelle. C’est la (mauvaise) règle du jeu et on
est libre d’accepter ou de refuser. Ouvrons ici une parenthèse pour relever que
la presse française, notamment écrite, est dans un tel état critique sur le
plan financier, qu’un reportage sur quatre est désormais financé par celui sur
qui on est censé écrire, le lecteur n’étant pas toujours averti de la chose
contrairement à ce qui se passe, par exemple, dans la presse québécoise. Fin de
la parenthèse.
Revenons aux
sollicitations. Quand une communicante bien introduite sur la place parisienne,
mais aussi très active sur la scène du monde arabe, vous appelle pour vous
inciter à « enquêter » sur le Qatar, l’enquête se résumant, dans le
cas présent, à recevoir des informations déjà emballées par ses soins, alors on
se dit qu’il y a baleine sous le gravier. Surtout quand on sait que la même partition
se joue à Londres ou à New York. Il faut
bien se comprendre. Il n’est pas question ici de défendre le « petit
Qatar » mais juste de relever un point majeur que toute personne qui
s’intéresse à la région doit avoir en tête : actuellement, beaucoup
d’argent est dépensé pour nuire à cet émirat. La multiplication d’articles
négatifs à son encontre ne relève donc pas du hasard.
On le sait, la
monarchie de Doha est en froid avec tous ses voisins à commencer par l’Arabie
saoudite et, surtout, les Emirats arabes unis (EAU) qui l’accusent d’avoir
encouragé l’activisme de Frères musulmans sur son sol. Ces tensions ont débouché
sur plusieurs couacs diplomatiques avec rappels d’ambassadeurs et menaces
militaires à peine voilées. Mais, dans le même temps, une guerre d’influence
est en cours. Exemple : à Beyrouth, des maisons d’édition sont encouragées
– avec force arguments financiers – à traduire en arabe la flopée d’ouvrages
très virulents à l’égard du Qatar qui ont été publiés récemment en Occident. A
Genève comme à Washington ou Londres, des publications viennent soudainement de
voir le jour pour nous expliquer à quel point le Qatar est peu respectueux des
droits de l’homme (ce qui, bien sûr, n’est certainement pas le cas de certains
de ses voisins où on continue de décapiter les condamnés à mort…).
C’est en ayant
en tête cette bataille de l’ombre qu’il faut d’ailleurs décrypter la récente
condamnation en Egypte de trois journalistes d’Al Jazeera à de lourdes de peine
de prison. Dans cette scandaleuse affaire, le maréchal-président al-Sissi ne
fait que complaire à ses riches soutiens du Golfe dont l’un des objectifs est
de faire définitivement taire la chaîne qatarie tout comme ils souhaitent que
les centres de recherche (think tank) installés à Doha ferment leurs portes et
cessent de publier des études plus ou moins dérangeantes sur les pays de la
région.
Vu de loin, on
peut être tenté de dire que le Qatar n’a que ce qu’il mérite. A force de se
voir trop vite trop haut, on finit toujours par se prendre des coups de bâtons.
Il fut un temps où c’était l’émirat de Dubaï qui tenait ce rôle. Au milieu des
années 2000, il était de bon ton de s’y déplacer pour y enquêter sur le revers
sombre de sa vertigineuse émergence. Aujourd’hui, on n’en parle plus ou presque
alors que, peu ou prou, les mêmes problèmes structuraux y perdurent à commencer
par un statut des travailleurs asiatiques qui n’a guère évolué cela sans
compter les questions liées à l’afflux de capitaux plus ou moins suspects dans une
place financière qui a récupéré nombre d’activités « grises »
impossibles aujourd’hui à mener à la City de Londres ou à New York.
Quand on me
parle du Qatar, en bien ou en mal, je pense immédiatement à Robert Ménard élu
récemment maire de Béziers grâce aux voix du Front national. Pourquoi
lui ? Tout simplement parce qu’il y a quelques années, il a été choisi par
les plus hautes autorités du Qatar pour prendre la tête à Doha d’un centre de
défense de la liberté de la presse… (« il fallait un Occidental et un nom
prestigieux. Ces gens sont des complexés » m’a expliqué un confrère,
candidat malheureux au poste). Bien entendu, l’idylle entre l’ancienne figure
de Reporters sans frontières et les chouyoukhs
s’est mal terminée. Remercié, Ménard a pondu un livre – fort intéressant au
demeurant – où il dit tout le mal qu’il pense de ses ex-employeurs et où il
raconte comment une bonne partie de la classe politique française se déplace à
Doha la sébile à la main. A bien des égards, l’affaire Ménard résume bien ce
qu’a été le Qatar au cours des années 2000. Il reste désormais à savoir si ses
difficultés du moment vont le faire rentrer ou non dans le rang.
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