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Blog au fil des jours, quand la chose et l'écriture sont possibles.
Lignes quotidiennes
mercredi 30 octobre 2019
La chronique du blédard : Peuples en mouvements
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 24
octobre 2019
Akram Belkaïd, Paris
Slogans, chants, poings
levées, injonctions à dégager, cortèges, défilés incessants : les peuples
sont en colère. Il suffit de prêter une oreille, même distraite, à l’actualité
pour s’en rendre compte. Depuis plusieurs mois, c’est bel et bien un mouvement
planétaire qui secoue les pouvoirs établis et les oblige à réagir. La liste des
pays et des régions concernés est longue. Algérie, Bolivie, Catalogne, Chili,
Égypte, Équateur, France, Guinée, Haïti, Hongkong, Indonésie, Irak, Liban,
Maroc, Royaume-Uni, Soudan, Venezuela… Chaque semaine ou presque, un nouveau
foyer est ajouté à cette liste. Dans certains cas, les contestations populaires
déclinent ou s’éteignent mais il arrive aussi qu’elles reprennent de manière
soudaine, au gré des circonstances politiques.
Bien entendu, il serait
aventureux de placer toute cette colère dans une catégorie unique. Les raisons
des manifestations ne sont pas toujours les mêmes mais nombre d’entre elles se
rejoignent. L’Algérie et le Liban sont deux pays différents mais, dans les deux
cas, la finalité exigée est identique : un changement de système et la
capacité du peuple à enfin dire son mot. En Guinée, pays qui n’en finit pas de
se battre contre l’autoritarisme, c’est la perspective d’un troisième mandat du
président Alpha Condé qui mobilise l’opposition. En 2010, on pensait que
l’accession au pouvoir de cet opposant, jadis condamné à mort, allait ouvrir
une nouvelle page, on se rend compte que l’histoire se répète. Les opposants
d’hier deviennent les autocrates d’aujourd’hui. Ce qui se passe en Guinée
rappellera bien des choses aux Algériennes et aux Algériens : Une
Constitution que l’on amende pour ouvrir la voie à une présidence à vie, des
opposants condamnés par une justice aux ordres, une communauté internationale
qui ne dit pas grand-chose…
Mais le gourdin ne suffit
plus à garantir la tranquillité des tyrans car la révolte des peuples est
devenue contagieuse. Dans quelques jours, le 17 novembre, on célèbrera le
premier anniversaire de la grande manifestation des gilets jaunes français.
Multiple, protéiforme, parfois (très rarement, en fait) ambigu, ce mouvement a
subi une vraie répression qui laisse songeur quant à la réalité de l’État de
droit en France. Il est évident que les manifestations du samedi, qui se
perpétuent même si la presse n’en parle presque plus, ont inspiré d’autres
mouvements. En France, comme au Chili ou au Liban, il a fallu un catalyseur,
une taxe, pour mettre le feu aux poudres. Le litre d’essence dans l’Hexagone,
le ticket de métro à Santiago ou la communication WhatsApp à Beyrouth… Mais
attention à ne pas résumer les mouvements à cela. Comme souvent, les médias à
la recherche de clichés faciles, les résument par des appellations aussi
lapidaires que douteuses. On avait l’imbécile « révolution du
jasmin » pour la Tunisie, ou « révolution du sourire » pour
l’Algérie, on a maintenant la « révolution WhatsApp » pour le Liban
ou la « révolution du ticket » pour le Chili.
Dans la majorité des cas, et
au-delà de la question des libertés qui vaut autant à Alger qu’à Hongkong,
c’est la question d’un monde façonné par le libéralisme qui est posée. Nous
vivons dans un contexte général où les États ont de plus en plus de mal à
garantir le bon fonctionnement d’institutions et de mécanismes nécessaires à la
redistribution et au bien-être social. Les privatisations, la dette, les plans
d’austérité que le Fonds monétaire international (FMI) continue d’imposer, les
traités de libre-échange qui tuent, le verbe n’est pas trop fort, les
productions nationales, la généralisation des législations instaurant une
précarité dans le monde du travail, c’est tout cela qui alimente le ras-le-bol.
Que l’on soit au Liban, en
Algérie ou même à Hongkong, il y a une confusion qui est délibérément
entretenue entre la démocratie et le marché. L’idée que l’une ne peut pas aller
sans l’autre s’est tranquillement imposée depuis la chute du mur de Berlin, il
y a exactement trente ans. Or, on constate chaque jour les dégâts provoqués par
une libéralisation sans limite. Un pays comme la France en est l’illustration.
D’un modèle social bâti sur la solidarité, notamment entre générations (ou
entre travailleurs et chômeurs), on passe lentement mais sûrement au règne du
chacun pour soi et selon ses moyens. Si les Chiliens sont dans la rue, c’est
parce que la « réussite » des économistes qui servirent Pinochet ne
fut en réalité que l’organisation méthodique de systèmes inégalitaires destinés
à durer. Beaucoup pour une minorité, peu ou très peu pour le reste n’est pas un
projet viable à long terme. En tous les cas, il n’est pas conforme à la
démocratie car, dès lors qu’il est contesté, il oblige à l’usage de la force et
restreint les libertés, notamment syndicales.
A un moment ou un autre, un
mouvement de contestation populaire a besoin de carburant idéologique. Ce qui
vient de se passer en Algérie à propos de la loi sur les hydrocarbures en est
la preuve. Il ne s’agit pas simplement de dénoncer l’empressement et le manque
de transparence dans l’adoption de ce texte. L’important est aussi de savoir
quelle logique fonde cette loi. Que signifie la ressource nationale ? Que
signifie la souveraineté économique ? Que signifie le concept même
d’entreprise étatique ? Trop souvent, les lois visent à contourner des
exigences de conservation du bien public au profit du marché. C’est cela aussi
qui mérite d’être combattu.
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La chronique du blédard : Le voile, encore et toujours plus
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 octobre 2019
Akram Belkaïd, Paris
Campagne pour les élections municipales oblige, voilà
que ça repart comme en quarante… Quelles que soient les urgences du moment, le
voile revient au centre des débats politico-médiatiques français. Passons
rapidement sur l’événement qui a provoqué ce nouveau coup de folie. Un élu du
Rassemblement national (ex-Front national) qui exige qu’une maman
accompagnatrice d’une sortie scolaire enlève son voile dans l’enceinte du
Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Les pleurs de l’enfant réfugié
dans les bras de sa mère, le visage figé de cette dernière, les cris de
soutiens en faveur du pseudo défenseur de la laïcité, les protestations
d’autres élus : tout cela a tourné en boucle sur les réseaux.
On l’a écrit à plusieurs reprises dans ces colonnes.
Le voile, est une obsession française qui, pour l’observateur extérieur, relève
de l’irrationnel. Il est très difficile d’avoir une discussion apaisée sur ce
sujet qui charrie tant de non-dits et de postures opportunistes. Car, en
réalité, ce n’est pas du voile dont il est question mais de l’islam et du refus
de sa visibilité. Cela commence à être clairement assumé. Comme lorsque le
ministre français de l’Éducation Jean-Michel Blanquer dit que le voile n’est
pas souhaitable, pas simplement à l’école mais dans la société française. Petit
à petit les ruisseaux de l’islamophobie convergent vers un seul torrent dont il
faut craindre les dégâts.
Le voile, outre les manœuvres politiques dilatoires
(on ne parle plus des questions sociales et économiques), est aussi l’occasion
rêvée de se prétendre féministe. On peut ne rien faire pour la parité en
entreprise, pour l’égalité des salaires, pour la lutte contre les violences
infligées aux femmes, par contre, monsieur Gégé sera toujours prompt à
expliquer que son refus du voile relève de la nécessité de libérer les
musulmanes de l’oppression subie au quotidien. Tu parles…
Dans ce genre de situation, il faut revenir à ce que
disent les textes et se poser les bonnes questions. En premier lieu, est-ce que
le voile est interdit dans l’espace public ? La réponse est non tant que
le visage n’est pas caché et « dans la limite du respect de l’ordre
public ». Autrement dit, une mère voilée qui marche dans la rue ou qui
attend ses enfants devant l’école n’enfreint aucune loi. C’est cela qui pose
problème aux anti-voile. Leur but ? L’interdiction totale pure et simple.
Pas à pas, année après année, la même rengaine, déguisée, enrobée, revient. Ce
camp-là n’aura de cesse d’obtenir des limitations sans cesse accrue au port du
voile en dehors du domicile privé (en attendant les caméras de surveillance
façon Big Brother). Et tant pis si cela constitue une claire limitation à la
liberté d'opinion et de croyance.
Deuxième point, l’école. Depuis 2004, la loi est
claire. Dans les établissements publics (maternelle, collège, lycée), les
« signes religieux ostentatoires », dont le voile, sont interdits. A
l’inverse, les établissements privés, comme par exemple ceux qui relèvent de
l’Église catholique, ne sont pas soumis à cette interdiction. Certains
l’appliquent, d’autres pas. Il n’y a pratiquement plus de débat concernant le
voile à l’école même si, de temps à autre, on voit passer des informations à
propos de bandanas ou de jupes trop longues assimilées à un habit religieux. En
réalité, la vraie bagarre concerne l’université. Pour l’heure, le voile y est
autorisé mais les appels pour l’interdire sont fréquents et il y aura, tôt ou
tard une nouvelle polémique sur le sujet.
L’autre confrontation, on l’a dit en début de
chronique, concerne les accompagnatrices de sorties scolaires. Le voile n’étant
pas interdit dans l’espace public, ces femmes ne sont donc pas obligées de le
retirer. Pourtant un raisonnement spécieux voudrait en faire des agents de
service public occasionnels d’où la nécessité de leur interdire le port du
voile au nom de l’obligation de neutralité. Un autre raisonnement, tout aussi
spécieux, estime que la sortie scolaire est le prolongement de l’école et que
donc les règles qui régissent son fonctionnement sont valables ce qui autoriserait
la prohibition du voile. Mais pour l’heure, la loi est claire. Une sortie
scolaire n’est pas soumise à la loi de 2004. Jean-Michel Blanquer le sait mais
ne craint pas, lui le ministre de la République, de dire qu’il faut contourner
la loi en faisant en sorte que ces accompagnatrices voilées ne puissent pas
participer aux sorties.
Autre terrain glissant, l’entreprise. Pour l’heure, la
loi n’interdit pas le port de signes ostentatoires sauf disposition interne
contraire. Ce flou alimente un nombre croissant de litiges que les tribunaux
doivent trancher. Enfin, ce qu’il faut relever, c’est le débat autour de la
notion de prosélytisme. En effet, si une accompagnatrice qui porte le voile a
un comportement prosélyte, elle peut être interdite de sortie scolaire. Mais
qu’est-ce qu’une attitude prosélyte ? Il y a des cas évidents, comme
lorsqu’une personne tente de manière active de convaincre autrui d’adopter sa
foi. Les adversaires du voile tentent d’accréditer la thèse que le seul fait de
le porter est un acte prosélyte et de militantisme islamiste. On le voit, le
domaine des polémiques potentielles est vaste. Et cela ne concerne pas que le
voile. Demain, ce sera au tour du halal, des prénoms « islamiques »,
de la prière en entreprise ou de la pratique du ramadan.
vendredi 11 octobre 2019
La chronique du blédard : Pétrole, blé tendre, souveraineté et complot
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 10 octobre 2019
Akram Belkaïd, Paris
Dans le tumulte actuel auquel est exposée
l’Algérie, deux informations méritent réflexion car elles permettent de balayer
sans peine les péroraisons de ceux qui nous dirigent et de ceux qui
s’agenouillent à leurs pieds. On parle ici de sujets concrets qui doivent
alimenter une réflexion à propos de l’obsession – largement partagée y compris
en dehors du pouvoir – du « complot » qui menacerait le pays. Il
s’agit de la nouvelle loi sur les hydrocarbures et de l’importance des
importations de blé tendre français.
En ce qui concerne les hydrocarbures, le
gouvernement affirme que cette nouvelle loi a pour but d’attirer plus
d’opérateurs étrangers en leur proposant de nouvelles conditions notamment une
réduction du nombre de contrats possibles ainsi qu’une simplification fiscale,
autrement dit la promesse de payer moins d’impôts. Au dire du ministre de
l’énergie Mohamed Arkab, ces conditions « attrayantes »
ont été pensées en concertation avec les « cinq
meilleures compagnies dans le monde » (sic). Pour autant, le monde du
brut ne semble guère impressionné et semble en attendre (exiger) plus.
Depuis la fin des années 1980, l’Algérie
s’éloigne inexorablement de son modèle pétrolier adopté avec la nationalisation
des hydrocarbures du 24 février 1971. Chaque loi, chaque réforme, vise ainsi à
redonner un peu de ce qui avait été enlevé jadis aux compagnies étrangères.
Certes, les réserves de brut et de gaz naturel appartiennent au pays mais le
régime des concessions ou les contrats de partage de production entre la
Sonatrach et des compagnies étrangères sont de bien utiles outils pour
contourner les grands principes de souveraineté et de monopole.
En 1997, Manuel Marín González, alors
vice-président de la Commission européenne, déclarait à un parterre de
journaliste que l’objectif de l’Union européenne (UE) était de convaincre
l’Algérie de privatiser la Sonatrach. Bon an, mal an, cet objectif est toujours
d’actualité car Bruxelles considère que seul un abandon du monopole étatique
algérien sur ses hydrocarbures garantira l’approvisionnement énergétique à long
terme de l’Union européenne. D’autres considérations, plus politiques, étayent
ce souhait notamment l’idée que la privatisation de la Sonatrach sonnerait le
glas des intérêts rentiers qui bloquent la démocratisation de l’Algérie. Cette
opinion trouve un écho favorable aux États-Unis où domine (encore) l’idée que
la démocratie va de pair avec la libéralisation des marchés.
Dans cette confrontation d’intérêts, l’Algérie
ne fait donc pas totalement ce que lui demandent l’Europe et les États-Unis.
Mais elle accepte des concessions de manière régulière. Ceux qui ne cessent de
parler de souveraineté nationale et qui fustigent une pauvre députée française
égarée dans le bouillonnement algérien sont les mêmes qui organisent, dans
l’opacité, des transferts de souveraineté dans des conditions pour le moins
contestables. Car, en effet, de quel droit un gouvernement transitoire, nommé
hier par un président forcé à la démission, peut-il engager le pays sur un
sujet aussi important que les hydrocarbures ? Les Algériens n’ont-ils pas
leur mot à dire sur la question ? Est-il nécessaire de pomper autant de
brut, sachant que, de l’avis même de certains responsables de la Sonatrach, les
grands gisements sont « fatigués » ? Le pétrole et le gaz naturel
sont la propriété du peuple algérien. L’esprit du Hirak commande d’organiser un
débat national sur ce sujet aux ramifications innombrables (gaz de schiste,
énergies renouvelables, nucléaire) avant de trancher. Et ce n’est pas cette
majorité de pantins illettrés qui siègent à l’Assemblée nationale qui est
capable de prendre la mesure des enjeux.
Passons maintenant à la question du blé. Les
statistiques montrent que l’Algérie est le premier client des exportations
françaises de blé tendre. En août 2019, le pays a importé 449 000 tonnes de blé
français soit l’équivalent de 36% du total des ventes françaises. 36%, c’est
beaucoup. Énorme, même. Et cela pose la question, presque jamais abordée, de
l’indépendance alimentaire de l’Algérie. Notre pays, comme l’Égypte, dépend beaucoup
trop des approvisionnements extérieurs en matière d’alimentation de base. On ne
cesse de parler aux Algériens des menaces aux frontières et des agresseurs
tapis dans l’ombre qui n’attendraient qu’une occasion pour agir, mais cette
affaire de dépendance alimentaire est un tabou. Pourquoi ? Le fait que les
intérêts en jeu sont énormes n’est pas étranger à ce silence. Et il y a aussi
le fait qu’il n’est guère imaginable de concéder que le pays est en position de
faiblesse et que sa supposée totale indépendance par rapport à l’extérieur, et
notamment la France, n’est qu’un leurre destiné à échauffer les passions
chauvines.
Face à cette situation il y a deux manières de
réagir. La position wanetoutriste est de considérer que l’Algérie
« tient » la France en étant son principal client pour ce qui
concerne les céréales. Un bon client, dit-on, peut tout se permettre. Oui, sauf
quand ce qu’il achète est vital pour lui. L’autre approche consiste à inverser
le raisonnement en posant trois questions : D’abord, est-il prudent de
dépendre autant d’un seul fournisseur (et quel fournisseur !) ?
Ensuite, existe-t-il des solutions de rechange en cas de rupture (ou de
suspension) de cet approvisionnement ? Enfin, pourquoi l’Algérie
importe-t-elle autant de blé tendre ? Il y a certainement des réponses
rationnelles, voire rassurantes à ces questions. Mais ces dernières doivent
être posées et débattues dans un contexte ouvert et démocratique. Et ce ne sont
pas les obligés et autres clowns qui font acte de candidature pour le scrutin du
12 décembre qui oseront le faire.
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