Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 26 avril 2019

La chronique du blédard : Le pouvoir, ses manipulations et ses échecs catastrophiques (pour l’Algérie)

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 avril 2019
Akram Belkaïd, Paris

Il y a plusieurs manières de définir le pouvoir algérien tel qu’il existe depuis le coup d’État de 1965 voire même avant. L’une d’elles le caractérise comme omniscient, toujours capable de retomber sur ses pattes et ayant en permanence plusieurs coups d’avance vis-à-vis de ses détracteurs et de son opposition. Quel que soit les événements, non seulement le pouvoir en serait à l’origine mais il aurait toujours un plan en tête qui finirait tôt ou tard par se réaliser. Avec cette vision des choses, on n’est pas loin du complotisme mais reconnaissons que cette perception existe depuis très longtemps. Elle est très répandue en Algérie mais aussi à l’étranger. L’ancienne opposition au régime du parti unique en fut totalement imprégnée, intoxiquée dira-t-on, de même que nombre d’intellectuels français qui, d’une certaine façon, trouvèrent-là un moyen commode de tout expliquer sans même faire le moindre travail de terrain.

Certes, et je ne fais là que répéter certains de mes anciens écrits, le pouvoir algérien est un spécialiste de la manipulation. Cela personne ne peut le nier. Je me souviens de ce journaliste britannique rencontré à Alger en janvier 1992 et qui avait été baladé par tant d’officiels qu’il avait fini par craquer en m’expliquant que pour lui, l’Algérie est un « ballet incessant de fantômes et de fausses vérités ». Personne n’échappe à ces manipulations, à ces fausses pistes que les journalistes sont encouragés à emprunter voire à vanter. Combien de fois depuis 2005 ai-je, par exemple, entendu des « sources », pourtant très haut placées, m’affirmer qu’Abdelaziz Bouteflika n’était plus de ce monde. Dix, quinze, vingt fois ? Peut-être même plus.

Le pouvoir manipule, c’est un fait. Soyons encore plus précis. Il passe son temps à manipuler. C’est son activité préférée. Jouer les uns contre les autres, faire puis défaire, faire semblant de faire pour défaire, ou bien faire semblant de détruire pour se renforcer. Mais, contrairement à l’idée répandue, cela ne marche pas toujours. Ou, plus exactement, cela ne marche presque jamais comme cela devrait marcher. Le plus souvent, les manipulations du pouvoir tournent mal ce qui l’oblige à trouver d’autres idées tordues lesquelles sont appelées à ne guère donner de résultat. On pourrait en rire, un peu comme on rirait du spectacle d’un comique de l’époque du muet se prenant le même battant de porte à chaque fois qu’il essaie d’entrer dans un saloon. Le problème, c’est que le tragique n’est jamais loin. La règle est terrible : les manipulations qui tournent mal, cela signifie de la violence et de la douleur pour les Algériens.

Les tensions politiques et les rumeurs qui ont marqué l’été 1988 devaient conduire la population à sortir de chez elle pour réclamer des réformes et donner une marge de manœuvre plus large au président Chadli Bendjedid. On sait comment l’affaire a (mal) tourné. La médiatisation à outrance de l’ex-Front islamique du salut (FIS) devait effrayer les électeurs algériens et les pousser dans les bras du Front de libération nationale (FLN). Là aussi, on sait quel prix fut payé par la population durant les années 1990.

Vingt ans après le retour à la paix civile, voici donc l’Algérie confrontée à une grave crise politique. Mais cette fois, les choses sont différentes. Aucune manipulation ne peut avoir été assez forte pour pousser des millions d’Algériens à sortir dans la rue de manière pacifique. On entend, on lit, ici et là, que le hirak a été pensé, voulu et préparé par ceux qui tirent les ficelles. Pourquoi ? Comment ? Pour quel objectif ? Ça on ne le sait pas encore mais soyons certains que les explications a posteriori ne manqueront pas, rendant ainsi service à ce pouvoir qui verra ainsi renforcée son image de machine implacable. « Ces évènements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ». Cette citation très célèbre, le plus souvent attribuée à Jean Cocteau ou, plus rarement, à Georges Clémenceau, correspond très bien au soulèvement pacifique des Algériens et au bénéfice que le pouvoir aimerait en tirer en s’en attribuant la paternité.

Mais au-delà des explications oiseuses habituelles du style « ‘‘ils’’ ont fait sortir les Algériens dans la rue pour éliminer Bouteflika avant de reprendre la main », le plus important à relever est que, passée la surprise devant le soudain surgissement du peuple, il est évident que le réflexe de la manipulation a vite repris le dessus. Et l’une d’entre elles est potentiellement dévastatrice.

Je ne sais pas si Issad Rebrab, le patron du groupe Cevital, est coupable ou non. L’arrêter maintenant, voire même le poursuivre, revient à faire deux erreurs. La première – et cela vaut pour les autres « oligarques » jetés en pâture à la vindicte populaire - revient à mettre la charrue avant les bœufs. Dans une Algérie parfaite, dans un scénario idéal, on démocratise d’abord, on purge la justice de ses brebis galeuses et, ensuite, et seulement à ce moment-là – parce que la justice aura regagné en impartialité et en indépendance par rapport au pouvoir politique – on pourra poursuivre Rebrab et ses pairs (lesquels, faut-il le rappeler, sont innocents jusqu’à preuve du contraire). Pour l’heure, on a surtout l’impression d’assister à un immense règlement de comptes n’ayant rien à voir avec les revendications populaires de changement.

La seconde erreur, encore plus grave, est évidente. Jouer avec la colère de la Kabylie, c’est s’amuser avec des feux de bengale devant une cuve de kérosène. Nombre de nos compatriotes sont persuadés que Rebrab n’a été arrêté que parce qu’il est kabyle. Que cela soit vrai ou non, l’effet est le même et cela ne pouvait être ignoré. Que veut le pouvoir ? Pousser les Kabyles à user de la violence et à briser, en cela, l’élan pacifique des manifestations ? Provoquer un embrasement en Kabylie afin d’obliger les Algériens à rester chez eux le vendredi au nom de l’intérêt suprême de la nation ? Les concepteurs de cette manipulation n’ont même pas idée de ce qu’ils risquent de provoquer comme réaction en retour. Ou peut-être qu’ils le savent et que cela ne leur pose aucun problème. Et c’est bien là le drame.
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jeudi 18 avril 2019

La chronique du blédard : Cette bien commode « main de l’étranger » …

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 avril 2019
Akram Belkaïd, Paris

Qu’est-ce que « la main de l’étranger » ? Avant de répondre à cette question si fondamentale aux yeux de nombre de nos dirigeants et de nos compatriotes, commençons par dire qu’il ne faut certainement pas être naïf. Tous les pays du monde se dotent d’institutions et de moyens pour, justement, contrer les ambitions d’autres pays rivaux ou bien encore ennemis. C’est, si on ose le dire ainsi, de bonne guerre. L’Algérie n’échappe pas à la règle. Qu’elle se doive de protéger ses intérêts, ses richesses et, avant tout, sa population est chose normale. Mais puisqu’on ne cesse de parler de complots, de menaces, la vraie question est de savoir de qui et contre quoi elle doit se protéger.

La main de l’étranger, ce ne sont pas des étudiants qui se mobilisent dans les rues d’Alger pour demander un changement profond dans les structures qui dirigent et gouvernent l’Algérie. La main de l’étranger, ce ne sont pas ces millions d’Algériens qui sortent de chez eux tous les vendredis pour exprimer leur ras-le-bol et leur volonté d’en finir avec un système qui a conduit le pays à l’échec. Dire que l’on veut le changement, prendre le risque de se faire bastonner, écrire clairement qu’il est temps que la donne soit modifiée, c’est aimer son pays. C’est lui vouloir le meilleur possible. A contrario, assimiler les manifestants à des auxiliaires de la main de l’étranger, c’est soit être totalement intoxiqué par une vision paranoïaque du monde soit, et c’est plus grave, être le vrai relais de la main de l’étranger.

Défendre le statu quo en Algérie, ce n’est pas servir l’intérêt des Algériens mais bien défendre, consciemment ou non, ceux d’autrui. Expliquons-nous avec quelques exemples pris au hasard. Le statu quo, cela signifie que les projets d’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels comme le gaz de schiste vont se poursuivre. Le statu quo, cela signifie que les Algériens qui s’opposent à cette folie aux conséquences écologiques – et économiques – incalculables n’ont pas le droit d’être entendus. Cela veut dire aussi que les protestataires contre l’exploitation du gaz de schiste – lesquels ont précédé de plusieurs années le mouvement du 22 février - se battent pour rien. Dans un pays démocratique, avec des institutions sérieuses, une telle exploitation devrait être débattue dans un parlement représentatif voire être soumise à un référendum. Le statu quo, ou une transition biaisée, empêchent et empêcheront cela.

Dans cette affaire, la main de l’étranger, ce sont les compagnies pétrolières occidentales qui pourront venir réaliser en Algérie ce qu’elles n’ont pas le droit d’accomplir dans leurs pays ou bien encore ce qu’elles ne peuvent faire que dans des conditions strictes de surveillance et d’encadrement par les autorités. Si on réfléchit bien à la question de l’exploitation du gaz de schiste – qui risque de ruiner les nappes aquifères du grand sud – on comprend mieux le lien entre statu quo et main de l’étranger qui, dans ce cas, est représentée aussi par les lobbies au service des pays consommateurs. Pour ces derniers, plus il y aura d’hydrocarbures pompés dans le monde, plus le prix de l’énergie sera bas. Bref, leur logique est simple : que l’Algérie pompe et pompe encore, qu’elle saccage son environnement, qu’elle épuise ses réserves, pourvu que les marchés soient satisfaits.

La main de l’étranger, c’est aussi celle qui tire avantage du fait que l’Algérie se soit désindustrialisée au fil des ans pour se transformer en un immense comptoir d’importations. Le statu quo, c’est des dizaines de milliards de dollars qui continuent d’être dépensés pour acheter de tout et de n’importe quoi à l’extérieur, avec les pratiques délictueuses que l’on connaît, notamment les procédés de surfacturation qui équivalent à des fuites illégales – et massives - de capitaux. Le changement, le vrai, impliquerait une plus approche plus rationnelle en matière de commerce extérieur, des lois destinées à protéger les consommateurs algériens du « made n’importe où » frelaté, périmé ou tout simplement inapte à la consommation. Le changement dans un sens de plus grande cohérence économique, cela signifierait donc des marchés perdus, des manques à gagner pour nombre de fournisseurs d’Europe, d’Asie ou même d’Amérique du nord. La main de l’étranger ne veut pas le chaos en Algérie, elle veut juste que les choses ne changent pas, que le système demeure en l’état. Elle veut juste pouvoir continuer à faire ses affaires au détriment du potentiel de production locale, au détriment de l’emploi local, des compétences locales. Elle veut ainsi continuer à écouler tranquillement ses produits, comme les automobiles, plutôt qu’elles soient fabriquées sur place.

On dira qu’il n’y a pas que l’économie et que la politique, notamment internationale, compte beaucoup. C’est un fait. Il est encore quelques dossiers où la position algérienne irrite plus ou moins. Le soutien aux Palestiniens et aux Sahraouis, le refus d’intervenir militairement en Libye et au Sahel, tout cela fait grincer des dents. Mais l’époque de la grande Algérie révolutionnaire, non-alignée, clairement anti-impérialiste est révolue. Nous prêtons de l’argent au Fonds monétaire international (FMI), nous participons à des manœuvres conjointes avec l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) et nous ne cherchons guère à peser sur le dossier palestinien que les Etats-Unis de Donald Trump cherchent à boucler au détriment d’un peuple qui, jadis, proclama symboliquement la naissance de son État à Alger. Pour faire l’objet d’un complot, il faut ne pas filer droit ou être dans la résistance (réelle) à l’ordre mondial. Ce n’est pas le cas aujourd’hui de l’Algérie, cela le sera peut-être demain si, démocratie oblige, les aspirations et les convictions du peuple algérien se traduisent concrètement en matière de politique étrangère et économique.

jeudi 11 avril 2019

La chronique du blédard : Et maintenant, trois voies possibles

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 11 avril 2019
Akram Belkaïd, Paris

N’en déplaise aux misanthropes, l’être humain est fondamentalement bon. Il peut être aussi naïf. C’est ce qui le pousse à croire aux miracles. A croire que les gens mauvais peuvent changer et s’amender. C’est ce qui le pousse aussi à pardonner très vite, sa mansuétude s’accompagnant souvent d’une générosité presque euphorique qui consiste à réintégrer dans la famille des « gentils », celles et ceux qui ont fait du mal à autrui et qui ont longtemps sévi par des actes contraires au respect de la personne humaine.

Les récents événements, avec l’application de l’article 102 de la Constitution démontrent, une fois encore, qu’il n’y a rien à attendre du pouvoir algérien. Quoi que dise la rue, quoi que clame le peuple, d’autres logiques sont en œuvre qui ne tiennent pas compte de la volonté populaire, de ses attentes et de ses exigences. La démission, plus ou moins forcée, d’Abdelaziz Bouteflika ouvrait d’importantes perspectives en matière de changement profond. On l’a écrit ici comme tant d’autres commentateurs de l’actualité. Une vraie transition pouvait être lancée, avec un processus de concertation et de retour aux fondamentaux liés à l’indépendance : le droit et la liberté.

Cela n’a pas été le cas. Ce qui se déroule actuellement, c’est la volonté de garder le système inchangé. Les promesses d’ouverture politique, d’écoute vis-à-vis de l’opposition ou de mise en place d’une « commission » pour veiller à la bonne tenue des élections présidentielles relèvent du discours incantatoire et réchauffé. Que de fois ne l’a-t-on entendu au cours des trente dernières années ? Le scénario qui se dessine sera sans surprise. Dans quelques jours, dans quelques semaines, les habituels invertébrés qui relayent la communication officielle vont commencer à se répandre en propos laudateurs à propos d’un homme qui incarnerait le changement. Cela voudra dire que l’état profond algérien aura choisi le successeur d’Abdelaziz Bouteflika.  Et, urnes bourrées oblige, c’est lui qui sera élu.

La séquence qui s’engagera aura alors des airs de déjà-vu. Un homme élu, de manière plus ou moins massive, et qui devra composer avec les faiseurs de rois. Il négociera ses marges de manœuvres et, s’il sait y faire, il pourra même gagner en autonomie et en pouvoir. Chadli Bendjedid en son temps a pu le réaliser. Abdelaziz Bouteflika a, quant à lui, excellé à ce jeu. Pourquoi donc les choses changeraient-elles ? Tout cela pour dire que le pays n’a rien à attendre du processus qui s’engage.

Face à cela, trois voies sont possibles. La première est celle d’une radicalisation de la protestation. C’est la pire des solutions. On sait à quel point le pouvoir s’est toujours nourri d’une contestation violente à son égard. Les années 1990 l’ont bien montré et il n’est pas utile d’insister là-dessus. Disons simplement que la manière dont ont été traités les étudiants mardi 9 avril [et les manifestants mercredi 10 et jeudi 11 avril] est assez révélatrice de certaines intentions. On voudrait pousser des jeunes à se radicaliser et à abandonner le slogan « silmiya » (pacifique) que l’on ne s’y prendrait pas autrement. On l’a dit pour les gilets jaunes français, on le redit ici : ce sont les forces de l’ordre, et pas les manifestants, qui fixent les limites entre une protestation pacifique et les violences. 

La seconde voie est celle d’une résignation en attendant mieux. Certains compatriotes se disent, qu’après tout, ils ont évité une humiliation suprême à l’Algérie, celle d’un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Il faudrait ainsi, selon eux, poursuivre dans la voie des petits gains, des victoires successives qui seraient arrachées au fil du temps. A les entendre, il faudrait caresser l’espoir que le prochain locataire du Palais d’El Mouradia soit plus ouvert, plus enclin à favoriser l’essor démocratique, que ses prédécesseurs. On retombe ici dans le piège de la naïveté. C’est oublier que chaque remise à zéro du compteur politique a été suivie d’une régression par rapport aux gains et aux acquis. Qu’a fait Abdelaziz Bouteflika si ce n’est enterrer les acquis d’octobre 1988 ? Pour dire les choses plus simplement : une dictature ne se réforme pas d’elle-même. Et le temps n’aide pas à améliorer les choses, au contraire, il les fait empirer.

Reste donc la troisième voie, celle du maintien de la contestation pacifique. La détermination des Algériennes et des Algériens qui, demain, en seront à leur huitième vendredi de protestation nationale, force le respect et l’admiration. Il est évident que le pouvoir table sur l’essoufflement du mouvement. Il fera tout pour le hâter et compte bien sur le ramadan pour l’aider. Il faut ainsi s’attendre à ce qu’il restreigne au maximum la capacité des gens à manifester. Des barrages seront établis autour d’Alger pour empêcher l’afflux de manifestants et parions que les forces de l’ordre seront alors moins enclines à fraterniser avec  les protestataires.

Il n’empêche. Quelque chose est née le 22 février dernier. Le peuple est dans la rue parce qu’il veut une vraie transition, un vrai changement. Il veut que ce président par intérim et le gouvernement dégagent parce qu’ils ne représentent rien, parce qu’ils sont le problème et non la solution, parce qu’ils sont les représentants d’un système honni qui a failli. A l’inverse, les manifestantes et les manifestants qui réclameront demain une vraie transition sont l’honneur de l’Algérie. Et malheur à celui qui attentera à leur intégrité physique et morale.
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_ La chronique du blédard : Le droit et la liberté pour toutes et tous (sauf pour les ministres de Bouteflika)

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 4 avril 2019
Akram Belkaïd, Paris

Commençons par ce constat : depuis l’indépendance de l’Algérie, aucun de ses présidents en exercice n’a quitté le pouvoir de manière « normale », ou, plus exactement, en terminant normalement son mandat. Ahmed Ben Bella ? Déposé par un coup d’État ou « redressement révolutionnaire » (1965). Houari Boumediene ? Mort d’une bien mystérieuse maladie et au terme d’une agonie de plusieurs mois où les Algériens, accrochés à radio-trottoir, ne savaient rien de ce qui se passait (1978). Chadli Bendjedid ? Démissionné par les « janviéristes » décidés à empêcher les islamistes de diriger l’Algérie (1992). Mohammed Boudiaf ? Assassiné par un membre de son service de protection (1992). Liamine Zeroual ? Forcé à la démission (1998-1999). Bon, les esprits pointilleux diront qu’Ali Kafi, successeur de Mohammed Boudiaf est allé jusqu’au bout de son mandat (1995) mais, comme son prédécesseur, il ne s’agissait pas d’un président « élu » mais celui d’une instance provisoire (Haut comité d’État ou HCE). Concluons la liste : Abdelaziz Bouteflika ? Habillé d’une gandoura et démissionné mardi soir (2 avril) par son entourage ou par l’armée, personne ne sait vraiment.

L’Algérie sera une vraie démocratie, le jour où une alternance normale et pacifique aura lieu. Le jour où le président, ou la présidente, sortant (ou sortante) acceptera sa défaite électorale et félicitera celle ou celui qui lui succèdera en lui souhaitant bonne chance et en lui remettant les clés du palais d’El-Mouradia devant les objectifs des caméras et des appareils photos. Il ne s’agit pas de souhaiter cela pour le seul plaisir que procurerait un tel spectacle. En fait, cela doit amener à réfléchir sur les conditions qui doivent mener à la banalisation de ce type de passation. En d’autres termes, comment faire en sorte que la vie politique algérienne ne se résume pas à des crises aigues qui se répéteraient tous les vingt ans ?

 Les événements actuels offrent à l’Algérie une précieuse occasion de repartir sur des bases plus saines. C’est le moment ou jamais de refonder le pays en faisant un pari sur deux principes majeurs : le droit et la liberté. Avancé ainsi, cela peut paraître trop général, trop vague. Mais si, d’aventure, chaque action, chaque décision ou orientation politique est fondée sur ces deux piliers, alors, on peut rêver d’une Algérie à la hauteur de son potentiel. La ligne de conduite est claire : garantir le droit aux droits aux Algériennes et aux Algériens et leur garantir la liberté dans le respect de l’intérêt général. Mais, en cette période où beaucoup demandent des comptes, une question fondamentale se pose. Le droit et la liberté pour tout le monde ? En théorie oui, du moins en ce qui concerne celles et ceux qui n’ont aucun crime ni aucune malversation à se reprocher. Autrement dit, pas question d’amnistie pour celles et ceux qui ont mené le pays là où il est aujourd’hui. L’Algérie nouvelle passe par une justice transitionnelle. On dira qu’on en est encore loin mais il faut garder cela en tête.

Il est encore trop tôt pour avoir une idée précise de ce qui va suivre, mais une chose est certaine, les Algériens ne veulent pas en rester là. Ils veulent que le temps de la hogra se termine vraiment. Il n’est donc pas question d’accepter une transition dial el festi, une transition en trompe-l’œil qui n’aurait pour but que de nous proposer un nouveau commissionné qui prendra peu à peu ses aises, qui finira tôt ou tard par confisquer le pouvoir au profit de son entourage et pour lequel il faudra une nouvelle crise pour qu’il abandonne le fauteuil de président.

La transition est une affaire sérieuse et chacun est en droit de formuler ses souhaits ou, pour être plus radical, ses exigences. Liberté et droit pour tout le monde donc et dans tous les domaines, exception faite de la représentation politique. Pour ce qui me concerne, j’estime qu’il serait indécent ou obscène que les chefs de gouvernement et les ministres ayant servi durant les quatre mandats d’Abdelaziz Bouteflika puissent incarner le changement. D’ailleurs, certains d’entre eux ne cessent de faire des offres de service (aux services…). Ils parlent démocratie, mais dans leur tête, le système continue et continuera. Ils parlent du peuple, mais qu’ont-ils fait pour ce peuple quand ils usaient et abusaient du « fakhamatouhou ». On me dira qu’il y a un paradoxe à réclamer le droit et la liberté tout en refusant à d’anciens responsables la possibilité de participer à la transition politique. Ce n’est pas grave. Le mot d’ordre doit être clair : Ni Benfliss, ni Benbitour, et encore moins d’autres dinosaures de l’époque FLN. Avoir été congédié par le clan Bouteflika après l’avoir fidèlement servi n’offre aucune légitimité. Place à la jeunesse !

Au fameux slogan Yethahaw ga3 – qu’ils dégagent tous – il est peut-être temps de rajouter Ma tkhaliwhoumch yeqa3dou wala yaradj3ou – ne les laissez pas rester ou revenir. Je n’ai pas envie de voir l’Algérie dirigée par des gens qui ont été les complices, actifs, de deux décennies perdues. Je n’ai pas envie d’entendre les discours du type « on l’a fait pour l’Algérie », « on n’avait pas le choix », « on a résisté de l’intérieur ». Oui, je sais, c’est risqué, l’inexpérience, le manque de repères sont de vrais risques, mais l’enthousiasme et la sensation euphorisante de relever le pays permettront de réaliser des miracles.
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