Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 30 juin 2014

La chronique du blédard : Mais qui veut la peau du vilain petit Qatar… ?

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 26 juin 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
« Vous devriez écrire sur le Qatar. Il y a tellement de choses à dénoncer. Si vous le souhaitez, on peut se rencontrer. J’ai quelques informations qui peuvent intéresser vos lecteurs ». Voilà, vite résumée, la teneur d’un appel téléphonique adressé au présent chroniqueur. Disons-le tout de suite, dans le métier de journaliste, ce genre de sollicitation est fréquent. Des gens vous contactent car ils ont des choses à dire, à révéler ou à dénoncer mais, trop souvent, la matière qu’ils offrent est inexploitable car les preuves manquent ou sont impossibles à recouper quand ce n’est pas le solliciteur lui-même qui fait machine arrière.

Mais quand une ex-consœur, officiellement reconvertie dans la communication, incite ses anciens confrères à dire du mal du Qatar, on dresse l’oreille. Bien sûr, on ne l’a pas attendue pour savoir que beaucoup de choses sont à critiquer dans cet émirat dont personne ne parlait il y quinze ans encore et qui, depuis, ne cesse de faire la une (et de manière de plus en plus négative). Qu’il s’agisse des conditions troubles dans lesquelles il a obtenu l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022 ou de la manière dont y sont traités les travailleurs migrants en provenance du continent asiatique, les dossiers de mise en cause ne manquent pas. A cela, on peut aussi ajouter le rôle controversé dans le « soutien » aux révoltes arabes notamment en Syrie où de nombreux observateurs estiment que l’argent en provenance de Doha a beaucoup aidé les groupuscules islamistes radicaux à prendre le dessus sur l’opposition dite laïque.

Mais, le journalisme, c’est aussi se poser des questions sur les motivations des sources. Quand une attachée de presse vous appelle pour vous demander de vanter telle ou telle destination, avec la possibilité d’un voyage sur place tous frais payés, c’est une chose habituelle. C’est la (mauvaise) règle du jeu et on est libre d’accepter ou de refuser. Ouvrons ici une parenthèse pour relever que la presse française, notamment écrite, est dans un tel état critique sur le plan financier, qu’un reportage sur quatre est désormais financé par celui sur qui on est censé écrire, le lecteur n’étant pas toujours averti de la chose contrairement à ce qui se passe, par exemple, dans la presse québécoise. Fin de la parenthèse.

Revenons aux sollicitations. Quand une communicante bien introduite sur la place parisienne, mais aussi très active sur la scène du monde arabe, vous appelle pour vous inciter à « enquêter » sur le Qatar, l’enquête se résumant, dans le cas présent, à recevoir des informations déjà emballées par ses soins, alors on se dit qu’il y a baleine sous le gravier. Surtout quand on sait que la même partition se joue à Londres ou à New York.  Il faut bien se comprendre. Il n’est pas question ici de défendre le « petit Qatar » mais juste de relever un point majeur que toute personne qui s’intéresse à la région doit avoir en tête : actuellement, beaucoup d’argent est dépensé pour nuire à cet émirat. La multiplication d’articles négatifs à son encontre ne relève donc pas du hasard.

On le sait, la monarchie de Doha est en froid avec tous ses voisins à commencer par l’Arabie saoudite et, surtout, les Emirats arabes unis (EAU) qui l’accusent d’avoir encouragé l’activisme de Frères musulmans sur son sol. Ces tensions ont débouché sur plusieurs couacs diplomatiques avec rappels d’ambassadeurs et menaces militaires à peine voilées. Mais, dans le même temps, une guerre d’influence est en cours. Exemple : à Beyrouth, des maisons d’édition sont encouragées – avec force arguments financiers – à traduire en arabe la flopée d’ouvrages très virulents à l’égard du Qatar qui ont été publiés récemment en Occident. A Genève comme à Washington ou Londres, des publications viennent soudainement de voir le jour pour nous expliquer à quel point le Qatar est peu respectueux des droits de l’homme (ce qui, bien sûr, n’est certainement pas le cas de certains de ses voisins où on continue de décapiter les condamnés à mort…).

C’est en ayant en tête cette bataille de l’ombre qu’il faut d’ailleurs décrypter la récente condamnation en Egypte de trois journalistes d’Al Jazeera à de lourdes de peine de prison. Dans cette scandaleuse affaire, le maréchal-président al-Sissi ne fait que complaire à ses riches soutiens du Golfe dont l’un des objectifs est de faire définitivement taire la chaîne qatarie tout comme ils souhaitent que les centres de recherche (think tank) installés à Doha ferment leurs portes et cessent de publier des études plus ou moins dérangeantes sur les pays de la région.

Vu de loin, on peut être tenté de dire que le Qatar n’a que ce qu’il mérite. A force de se voir trop vite trop haut, on finit toujours par se prendre des coups de bâtons. Il fut un temps où c’était l’émirat de Dubaï qui tenait ce rôle. Au milieu des années 2000, il était de bon ton de s’y déplacer pour y enquêter sur le revers sombre de sa vertigineuse émergence. Aujourd’hui, on n’en parle plus ou presque alors que, peu ou prou, les mêmes problèmes structuraux y perdurent à commencer par un statut des travailleurs asiatiques qui n’a guère évolué cela sans compter les questions liées à l’afflux de capitaux plus ou moins suspects dans une place financière qui a récupéré nombre d’activités « grises » impossibles aujourd’hui à mener à la City de Londres ou à New York.

Quand on me parle du Qatar, en bien ou en mal, je pense immédiatement à Robert Ménard élu récemment maire de Béziers grâce aux voix du Front national. Pourquoi lui ? Tout simplement parce qu’il y a quelques années, il a été choisi par les plus hautes autorités du Qatar pour prendre la tête à Doha d’un centre de défense de la liberté de la presse… (« il fallait un Occidental et un nom prestigieux. Ces gens sont des complexés » m’a expliqué un confrère, candidat malheureux au poste). Bien entendu, l’idylle entre l’ancienne figure de Reporters sans frontières et les chouyoukhs s’est mal terminée. Remercié, Ménard a pondu un livre – fort intéressant au demeurant – où il dit tout le mal qu’il pense de ses ex-employeurs et où il raconte comment une bonne partie de la classe politique française se déplace à Doha la sébile à la main. A bien des égards, l’affaire Ménard résume bien ce qu’a été le Qatar au cours des années 2000. Il reste désormais à savoir si ses difficultés du moment vont le faire rentrer ou non dans le rang.
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