Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 20 avril 2021

La chronique économique : Argent gratuit et coquilles vide à gogos

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 14 avril 2021

Akram Belkaïd, Paris

Que faire de tant d’argent (gratuit) ? C’est la question que se pose Wall Street depuis des mois, conséquence de la politique de taux bas des Banques centrales, Réserve fédérale (Fed) en tête, et de leurs interventions continues (et massives) sur le marché pour racheter de la dette d’État et des actifs plus ou moins douteux. Le résultat est connu, il n’a jamais été aussi facile, pour les banques et les investisseurs, de lever de l’argent à moindre prix (on a même vu des situations où c’est le prêteur qui paye une prime à l’emprunteur). Pour résumer, il existe actuellement une immense bulle, multiforme, qui enveloppe les marchés et l’une de ses manifestations concrètes est le succès actuel des SPAC.

Objectif, l’acquisition d’une entreprise

SPAC ? Derrière cet acronyme cher à l’inspecteur Tahar et à son apprenti, se cache une coquille vide destinée à attirer l’argent d’investisseurs plus ou moins avisés. Créées à la fin des années 1980, les Special Purpose Acquisition Companies, ou SPAC, sont des sociétés sans activité précise si ce n’est la recherche d’une entreprise à acquérir. Introduites en Bourse, les SPAC ont ainsi pour but de lever des fonds afin d’acheter des entreprises non-cotées dans un délai moyen de deux ans. Le plus souvent, il s’agit pour elles de repérer de jeunes pousses qui en seraient encore au stade du développement sans avoir été ciblées par le capital-risque ou par tout autre type d’investisseur. Les SPAC peuvent aussi se rabattre sur des entreprises qui n’affichent pas les résultats et performances nécessaires pour pouvoir mener une entrée en Bourse avec succès.

Le mécanisme est simple. La SPAC rachète l’entreprise, par exemple une compagnie dans la biotech, fusionne avec elle et, dès lors, cette même compagnie se retrouve de facto introduite en Bourse sans avoir eu à passer par les étapes habituelles. C’est un tour de passe-passe parfaitement légal qui permet donc de gagner du temps (pour la jeune pousse qui aimerait entrer en Bourse) et de gagner beaucoup d’argent si, d’aventure, la jeune pousse tient ses promesses.

Un pari

Selon le Wall Street Journal et l’agence Bloomberg, 700 SPAC ont rejoint le marché depuis un an et ont déjà levé près de 90 milliards de dollars pour un objectif cumulé de 227 milliards de dollars. En clair, ces sociétés connaissent un vrai succès ce qui laisse tout de même songeur. Car, en réalité, ces sociétés ne sont rien d’autre que des chèques en blanc. Coquilles vides, elles promettent d’acquérir des sociétés qui en sont elles-mêmes au stade du développement ou à un niveau qui ne leur permet pas d’entrer en Bourse. D’habitude, ce genre de pari n’intéresse que les plus aptes à braver le risque. Mais aujourd’hui, les SPAC sont à la mode. Bref, on est dans une configuration de spéculation majeure où beaucoup risquent de laisser des plumes. Mais, l’argent étant gratuit, il n’y a rien d’étonnant à ce que certains le gaspillent…

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mardi 13 avril 2021

La chronique économique : Air France renationalisée

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 7 avril 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

L’Histoire prend parfois des détours dont l’ironie n’échappe à personne. Hier, Bruno Le Maire, ministre français de l’économie, a annoncé une aide publique pour Air France d’un montant de 4 milliards d’euros. Il s’agit en fait de la transformation d’un prêt de 3 milliards d’euros en une prise de participation dans le capital de la compagnie aérienne. Outre ce prêt, Paris va aussi débourser 1 milliards d’euros ce qui portera son soutien capitalistique à 4 milliards d’euros. Au final, l’Etat français contrôlera 30% du capital d’Air France et en sera donc le premier actionnaire.

 

Retour en force dans le capital

 

Rappelons que, par le passé, Air France, fondée en 1933, était une compagnie publique et que sa première privatisation partielle est intervenue en 1999 au terme d’une décennie marquée à plusieurs reprises par le spectre de la faillite. Depuis, la compagnie s’est peu à peu éloignée du giron de l’État, nouant des alliances capitalistiques, notamment avec la compagnie néerlandaise KLM, et s’émancipant en termes de décisions stratégiques et de politique commerciale. La crise du Covid-19 et ses conséquences négatives sur le tourisme et le transport aérien auront donc obligé l’État à réinjecter l’argent du contribuable dans le capital de la compagnie privée. 

 

On peut argumenter que les circonstances sont exceptionnelles, il n’empêche : heureusement que l’Etat, et l’argent public, sont là pour voler au secours d’une entreprise privée et de ses emplois. On aimerait que cette mutualisation des pertes ait pour réciproque une mutualisation des bénéfices – au-delà de ce qu’Air France devra à l’Etat actionnaire comme dividende – mais il ne faut pas trop rêver. Quoi qu’il en soit, c’est bien à une renationalisation partielle d’Air France que l’Etat vient de procéder. On peut parler de recapitalisation, d’aide ou de soutien, il n’en demeure pas moins que l’Etat remonte dans le capital de la compagnie aérienne. Question : quelle sera la position de ce même État si, d’aventure, la compagnie décide de supprimer des emplois pour améliorer sa compétitivité ?

 

Comme toujours, le gouvernement français a dû négocier ferme pour obtenir l’accord de la Commission européenne. Gardienne du dogme, cette dernière est toujours vigilante pour faire la chasse aux aides d’État, ou du moins, pour les limiter et les encadrer. Qu’importe qu’aux Etats-Unis, le gouvernement fédéral aide massivement les entreprises américaines, l’Europe, elle demeure « vertueuse » et continue de croire que rien ne doit fausser le libre fonctionnement du marché... Bref, pour recevoir son aide, Air France devra faire des concessions lesquelles consistent en l’abandon de 18 créneaux horaires à Orly. Une cession qui, là aussi, relève de la volonté de Bruxelles de favoriser la concurrence. 

 

Pas de « Low cost »

 

Dans un secteur aérien saturé, ces créneaux coûtent cher et il est vraisemblable que les candidats pour les récupérer seront nombreux. Orly demeure un aéroport très recherché par les compagnies desservant l’Europe du Sud et l’Afrique du Nord. « Nous avons souhaité que les compagnies qui puissent récupérer ses créneaux respectent les règles sociales et fiscales de l'Etat français, nous l'avons négocié avec la Commission européenne (…) Une compagnie aérienne qui n'a pas les mêmes règles sociales, pas les mêmes règles fiscales que celles qui sont appliquées, ne pourra pas récupérer ces créneaux aériens » a néanmoins averti Bruno Le Maire. 

 

En clair, ni la compagnie Ryanair ni n’importe quelle autre « low cost » ne pourra prétendre récupérer ces précieux « slots », du moins en théorie. Pour les compagnies du sud, notamment maghrébines, c’est une occasion en or pour augmenter leurs dessertes en France. Mais, à l’image d’Air Algérie, en auront-elles les moyens ?

 

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dimanche 11 avril 2021

La chronique du blédard : Qui est (un vrai) DZ ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 avril 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

Voilà une (rare) bonne nouvelle. Le projet de loi prévoyant de déchoir des Algériens de la diaspora de leur nationalité pour, entre-autres, des actes « préjudiciables aux intérêts de l’État » a été retiré. Le spectre d’une instrumentalisation politique d’un tel texte contre celles et ceux qui s’opposent au pouvoir et qui le font savoir, notamment via les réseaux sociaux, s’éloigne et c’est tant mieux. La nationalité est une affaire trop sérieuse pour donner naissance à de tels risques de manipulation. On attend maintenant l’abrogation de la disposition, toujours en vigueur, qui interdit à des ressortissants binationaux d’occuper certains hauts postes dans l’administration.

 

Tout cela s’inscrit dans un contexte particulièrement négatif. Avec l’emballement provoqué par le Hirak et les divergences politiques que ce mouvement peut engendrer, on a vu s’amplifier les habituels procès en authenticité à l’encontre des Algériennes et Algériens résidants à l’étranger. Hors des frontières, ils seraient moins Algériens que d’autres, moins légitimes à s’exprimer à propos de la situation du pays, moins aptes à faire des propositions et interdits de formuler la moindre critique. Pour peu que les idées divergent, l’anathème est immédiat et l’excommunication fréquente. Vivre à l’étranger serait une condition suffisante pour ne pas avoir voix au chapitre. C’est l’argument favori des moucherons qui traquent les voix discordantes sur les réseaux sociaux. C’est aussi, plus finement avancé, celui des idiots utiles de l’islamophobie et du mépris anti-algérien qui sévissent dans les médias français et qui confortent sciemment l’intelligentsia hexagonale dans ses préventions et clichés à l’égard des peuples du Sud.

 

Il y a quelques années une polémique m’avait opposé au consul général d’Algérie à Paris. Pour avoir décrit, sans vraiment forcer le trait, les conditions d’accueil des citoyens dans un immeuble consulaire du dix-neuvième arrondissement, j’avais reçu une longue mise au point indignée et, bien entendu, excommunicatrice et pleine de sous-entendus. Aujourd’hui, je le reconnais, les choses ont beaucoup changé, et en mieux. L’informatisation, une meilleure gestion des rendez-vous, la sensibilisation manifeste du personnel consulaire, ont modifié la donne. Certes, il y a encore des progrès à faire mais le sentiment d’être systématiquement maltraité par les représentants administratifs de son pays a largement disparu. Hélas, la pandémie du Covid-19 a grippé la machine.

 

Ces derniers jours, un communiqué de l’Ambassade d’Algérie en France informait les « membres de la communauté nationale en France, que les vols de rapatriement assurés par la compagnie nationale Air Algérie demeurent toujours suspendus ». Autre information, celle selon laquelle « il a été également décidé de surseoir, jusqu’à nouvel ordre, à la délivrance d’autorisations d’accès au territoire national via les compagnies aériennes étrangères. » Autrement dit, pas d’Algérie pour les Algériennes et les Algériens vivant à l’étranger.

 

Cette chronique a déjà abordé le sujet mais j’avoue ne pas comprendre ce blocus inversé. Certes, la situation sanitaire est toujours préoccupante et de nombreux pays mettent en place des mesures d’endiguement de la maladie. Mais, boucler tout un peuple ! Être en cohérence avec les discours répétés sur le nationalisme, le patriotisme, l’exceptionnalisme algérien (si, si), obligerait à ne pas fermer la porte à celles et ceux qui n’ont pas vu le pays et les leurs depuis plus d’un an. Des quarantaines, des tests à l’arrivée, tout cela est pratiqué par d’autres. Pourquoi pas l’Algérie ?

 

Il est difficile de ne pas y voir une certaine forme de mépris officiel à l’égard de citoyens de seconde catégorie. Un mépris partagé d’ailleurs par nombre de compatriotes qui sont persuadés du bien-fondé de la mesure et pour qui les « zmigris » sont responsables de biens des maux, y compris le début de la pandémie à Blida. En gros, qu’ « ils » restent chez eux et tout ira bien.

 

On parle beaucoup des nationalités qui transcendent les frontières grâce à Internet. Grâce ou à cause de ses réseaux sociaux, il n’est plus possible d’être un Algérien à l’étranger comme c’était encore le cas il y a une vingtaine d’années. On peut vivre à Chicoutimi, Québec, tout en ayant un pied – virtuel – à Ténès. Mais les événements rappellent parfois que les séparations physiques existent toujours et que celles et ceux qui vivent à l’intérieur du pays auront toujours une prééminence sur les autres. Quels que soient les efforts et l’agitation que ces derniers déploient pour clamer leur attachement à l’Algérie.

 

La diffusion annoncée d’une émission de téléréalité réunissant des Algériennes à Dubaï a d’ailleurs été l’occasion d’une nouvelle flambée de procès en non-algérianité. La raison en est qu’il semble que les participantes enfermées entre quatre murs dans la cité bling-bling appartiennent, pour la plupart, à la communauté algérienne de France. « Vous n’êtes pas des DZ, pas des vraies Algériennes. Vous faites honte au pays » clamaient les messages vengeurs avant même la diffusion des premières images. Finalement, pour se voir attribuer le label « vrai DZ », il faut être discret, accommodant ou alors exemplaire, selon la perception générale, à l’image des nombreux binationaux qui jouent pour l’équipe nationale de football et qui, compétitions obligent, ont le droit d’aller et de venir entre les deux pays. 

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"Salvator Mundi", 450 millions de dollars pour un faux ?

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Dans sa dernière livraison l’hebdomadaire L’Obs, consacre un passionnant article à la controverse entourant le tableau « Salvator Mundi » acheté 450 millions de dollars par le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman dit « MBS ». La problématique est simple : un temps attribué à Léonard de Vinci, ce tableau représente le Christ, « sauveur du monde, avec sa main droite qui bénit et sa main gauche qui tient un orbe » écrit David Caviglioli qui rappelle qu’il s’agit d’une « représentation du Christ commune à la Renaissance. » Las, une grande majorité d’experts de l’art conteste que ce tableau ait été peint par le Grand maître. Selon l’avis le plus répandu, « le plus grand des hommes » n’aurait que partiellement contribué à cette peinture vraisemblablement exécutée par les membres de son atelier dont Giovanni Antonio Boltraffio. 

Bref, l’hypothèse que MBS ait dépensé 450 millions de dollars pour une toile qui vaudrait vingt à trente fois moins que ce montant est très probable. Comme l’indique l’article, France 5 diffusera le 13 avril un documentaire du réalisateur Antoine Vitkine qui a enquêté deux ans sur cette affaire qui mêle histoire de l’art, géopolitique, tractations diplomatiques (entre la France et l’Arabie saoudite) et escroqueries.

En attendant, deux pépites relevées dans l’article de Caviglioli méritent d’être signalées :

- A propos de l’achat, anonyme, du tableau par MBS, une cadre de Christie’s commente ainsi les surenchères du prince à coup de vingtaines de millions de dollars : « C’est ça qui m’a choquée. Que des gens puissent prendre plaisir à balancer de l’argent comme ça, sans être même vus. » Si MBS ne s’était pas caché derrière plusieurs intermédiaires, les choses n’auraient donc pas été choquantes…

- Début 2017, le tableau ne trouve toujours pas d’acquéreur. Ses propriétaires de l’époque en demandent entre 125 et 190 millions de dollars. Après plusieurs déconvenues, ces mêmes propriétaires, écrit Caviglioli, se tournent « vers des fortunes plus récentes, plus ignorantes des disputes entre historiens d’art. Les Chinois, les Arabes. Les Texans. » No comment...


Pour lire l'article complet : https://www.nouvelobs.com/culture/20210407.OBS42386/exclusif-le-tableau-le-plus-cher-de-l-histoire-etait-un-faux-leonard-de-vinci.html

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jeudi 1 avril 2021

La chronique du blédard : L’Histoire n’aime pas les questions sans réponses

Jeudi 1er avril 2021

Akram Belkaïd, Paris


Comment atteindre un objectif ?

La réponse est simple, il faut d’abord le définir. Dans le cas présent, la définition est simple : il s’agit d’effacer l’unanimité solidaire qui existait dans les rangs du Hirak il y a un an et qui perdurait encore il y a quelques mois. Quelle que soit l’orientation et les convictions politiques, la volonté majoritaire refusait un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Face à cette insulte faite au peuple, il fallait dépasser les clivages, taire les rancœurs et serrer les rangs face à un système qui était loin d’accepter d’abandonner la partie. On connaît la suite.

Aujourd’hui, la donne a changé. Un processus de normalisation imposée par le haut est en cours. Des élections législatives vont avoir lieu en juin prochain et certains sont dans les starting-blocks, persuadés que l’affaire en vaut la peine (pas sur le plan politique mais matériel, mais a-t-on besoin de le préciser ?). Le Hirak, lui, existe toujours. Il a repris possession de la rue chaque mardi et, surtout, chaque vendredi. Bouteflika étant parti, le Hirak répète ce qu’il revendique envers et contre tout depuis le printemps 2019 : un changement profond, politique et institutionnel ainsi qu’un État de droit. Des revendications qui ne cadrent pas avec la normalisation. Alors, il faut que le Hirak s’essouffle.

Comment faire pour qu’il s’essouffle ? Les pratiques habituelles de conditionnement des masses apportent des solutions qui ont fait leur preuve. Dans un premier temps, il faut créer un contexte. Si on ne peut le créer, il faut attendre qu’il se forme et, ensuite, l’exacerber. La virulence dans le ton et le comportement inacceptable de certains membres de la mouvance islamiste non-légale ou tolérée – on ne parle pas ici des islamistes de cabinets ministériels – a fourni l’élément déclencheur. Que l’on soit en Algérie ou ailleurs dans le monde arabo-musulman, on ne peut s’empêcher de relever que ces comportements outranciers, largement relayés par les réseaux sociaux, tombent toujours à pic quand il s’agit de créer le fameux contexte. Mais passons.

Créer un contexte, signifie appuyer là où ça fait mal. Cela veut dire entretenir les différends, les aiguiser. Verser du sel sur des plaies mal refermées. Il s’agit ensuite de laisser les événements décider. Pour avoir consacré un article à ladite mouvance islamiste et à sa place dans le Hirak mais aussi en diffusant les extraits de prise de parole de certaines personnalités de l’ex-Front islamique du salut (FIS) vivant à l’étranger, le journaliste El-Kadi Ihsène s’est pris un torrent de boue et d’attaques personnelles. On répètera toujours et encore que la critique à l’encontre d’un journaliste est normale et souhaitable. Mais les attaques contre la famille, les accusations de « traîtrise », d’inféodation à « l’ennemi sioniste » et autres joyeusetés charriées par les réseaux sociaux sont inacceptables. C’est ce qui s’est produit. Et c’est cela « le » contexte.

Quand un tel emballement se produit, toutes les attitudes sont discernables. Il y a l’expression de gens blessés, profondément traumatisés, qui ne peuvent pas accepter ce qu’ils ressentent comme une tentative de réhabilitation de l’ex-Front islamique du salut (FIS). Des gens qui ne peuvent pas oublier et qui, surtout, n’ont pas accepté qu’on les oblige à pardonner sans que justice soit faite. Mais il y a aussi les inévitables fauteurs de trouble, travaillant en commandite, bien décidés à miner le Hirak de l’intérieur, trop heureux d’entonner leur « on vous l’avait dit, ça ne peut pas tenir ». Il y a encore les opportunistes qui n’en ont jamais assez de se donner en spectacle, qui rejouent à l’envi leur moment warholien, mélangeant appropriation mémorielle, posture moralisatrice et hystérie, juste pour exister, pour y aller de son commentaire assassin à l’encontre d’un journaliste accusé de pactiser avec les assassins d’hier. Bref, des inutiles bien utiles.

Est-ce la réalité ou est-ce une dérive propre aux réseaux sociaux et au clicktivisme ? La réponse relève d’un mélange des deux. Quoi qu’il en soit, nous n’en sommes pas revenus, du moins pas encore, à la situation de janvier 1992 où il fallait choisir son camp. Nous n’en sommes pas retournés aux débats âpres et aux tiraillements provoqués par les deux rencontres de l’opposition algérienne organisées à Rome par la communauté de Sant’Egidio en 1994 et en 1995. Mais il serait dangereux d’affirmer qu’on n’en est pas loin et que cela n’arrivera pas.

L’Histoire n’aime pas les questions non-résolues. Elles finissent toujours par revenir sur le devant de la scène de manière dramatique et il n’y a pas mille et une réponses. Dans le cas algérien, le problème est simple : les islamistes – et là encore, on ne parle pas des courants « domestiqués » par le pouvoir - ont-ils leur place dans une transition politique (pour peu qu’elle s’enclenche) ? Faut-il leur faire une place à la table des confrontations partisanes pacifiques, autrement dit les élections, ou faut-il les interdire (sachant qu’ils existent et qu’ils ont un poids électoral non négligeable) ? Peut-être, avons-nous cru naïvement que le Hirak à ses débuts avait relégué ces questions dans les abysses. Elles viennent de remonter brutalement à la surface.

Dans tout ce fracas, et au-delà du sort qui est réservé à El-Kadi Ihsène – dont je suis totalement solidaire – il y a donc un enseignement que les islamistes doivent tirer. Beaucoup, en Algérie, ne leur ont pas pardonné la décennie noire. Beaucoup n’ont pas tourné la page. Dans l’hypothèse d’une transition inclusive, fondée par exemple sur un pacte national, cela signifie que les Rachad et consorts devront convaincre cette Algérie qui s’oppose à eux que les choses ont (vraiment) changé. Cela signifie qu’il faudra des gestes forts pour sceller la réconciliation. Cela signifie donc qu’il faudra reparler du repentir et du pardon. D’une manière ou d’une autre. Et ce ne sera pas une mince affaire.

N.B : je joins ici, le premier commentaire d’un premier lecteur, aussi vigilant que fraternel. Commentaire que je partage totalement :

« Le problème est que l'article 46 de la loi sur la réconciliation empêche "l'autre" douleur de s'exprimer tout en permettant la dénonciation des islamistes. Sans justice transitionnelle - et c'est bien la raison qui fait que le régime ne veut pas de transition -, on sera toujours face à un récit incomplet et biaisé. Plus que les manifs, c'est la libération de toutes les paroles sur les années 90 que le régime craint et empêche par tous les moyens. »

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