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Lignes quotidiennes
mercredi 27 mai 2015
mardi 26 mai 2015
Akram Belkaïd: sur l'islam, il faut choisir entre «le débat ou l'affrontement»
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Et pour voir l'émission : cliquez ici avec votre mulot
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Pour
le cinquantième numéro d'Objections, Mediapart a choisi de dépasser les
polémiques à propos du 11 janvier, en écoutant la parole nuancée du
journaliste Akram Belkaïd. Il écrit dans Le Quotidien d'Oran une "Chronique du Blédard" qui parle de la France aux Algériens, et des Algériens à la France.
Akram Belkaïd considère que la réaction du 11 janvier était
"belle", contrairement à Emmanuel Todd, mais il rejoint son analyse sur
la « sacralisation » de l'événement, et sur les fractures de la France.
Une parole subtile et dépassionnée, pour un homme qui redoute la montée
des passions :
« La divergence principale [avec Emmanuel Todd], c'est à propos des motivations des gens qui sont sortis pour manifester le 11 janvier : je ne pense pas qu'on puisse affirmer que les gens qui sont sortis pour manifester l'ont fait dans une démarche d’islamophobie ou pour décréter le droit à la caricature. Je pense qu'il y a eu une émotion nationale, il y a eu une révulsion nationale, beaucoup de gens ont été ...
« La divergence principale [avec Emmanuel Todd], c'est à propos des motivations des gens qui sont sortis pour manifester le 11 janvier : je ne pense pas qu'on puisse affirmer que les gens qui sont sortis pour manifester l'ont fait dans une démarche d’islamophobie ou pour décréter le droit à la caricature. Je pense qu'il y a eu une émotion nationale, il y a eu une révulsion nationale, beaucoup de gens ont été ...
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samedi 23 mai 2015
La chronique du blédard : Zyed, Bouna et les promesses oubliées de 2005
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 21 juin 2015
Akram Belkaïd,
Paris
En matière
d’actualité, il est parfois des coïncidences tout autant regrettables que
symboliques. C’est le cas de deux informations tombées cette semaine. La
première est la relaxe définitive des policiers poursuivis pour non-assistance
à personne en danger dans la triste affaire de la mort, il y a bientôt dix ans
(c’était le 27 octobre 2005), de Zyed Benna (17 ans) et de Bouna Traoré (15
ans). Pour (sombre) mémoire, ce drame s’était déroulé à Clichy-sous-Bois et les
deux jeunes avaient été électrocutés après être entrés sur un site d’EDF pour
échapper à un contrôle de police. On se remémore aussi des évènements qui ont
suivi. Trois semaines d’émeutes violentes, des voitures brûlées par centaines,
des arrestations, des biens publics détruits : tout cela a projeté l’image
d’une société française malade de ses quartiers et de la manière dont étaient –
et sont encore – traitées ses populations reléguées.
La seconde
information concerne quant à elle la décision du gouvernement français
d’abroger la loi du 31 mars 2006 qui, au nom de la lutte contre les
discriminations à l’embauche, prévoyait la généralisation obligatoire du
curriculum vitae anonyme – sans nom ni photographie - à toutes les entreprises
de plus de 50 salariés. Il faut rappeler que le décret d’application n’a jamais
été publié par les quatre équipes gouvernementales qui se sont succédées depuis
l’adoption de cette loi. Il y a un an, le Conseil d’Etat a bien rappelé les
autorités à l’ordre mais en vain. Après
neuf années de tergiversations, ce serpent de mer que l’on appelle CV anonyme
passe donc à la trappe. Là aussi, comme pour la relaxe des deux policiers,
l’affaire est définitivement close.
Définitivement ?
On se doute bien qu’il n’en est rien. Concernant Zyed et Bouna, il n’est pas
besoin d’être expert pour comprendre que le verdict de la justice française ne
fera que renforcer la rancœur et la colère qui existent au sein d’une partie de
la population. Rancœur et colère à l’encontre de la police mais aussi de la
justice. Sur les réseaux sociaux, le slogan « je suis Zyed et Bouna »
s’est immédiatement répandu et les internautes n’ont eu de cesse de clamer leur
dégoût vis-à-vis d’un jugement qualifié de raciste. Nombre d’entre eux
relevaient aussi que dans de telles affaires, les policiers incriminés
finissent toujours par s’en sortir et qu’il n’est pas besoin d’aller aux
Etats-Unis pour observer de telles situations d’iniquité.
La société
française ne va pas très bien et il est évident que cette relaxe ne va pas
arranger les choses. Bien sûr, on peut toujours clamer que la justice est
indépendante mais cela n’éteindra aucune des mauvaises passions qui minent
l’Hexagone. Et face à la colère des uns on subit les provocations des autres.
Celle de Marion Maréchal-Le Pen qui, via twitter, a affirmé que ce verdict
était la preuve que la « racaille » avait mis « par
plaisir » les banlieues « à feu et à sang ». Nicolas Sarkozy,
ministre de l’intérieur en 2005, doit être certainement satisfait lui qui,
quelques jours avant la mort des deux jeunes, avait contribué à médiatiser
cette puanteur qu’est le mot « racaille ». En l’employant, la
Maréchal a attenté à la mémoire de Zyed et Bouna mais elle a aussi cherché à
provoquer la colère de dizaines de milliers de gens touchés au plus profond
d’eux-mêmes par ce drame. Pour user d’un vocabulaire militaire, le Front
national n’est plus en embuscade. Sûr de lui et de ses forces, il se permet
désormais d’aller au contact pour chercher l’affrontement.
Autre provocation,
celle du député UMP Christian Estrosi. Celui qui est aussi maire de Nice n’a
pas hésité à qualifier Zyed et Bouna de « délinquants » ayant commis
un « excès de vitesse » ce qui aurait justifié, selon lui, qu’ils soient
poursuivis par les policiers. Or, et contrairement à ce qu’a
« éculubré » le motocrate de Nice, les deux victimes étaient à pied
et la police a reconnu elle-même que ni eux ni les autres jeunes n’avaient
commis de délit ou de tentative de délit. Pourquoi alors s’étaient-ils
enfuis ? La réponse est simple : ils revenaient d’un match de
football, ils n’avaient pas leurs papiers sur eux et ne pouvaient ignorer que,
comme de coutume, les policiers les embarqueraient après les avoir soumis à un énième
contrôle d’identité mené, bien entendu, dans les règles les plus élémentaires
du respect et de la courtoisie…
Le lecteur peut se
demander quel lien peut bien exister entre le drame de Clichy-sous-Bois et le
CV anonyme. La réponse n’est pas uniquement liée au fait qu’ils font partie
d’une large thématique mêlant actualité des banlieues et lutte contre les
discriminations. En réalité, il convient de rappeler que ce sont les émeutes de
2005 qui ont permis que le sujet d’une égalité des chances à l’embauche soit enfin
abordé au plus haut niveau politique. Sans les morts de Zyed et Bouna, sans
l’onde de choc qui a suivi, jamais le CV anonyme n’aurait été médiatisé comme
il l’a été au point que le gouvernement de Dominique Villepin s’est dépêché
d’en faire une mesure phare de sa loi de mars 2006.
Il faut donc bien se
souvenir des bonnes intentions et des promesses nées de ces émeutes. Le
changement était, affirmait-on, en route. Soudain, les minorités devenaient enfin
visibles. Les politiques, les patrons et les médias réalisaient qu’il fallait
leur faire un peu de place. Ainsi, sans Zyed et Bouna, sans les émeutes de
Clichy-sous-Bois, le Club XXIème siècle – qui regroupe des
« réussites » au sein des diverses communautés d’origine étrangères –
n’aurait pas bénéficié d’une audience médiatique aussi importante. Et, en
forçant un peu le trait, on est en droit de se demander si les Rama Yade,
Rachida Dati et compagnie auraient été nommées ministres en 2007 sans les
engagements d’égalité et d’équité de l’automne 2005.
Dix ans plus tard,
les promesses de lutte contre les discriminations ont certes bénéficié à
quelques heureux élus et élues. Un peu de saupoudrage pour faire croire à une
prise de conscience définitive. Mais l’abandon du CV anonyme - tout comme
d’ailleurs celui du récépissé de contrôle d’identité (un outil évoqué lui aussi
en 2005 pour empêcher les contrôles répétitifs, et abusifs, des jeunes des
cités) – ainsi que l’absence de condamnation dans l’affaire Zyed et Bouna
montrent qu’il faudra peut-être attendre les prochaines émeutes dans les
banlieues pour que les choses changent de manière structurelle.
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mardi 19 mai 2015
La chronique du blédard : Etats-Unis et Arabie Saoudite : feu, le pacte du Quincy ?
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Le Quotidien
d’Oran, jeudi 14 mai 2015
Akram Belkaïd,
Paris
En matière de
traitement journalistique des relations internationales, il existe des références
que l’on se doit toujours de mentionner pour donner une perspective historique.
Dans le cas des rapports entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, il est
impossible de ne pas citer le pacte du Quincy, du nom du navire de guerre
américain où le président Franklin Delano Roosevelt – de retour de la
conférence de Yalta – et le roi Ibn Seoud se sont rencontrés le 14 février
1945. L’accord qui fut conclu alors a structuré depuis les relations entre les
deux pays et a façonné la politique américaine dans le Golfe.
On connaît les
grandes lignes de ce document signé pour soixante ans et qui a été renouvelé
pour une durée similaire en 2005 sous la présidence de George W. Bush.
Washington s’est engagé à assurer la protection de la famille Saoud et du
royaume wahhabite, ce dernier ainsi que son leadership régional étant
considérés comme faisant partie des « intérêts vitaux » des
Etats-Unis. La contrepartie de ce « deal » est que l’Arabie Saoudite
se doit de garantir l’approvisionnement énergétique (pétrole et, éventuellement
gaz naturel) de son protecteur. Enfin, ce dernier est tenu de ne pas s’ingérer
dans les affaires internes de son « partenaire ».
Depuis quelques
temps, l’un des thèmes récurrents des analyses géopolitiques relatives à la
région du Golfe consiste à s’interroger sur la fin du fameux pacte. La raison
d’un tel bouleversement ? Les mauvaises relations actuelles entre le
royaume et l’administration Obama. Dernier épisode en date, la décision du roi
Salman (à 79 ans, il règne depuis janvier dernier après le décès du roi
Abdallah) de ne pas participer à une réunion à Washington entre les Etats-Unis
et les six monarchies membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG :
Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Oman). Le nouveau
souverain a aussi décliné l’invitation qui lui a été faite de se rendre à la
résidence de Camp David pour rencontrer Barack Obama dans un cadre plus intime
(outre la nécessité de mentionner la mauvaise santé du roi, on notera tout de
même la présence de deux hommes fort du royaume, le prince héritier Mohammed
ben Nayef – 55 ans et premier petit-fils du roi Saoud à accéder à un tel rang –
et Mohammed ben Salman, 35 ans – environ -, et futur prince héritier).
Les raisons de
la mauvaise humeur saoudienne sont connues. Riyad s’oppose à la normalisation
en cours des relations entre Washington et Téhéran. Engagé dans une véritable
guerre froide avec son adversaire chiite, le royaume wahhabite craint que les
Etats-Unis n’aient décidé de réviser leur stratégie dans le Golfe, un recentrage
qui pourrait à terme déboucher sur un bouleversement d’alliances dans la
région. De fait, les dirigeants saoudiens n’ont pas la mémoire courte. Ils se
souviennent de la manière dont l’Amérique a respectivement abandonné à leurs
sorts, le Chah d’Iran – qui était l’un de ses plus fidèles alliés – et, plus
récemment encore, le président égyptien Hosni Moubarak. Et c’est d’ailleurs
pour rassurer les membres du CCG, pour leur dire qu’ils ne seront jamais
abandonnés aux griffes de l’ennemi perse, que l’administration Obama a organisé
la rencontre de Washington (mais il n’est pas question pour l’Amérique de
signer un quelconque accord de défense avec le CCG et cela au nom du lien
stratégique qui la lie à Israël).
Disons-le tout
de suite, il est très peu probable que le pacte du Quincy soit remisé aux
oubliettes. Certes, les Etats-Unis ont moins besoin de l’Arabie saoudite sur le
plan énergétique et cela grâce au développement de l’exploitation des
hydrocarbures de schiste. De même, une évaluation dépassionnée des perspectives
de développement dans la région du Golfe persique montre que l’Amérique a tout
intérêt à se rapprocher de l’Iran, un « vrai » pays à la fois
héritier d’une civilisation pluri-millénaire et potentiel allié dans la
rivalité croissante entre Washington et Pékin.
Pour autant,
les Etats-Unis ont encore besoin de l’Arabie Saoudite (et de ses voisins du
CCG). D’abord, le royaume des Saoud reste un acteur de poids sur le marché
pétrolier, ayant la capacité d’influer sur les prix et de dicter sa stratégie
aux membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Même si
les Etats-Unis n’achètent pratiquement plus d’hydrocarbures saoudiens, ils ne
peuvent se mettre à dos un partenaire qui possède les plus grandes réserves du
monde et qui a la capacité de semer la panique sur les marchés pétroliers de
Londres et de New York. On notera aussi que trois pétrodollars sur cinq
engrangés par les pays du Golfe finissent, d’une manière ou d’une autre, par
revenir dans les caisses de l’économie américaine…
Ensuite, il
convient de relativiser la mauvaise humeur saoudienne. Oui, Riyad semble pris
actuellement par un irrésistible sentiment de puissance. C’est un peu comme si
les dignitaires saoudiens entendaient signifier à leur protecteur que leur pays
et ses forces armées sont capables de se débrouiller seuls en faisant régner
l’ordre dans la région. L’intervention pour mater la révolte à Bahreïn en mars
2011 et la mise en place d’une coalition arabe pour lutter militairement contre
la rébellion houtiste au Yémen témoignent effectivement d’une certaine volonté
d’émancipation. Comme le faisait remarquer un chroniqueur de CNN, en modifiant
l’habituelle politique américaine dans le Golfe, Barack Obama a peut être
obligé les Saoudiens à « grandir un peu » et à cesser de penser que
l’Amérique sera toujours là pour faire les choses à leur place et, surtout, à
leur sauver la mise.
Pour autant, le
principe de réalité s’impose. Aucun pays, pas même la France de François
Hollande qui se voit déjà en parrain de la région, ne peut remplacer les 15.000
soldats américains stationnés dans le Golfe. Avec leur impressionnant arsenal,
ils sont la vraie force de dissuasion qui empêche l’Iran, ou même l’Irak, de
faire main basse sur les formidables ressources énergétiques de la péninsule
arabique. De même, il faut suivre avec attention ce qui se passe au Yémen. Pour
l’heure, l’intervention de la coalition menée par les Saoudiens ne s’avère
guère efficace sur le plan militaire. Que se passera-t-il en cas d’enlisement
de cette guerre par procuration que Riyad livre à l’Iran ? Que se
passera-t-il en cas de revers majeur pour les forces saoudiennes si elles
venaient à intervenir au sol ? A un moment ou un autre, Washington risque
fort d’être appelé à la rescousse ce qui lui permettra d’asséner aux
Saoudiens cette réplique hollywoodienne fort connue: « who’s your
daddy now ? ». A bien des égards, la mauvaise humeur de Riyad risque donc de n’être que passagère. Le temps, peut-être qu’un nouveau
locataire, moins conciliant avec l’Iran, ne s’installe à la Maison-Blanche en
janvier 2017…
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lundi 11 mai 2015
La chronique économique : Quand l’Arabie saoudite aura besoin d’un baril cher
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 6 mai 2015
Akram Belkaïd, Paris
Quel est le prix d’équilibre du marché pétrolier ? En 2014, comme en 2013, de nombreux experts estimaient qu’un baril à 80 dollars avait pour avantage de mettre d’accord pays producteurs et pays consommateurs. Aujourd’hui, alors que les cours ont nettement reflué et que leur moyenne récente se situe autour de 55 dollars, il est clair que les pays producteurs font désormais figure de grands perdants de cette évolution. Et l’on peut se demander s’ils ont aujourd’hui la capacité à inverser la tendance.
Riyad en maître du jeu
Pendant longtemps, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a joué le rôle d’ajusteur du marché. Que ce dernier soit orienté à la hausse ou à la baisse, c’est le Cartel qui avait la capacité à influer sur les prix via une modification de sa production et cela sous l’impulsion de l’Arabie saoudite. Au milieu des années 1990, l’organisation a tout de même vécu une première alerte avec sa décision d’augmenter ses pompages alors même que l’Asie, l’un de ses principaux clients, s’enfonçait dans la crise. On se souvient du résultat avec un baril frisant les dix dollars et une presse spécialisée qui s’est dépêchée de décréter la fin de l’Opep. Quelques années plus tard, notamment avec l’invasion de l’Irak par une coalition menée par les Etats-Unis, l’Organisation a regagné en influence. Mais qu’en est-il aujourd’hui alors que l’époque, pas si lointaine, d’un baril à plus de 100 dollars semble presque oubliée ?
Comme toujours, la réponse réside dans la stratégie décidée par l’Arabie Saoudite. Ce pays, véritable pompe à essence de la planète, fait face à une situation à la fois compliquée et nouvelle. Dans le passé, les préoccupations stratégiques du royaume semblaient simples avec la nécessité de garder intacte une cohésion interne, notamment au sein de la famille royale, et la nécessité de contenir le rival iranien. Concernant le premier point, la récente modification de l’ordre de succession montre l’existence de tensions dont l’impact potentiel exige des dirigeants qu’ils disposent de ressources pour acheter la paix sociale et prévenir toute contestation d’ordre politique. Quant au second point, les choses n’ont certes pas changé mais elles ont tout de même gagné en complexité. La guerre froide que se livrent Téhéran et Riyad touche désormais le Yémen et n’a pas baissé en intensité en Syrie. Surtout, l’Arabie Saoudite est directement engagée chez son voisin yéménite avec son entrée en lice dans le conflit contre la rébellion houtiste. Ce qui signifie que ses dépenses militaires mais aussi civiles – comme par exemple les dons humanitaires à destination de la population yéménite - vont devoir augmenter.
Une marge de manœuvre qui n’est pas éternelle
On sait que le Royaume wahhabite a les moyens de faire face aux conséquences d’une baisse des cours du pétrole. Ses réserves financières importantes ainsi que sa part de marché lui donnent de quoi compenser ses pertes. Mais la question est de savoir combien de temps peut durer cette marge de manœuvre ? Six mois, un an ? Que se passera-t-il si le conflit au Yémen s’enlise ? Et si d’autres foyers d’affrontements apparaissent obligeant Riyad à multiplier les interventions militaires dans la région ? Ces questions sont encore rarement prises en compte par le marché pétrolier parce qu’elles sont nouvelles. Mais rien ne dit que cela ne sera plus le cas dans les prochains mois. De fait, on ne peut pas affirmer que l’Arabie saoudite n’aura pas besoin, à plus ou moins court terme, d’un baril à nouveau orienté à la hausse. Et cela même si l’Iran et la Russie, actuels adversaires de Riyad sur le plan géopolitique, y trouvent eux aussi leur compte.
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dimanche 10 mai 2015
L'historien Pap Ndiaye et les "mémoires blessées"
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Pap Ndiaye : "Le propre des mémoires blessées est d'être déconnectées de l'histoire officielle telle qu'on la raconte. Ceux qui en viennent ont l'impression de ne pas faire partie de cette histoire. Voilà pourquoi il est important d'apprendre, de réfléchir, de pouvoir faire le lien entre son histoire personnelle et celle de son pays."
in Le Monde, 9 mai 2015
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Pap Ndiaye : "Le propre des mémoires blessées est d'être déconnectées de l'histoire officielle telle qu'on la raconte. Ceux qui en viennent ont l'impression de ne pas faire partie de cette histoire. Voilà pourquoi il est important d'apprendre, de réfléchir, de pouvoir faire le lien entre son histoire personnelle et celle de son pays."
in Le Monde, 9 mai 2015
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L'historien Jean-Louis Planche à propos des massacres du 8 mai 1945 en Algérie
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Le Monde.- Le 19 avril, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, Jean-Marc Todeschini, a fait le déplacement à Sétif pour commémorer les massacres. En décembre 2012, François Hollande a reconnu "les souffrances que la colonisation a infligées" aux Algériens et dénoncé un "système profondément injuste et brutal". Ces gestes peuvent-ils apaiser les relations franco-algériennes ?
Jean-Louis Planche.- C'est un pas dans la bonne direction. Mais la presse algérienne était déçue : plutôt que d'envoyer un secrétaire d'Etat, la France aurait pu envoyer un ministre de plein exercice, comme Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères. Et il est regrettable que Jean-Marc Todeschini n'ait pas pris la parole en public une seule fois pendant sa visite. La France s'est contentée du service minimum. Ce qu'a dit François Hollande ne suffit pas, il faut une pleine reconnaissance.
Jean-Louis Planche.- C'est un pas dans la bonne direction. Mais la presse algérienne était déçue : plutôt que d'envoyer un secrétaire d'Etat, la France aurait pu envoyer un ministre de plein exercice, comme Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères. Et il est regrettable que Jean-Marc Todeschini n'ait pas pris la parole en public une seule fois pendant sa visite. La France s'est contentée du service minimum. Ce qu'a dit François Hollande ne suffit pas, il faut une pleine reconnaissance.
In Le Monde, Cultures & Idées, 9-10-11 mai 2015
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La chronique du blédard : Les vérités dérangeantes d’Emmanuel Todd
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 7 mai 2015
Akram Belkaïd, Paris
Il est l’homme par qui le scandale et la polémique
arrivent. Sa faute ? Avoir remis en cause le consensus plus ou moins naïf
autour des manifestations qui ont suivi les attentats du début de l’année à
Paris. Pour Emmanuel Todd, le fameux « esprit du 11 janvier » n’est
rien d’autre qu’une « imposture » et c’est ce qu’il fait valoir dans
son dernier ouvrage. Un livre choc où il estime que la bonne conscience des
manifestants ne peut faire oublier le fait que les classes moyennes françaises
– c’est-à-dire la catégorie sociale qui a le plus participé aux marches à
travers la France - ont tourné le dos au monde populaire et qu’elles sont de
plus en plus séduites par le ressentiment islamophobe (1).
Commençons par reprendre le titre de son livre. « Qui
est Charlie ? » Une question en réponse au désormais mondialement
célèbre « je suis Charlie ». Il est vrai que l’on ne peut ignorer les
zones d’ombres autour d’un slogan vis-à-vis duquel les musulmans de France
continuent de devoir (péniblement) se positionner. Au départ, et c’est ainsi
que le présent chroniqueur le comprenait, « je suis Charlie »
signifiait une totale solidarité avec les victimes des attentats du 7 janvier
et un engagement au nom de la liberté d’expression. Mais, très vite, on a bien
senti que cela pouvait signifier aussi que l’on était d’accord - que l’on
devait être absolument d’accord - avec les dessins parodiant le Prophète ou, de
façon plus générale, moquant l’islam et les musulmans. C’est ce que l’on
retrouve aujourd’hui dans les écrits ou les propos de certains chroniqueurs,
dits de gauche, ces derniers nous expliquant que le fait de critiquer les
caricatures revient à être complice des tueurs.
Voici ce qu’en dit Todd dans un entretien accordé à
L’Obs (2) : « Lorsqu’on se
réunit à 4 millions pour dire que caricaturer la religion des autres est un
droit absolu – et même un devoir !-, et lorsque ces autres [comprendre les
musulmans, ndc] sont les gens les plus faibles de la société, on est
parfaitement libre de penser qu’on est dans le bien, dans le droit, qu’on est
un pays formidable. Mais ce n’est pas le cas. Il faut aller au-delà du
mensonge, au-delà des bons sentiments et des histoires merveilleuses que les
gens se racontent sur eux-mêmes. Un simple coup d’œil à de tels niveaux de
mobilisation évoque une pure et simple imposture. Il y a certainement une
quantité innombrable de gens qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient là le 11
janvier. Mais nul n’est censé ignorer pour quoi il manifeste, tout de
même. »
La charge est rude et, à bien des égards, quelque
peu injuste. Nombre de manifestants n’ont pas marché le 11 janvier pour dire
qu’ils soutenaient le droit au blasphème ou le droit à se moquer des religions.
A l’époque, la sidération et l’émotion étaient telles après les attentats que
cette marche s’est imposée d’elle-même. Je continue de croire qu’elle a été un
réflexe salvateur et une initiative nécessaire pour prévenir les dérapages.
Bien sûr, il est évident qu’elle a été récupérée ne serait-ce que du fait de la
présence de certains chefs d’Etat et de gouvernement dont la vraie place est au
Tribunal pénal international. Mais je ne pense pas que l’on puisse affirmer que
tous les marcheurs du 11 janvier étaient en accord avec les caricatures et
qu’ils estimaient urgent de remettre l’islam de France et les musulmans à leur
vraie place, c’est-à-dire dans les caves ou dans l’invisibilité.
Mais ce qui donne raison à Todd c’est la manière
dont a évolué la perception de cette marche et, surtout, la manière dont elle
est désormais présentée par les médias prépondérants assez prompts à prendre
leurs désirs pour la réalité. Il faut se souvenir ainsi de ce journaliste
politique de France Inter nous expliquant que le fait de ne pas avoir participé
à la marche du 11 janvier à Paris allait sonner le glas de la dynamique
victorieuse de Marine Le Pen. On en a vu effectivement le résultat lors des
dernières élections… C’est tout simple à dire mais « l’esprit du 11
janvier » est une expression qui ne veut plus rien dire et qui, plus grave
encore, divise d’autant plus qu’elle est devenue le cri de ralliement des
laïcistes obsédés par la visibilité croissante de l’islam.
Dans un pays où le climat entre communautés –
appelons les choses par leur nom – est explosif. Dans un pays où un quotidien,
jadis de référence, titre en cinq colonnes à la une sur la longueur des jupes
des collégiennes de confession ou de culture musulmane (rappelons qu’un seul cas,
pas plus, d’exclusion a été signalé). Dans un pays où, jour après jour, on sent
venir une nouvelle catastrophe, plus grave encore que celle de janvier dernier,
les débats et les oukases autour de l’islam n’en finissent pas d’envenimer la situation.
Pour Emmanuel Todd, il n’y a que deux
possibilités : « le scénario de
la confrontation hystérique avec l’islam et le scénario de
l’accommodement ». Et de lancer cette mise en garde : « la confrontation, c’est 100% de
chances de désastre pour la France (…) Alors oui, je plaide pour qu’on laisse
tranquilles les musulmans de France. Qu’on ne leur fasse pas le coup qu’on a
fait aux juifs dans les années 1930 en les mettant tous dans le même sac, sous
la même catégorie sémantique, quel que soit leur degré d’assimilation, quel que
soit ce qu’ils étaient vraiment en tant qu’êtres humains. Qu’on arrête de
forcer les musulmans à se penser musulmans. Qu’on en finisse avec cette
nouvelle religion démente que j’appelle le ‘laïcisme radical’, et qui est pour
moi la vraie menace. » (2)
A entendre et lire les réactions outragées qui
accompagnent la sortie de l’ouvrage de Todd – et qui ne concernent pas
uniquement ses critiques à l’encontre des marches du 11 janvier – on se dit
qu’il est peut-être déjà trop tard. La France, sans s’en rendre compte, par un
long glissement, par calculs politiques des uns, par ambitions éditoriales des
autres, est entrée depuis longtemps dans le scénario de la confrontation
stupide et hystérique. Un scénario où – le présent chroniqueur peut en témoigner
– le seul fait d’affirmer que l’islamophobie existe (à prendre dans le sens de
la haine des musulmans) expose aux soupçons de la bien-pensance et des
défenseurs du blasphème au nom de la défense de la laïcité. En cela, les propos
d’Emmanuel Todd devraient servir à alimenter un débat d’urgence plutôt que les
postures outragées des habituelles et inévitables impostures médiatiques.
(1) Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise
religieuse, Seuil.
(2) « Le 11 janvier a été une
imposture », L’Obs (ex-Nouvel Observateur), 30 avril 2015
_La chronique du blédard : Parler de la freinte et oublier la corruption, la vraie ?
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Le Quotidien d’Oran, 30 avril 2015
Le Quotidien d’Oran, 30 avril 2015
Akram Belkaïd, Paris
Il est bientôt midi en ce mercredi 29 avril 2015.
Je viens de relire la chronique écrite la veille et elle ne me plait plus. Mais
alors plus du tout. Je m’étais pourtant endormi avec la satisfaction du
rédacteur ayant bouclé son papier, lequel papier serait vite relu le lendemain
et envoyé avec les salutations d’usage. Là, il faut repartir de zéro, ou
presque. De quoi s’agissait-il ? Je partais de cette affaire des quarante
mille euros de notes de taxi en dix mois qui a valu à la présidente de
l’Institut national de l’audiovisuel (INA) d’être « démissionnée »
par sa tutelle. Quarante mille euros… Soit une moyenne mensuelle de quatre
mille euros, c’est-à-dire bien plus que ce que les deux tiers, voire les
quatre-cinquième de l’ensemble des salariés français perçoivent en net en
échange de leur labeur.
Cette affaire est présentée comme un cas isolé,
une espèce de dérapage commis par une dirigeante ayant allègrement oublié que
c’est l’argent du contribuable qu’elle avait en charge. Ma chronique, telle que
rédigée la veille, entendait rappeler que ce genre de scandale a tendance à se
répéter. Que les avantages indus et autres abus sont de plus en plus portés à
la connaissance du public. Cela ne signifie pas, bien sûr, que la France
d’aujourd’hui est plus corrompue qu’hier. C’est juste que les moyens de sortir
l’information et de la faire fuiter, sont plus nombreux. Pour autant, le
comportement de la désormais ex-présidente de l’INA est symptomatique de
l’époque actuelle. Comme je l’ai déjà écrit dans des textes précédents, c’est
un peu le temps des « in » et des « out ». Certains ont la
chance d’occuper des positions qui leurs confèrent des avantages que la masse
anonyme des Français n’imaginent même pas. Et le pire, c’est qu’ils en abusent,
estimant qu’ils ont droit à tout, qu’ils sont légitimes à réclamer toujours
plus.
Dans ce texte, j’ai essayé d’évoquer le fait que
tout cela me mène à penser que la France connaît une fin de cycle où tout
s’accélère, un peu à l’image d’une mécanique devenue folle perdant au fur et à
mesure ses boulons et autres éléments mais continuant d’avancer jusqu’au crash
final. Une fin de cycle devinée par les déprédateurs de toutes sortes qui devinent
qu’il leur faut happer et engranger tant qu’il est encore temps. Avant que la poule
aux œufs d’or ne meure ou bien, hypothèse moins plausible – hélas, mille fois
hélas – avant que le peuple ne se réveille enfin et réalise à quel point il est
dupé du matin jusqu’au soir. Un petit peu de guerre par-ci, un petit peu de
terrorisme et de sécurité par-là. Un mix de voile et d’islamohystérie et le
tour est joué. Monsieur Gérard oublie alors que la courbe du chômage ne s’est
pas inversée et que personne ne peut jurer que l’argent dû au Trésor ne
continue pas de filer vers la Suisse, le Delaware ou les îles Caïmans.
A quelques détails et paragraphes près, tout ce
qui vient d’être écrit était donc dans la chronique suspendue. Le lecteur se demandera alors pourquoi
n’a-t-elle pas été livrée sous cette forme ? Bonne question. La réponse
est simple. C’est qu’en la relisant, s’est imposée au chroniqueur une autre
interrogation. A la fois moqueuse et agacée. La voici, résumée à la manière
dont s’exprimerait une Mimoucha acerbe – autrement dit une voix qui
emprunterait celle de la conscience. « Tu parles de cette pauvre bonne
femme qui a pris trop de taxis, tu embraies sur la perte de valeurs en France
et tu fais semblant d’oublier que dans ton propre pays, c’est de pire en
pire ».
« Mimoucha » a bien sûr raison. On peut
s’indigner de ce qui se passe en France – surtout si on y vit et que l’on y
paie ses impôts – mais la réalité du bled oblige à raison garder. La lecture de
la presse nationale de ces derniers jours le montre bien. Tous ces procès,
toutes ces accusations de fraude, de détournements… Tous ces projets aux
dizaines de milliards de dollars dépensés et dont on se demande, in fine, à quoi ils vont vraiment servir.
Et pendant ce temps-là, ne craignant guère le ridicule, on lance une campagne
pour consommer algérien… Comme si les conditions pour produire algérien étaient
réunies dans un pays transformé en gigantesque comptoir commercial qui dilapide
ses ressources pétrolières pour importer de tout ou presque…
Voilà, cela m’arrive rarement mais là il m’est donc
impossible de vous rendre compte d’un aspect de la vie politico-sociale
française sans être rattrapé par la réalité algérienne. Et c’est d’autant plus
vrai que l’on voit bien aujourd’hui que Paris, comme certainement Londres,
Genève ou Dubaï, est en train de se transformer en base de repli pour les
Algériens qui ont, disons-le ainsi, très bien mangé, grappillé, grignoté et
englouti.
On parle beaucoup en ce moment du livre des
journalistes Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois à propos des relations
noueuses et souvent interlopes entre l’Algérie et la France (*). Dans cet
ouvrage, qui pèche parfois par ses inexactitudes notamment historiques, il y
est fait mention d’avoirs, entre autre immobiliers, que certains dirigeants
algériens possèderaient dans l’Hexagone. Jusqu’à présent, cela n’a engendré ni
démenti ni attaque en justice. Chacun en tirera donc ses propres conclusions.
En tous les cas, une chose est certaine, ce qui s’est rappelé au souvenir du
présent chroniqueur c’est que qu’une corruption endémique, et finalement
assumée pour ne pas dire systémisée, est bien plus grave que quelques (très
gros) excès en matière de notes de frais…
(*) Paris – Alger, une histoire passionnelle,
Stock, avril 2015.
La chronique du blédard : Les migrants, encore et toujours
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Le Quotidien d’Oran, 23 avril 2015
Le Quotidien d’Oran, 23 avril 2015
Akram Belkaïd, Paris
Combien de fois encore ? Combien de fois nous
faudra-t-il nous indigner quant à ce qui se passe en Méditerranée ? D’un
mois à l’autre, d’une saison à l’autre, les drames se succèdent et les bilans
s’aggravent. Automne 2013, quatre cent morts au large de Lampedusa. Printemps
2015, plus de sept cent morts non loin des côtes libyennes. Et entre ces deux
drames, combien de noyades anonymes et de naufrages qui sont passés inaperçus
ou qui n’ont fait l’objet que de quelques lignes dans la presse ? Les
spécialistes du dossier le savent : tous les jours ou presque, des
enfants, des femmes et des hommes qui rêvaient d’une vie meilleure,
disparaissent dans les flots d’une mer transformée en immense cimetière.
Ce qui vient de se passer était prévisible. Depuis
novembre dernier, l’Europe a réduit ses efforts de surveillance en mer puisque
l’opération Mare Nostrum a été suspendue. Dans une chronique qui ne remonte pas
à très longtemps, j’ai écrit que l’Union européenne et ses membres ont délibérément
abandonné les migrants à leur sort pour des raisons notamment financières (*).
Qui peut en douter maintenant ? Bien sûr, nous avons droit actuellement à
beaucoup d’agitation et à de discours mobilisant l’émotion et de promesses.
Mais, en réalité, tout le monde sait que l’Europe n’est pas disposée à accepter
l’idée que les flux migratoires lui imposent une révolution conceptuelle
qu’elle se refuse à accomplir.
La situation est connue. De partout, notamment
d’Afrique subsaharienne mais aussi d’Asie, convergent des gens qui veulent une
vie meilleure. Leur détermination est telle qu’ils sont prêts à tout, y compris
à mourir, pour atteindre leur but. La guerre, la misère, la dictature aussi,
tout cela est responsable de leur exil. Contrairement à une minorité de
privilégiés, ils n’ont aucun visa, aucune possibilité de voyager normalement et
sont une proie idéale pour les mafias de trafiquants que, on ne le répétera
jamais assez, personne ne semble vouloir inquiéter. La question est donc
toujours la même, comment faire pour que de tels drames ne se répètent
plus ?
A lire et entendre les réactions des dirigeants
européens, on devine quelles sont les orientations qui vont être prises. L’idée
qui revient en force, c’est qu’il faut arriver à stopper les embarcations avant
qu’elles n’arrivent en haute mer. Cela signifie que les pays du Sud de la
Méditerranée vont être fortement « encouragés » à renforcer leurs
propres moyens d’interception. Qui sait, dans sa grande générosité, l’Europe
leur consentira-t-elle quelques crédits bonifiés pour qu’ils achètent plus de
navires et d’hélicoptères afin de surveiller leurs côtes… De même, on entend
ici et là que ces pays, notamment maghrébins, devront s’organiser pour mettre
en place chez eux des camps de regroupement pour empêcher que les migrants ne
cherchent à embarquer pour le nord.
Reste bien sûr la question de la Libye, pays en
pleine guerre civile et dont les diverses factions et autorités ont d’autres
chats à fouetter que de chercher à stopper les embarcations. Kadhafi le faisait
pour s’attirer les bonnes grâces des dirigeants européens mais, aujourd’hui, le
chaos est tel que des bateaux partent pratiquement tous les jours à destination
des côtes siciliennes. Là aussi, l’Union européenne va tenter de convaincre les
différentes factions libyennes de faire un effort. Pour quelle
contrepartie ? On ne le sait pas encore mais il est certain qu’un
marchandage peu ragoûtant a débuté. Vous stoppez les migrants, on laisse les
armes arriver chez vous ou bien alors on vous aidera dans votre bataille contre
vos rivaux… A Bruxelles, certains rêvent même de voir l’Egypte faire la police
maritime et il ne vient à l’idée de personne que ce genre d’intervention risque
fort d’aggraver le conflit libyen.
Que faire alors ? Le monde dans lequel nous
vivons a besoin de générosité et d’une nouvelle manière de le penser. Dans un
contexte où c’est la réduction des déficits budgétaires qui commande, il ne
faut certes guère espérer que des milliards d’euros soient investis dans les
pays d’où partent les migrants. Pourtant, il suffirait de pas grand-chose pour
enclencher une nouvelle dynamique. L’idée du partage de richesses, d’un
transfert plus important du nord vers le sud est considérée comme une hérésie,
un vœu pieu formulé par des rêveurs romantiques qui ignoreraient la dure loi
des relations internationales. Or, au risque de se répéter, il ne faut pas se
leurrer : les migrants continueront de vouloir atteindre l’Europe. La
seule manière de faire en sorte qu’ils ne meurent plus en mer c’est, à court
terme, de les accueillir plus facilement – on pense notamment aux réfugiés
syriens – et, à plus long terme, de créer les conditions d’un meilleur
développement économique dans leurs pays respectifs.
On dira que les opinions publiques européennes ne
veulent pas d’une immigration plus importante et que l’extrême-droite n’attend
que cela pour prospérer encore plus. C’est vrai mais il faudrait aussi
expliquer et répéter que le monde entier est désormais en état d’urgence. Que
se calfeutrer derrière sa frontière, son mur et tous ces obstacles
électroniques qui sont en train d’être pensés pour protéger l’Europe ne servira
à rien. Quand la masse des déshérités, des damnés de la terre, croît, le riche
et le privilégié savent bien qu’ils n’ont qu’un court répit devant eux. Mais
l’on sent bien que la solution à l’australienne, c’est-à-dire le fait de
contenir les migrants à distance, de les parquer dans des îles avant de les
renvoyer ailleurs, commence à faire son chemin. C’est déjà un peu le cas à
Lampedusa. Peut-aussi aussi que la Sicile va devenir un immense camp de
regroupement. Qui sait, tout est possible.
On terminera ce texte par relever cette étrange
symétrie. Au nord, comme au sud du continent, des migrants meurent en même
temps. Les uns parce qu’ils sont abandonnés à leur sort, les autres parce qu’on
les tue. Ainsi, en Afrique du Sud est en train de se répandre une violence
xénophobe que l’ANC – oui, l’ANC de feu Mandela… - ne semble guère vouloir
empêcher (le gouvernement a attendu plusieurs jours pour déployer l’armée afin
de protéger les étrangers). Ce n’est pas la première fois que des migrants font
l’objet d’attaques mais ce qui s’est passé récemment, avec les meurtres de
Zimbabwéens et de Mozambicains, démontre qu’il n’y a pas qu’en Europe que le
migrant est désigné comme porteur de tous les maux.
(*) L’Europe abandonne les migrants à leur sort,
jeudi 13 novembre 2014.
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