Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 25 mai 2012

La chronique du blédard : Facebook, outil de travail, de jeu, de mobilisation ou de drague ?

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 24 mai 2012
Akram Belkaïd, Paris
 

Parlons de Facebook mais pas pour aborder la question de son entrée (plutôt ratée) en Bourse. Il paraît qu’un Algérien sur dix est inscrit à ce réseau social lequel devrait bientôt fêter son milliardième membre (ce qui, dit autrement, signifie qu’un terrien sur six serait connecté à « Fb »). Voilà une statistique intéressante car, en faisant l’hypothèse de sa véracité, elle nous dit que les Algériens sont finalement comme leurs voisins, qu’ils soient sud ou nord-méditerranéens. Ils sont partie prenante, fut-elle virtuelle, d’un mouvement global et globalisant et ce lien avec l’extérieur est une réalité qu’il ne faut pas négliger y compris par les faiseurs de propagande. Cette inclusion signifie qu’il est déjà difficile d’empêcher les esprits de vagabonder au-delà des frontières nationales et de s’inspirer de ce qui se dit et se fait ailleurs. Terminé donc le temps où les Algériens étaient en dehors du coup et où seuls quelques privilégiés pouvaient accéder aux innovations externes (il faudra, par exemple, raconter un jour l’histoire du magnétoscope et des cassettes vidéos en Algérie…).
 
Ce qui frappe quand on navigue sur Facebook, c’est la richesse de la matière qui y circule. Pour ses détracteurs, ce réseau n’est qu’un prétexte à des manifestations égotiques où des gens mettraient en scène leur vie et leurs fantasmes. Ce n’est pas faux et la principale activité de ce réseau concerne d’ailleurs la mise en ligne de photographies. Les pages d’adolescents mériteraient à ce sujet de véritables études sociologiques car, sous toutes les latitudes, elles sont le reflet des modes, des espérances, des vanités, des vulgarités du moment et, souvent aussi, de ses désespoirs. A ce sujet, j’ai une pensée émue et solidaire avec tous les parents qui tentent, par de multiples moyens mais souvent en vain, d’être acceptés comme « ami » sur Fb par leurs rejetons afin de surveiller ce qu’ils font et qui ils fréquentent…


Pour autant, ce serait faire fausse route que de croire que Facebook se limite à cela. Prenez le présent chroniqueur. Pour lui, le réseau est une source illimitée d’informations à commencer par une revue de presse gratuite dont le principe repose sur le partage. On voit passer un article, bon ou mauvais, neutre ou faisant scandale, et, hop, on le fait passer aux autres. Impossible, par exemple, de rater le voyage pied-nickelesque du plus que pitoyable Ferhat Mhenni en Israël ou les dernières péripéties de la répression – le mot n’est pas trop fort – subie par les étudiants québécois qui protestent dans la rue contre l’augmentation de leurs frais de scolarité.  Mais il n’y a pas que les informations de presse. Blogs, pages collectives, groupes informels, militants, Ong, artistes, activistes en tous genre, tout cela est disponible d’un seul clic sur le mulot. Hier, interviewer d’Alger ou de Paris une féministe saoudienne ou un économiste indonésien relevait de l’exploit (et de l’investissement matériel conséquent). Aujourd’hui, cela se boucle en moins d’une heure et pour le coût d’une connexion. Pour qui a connu l’usage antédiluvien du télex et des premières télécopies voire du téléphone interurbain avec opératrice, il est impossible de ne pas saluer cette avancée.

Mais tout le monde ne va pas sur Facebook pour y trouver matière à article ou à réflexion. Commentant la statistique évoquée au début de cette chronique, un confrère a estimé, un brin ironique, que neuf facebookers algériens sur dix sont connectés à ce réseau pour conter fleurette. C’est certainement vrai même si on peut penser que le taux avancé est un peu exagéré (ceci étant dit, Facebook a d’abord été créé pour faciliter la drague sur les campus américains…). « On drague, ida hakmet, rahi hakmet, sinon tompi » (si ça accroche tant mieux, sinon tant pis) a même confessé un facebooker en commentant le commentaire du journaliste. C’est d’ailleurs aussi cela Facebook : des chaînes de commentaires qui peuvent aller à l’infini mais qui restent tout de même plus intéressantes et un peu plus censées et courtoises que ce qu’on peut trouver sur d’autres forums où, au final, on retombe toujours – et quel que soit le sujet – sur la question du Sahara, le sort des Palestiniens ou le complot du Qatar et d’Al-Jazeera…

Reste que Facebook, c’est aussi des intrusions intempestives d’inconnus qui semblent avoir quelques problèmes avec la grammaire et l’orthographe. La faute aux fameux messages personnels (les « mp »). Exemple : « Slt. T-ki ? T’m kel zik ? T’m M Pokora ?». Ya ouled, dégage, j’ai presque l’âge de ton grand-père… Outre les « mp », il y a les fanas de jeux qui vous sollicitent pour jouer à je ne sais quelle cityville, smallville, angry birds ou tetris battle. Là aussi, il faut un certain tact, un peu de patience, pour décliner les invitations des uns, les rappels des autres. Mais, le pire, à mon sens, c’est de se retrouver inscrit d’autorité à un groupe de discussion, qu’il soit fermé (non accessible aux non-inscrits) ou ouvert. Je n’en citerai aucun pour ne faire de mal à personne mais, pour en avoir une idée, imaginez des titres tels que « l’amicale des lecteurs de Pif », « mettons fin à l’élevage de poulets en batterie » ou encore « les partisans d’un décalage du ramadan au mois de décembre ». Un coup de souris d’un « ami » bien intentionné et vous voilà embringué dans des échanges qui vous dépassent ou, c’est selon, vous sidèrent. Il faut alors quitter la bande sur la pointe des pieds pour ne fâcher personne. Ceci étant précisé, je vous conseille tout de même la découverte du groupe « Sonazmen, sonapoz, tchaqlala & co » : un groupe dédié à la nost-Algérie des années 1970 (ah, les logos de l’époque…).

Voilà donc pour Facebook. Informations, compilations d’articles, messages personnels, retours dans le passé, photographies, débats plus ou moins virulents : une immense agora du XXIème siècle, avec beaucoup de bruit, d’agitation et d’échanges. Et une question existentielle qui demeure : comment ce réseau, désormais dépendant des critères de rentabilité boursière, va-t-il évoluer ? Et que fera-t-on s’il venait à ne plus exister ?
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jeudi 24 mai 2012

Ces salafistes qui font trembler la Tunisie (SlateAfrique)


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La Tunisie fait face à une inquiétante radicalisation des salafistes. Comment empêcher leur montée en puissance?

Des manifestants salafistes à Tunis en mars 2012, REUTERS/Zoubeir Souissi
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Mais où va la Tunisie? La question est récurrente, désormais angoissante. À chaque nouvelle en provenance de ce pays qui fut à l’origine du Printemps arabe, elle se pose avec urgence et inquiétude. Certes, toutes les informations ne sont pas négatives. Cette année, le tourisme redémarre y compris en provenance d’Algérie. Sur le plan macro-économique, et même si les exportations ont encore baissé par rapport à leur niveau de 2010, l’inquiétude des grandes institutions financières reste modérée.
«La Tunisie résiste bien malgré l’agitation politique. C’est un vrai exploit. Cela n’a rien à voir avec le chaos égyptien», confie à ce sujet l’analyste d’une grande banque parisienne.
Mieux, le pays pourrait même retrouver la croissance en 2013 et cela même si les investisseurs étrangers restent encore rétifs.
Mais il y a les salafistes… Pas un jour sans que l’on n’entende parler d’eux et de leurs méfaits. Agressions verbales et physiques, fermetures forcées de bars, invitation de prédicateurs étrangers plus ou moins recommandables, organisation de rassemblements comme autant d’occasions de montrer les muscles : les salafistes sont omniprésents sur la scène médiatique tunisienne et constituent l’un des principaux sujets de conversation sur le mode de «mais quelle provocation vont-ils encore inventer?»

Ennahda a besoin des salafistes

Il est d’ailleurs très difficile de savoir ce que ce mouvement représente réellement à la fois sur l’échiquier politique mais aussi sécuritaire. Inquiets, nombre de Tunisiens craignent que les salafistes ne profitent de la période actuelle de liberté retrouvée pour s’organiser, mettre en place des structures clandestines qui, demain pourraient s’attaquer au pouvoir et à leurs adversaires non islamistes. De même, ils se demandent aussi jusqu’à quel point le parti d’Ennahda pourra contrôler cette aile droite et radicale. Comme l’indique un syndicaliste tunisien, n’y-a-t-il pas un risque de «voir l’enfant terrible de l’islamisme tunisien devenir le principal parti politique du pays?»
On le sait, et cela a déjà été écrit à plusieurs reprises, Ennahda a besoin des salafistes. Ces derniers lui servent de repoussoir vis-à-vis du reste de la société tunisienne qui ne peut donc qu’être rassurée par le côté bonhomme, du moins affiché comme tel, du parti vainqueur des élections de l’assemblée constituante en octobre 2010. Mais, dans le même temps, les choses ont peut-être été trop loin.
Il y a quelques jours, Noureddine Bhiri, le ministre tunisien de la Justice, a signifié aux salafistes que «la promenade était terminée» en leur promettant des sanctions et une plus grande vigilance. Dans le même temps, de nombreux incidents ont opposé la population à des groupuscules entendant faire régner leur loi. Un signe que les Tunisiens sont prêts à défendre les acquis de leur révolte contre le régime de Ben Ali.

Non, les choses ne se passent pas bien

Il est indéniable qu’Ennahda a commis une erreur tactique à l’égard des salafistes. Croyant que leur radicalisme servait ses intérêts, ce parti a laissé faire et a donc été coupable d’indulgence. Aujourd’hui, cette stratégie montre ses limites car elle remet en cause ce qui, au départ, était l’objectif principal du parti de Ghannouchi.
En effet, Ennahda n’a jamais cessé de clamer que son but était de prouver qu’un parti islamiste pouvait diriger la Tunisie sans heurts et sans effusion de violence. Souvenons-nous des comparaisons appuyées avec la situation en Turquie –où l’AKP gouverne depuis 2002– mais aussi de l’évocation de l’Algérie des années 1990 comme exemple sanglant à ne pas suivre.
Aujourd’hui, les turbulences politiques, la radicalisation d’une partie de la base d’Ennahda sont en train de démentir les propos apaisants prononcés par ses dirigeants au lendemain de la chute du régime de Ben Ali. Non, contrairement à ce qu’avait promis Rached Ghannouchi, les choses ne se passent pas bien, des Tunisiens craignent pour leurs libertés et le pays est en passe de profondément se diviser.
Dans le même temps, la rédaction de la nouvelle constitution traîne en longueur et l’on est en droit de se demander si, finalement, l’élection d’une Assemblée Constituante était une bonne idée. En tout état de cause, les prochaines élections ne devraient pas avoir lieu avant mars 2013. Une éternité dans un pays qui se cherche…

lundi 21 mai 2012

La chronique du blédard : L'incertain combat du livre contre le sandwich et la fripe

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 17 mai 2012
Akram Belkaïd, Paris

Je m'y arrête à chacun de mes séjours algérois. L'endroit se trouve dans la partie haute de la rue Didouche Mourad, en contrebas du Sacré-Cœur. J'y salue le propriétaire, un bouquiniste installé là depuis des décennies. C'est chez lui que j'ai acheté mes premiers livres à une époque lointaine où les liseuses numériques appartenaient au monde de la science-fiction. A chaque fois, je tiens à le féliciter pour sa résistance à l'air du temps. J'imagine sans peine les sollicitations et pressions dont il doit faire l'objet. Combien sont-ils à rêver de récupérer ce local - terme magique dans l'imaginaire du business algérien - pour en faire une sandwicherie, une pizzeria, un magasin de fripes, une dévédéthèque (si, si, cela se dit ainsi) plus ou moins en règle avec le copyright ou une bijouterie ? Combien sont-ils à vouloir remplacer le livre, fût-il d'occasion, par un poulet rôti ?

J'évoque cette boutique en pensant à la pétition que je viens de voir passer sur internet. Elle concerne la bibliothèque des Beaux Arts, une autre halte obligée dans mes déambulations algéroises. Voici ce que dit le préambule du texte: «La librairie des Beaux Arts, 28, rue Didouche Mourad, Alger, est à nouveau menacée de disparaître. Une décision d'expulsion a été prononcée par la justice, à l'encontre du gérant actuel. Son exécution est imminente et nul ne sait après ça ce qu'il adviendra de ce lieu mythique. Sera-t-elle un lieu de restauration rapide, ou en magasin de chaussures et maroquinerie de marques toutes plus contrefaites les unes que les autres, ou enfin se transformera-t-elle en boutique franchisée de vêtements made in China ? (...)» (1).

Pour qui ne connaît pas la capitale, il faut rappeler que cette librairie, qui date des années 1950, fait partie des hauts lieux de la culture algéroise. Les Beaux Arts, ce sont des livres, des disques, des rendez-vous, des causeries, des dédicaces et des discussions au hasard des rencontres. Comment aussi ne pas citer le nom de Vincent Grau, son libraire emblématique, assassiné un jour de février 1994 alors que le pays tout entier basculait dans la violence et l'horreur ? On me dira que les commerces vivent et meurent eux aussi. Peut-être. Mais, tout de même ! On parle là d'une librairie. Si elle disparaît, quelle sera la prochaine ? Les rues Didouche Mourad et Larbi Ben M'Hidi vont-elles devenir un long bazar urbain où à défaut de se nourrir l'esprit, on devra se contenter d'avaler des graisses saturées ? Certes, rien n'est encore perdu car il existe encore des téméraires qui osent se lancer dans l'aventure du livre (2). Mais les difficultés de la librairie des Beaux Arts sont tout sauf une bonne nouvelle.

Sans forcer le trait, on peut d'ailleurs faire le parallèle avec ce qui se passe à Paris. Là aussi, des librairies disparaissent. Jadis centre de savoir et de culture, le quartier latin est désormais un haut lieu de nippes de luxe dont le mauvais goût général est proportionnel aux prix indécents infligés au gogo acheteur. A Saint-Germain, les librairies sont remplacées par des boutiques de mode et de sacs en PVC dont je me demande souvent si elles sont vraiment rentables ou si elles ne cachent pas un quelconque blanchiment d'argent sale. Un ami journaliste me dit que ce n'est pas grave. Qu'il ne faut pas prêter l'oreille aux germanopratins et aux snobs qui pleurent leurs librairies perdues parce que celles-ci renaissent ailleurs dans d'autres quartiers. Dans d'autres lieux moins artificiels et bien moins ripolinés.

Il n'a pas complètement tort. C'est ainsi que Le Divan est désormais installé dans le quinzième arrondissement, à quelques centaines de mètres du domicile du nouveau président français. Je profite aussi de cette chronique pour évoquer un lieu que je n'ai pas encore visité mais dont bon nombre de confrères m'ont déjà parlé avec admiration. Il s'agit de La Traverse, une librairie installée à La Courneuve où, si mes souvenirs sont bons, il sera question de l'Algérie début juin (3). A bien y regarder, c'est vrai que les cités ont bien plus besoin de librairies que les quartiers où le touriste, sac-à-dos et gobelet starbucks à la main, fait la loi

Pour autant, être libraire à Paris est loin d'être chose aisée. C'est un sujet que j'ai déjà abordé dans une ancienne chronique mais qui reste d'actualité (4). Il suffit de rentrer dans une librairie pour le comprendre. La survie semble y passer par la papeterie, notamment les beaux carnets et autres accessoires de calligraphie, et par un certain genre d'ouvrages: abécédaires, guides divers et, obligation incontournable, livres sur le bien-être sans oublier les manuels de cuisine en tous genres (y compris celle au chocolat noir ). «Internet nous tue», ne cesse de me dire un libraire de mon quartier, obligé d'organiser des rencontres régulières entre auteurs et clients pour renforcer le lien avec ces derniers.

C'est ce qui explique pourquoi Gérard Collard, un libraire très présent sur les plateaux de télévision et reconnaissable à sa houppette, a récemment (et en vain) présenté sa candidature à l'Académie française. Outre l'envie de protester - on le comprend - contre celle de Patrick Poivre d'Arvor, Collard estime qu'il est temps que ses pairs reçoivent la reconnaissance à laquelle ils ont droit. Il est vrai qu'ils ne sont pas uniquement des vendeurs mais que leurs conseils, leurs mises en valeur de tel ou tel ouvrage demeurent indispensables dans un monde où, plus que jamais, il faut se méfier de la communication insidieuse et du copinage qui vérolent les suppléments et émissions littéraires. 

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(1) Pétition disponible sur le site: mesopinions.com
(2) Lire à ce sujet Sarah Elkaïm sur SlateAfrique: «Le libraire d'Alger qui entre en résistance». Un article consacré à la librairie «Ta Page» de Ramdane Iftini.
(3) Librairie-la-traverse.fr
(4) Mon libraire jette l'éponge, 22 septembre 2005 (chronique disponible dans le recueil «La France vue par un blédard», éditions du Cygne). 
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mardi 15 mai 2012

Normal !

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Normal...

Normal... Il paraît que c'est à Alger (Bab el Oued) que François Hollande a fait, en décembre 2010, de ce mot un slogan politique.
Quoi de plus... normal ?
Normal, ce terme est utilisé en permanence par les Algérois et les Algériens (rouler les 'r' svp). " Noorrrmal khô ! "

Bon,... les Tunisiens vont clamer qu'eux aussi disent "mahouche normal" (ce n'est pas normal).

Nooormâl...
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jeudi 10 mai 2012

La chronique du blédard : François Hollande, les drapeaux arabes à la Bastille et l'intégration

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 10 mai 2012
Akram Belkaïd, Paris

C’était à prévoir... La présence de nombreux drapeaux arabes sur la place de la Bastille au soir de l’élection de François Hollande a provoqué une flopée de commentaires négatifs. Dès le lendemain, la droite et l’extrême-droite ont dénoncé des manifestations communautaristes et en ont profité pour faire le lien entre ces emblèmes et le projet de François Hollande d’accorder le droit de vote aux étrangers non-communautaires (pour les élections municipales). On peut d’ores et déjà parier que ce thème polémique du drapeau étranger, surtout, arabe, ou plus encore maghrébin, ou, soyons plus directs, algérien, va peser sur la campagne pour les élections législatives des 10 et 17 juin prochains.

Commençons par une première mise au point. Ce n’est pas la première fois que des drapeaux maghrébins sont agités au soir d’une élection présidentielle française. En 2002, après la victoire de Jacques Chirac contre Le Pen père, il y en avait déjà des dizaines place de la Bastille. Souvenons-nous du visage effaré (révulsé ?) de la Bernadette debout sur scène avec son mari face à la vague de drapeaux vert, rouge et blanc (lesquels semblaient plus fêter la défaite du leader du Front national que la victoire de Chirac). Pour mémoire, c’est la présence de ces drapeaux qui avait alors dissuadé Nicolas Sarkozy de faire son apparition sur cette même place en 2002... Pour autant, il n’avait pu empêcher qu’ils soient de nouveau présents en 2007 sur la place de la Concorde (il faut tout de même reconnaître qu’ils étaient bien moins nombreux que le soir du 6 mai).

Ajoutons une deuxième précision. Ce phénomène de la présence de drapeaux maghrébins ne concerne pas uniquement la France et sa vie politique. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder à la télévision un match de football ou toute autre compétition sportive, curling compris, en n’importe quel point du globe. Que l’on soit en Catalogne, en Australie ou aux confins de l’Argentine, il y aura toujours un Algérien ou un Marocain qui se débrouillera pour placer le drapeau de son pays face aux caméras. Au Maghreb et dans le reste du monde arabe, quand il s’agit de sport, ce type de spectacle fait dire, avec amusement et un brin de satisfaction, que « nous sommes partout ». A l’inverse, il est certain que voir flotter un drapeau mauritanien ou algérien à côté d’un poster de François Hollande en a déconcerté plus d’un de Rabat à Mascate.

Il y a plusieurs explications à la présence de ces drapeaux place de la Bastille. On peut estimer que c’est l’expression d’une revanche contre la présidence de Sarkozy et contre ses discours stigmatisant les gens d’origine arabe ou « d’apparence musulmane ». On peut aussi penser, comme l’a dit un commentateur d’Al-Jazeera, que François Hollande est jugé moins proche d’Israël et des Etats-Unis que le candidat de la droite. La présence des drapeaux aurait donc signifié un soutien enthousiaste des pays et des peuples arabes au nouveau président français. Ce serait aussi une manière comme une autre de lui rappeler qu’il existe d’autres continents que l’Europe et que l’on attend de lui qu’il précise ses projets pour le sud et l’est de la Méditerranée.

Enfin, on peut aussi y voir l’image d’une certaine France, humaniste, engagée et généreuse, qui éclairerait le reste du monde. Avec les Etats-Unis, la France est l’un des rares pays au monde dont l’élection présidentielle est suivie de près par de nombreux peuples y compris arabes. Et il ne s’agit pas simplement d’une simple passion par procuration. Cela peut être vu comme un signe avant-coureur, un exemple à suivre. A ce sujet, François Hollande et ses amis socialistes ne se trompent pas quand ils affirment que leur victoire électorale peut être le catalyseur du réveil d’autres gauches.

Ceci étant précisé, il ne faut pas non plus être naïf. Ces drapeaux maghrébins place de la Bastille étaient aussi le fait de comportements inconséquents voire de provocations. Le problème n’est pas nouveau et, en réalité, il concerne peu les étrangers vivant dans l’Hexagone. On le sait, ce sont surtout de jeunes français  - il est important de préciser et de répéter qu’ils ont déjà et depuis longtemps la nationalité française – qui prennent un malin plaisir à exhiber en toutes circonstances (cérémonies de mariage comprises) le drapeau du pays dont sont originaires leurs parents voire leurs grands-parents. Disons-le, cette manière de faire n’est pas acceptable. Elle est inconvenante, elle renforce la xénophobie et donne des arguments à la droite et à l’extrême-droite. Elle peut aussi choquer des personnes qui n’ont rien de raciste mais qui se demandent ce que ces drapeaux viennent faire chez eux. Comme évoqué dans une chronique précédente (*), ces comportements ont tendance à désespérer et à mettre dans la gêne celles et ceux qui, justement, combattent pour une société plus égalitaire et plus tolérante.

François Hollande et son camp ont tout intérêt à ne pas éluder ce problème. C’est à eux de convaincre ces jeunes qu’ils ont tout à fait le droit d’être fiers de leurs racines mais qu’ils doivent aussi se sentir pleinement Français. Qu’ils peuvent brandir un drapeau algérien ou tunisien le soir d’une victoire électorale en France (ou de toute autre occasion) mais qu’il serait préférable pour eux de brandir aussi le drapeau bleu-blanc-rouge (à ce sujet, le staff électoral de Hollande aurait été bien inspiré de distribuer plus de drapeaux français place de la Bastille…). Contrairement à la droite qui a encore du mal à accepter l’idée que ces jeunes sont de « vrais » Français, la gauche peut tenir un tel discours de fermeté à l’égard de cette jeunesse schizophrène sans renier ses valeurs et ses engagements.

François Hollande qui a eu le courage, dans une campagne électorale très heurtée, de défendre le droit de vote des étrangers aux élections locales, peut dire à ces jeunes : « Soyez Français ! Ne laissez personne vous dire le contraire. Soyez Français et assumez-le. Cela ne fera pas de vous des traîtres vis-à-vis du pays de vos pères. » Mais pour être entendu et compris, le nouveau président français devra se colleter avec un passé récent et douloureux. Celui d’un Parti socialiste peu enclin à s’ouvrir et très réticent à permettre aux enfants de l’immigration d’avoir des responsabilités en son sein ou de briguer des mandats électoraux nationaux. A ce sujet, tout le monde sera attentif à la composition des listes électorales pour les prochaines législatives. Pour la gauche, longtemps critiquée sur le sujet, il ne suffira pas d’imiter Sarkozy en nommant quelques visages de la diversité au gouvernement. Il faudra aussi des députés élus à moins de vouloir donner raison aux Français et Françaises qui, par dépit et amertume, se sentent bien plus à l’aise en brandissant des drapeaux maghrébins que l’emblème bleu-blanc-rouge.

mardi 8 mai 2012

Scénario pour une fin d'élection

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Voici la fin du film :


Paris. Deux ou trois heures du matin. Un long balayage de la caméra montre les derniers moments de la fête à la Bastille.Quelques plans sur les drapeaux...
Nouveau plan. 
On est dans un appartement. Un salon moderne. Eclairage tamisé. Halo bleuté. La télévision montre des images de la victoire électorale. On voit ensuite François Hollande. Il est assis sur un canapé de cuir noir. 
Il est seul. En costume, cravate défaite. 
Il coupe le son avec la télécommande. Inspire longuement, expire puis compose un numéro sur son téléphone portable. 
Gros plan.Il ne prononce qu'un seul mot.
- Merci.
Hollande raccroche et sourit en rejetant la tête vers l'arrière.
Dernière image. Dans une pièce sombre, on distingue nettement Nafissatou Dialo qui raccroche d'un air pensif.


Variante :


(...)
- Merci.
Hollande raccroche et sourit en rejetant la tâte vers l'arrière. On voit ensuite des images de grattes-ciel à Dubaï. 
Travelling sur une grande baie vitrée. A l'intérieur d'une vaste pièce décorée par Philippe Starck, on voit Cécilia Attias qui raccroche. Songeuse mais avec un petit sourire au coin des lèvres.

vendredi 4 mai 2012

La chronique du blédard : La doctrine Guardiola

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 4 mai 2012
Akram Belkaïd, Paris

C’est une grande et belle page du football qui se tournera fin mai avec le départ de Josep Guardiola du FC Barcelone. En remportant treize trophées en quatre ans (*), dont deux Ligues des champions, l’ancien meneur de jeu de la « dream team » de Johan Cruyff, est désormais l’entraîneur le plus capé du Barça mais aussi d’Espagne. Rarement un homme n’aura imprimé en si peu de temps une telle empreinte sur une formation sportive. Certes, le « plus qu’un club » catalan était déjà une grande équipe avant la nomination du « Pep » en juin 2008. Mais personne ne peut nier que la période 2008-2012 restera comme un sommet en matière de titres mais aussi, et surtout, comme un accomplissement pour ce qui est de la philosophie de jeu.

Car, c’est bien de cela qu’il s’agit quand on parle de Guardiola. Dans le monde du football, il existe un grand nombre d’entraîneurs doués et au palmarès respectable. Mais rares sont ceux qui, comme lui, peuvent prétendre incarner une idée bien arrêtée du foot. La plupart de ses confrères s’adaptent aux joueurs dont ils disposent et, le plus souvent, déterminent leur choix tactique en fonction de l’adversaire. Guardiola, lui, s’est inscrit dans la lignée de Cruyff en plaidant pour toujours appliquer la même ligne de jeu, l’essentiel étant, qu’il y ait victoire ou défaite, de rester fidèle à ses principes.

Parmi ces derniers, il y en a qui fonde tout le reste. C’est l’obligation pour les joueurs du Barça de posséder le ballon, de faire en sorte de ne pas le perdre et de le récupérer au plus vite quand il est au pied de l’adversaire (d’où l’importance, peu reconnue, d’un joueur comme Busquets). Dit ainsi, c’est presque en revenir au football de l’enfance, celui de la rue, où les gamins adorent tellement la balle qu’ils ont du mal à s’en séparer… En fait, cette possession du ballon est ce qui structure et équilibre l’équipe. A commencer par la défense dont la manière de jouer est la pierre angulaire de la doctrine Guardiola.  Pour l’entraîneur catalan, une bonne défense doit savoir construire et sortir le ballon proprement même en prenant des risques. Elle n’a pas le droit de dégager fort et en l’air ou de bombarder les avants avec de longues passes qui volent au dessus de la tête des milieux de terrain. C’est cela qui conditionne le déclenchement d’une attaque efficace.

Pour Guardiola, comme pour Cruyff, le défenseur se doit donc d’être un joueur à la technique et, à l’intelligence, aussi bonnes que celles des milieux et des attaquants. En effet, sortir de sa zone en construisant, c’est être autant capable de (bien) dribler, de jouer à une ou à deux touches de balle (pas plus), de faire une passe précise ou de réaliser un contrôle compliqué que d’anticiper la prochaine action (et ses alternatives) avant même de recevoir le ballon. C’est cela que l’on inculque aux gamins du centre de formation du Barça. C’est à cette soupe qu’ont été nourris les Messi, Xavi, Iniesta et autres Fabregas.

Et puisque c’est la technique qui prime, le choix du gabarit devient secondaire. Si l’on prend le cas français, aucun club de Ligue 1 n’est capable aujourd’hui de réaliser ou d’imiter ce que fait le Barça. Les défenses y sont robustes mais lourdes, sans imagination ni gros bagage technique. Dans les catégories de jeunes, le défenseur qui se pique de sortir le ballon sans le dégager ou l’envoyer dare-dare vers l’avant se fait durement rappeler à l’ordre quand on ne le renvoie pas sur le banc des remplaçants. Idem chez les professionnels où un Franz Beckenbauer ou, pour rester français, un Marius Trésor, n’auraient pas leur place aujourd’hui.

Ce conditionnement relève d’un « lavage de cerveau » qu’a bien décrit le Marseillais Alou Diarra dans les colonnes du mensuel So Foot (**). « Moi, aujourd’hui, quand je récupère un ballon, je dois tout de suite faire la passe, a-t-il expliqué. On m’a fait un lavage de cerveau. On m’a dit: ‘tu récupères, tu passes.’ Donc je récupère et je passe (…) On m’a formaté ! Moi, je voudrais bien jouer [au] football olé olé, mais ce n’est pas possible. Le football, ce n’est plus du plaisir. C’est du business. On nous formate à faire des choses pour prendre le minimum de risques. Surtout à des postes importants. Moi, j’ai un poste important où je ne peux pas tenter n’importe quoi, n’importe quand. Ce n’est pas par hasard qu’on met moins de buts en France que dans d’autres championnats, hein ! (…) En France, on pense à ne pas perdre avant de penser à gagner. » Un constat que l’on retrouve aussi en Algérie et dans bon nombre de pays arabes et africains où les supposées vertus de la rigueur à l’européenne ont fait d’énormes dégâts en proscrivant la spontanéité mais aussi la fantaisie dans le jeu. Mais ceci est une autre histoire…

Revenons donc à Guardiola. Sa dernière expérimentation consistait à ne jouer qu’avec trois défenseurs (l’équipe évoluant en 3-4-3 ou en 3-1-3-3), ses inspirateurs en la matière étant les Argentins Luis Cesar Menotti, Ricardo La Volpe et Marcelo Bielsa (lequel est en train de montrer toute l’étendue de son talent avec l’Athletic Bilbao). Autant le dire tout de suite, ce schéma n’a pas encore convaincu grand monde. Dans une équipe visiblement émoussée, s’en remettant trop souvent au seul génie de Messi, il a même souvent placé le Barça en situation difficile. Mais on peut d’ores et déjà parier qu’il sera de nouveau tenté par l’entraîneur catalan lorsqu’il reviendra de son congé sabbatique pour rejoindre une nouvelle équipe.

Manchester United ? L’équipe d’Angleterre ? L’AC Milan ? Le PSG ? Le Ghali Mascara ? On verra bien. En tous les cas, il serait surprenant que Guardiola se retire définitivement du circuit. Au milieu des années 2000, alors qu’il venait à peine de terminer sa carrière de joueur, il avait voyagé en Argentine pour rencontrer Bielsa et Menotti afin de leur exposer ses projets de futur entraîneur. « Pourquoi, vous qui connaissez toute la saleté qui entoure le milieu du football, le haut degré de malhonnêteté de certaines personnes, vous tenez tant à y revenir et vous mettre à entraîner ? Vous aimez tant ce sang ? » lui avait demandé Bielsa, dit « le fou » et connu pour sa propension à prendre régulièrement ses distances avec le monde du football. « J’ai besoin de ce sang » aurait alors répondu Guardiola.  Inutile de dire que c’est surtout le football qui a besoin de lui…


(*) Quatorze si, d’aventure, le Barça remporte la Coupe d’Espagne (Coupe du roi) le 25 mai prochain face à l’Athletic Bilbao.
(**) Décembre 2011.