Le Quotidien d'Oran, mercredi 18 juin 2014
Akram Belkaïd, Paris
Beaucoup s’exclameront « il était temps ! ». Après de nombreuses tergiversations, la Commission européenne vient de décider d’ouvrir une enquête formelle sur les régimes fiscaux dont bénéficient certaines multinationales implantées dans trois pays membres de l’Union européenne (UE) : L’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas. C’est Joaquin Almunia, le Commissaire européen chargé de la concurrence qui en a fait l’annonce en personne. Une initiative que l’on peut considérer comme un événement majeur même si les résultats de l’enquête ne sont pas attendus pour tout de suite.
Concurrence déloyale ?
De quoi s’agit-il ? On le sait, il n’y a pas d’harmonie fiscale au sein de l’Union européenne, chaque pays déterminant ses propres barèmes d’imposition sans concertation avec les autres membres. Dans le lot, les trois pays visés par l’enquête se distinguent depuis plusieurs années en attirant de grandes multinationales grâce à des législations fiscales particulièrement attractives. C’est ainsi que de grands groupes comme Google, Apple ou Starbucks, ont localisé leurs sièges sociaux en Irlande tandis que d’autres entreprises vont au Luxembourg ou aux Pays-Bas. Le résultat est connu et il ne cesse d’être dénoncé par de nombreux politiciens : les multinationales réalisent de grands bénéfices en Europe mais y paient très peu d’impôts. Une situation qui engendre de nombreuses tensions à l’heure où les gouvernements européens se sont engagés dans des politiques d’austérité et de réduction drastiques des dépenses publiques.
Il faut rappeler que la Commission européenne n’a aucun mandat pour harmoniser les législations fiscales. Par contre, et comme l’a bien précisé Joaquin Almunia, Bruxelles peut vérifier si les dispositions fiscales particulières offertes aux multinationales sont en réalité des aides indirectes faussant la libre-concurrence. A ce jour, le Luxembourg et l’Irlande ont réfuté avec plus ou moins de virulence ces accusations mais la pression monte pour que ces pays fassent un geste. Il sera aussi intéressant de voir si l’enquête établit ou non l’existence de dispositions particulières négociées de gré à gré entre les mis en cause et les multinationales. Jusqu’à présent, Dublin nie, par exemple, avoir contracté des accords à la carte avec de grandes entreprises internationales américaines mais aussi européennes. Or, de nombreuses enquêtes publiées dans la presse tendent à prouver le contraire. En clair, l’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas ont mis en place des systèmes destinés à tirer la couverture à eux malgré l’irritation croissante de leurs voisins.
Jean-Claude Junker en difficulté
Par ailleurs, cette enquête n’est pas une bonne nouvelle pour Jean-Claude Junker, ancien Premier ministre du Luxembourg et aujourd’hui candidat à la présidence de la Commission. Ce dernier s’est toujours opposé aux demandes d’enquêtes sur le sujet de l’optimisation fiscale dans son pays. Or, il est évident que ce sujet fait partie des thèmes qui minent aujourd’hui la cohésion de l’UE et qui, plus grave encore, freinent la construction européenne. Faut-il interpréter l’ouverture de l’enquête de la Commission comme un nouveau signal de désaveu à l’égard de sa candidature (on sait que la Grande-Bretagne est ouvertement hostile à sa nomination) ? En tout état de cause, il sera intéressant de voir si Jean-Claude Junker a changé d’avis sur la question ou s’il maintient qu’un membre de l’UE a le droit de « piquer » ses multinationales à ses partenaires.
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