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"Il avait commencé, comme c'est l'usage en particulier et en politique, par corrompre les idées de la marquise et la détourner de la religion, pour la disposer au crime. Le marquis était un de ces libertins si rares dans ce temps, moins malheureux qu'on n'a dit, qui avaient le dernier mot de la science en fait d'athéisme. Il est à remarquer que les grands criminels de cette époque, Sainte-Croix par exemple, et Exili, le sombre empoisonneur, ont été précisément les premiers incrédules, et qu'ils ont devancé les savants du siècle suivant dans la philosophie aussi bien que dans l'étude exclusive des sciences physiques, auxquelles ils demandèrent d'abord des poisons. La passion, l'intérêt, la haine combattirent pour le marquis dans le coeur de Mme de Bouillé ; elle donna les mains à tout ce que M. de Saint-Maixent voulut".
in, La Comtesse de Saint-Géran
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Blog au fil des jours, quand la chose et l'écriture sont possibles.
Lignes quotidiennes
vendredi 31 juillet 2015
La chronique du blédard : Les dérives d’Erdogan
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Le Quotidien d’Oran,
jeudi 30 juillet 2015
Akram Belkaïd,
Paris
En 2002, la
victoire électorale du Parti de la justice et du développement (AKP ou, Adalet
ve Kalkinma Partisi) a ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire moderne de la
Turquie. Dans un contexte économique et financier difficile, les réformes mises
en place par la formation islamiste, ou islamo-conservatrice, ont contribué à
doper la croissance et à améliorer le niveau de vie général au point qu’elles
sont devenues une référence à suivre pour d’autres pays émergents. Dans le même
temps, cette prospérité a été accompagnée par d’importants changements, l’un d’entre
eux étant le retrait progressif de l’armée du champ politique. Les dirigeants
de l’AKP ont ainsi tiré profit des négociations, certes difficiles et
incertaines, en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) pour
moderniser une partie des structures politiques et économiques de leur pays. Enfin,
forte d’un prestige retrouvé, Ankara renouait de manière spectaculaire avec le
monde arabe, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, évoquant alors un
retour de « l’Histoire à son cours normal ».
Treize ans plus
tard, la donne a complètement changé. Le « modèle turc » - peut-être
trop vite consacré comme source d’inspiration possible pour les pays
arabo-musulmans – est en train de battre de l’aile miné par un autoritarisme de
plus en plus inquiétant. En décidant de mettre fin au processus de paix avec le
Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK ou Partiya Karkerên Kurdistan) et en étendant
aussi la répression contre de multiples forces politiques turques, pourtant légales,
le président Recep Erdogan vient de démontrer qu’il ne reculera devant rien
pour renforcer son pouvoir personnel. En effet, la principale grille de lecture
des récents événements en Turquie concerne avant tout la politique intérieure
de ce pays. Pour mémoire, le 7 juin dernier, l’AKP, bien que vainqueur du
scrutin législatif, n’a pu obtenir la majorité absolue à la Grande Assemblée
nationale de Turquie. Un revers de taille pour Erdogan dont l’un des objectifs
est d’étendre ses prérogatives en tant que président de la république. Un
changement qui passe par une révision constitutionnelle que l’AKP ne peut
mettre en place qu’en disposant du contrôle des deux tiers du Parlement.
Le 7 juin, l’ambition
ultra-présidentielle d’Erdogan a été contrée par deux faits majeurs. Le premier
est la montée en puissance du parti d’action nationaliste (MHP ou Milliyetçi
Hareket Partisi) fondamentalement opposé au processus de paix entamé en 2012
entre Ankara et le PKK via des négociations avec le leader kurde emprisonné Abdullah
Öcalan. Le second est l’émergence du Parti démocratique des peuples (HDP ou Halkların
Demokratik Partisi) qui a fait son entrée pour la première fois au Parlement. A
l’origine pro-kurde, cette formation progressiste, très populaire au sein de la
jeunesse turque, entend représenter toute la société y compris ses minorités qu’elles
soient ethniques, religieuses voire sexuelles. S’inscrivant dans la foulée du
mouvement protestataire de l’été 2013, cette coalition de plusieurs partis et
association de gauche est souvent qualifiée de « Syriza turque ».
En s’en prenant au
PKK mais aussi au HDP, Reccep Erdogan entend donc faire coup double. D’abord,
il envoie un message de séduction aux nationalistes en leur assurant qu’il n’y
aura jamais d’Etat kurde et que même une autonomie du sud-est du pays dans le
cadre d’une décentralisation telle que souhaitée par le PKK n’aura pas
lieu. Ensuite, il se débarrasse d’une
formation politique, en l’occurrence le HDP, qui lui a coûté de précieuses
voix. Car le scénario qui est en
train de se dérouler est clair comme de l’eau de roche. Assuré de l’inertie
complice de ses alliés occidentaux – lesquels ont besoin de la Turquie dans la
lutte contre l’Organisation de l’Etat islamique (EI) et contre le régime de
Bachar al-Assad -, Erdogan entend faire interdire le HDP et ses composantes et
les empêcher ainsi de se présenter aux législatives anticipées qui vont
certainement avoir lieu à l’automne prochain. Des législatives qui, si elles
donnent la majorité absolue à l’AKP, ouvriront donc la voie à la mise en place
d’un régime présidentiel… Selahettin Demirtas, président du HDP ne s’y est d’ailleurs
pas trompé en déclarant que le
seul délit de son parti « c’est d’avoir fait 13% [des suffrages] aux dernières
élections ».
La répression, car
c’en est une, contre le HDP s’explique aussi par le fait que ce parti représente
tout ce qu’Erdogan déteste en terme de valeurs et d’orientations politiques. Idées
de gauche, engagement écologique (comme lors de la défense du Parc Gazi à
Istanbul en 2013), défense des minorités, et opposition à l’alliance avec l’Organisation
du Traité atlantique (Otan) et les Etats-Unis : tout cela ne correspond
pas à la vision conservatrice et religieuse d’Erdogan. Pendant longtemps, le
leader de l’AKP a donné l’impression d’être partisan du pluralisme et de la démocratie
même si, à propos de cette dernière, il a déclaré un jour qu’elle était « comparable
à un bus qui finit toujours par s’arrêter quelque part ». Aujourd’hui, il
reste tout de même à savoir si cette dérive autoritariste est soutenue par les
membres de l’AKP ou si elle est le résultat d’une ambition personnelle dévorante.
Cette mise en
perspective en matière de politique interne turque permet donc de mieux appréhender
l’autre « virage » récent de la Turquie autrement dit sa décision de
s’attaquer (enfin) à l’organisation de l’Etat islamique. Bombardements aériens
et création annoncée d’une « zone protégée » avec le concours des
Etats-Unis ont donné à penser qu’Ankara considère désormais que la priorité n’est
plus la chute du régime d’Assad mais bien la lutte contre l’EI. Autant le dire,
la réalité de ce recentrage reste à prouver. Jusqu’à présent, la stratégie
turque a surtout consisté à empêcher que les Kurdes de Syrie, alliés au PKK, ne
contrôlent de trop grands territoires cela quitte à « ménager » l’EI
jugé, il y a encore quelques jours, comme indispensable pour l’affaiblissement
d’Assad. Officiellement, c’est l’attentat suicide dans la ville de Suruç qui,
le 20 juillet dernier, a coûté la vie à 32 personnes (dont de nombreux jeunes
de gauche engagés dans un mouvement de solidarité avec la population de Kobané
ou Ayn el-Arab), a changé la donne et mis fin à l’indulgence (coupable) de la
Turquie à l’égard de l’EI. Mais seul le temps confirmera ce changement. En
attendant, la Turquie s’en retourne à pas rapide vers les périodes de fer,
celles où la gauche et les mouvements kurdes étaient impitoyablement persécutés.
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jeudi 23 juillet 2015
Wanetoutrisme : essai de définition
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Wanetoutrisme : terme désignant le chauvinisme nationaliste exacerbé des Algériens. Chauvinisme qui s'exprime notamment dans les stades lors des matchs de football par le fameux slogan "one-two-three, viva l'Algérie".
Le wanetoutrisme n'admet aucune critique à l'encontre de l'Algérie et considère que ce pays est le meilleur du monde dans tout (et que s'il ne l'est pas, c'est la faute aux complots étrangers).
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Wanetoutrisme : terme désignant le chauvinisme nationaliste exacerbé des Algériens. Chauvinisme qui s'exprime notamment dans les stades lors des matchs de football par le fameux slogan "one-two-three, viva l'Algérie".
Le wanetoutrisme n'admet aucune critique à l'encontre de l'Algérie et considère que ce pays est le meilleur du monde dans tout (et que s'il ne l'est pas, c'est la faute aux complots étrangers).
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La chronique du blédard : Alerte, revla l’Sarko !
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Le
Quotidien d’Oran, jeudi 23 juillet 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Pétard et
sidération : il est de retour… Certes, on ne l’a jamais oublié depuis sa
fessée électorale lors de la présidentielle française de mai 2012. De manière
régulière, au fil de meetings et de déclarations intempestives au sujet de tout
et, surtout, de n’importe quoi, il s’est rappelé à notre bon souvenir, avec sa
syntaxe approximative, son parler plus « vulgos » que populo et ses
multiples déboires judiciaires dont on peine désormais à établir le nombre
exact. Il y a quelques jours, lors d’une visite au ton très paternaliste en
Tunisie, Nicolas Sarkozy époux Bruni s’est donc permis quelques digressions à
propos de l’Algérie et de son avenir. Un « sujet » de préoccupation,
selon lui, notamment pour la stabilité de la Tunisie.
Comme l’a
noté le journaliste Mohamed Saadoune dans un billet au vitriol, il est évident
que ce genre de propos relève de plusieurs
motivations (*). D’abord, l’envie de faire plaisir aux Tunisiens –
notamment aux reliques de l’ancien régime qui, hélas, mille fois hélas, se
sentent pousser des ailes en ce moment - en disant du mal de l’Algérie. Un calcul
– stupide voire naïf – destiné aussi à glaner quelques sympathies chez les
binationaux franco-tunisiens. Ensuite, filer un coup de main électoraliste à Christian
Estrosi, son pote bac moins quinze qui peine à convaincre certains électeurs en
région Provence Alpes Côtes d’Azur (PACA) de ne pas voter Front National aux
prochaines régionales. Et, cerise sur le gâteau, se faire plaisir en se
défoulant sur un pays que Sarkozy n’a jamais porté dans son cœur.
Cette
péripétie est un avant-goût ce qu’il va falloir subir au cours des prochaines
semaines et des prochains mois. L’oscillant de l’épaule va s’emparer du micro,
des caméras, des écrans et des colonnes. Ministre du verbe et de
l’interjection, il va monopoliser la parole et nous infliger des « ben moi,
j’veux vous dire que moi je pense que » à la pelle. Il y aura des sorties
qui, à chaque fois, seront destinées à cliver, à provoquer, non pas le débat,
mais le buzz, ce fracas insupportable qui empêche tout recul et toute
réflexion. Cela avec la complicité de ces journalistes dits politiques,
toujours prompts à traquer la petite phrase plutôt qu’à se plier à la
vérification systématique des discours pour débusquer les élucubrations et les
mensonges électoraux. Nous allons donc subir les propos les plus
invraisemblables, les clichés les plus éculés et gageons qu’il fera encore
mieux que son tristement célèbre discours de Dakar sur l’homme africain qui ne
serait pas entré dans l’Histoire (discours pestilentiel qui n’avait pas empêché
son élection en 2007). En un mot, la campagne électorale pour 2017 est lancée
et elle ne sera pas ragoutante.
Le pire
dans l’affaire, c’est que l’ancien copain de Kadhafi – ah, cette tente plantée
en plein huitième arrondissement de Paris – risque bien de l’emporter. En
effet, François Hollande qui ne pense qu’à une seule chose, sa réélection, va
certainement payer sa socialo-traîtrise, son lâchage de la Grèce mais aussi ses
sympathies néoconservatrices et son soutien appuyé aux bombardements israéliens
de Gaza en juillet 2014. Autant de manquements impardonnables qui pousseront,
en cas de deuxième tour Sarkozy-Hollande, nombre d’électeurs de gauche à
préférer la pêche ou l’émission de Drucker à un passage par l’isoloir.
Faudra-t-il se résoudre à voter Hollande pour empêcher le retour du prétendu
lecteur de Roland Barthes (prononcer comme lui Barthesss) ? En ce qui
concerne le présent chroniqueur la réponse est évidemment non mais c’est une
autre histoire.
En tous les
cas, pauvre France et pauvre droite. En arriver là… Mais revenons à l’Algérie.
Ce serait mentir que de ne pas reconnaître que l’Algérie est bien un sujet de
préoccupation. Certes, Sarkozy ferait mieux de s’occuper de ses propres
histoires et personne ne peut nier qu’il a manqué à la plus élémentaire des
corrections et des pratiques diplomatiques en évoquant de la sorte un pays dont
la Tunisie a grand besoin en ce moment… Mais les choses seraient bien plus
simples si l’Algérie ne prêtait pas tant à la critique et à l’inquiétude, à
commencer par celle de ses enfants qu’ils y vivent ou non. La mort récente de
plusieurs jeunes conscrits du service militaire lors d’une énième attaque du
« terrorisme résiduel » a provoqué un immense choc au sein de la
société mais aussi de la consternation et de la colère face à l’attitude
désinvolte des autorités et des médias officiels face à cette tragédie.
Cela fait
des années que la sonnette d’alarme est tirée. Malgré les déclarations
officielles, malgré les ravages profonds du « wantoutrisme » (**) prompt à
faire croire que le monde entier comploterait contre l’Algérie (on se demande
bien pourquoi…), la vraie menace est interne. Elle réside dans l’absence de
prise de conscience quant à l’importance des défis actuels. Réforme en
profondeur du système éducatif, rénovation urgente de celui de la santé, changement
du modèle économique avec une sortie du tout-hydrocarbures, retour de l’Etat
mais aussi décentralisation voire régionalisation, prise en compte des dégâts
subis par l’environnement et, enfin, libéralisation de la vie politique : dans
tous ces domaines, les progrès, quand ils existent, sont insignifiants. Oui,
l’Algérie est bien un sujet de préoccupation et il est dommage qu’un fâcheux comme
Sarkozy puisse se permettre de nous le rappeler avec tant de dédain.
Et il aura
certainement l’occasion de le refaire à l’automne prochain puisqu’il a
l’intention de se rendre à Alger. Gageons qu’il sera alors accueilli à bras
ouverts, verre de lait, dattes, couscous au miel et « vous serez toujours
‘la’ bienvenue » en prime. Car, là aussi, l’Algérie ne semble guère avoir
progressé. Le complexe du colonisé y fait toujours autant de ravages…
(*) Le p'tit Sarko, si vulgaire et si peu instruit,s'inquiète de l'avenir de l'Algérie, Al Huffington Post, Maghreb-Algérie,
21 juillet 2015 (un texte où Sarkozy est qualifié de « Danube de l’Esbrouffe »
ce que les revues de presse françaises ont évité de mentionner…).
(**) Wanetoutrisme : terme désignant le chauvinisme nationaliste exacerbé des Algériens. Chauvinisme qui s'exprime notamment dans les stades lors des matchs de football par le fameux slogan "one-two-three, viva l'Algérie". Le wanetoutrisme n'admet aucune critique à l'encontre de l'Algérie et considère que ce pays est le meilleur du monde dans tout (et que s'il ne l'est pas, c'est la faute aux complots étrangers)._
jeudi 16 juillet 2015
La chronique du blédard : La Grèce sous tutelle euro-allemande
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Le Quotidien d'Oran, jeudi 16 juillet 2015
Le Quotidien d'Oran, jeudi 16 juillet 2015
Akram Belkaïd, Paris
Il est à craindre que la date du 13 juillet 2015
demeure dans les annales de l’histoire européenne comme celle d’un jour de
honte et d’infamie. Un jour de vérité aussi où l’Union européenne, ou plus encore,
l’Union monétaire européenne, sont apparues sous un même et seul visage, celui
du diktat néolibéral et de la haine de la démocratie. Car comment qualifier
autrement cet accord que le Premier ministre grec Alexis Tsipras a signé avec
un Luger Parabellum collé à sa tempe ? Un accord imposé à la Grèce quelques
jours à peine après que son peuple a dit non par voie référendaire à
l’austérité…
Pour ne pas être exclue de la zone euro et pour
bénéficier d’un plan « d’aide » de trois ans, le gouvernement grec
s’est vu imposer une longue liste de conditions drastiques. Certaines sont
classiques et ressemblent à s’y méprendre aux mesures qui accompagnent
habituellement tout plan d’ajustement structurel concocté par le Fonds
monétaire international (FMI). Limitation des dépenses publiques, hausse de la
TVA, réforme fiscale, allongement de l’âge de la retraite et baisse des
pensions : la potion, amère, va continuer de faire des dégâts dans la
population grecque mais, de cela, les dirigeants européens, notamment
allemands, n’en ont cure.
« Une liste d’horreurs », c’est ainsi
que de nombreux médias occidentaux, pourtant peu suspects de sympathie pour les
idées de gauche du parti Syriza, ont qualifié l’accord du 13 juillet destiné
donc à prévenir un « Grexit », autrement dit une sortie de la Grèce
de la zone euro. Une liste d’horreurs et, surtout, une sorte de Traité de
Versailles où ce pays a été traité comme s’il venait de capituler et qu’il
convenait de le punir de la manière la plus dure qui soit pour qu’il ne
recommence plus. Recommencer quoi ? Certains diront que ce sont les
errements de la Grèce qui méritent punition, notamment le fait d’avoir vécu
au-dessus de ses moyens ou d’avoir maquillé ses chiffres afin d’entrer, puis de
rester, dans la zone euro (des dérives réelles mais pour lesquelles le parti
Syriza n’est pas responsable).
Mais, en vérité, ce qui est en jeu dans l’affaire
c’est de punir un peuple parce qu’il a « mal » voté. D’abord, en
portant au pouvoir Syriza en janvier dernier puis en se prononçant
majoritairement contre l’austérité prônée par l’axe Berlin-Bruxelles. Le
message est clair. Ce qui arrive à la Grèce aujourd’hui est aussi une mise en
garde à l’encontre des Italiens, des Espagnols ou des Portugais, des pays où la
colère contre les politiques d’austérité ne cessent de monter. Et ce qui a été
signifié à Tsipras durant de longues et éprouvantes négociations c’est qu’il
est le Premier ministre d’un pays qui n’est plus souverain. Un pays qui devra
privatiser pour 50 milliards d’euros d’actifs non pas pour se développer ou se
doter d’infrastructures mais pour rembourser ses créanciers et restructurer ses
banques. Le quotidien Bild qui réclamait des Grecs qu’ils vendent leurs îles (à
des tour-opérateurs allemands ?) peut enfin pavoiser…
Plus grave encore, l’accord prévoit qu’Athènes
devra soumettre tout projet de loi relatif à l’économie ou aux finances à ses
créanciers avant de le proposer au vote du Parlement (*). Voilà qui permet de mieux
nommer les choses. Cela s’appelle une mise sous tutelle ou encore une mise sous
protectorat. Cela rappelle l’Egypte ou la Tunisie du dix-neuvième siècle,
toutes deux étranglées par la dette avant de perdre leur indépendance. Les
temps changent mais les idées réactionnaires perdurent affirmant notamment que
certains peuples ne seraient pas dignes d’exercer leur libre-choix. Comment
oublier ces articles et ces déclarations racistes – le qualificatif n’est pas
trop fort – à l’égard des Grecs tout au long de ces dernières semaines ?
Le pire dans l’affaire, c’est que tout le monde
sait que ce plan triennal ne servira à rien. La Grèce est dans une situation
économique et financière dramatique – avec notamment une dette de 310 milliards
de dollars soit 177% de son Produit intérieur brut – qui va mécaniquement
gonfler en raison des intérêts. La solution idéale serait une remise des
compteurs à zéro, c’est-à-dire un effacement de la plus grande partie de cette
dette combinée à des mesures de relance mais aussi de réformes menées par le
gouvernement Tsipras. Ce n’est pas ce
qui est envisagé, loin de là, des dirigeants européens comme Wolfgang Schäuble
continuant même à plaider pour le Grexit, autrement dit pour que la Grèce soit
abandonnée à son sort.
Parmi les enseignements de cette grave crise, on
peut aussi relever que l’Union européenne ressemble de plus en plus à une
chimère. Ses idéaux de fraternité et de solidarité rabâchés à l’envi ne veulent
plus rien dire à l’aune de l’humiliation subie par la Grèce. On relèvera aussi
que la France, et c’est devenu une habitude, s’est distinguée par d’inutiles
gesticulations dilatoires avant de rentrer dans le rang (à l’image de ce qui
s’est passé d’ailleurs durant les négociations sur le dossier du nucléaire
iranien). In fine, la vraie
conclusion de toute cette tragédie, c’est que le vrai patron de l’Europe et de
la zone euro - l’unique patron - c’est
l’Allemagne. C’est elle qui décide, impulse et définit les lignes rouges à ne
pas franchir. Ce pays qui, en 1953, a bénéficié d’un effacement presque total
de sa dette de guerre – y compris celle contractée à l’égard de la Grèce –
impose désormais sa loi et sa manière de voir les choses (on relèvera que la
gauche allemande n’a guère pris ses distances avec Angela Merkel et Wolfgang
Schäuble). Et, en prenant toutes les précautions oratoires qui s’imposent pour
prévenir toute accusation de germanophobie, il est impossible de ne pas se dire
qu’une Allemagne devenue ivre de sa puissance (économique et politique) est une
très mauvaise nouvelle pour l’avenir de l’Europe.
(*) Cette chronique a été rédigée quelques heures
avant la décision du Parlement grec d’adopter l’accord du 13 juillet
2015.
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dimanche 12 juillet 2015
Keigo Higashino : Le dévouement du suspect X
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C'est une histoire d'amour impossible. De meurtre aussi (pas de meurtre pas de polar...), d'alibi d'une précision mathématique, d'un duel entre deux scientifiques.
Justement, il est aussi question de mathématiques, de problèmes qui ont la forme qu'ils ne devraient pas avoir et cette question essentielle que l'un des protagonistes pose à un autre : "Qu'est-ce qui est le plus difficile : élaborer un problème que personne ne peut résoudre, ou résoudre ce problème ?"
Autre question : la rigueur mathématique permet-elle de réaliser le crime parfait ?
A lire, donc...
C'est une histoire d'amour impossible. De meurtre aussi (pas de meurtre pas de polar...), d'alibi d'une précision mathématique, d'un duel entre deux scientifiques.
Justement, il est aussi question de mathématiques, de problèmes qui ont la forme qu'ils ne devraient pas avoir et cette question essentielle que l'un des protagonistes pose à un autre : "Qu'est-ce qui est le plus difficile : élaborer un problème que personne ne peut résoudre, ou résoudre ce problème ?"
Autre question : la rigueur mathématique permet-elle de réaliser le crime parfait ?
A lire, donc...
samedi 11 juillet 2015
La chronique du blédard : Un TGV nommé arnaque
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Le
Quotidien d’Oran, jeudi 9 juillet 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Il
est seize heures à Paris. Le hall Méditerranée de la gare de Lyon est envahi
par la fournaise et, sur le panneau d’affichage, le quai du train à grande
vitesse pour Nice via Marseille n’est toujours pas indiqué. Le TGV 2935 est
pourtant censé partir dans quinze minutes mais aucune information n’est donnée.
Ce n’est qu’au moment de ce qui aurait dû être le départ prévu qu’une annonce
précise enfin aux voyageurs que « rapport à des problèmes dans le
nettoyage » (sic) le dit attelage aura un peu de retard. Combien ? Ce
n’est pas dit. Il faut attendre en râlant ouvertement ou en rongeant son frein,
debout et poisseux dans la chaleur moite. « Avec TGV, ça sent déjà la fête »
proclame un panneau de réclame…
Une
heure et demie plus tard, motrice et voitures démarrent enfin. Dans la voiture
numéro 11, on assiste à l’inévitable dispute au sujet des places attribuées. Une
jeune femme, la trentaine, s’est installée dans ce que la compagnie appelle un
« duo côte à côte», comprendre deux sièges contigus. « J’aimerais
voyager avec mon ami » explique-t-elle en minaudant au détenteur de la
place, un homme du même âge, en bermuda et tongs. Celui-ci sourit et demande où
il doit donc s’installer. « Ma place est juste derrière »,
répond-elle. Et là, l’autre fait la mine car « derrière » désigne cet
espace cauchemardesque de quatre sièges en carré où l’on ne peut bouger ses
jambes de quelques millimètres sans toucher son vis-à-vis. « Désolé, mais non, je préfère garder ma
place » dit-il avec fermeté. La jeunette se lève de mauvaise grâce et
laisse échapper un « pfff, les abrutis sont vraiment partout… ». Là,
on se dit que cela va chauffer (et que l’on tient un sujet de chronique), mais
non. Monsieur Bermuda a fait semblant de ne rien entendre. Il s’installe, sort
de son sac à dos un ordinateur, un gros casque onéreux et le voici qui regarde
le premier épisode de la cinquième saison de Game of Thrones. Attentif, on note que l’ami de la dame grossière
est resté silencieux (il finira par se lever et la rejoindre au « carré famille »).
Le
train file maintenant à grande vitesse, le calme s’est installé dans la
voiture, troublé de temps à autre par celles ou ceux, et ils sont nombreux, qui
estiment que parler au téléphone – et partager sa vie avec le reste des
voyageurs – n’est certainement pas une incivilité. Mais d’autres considérations
viennent à l’esprit du présent chroniqueur quand il entend le message
suivant : « Bonjour, je suis Claudine votre barista et je vous
attends à notre voiture bar où j’aurais le plaisir de vous servir une variété
de plats, etc… ». On pense alors au dernier livre de l’écrivain Benoît
Duteurtre sur ce qu’est devenu le voyage en train (1). Terminé le temps de la
voiture-restaurant, des buffets de gare, de la magie des trains de nuit, de
l’ambiance unique de ces lieux auxquels le cinéma et la littérature ont tant
aimé rendre hommage (2). Aujourd’hui, les gares, raconte Duteurtre, ressemblent
à des centres commerciaux et la SNCF se prend pour une compagnie aérienne comme
en témoigne l’élément de langage suivant : ses personnels ne disent plus
« ‘la’ SNCF vous souhaite un bon voyage » mais « SNCF vous
souhaite… ». Et ses employées de la voiture-bar - qui servent des plats
réchauffés (au quinoa !) et d’infâmes breuvages – ont le culot de se
présenter comme « baristas », autrement dit de grands spécialistes du
café…
Le
train a dépassé Avignon depuis longtemps quand une annonce provoque un peu
d’agitation. « Madame, Monsieur, pour rattraper notre retard et pour
arriver dans les temps à Nice, nous vous informons que les passagers à
destination de Marseille devront descendre à la gare d’Aix-en-Provence. Ils
pourront prendre un autre TGV qui nous suit. Nous vous remercions pour votre
compréhension ». Unanimes, les commentaires moquent cette volonté de
« SNCF » de tout faire pour ne pas avoir à dédommager les passagers à
destination de Nice en raison du retard supérieur à une heure. Un contrôleur
passe. A celles et ceux qui lui demandent si le délai d’attente ne va pas être
trop long à Aix, il répète que le train qui suit est « juste
derrière ». On se lève, on se prépare. On réalise à la dernière minute ou
presque qu’un groupe de voyageurs chinois à destination de Marseille n’a rien
compris à l’annonce. On leur explique, on leur dit qu’il faut qu’ils descendent
absolument à Aix. Ils sont méfiants, semblent peu convaincus – « no Aix,
massay, no Aix » répondent-ils aux âmes charitables - mais le contrôleur
qui repasse leur confirme la chose. « You go out in Aix to go to
Marseille. Take next train, ok ? »
On
se retrouve donc sur le quai d’Aix-TGV. Le train que l’on vient de quitter
n’est pas encore parti. On demande aux employés sur le quai de confirmer qu’un
second va bientôt récupérer cette grosse troupe vaguement solidaire et quelque
peu remontée. La réponse est positive (soulagement) mais une précision
goguenarde provoque un tollé général : le fameux TGV qui suit n’arrive que
dans une heure trente… Ça crie, ça se met en colère, ça insulte. En somme, la hachwa en beauté. Alors que le 2935
démarre, l’un des arnaqués tente de s’accrocher à la porte pour le retenir. On
le convainc que cela ne sert à rien et qu’il risque juste de se tuer. Les
Chinois, eux, ne sont pas très contents, persuadés qu’ils viennent de se faire
arnaquer par d’indélicats compagnons de voyage… L’auteur de ces lignes préfère
quant à lui profiter du paysage. Au loin, la Sainte-Victoire baigne dans une
magnifique lumière orangée et cela suffit à oublier le reste, cet esprit
mesquin et cette inclinaison à l’arnaque qui caractérise désormais nombre de
pseudo services publics.
Nous
voici enfin dans le train qui suivait « juste derrière ». Nombre de
naufragés se retrouvent dans la voiture-bar où le baristo, barista, baristoto
ou baristota – allez savoir comment on dit - termine de nettoyer la cage à
poules qui lui sert de kitchenette. Un voyageur lui demande s’il n’y a rien de
prévu pour ceux qui viennent de monter et qui viennent de subir un retard de
trois heures. Un verre d’eau, une consommation gratuite, juste quelque chose
pour montrer que « SNCF » est bien désolée de ce qui nous arrive.
L’autre hausse les épaules, dit qu’il n’est pas au courant, qu’il n’a rien à
offrir, que « son » train est à l’heure, que du reste, il n’a que
faire et que, de toutes les façons, le bar est fermé. En somme, une
démonstration en direct de ce qu’est la réalité du service –client dans une
compagnie qui, finalement, se prend pour ce qu’elle n’est pas et qui,
libéralisation et marchandisation obligent, a oublié ce qu’elle fut.
(1)
La nostalgie des buffets de gare,
Payot.
(2)
On peut profiter de l’été pour retrouver cette ambiance en lisant La Maldonne des sleepings de Tonino
Benacquista.
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mardi 7 juillet 2015
La chronique du blédard : Grèce, Tunisie : le FMI, ce pyromane
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 2 juillet 2015
Le Quotidien d’Oran, jeudi 2 juillet 2015
Akram
Belkaïd, Paris
On
le donnait pour mort, privé de la plupart de ses moyens de pression,
décrédibilisé par son incapacité à prévenir les récentes crises financières.
Mais non seulement le cadavre bouge encore mais il semble avoir retrouvé une
nouvelle vie et sa forme des années 1980. Il s’agit, bien entendu, du Fonds
monétaire international (FMI) lequel est au centre de l’actualité en raison de
la crise grecque. Il faut se souvenir que, dans les années 2000, nombreux sont
ceux qui se demandaient à quoi allait bien pouvoir servir cette institution
tant décriée par les pays en développement.
C’était
l’époque où de nombreux pays, dont l’Algérie, avaient remboursé – parfois de
manière anticipée – leur dette contractée auprès du « grand argentier »,
expression consacrée et politiquement correcte préférée à celle de
« prêteur sur gages » or, en réalité, c’est bien cela qu’est le FMI. Le
panorama était alors pour lui déprimant. Aucune crise financière majeure à
gérer, des pays jadis fauchés devenus moins demandeurs de capitaux grâce à la
forte hausse de la majorité des matières premières, notamment le pétrole, le métaux
et les denrées agricoles : le « banquier global » (autre
appellation) frisait le chômage technique.
Et
c’était d’autant plus vrai qu’il faisait aussi face à la concurrence de la
Chine en Afrique. Pour mémoire, Pékin a accordé de nombreux prêts à des pays du
Continent sans imposer les mêmes exigences en matière de réformes structurelles
que l’institution de Washington. Cette dernière a bien protesté, essayé de
convaincre les Etats-Unis et l’Europe de faire pression à la fois sur le
prêteur et les emprunteurs mais en vain. En Afrique comme en Asie, le FMI avait
perdu son monopole. Cela ne veut pas dire que la Chine, et d’autres pays
émergents prêteurs comme le Brésil, n’avaient pas d’arrière-pensées (comme la
sécurisation des gisements miniers) mais, au moins, n’exigeaient-ils aucune
réforme douloureuse de leurs partenaires.
Aujourd’hui,
la situation a changé. Comme le montre la crise grecque, le FMI s’est trouvé
une nouvelle jeunesse et renoué avec ses comportements d’antan :
inflexible, arrogant, donnant, sans honte, des leçons au peuple grec en matière
de fiscalité – alors que les cadres dirigeants du Fonds ne paient pas d’impôts…
- et acculant la Grèce dans les cordes au risque de la faire sortir de la zone
euro et de provoquer une réaction en chaine que personne n’est capable de
prévoir aujourd’hui. Au passage, on ne peut que déplorer le fait que les
Européens ont commis une erreur magistrale en permettant au FMI de participer
au premier sauvetage de la Grèce durant la période 2009-2010. C’était faire
entrer le loup dans la bergerie alors que les Européens, ou du moins les
membres de la zone euro, auraient dû régler cette affaire entre eux. A moins
que certaines capitales, dont Berlin, aient voulu qu’un père fouettard
extérieur fasse un exemple au sein de la « famille » de la monnaie
unique…
Les
partisans de l’attitude du FMI à l’égard d’Athènes mettent en avant la
nécessaire orthodoxie financière. La nécessité pour celui qui s’endette de
payer ce qu’il doit et la nécessité pour le Fonds de s’assurer qu’il aura les
moyens de le faire (quitte à sabrer dans les budgets de la santé et de
l’éducation…). D’autres thuriféraires de « l’institution de Bretton
Woods » (appellation fréquente) mettent en avant que le FMI ne peut pas
accorder un traitement privilégié à la Grèce sans provoquer la colère d’autres
pays qui ont eu affaire à lui. En clair, Christine Lagarde, sa directrice
générale, et ses équipes doivent cogner parce qu’elles ont cogné ici et là. Ce
ne serait donc pas pour complaire à l’Allemagne que « l’encaisseur
global » reste ferme face au gouvernement Tsipras mais pour ne pas
provoquer l’ire de l’Argentine ou de l’Indonésie. Qui peut croire à ce genre de
fadaise (démentie d’ailleurs par l’ambassadrice d’Argentine en France) ?
Soyons
clairs, ce qui fonde l’action du FMI, c’est l’idéologie. Et ce qui se joue
dépasse de loin la simple équation financière et budgétaire d’un pays qui a
longtemps vécu au-dessus de ses moyens et à qui les banques ont prêté sans
vraiment réfléchir à ce qu’elles faisaient. Dans ce qui se trame autour de la
Grèce, c’est la nécessité de punir un gouvernement de gauche jugé hermétique ou
hostile aux thèses néolibérales. C’est jouer le pourrissement pour que, de
guerre lasse, le peuple retire sa confiance à ceux qu’il a élu. C’est jouer
l’instabilité et, en passant, adresser un message explicite à d’autres peuples
européens qui pourraient avoir la mauvaise idée de voter de la même manière. Et
l’on sait comment tout cela peut se terminer. Par une grave crise politique
voire par une victoire future de l’extrême-droite.
Le
FMI joue aussi avec le feu en Tunisie. Voilà un pays qui chancelle, où le
manque d’amélioration économique renforce la désespérance des jeunes ce qui ne
peut qu’alimenter le terrorisme. On le sait, la Tunisie a besoin d’une aide
multiforme à commencer par plusieurs milliards de dollars – au moins une
dizaine – pour équilibrer les comptes, investir dans les infrastructures et
relancer la machine économique. Au lien de cela, le FMI chicane et pérore. Son
message est simple : point de réformes structurelles – autrement dit de
nouveaux sacrifices pour la population – point d’argent (si peu d’argent,
d’ailleurs…). Jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que ce pays soit submergé et
qu’un régime théocratique s’y installe ? Il est vrai que l’islamisme
politique s’accommode fort bien des dogmes néolibéraux…
Au
milieu des années 1990, le FMI a voué aux gémonies la Malaisie parce que son
gouvernement a décidé le contrôle des changes pendant la crise asiatique. Le
Fonds s’en est pris ensuite aux politiques économiques de l’Argentine. Deux
décennies plus tard, des études pondues discrètement par les économistes de l’institution
reconnaissent que cette dernière s’est lourdement trompée. Idem pour
l’austérité prônée en Europe de l’Ouest après le choc de 2008 et que le Fonds juge
désormais trop radicale. Prenons le pari : dans quelques années, l’un de
ses inutiles fonctionnaires viendra nous expliquer que le FMI a manqué de
perspicacité dans les dossiers grec et tunisien. Mais il sera peut être trop
tard pour la démocratie…
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