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Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 février 2021
Akram Belkaïd, Paris
Dans l’histoire récente des États-Unis, le maccarthysme (1950-1954) représente un moment à part fait de paranoïa anticommuniste, de persécutions systématiques, d’incitation musclée à la délation et d’abus policiers et judiciaires. Orchestrée par le sénateur Joseph McCarthy, la traque des communistes et de leurs sympathisants prit rapidement l’allure d’une chasse aux sorcières où la folie le disputait à l’irrationnel et au grotesque. De cette période, on retient aujourd’hui la violence subie par les mis en cause, l’arbitraire d’une machine devenue incontrôlable, son accumulation de dérapages et son arrêt soudain dès lors que vint à l’esprit dérangé du dit sénateur l’idée d’étendre sa croisade à l’armée américaine…
Dans le contexte actuel français d’obsessions régressives liées à « l’islamo-gauchisme » il y a certainement des parallèles à faire même si on est loin de la gravité de la situation américaine de l’époque. Mais quand la ministre française de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (excusez du peu) déclare qu’elle va demander au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de faire une enquête sur l’influence de l’islamo-gauchisme dans l’université, on se dit que quelque chose de sérieux est en train de dérailler dans une macronie qui flirte ouvertement avec l’extrême-droite. McCarthy, lui aussi, voulait extirper « l’hydre communiste » des établissements scolaires et universitaires américaines et cela se traduisit par des milliers de professeurs révoqués ou de bourses refusées. A quand une enquête sur l’islamo-gauchisme dans les hôpitaux, les écoles primaires ou même les entreprises ? Le filon est énorme et il ne demande qu’à être exploité.
Mais, avant d’aller plus loin, relevons l’essentiel. On sait ce que fut – et ce qu’est encore (quoique) le communisme. Ses adversaires n’avaient aucun problème à cerner les contours de cette doctrine quelles que soient ses variantes. Quand McCarthy voulait, selon ses mots, « faire la peau au communisme », on avait une idée de ce dont il parlait. Qu’ensuite, le simple fait de se préoccuper de la santé des plus pauvres ou de réclamer des repas chauds dans les cantines scolaires fut qualifié par le sénateur et ses sbires de communisme est tout autre chose. Bref, on sait ce qu’est le communisme mais qui peut bien nous fournir une définition de ce que serait cet islamo-gauchisme qui menacerait tant la République ?
Si l’on exclut le recours à la dérision pour dénoncer une situation ubuesque, personne ne se revendique de l’islamo-gauchisme (ou alors, c’est pour faire peur à madame Vidal ou pour que Jean-Pierre Elkabach sorte de sa tanière). L’islamo-gauchisme, ce n’est rien de tangible. C’est une notion vide de sens. Ce n’est pas un courant politique, ce n’est pas une idéologie, ce n’est pas un texte ni une doctrine et on serait bien en peine d’en désigner le Marx, l’Engels ou même le Lénine. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce terme, péjoratif, est né à l’extrême droite qui en fait le reflet du tristement célèbre complot judéo-maçonnique (ou judéo-blochévique). C’est la trouvaille des héritiers de Pétain et de Laval pour étendre le champ de la suspicion ambiante aux non-musulmans. Cela fait des années qu’il est facile de jeter l’opprobre sur un Kamel ou un Boualem en laissant entendre qu’ils cacheraient bien leur jeu, qu’ils pratiqueraient la taqqiya (tout le monde connaît désormais ce terme) et qu’ils ne seraient, en fait, que des islamistes déguisés, toujours prêts à prendre quatre femmes et à refuser les lois de la République.
L’étiquette islamo-gauchiste tombe donc à point pour s’attaquer à celles et ceux qui, sans être musulmans, disent avec courage que l’islamophobie – ou la haine des musulmans puisque certains ne supportent pas ce mot – ne cesse de croître en France et qu’il est urgent de la combattre. On remarquera d’ailleurs que souvent, ce sont les mêmes zélotes de la laïcité qui affirment que le terme « islamophobie » n’est qu’une invention des mollahs iraniens – énorme bêtise qui traduit l’inculture ou la mauvaise foi des concernés – et qui usent et abusent du terme islamo-gauchiste comme s’il désignait une réalité tangible ou un courant doctrinaire réel.
Nous assistons-là à une énième diversion dont le but est de donner libre cours à des pulsions racistes très anciennes pour gommer le réel. En France, la crise du Covid-19 a démontré les faiblesses du système de santé, les errements de sa haute administration, les limites de son industrie (pas de vaccins…) et la pusillanimité de son pouvoir politique. Les hurlements convenus contre l’islamo-gauchisme et le séparatisme entendent aussi faire oublier ces longues files d’étudiants qui n’ont rien à manger et qui s’en remettent à la charité d’organisations non gouvernementales.
Il y a quelques jours, le quotidien Le Monde a publié une enquête fouillée sur le Luxembourg, ce paradis ou « havre » fiscal au cœur même de l’Union européenne. Des milliards d’euros ayant échappé au fisc français y dorment et s’y bonifient en toute tranquillité. On pourrait dire que c’est cela le vrai séparatisme, le fait de se dérober à l’obligation de tout citoyen envers l’État et la République car, qu’est-ce qu’un État s’il n’est pas capable de lever l’impôt en toute justice et équité ? A l’heure des bilans en matière de lits d’hôpitaux supprimés et de coupes claires dans les budgets de santé, c’est cela qui devrait faire débat mais cogner encore et encore sur les musulmans et ceux qui dénoncent l’islamophobie est la plus aisée des stratégies. Mais… attention, à en croire la valetaille macroniste et les médias qui roulent pour Le Pen, il parait qu’affirmer cela serait le signe de l’appartenance à l’islamo-gauchisme. Reste à préciser quelle tendance.