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Le Quotidien d'Oran, mercredi 5 mars 2008
La vie interne et la transformation continue des multinationales sont, sans conteste, une large source d’enseignements et peuvent même s’avérer bien plus instructives que nombre d’analyses géopolitiques. C’est le cas par exemple d’Unilever, ce géant de l’agroalimentaire et des produits de grande consommation, dont chaque mouvement sur l’échiquier global ne passe jamais inaperçu.
Il y a quelques jours, cette firme, présente sur les cinq continents, a annoncé que son conseil de direction ne comporterait plus de membres de nationalité britannique ou néerlandaise. L’annonce n’a rien d’anodin car c’est bien une page qui se tourne dans l’histoire de ce groupe, dont les origines et la matrice sont anglo-hollandaise. En effet, c’est en 1930 que la société anglaise Lever - qui fabriquait alors des savons et des produits d’entretien - a fusionné avec Unie, qui, de son côté, fabriquait de la margarine aux Pays-Bas.
INTERNATIONALISATION DES DIRIGEANTS
Le fait qu’Unilever ne comptera plus parmi ses hauts dirigeants de membres ayant l’une de ses deux nationalités « originelles » confirme que les grandes multinationales deviennent peu à peu des transnationales, passant au-dessus des Etats et des drapeaux, et étant même capables - cela arrivera bien un jour - de s’acheter une terre pour en faire leur propre « pays ».
Mais il n’y a pas que cette question de l’aspect hors-nationalité des grandes sociétés. Ce qu’il y a d’intéressant dans le cas Unilever, c’est que le nouveau conseil de direction comportera 7 membres, dont un Français, trois Américains et, surtout, deux Indiens et un Zimbabwéen. Voilà, représentée de manière concrète, une autre réalité de la mondialisation. Jusqu’à présent, on parlait beaucoup des cadres supérieurs qui passaient d’un continent à l’autre. Aujourd’hui, ce sont les directions des grands groupes qui deviennent internationales. Il y a vingt ans, qui aurait pu prédire que l’un des patrons d’Unilever serait de nationalité indienne ? Et ce n’est qu’un début en attendant que Chinois, Vietnamiens ou Egyptiens ne rejoignent le cercle fermé des grands dirigeants d’entreprises globalisées.
Ces dernières sont-elles pour autant multiculturelles ? Le débat n’est pas tranché. Ce qui lie des Français, des Américains, des Indiens et un Zimbabwéen à la tête d’une grande entreprise comme Unilever, c’est avant tout le partage des mêmes conceptions de l’économie de marché et de la nécessité de rémunérer comme il se doit les actionnaires. Bref, la vision libérale de l’économie est le premier ciment qui peut unir ces hommes.
Pour autant, même s’il a été éduqué dans les plus grandes écoles occidentales, un haut cadre indien n’aura jamais une vision exactement identique à celle de son homologue américain ou français. Du coup, la manière dont ces multinationales font cohabiter ces nationalités est donc, à elle seule, un vaste sujet d’étude dont la partie visible est le développement fulgurant des activités de conseil en environnement multiculturel.
CAP SUR LES PAYS EMERGENTS
L’autre annonce d’Unilever, qui mérite d’être signalée, concerne sa décision de créer une grande division incluant non seulement l’Asie et l’Afrique mais aussi l’Europe de l’Est qui, jusque-là, était rattachée à la division d’Europe de l’Ouest. Cette réorganisation témoigne de la volonté d’Unilever d’axer ses efforts sur les pays émergents, là où les niveaux de consommation restent bien en deçà de ce qui existe dans les pays développés. Unilever n’est pas la seule transnationale à opérer ce basculement, et cela promet de grandes batailles à coup de millions de dollars pour le contrôle des marchés émergents.
Pour des pays qui tentent, vaille que vaille, de s’insérer dans le commerce international, c’est le cas par exemple du Maroc ou de la Tunisie, le mouvement d’Unilever démontre qu’il est temps pour eux de commencer à regarder vers l’Est et le Sud plutôt que de tout miser sur les marchés européens et nord-américains, qui sont certes les plus solvables mais aussi les plus saturés et les plus limités en matière de potentiel de développement. C’est ce qui explique, entre autres, pourquoi de nombreux pays du Sud tentent aujourd’hui de signer des accords de libre-échange entre eux.
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