Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 29 mai 2021

La chronique du blédard : De la Commune de Paris et de l’Algérie

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 27 mai 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

 

« La révolution sera la floraison de l’humanité comme l’amour est la floraison du cœur »

Louise Miche, Mémoires, 1886

 

Il y a un siècle et demi, Paris fut durant quelques semaines (du 18 mars au 28 mai 1871) une « ville libre » où était tentée l’une des premières, sinon la première, expérience de démocratie directe. En s’insurgeant contre une Assemblée monarchiste repliée à Versailles (tout un symbole), la Commune, porteuse d’une colère populaire engendrée par « l’année terrible » (défaite de Napoléon III contre les Prussiens et siège impitoyable, par ces mêmes Prussiens, de la capitale française), fut une expérience inventive dont les espérances révolutionnaires et humanistes finirent balayées dans le sang et la fureur de la « Semaine sanglante » (22 au 28 mai 1871).

 

Cumulant les « colères des vaincus et des rêves de précurseurs », la Commune a imaginé l’enseignement pour tous, la culture pour tous et la défense du bien public. Une « République sociale » dont il est encore question aujourd’hui en réponse aux méfaits de plusieurs décennies de néolibéralisme triomphant. Revenant de manière immédiate (13 juin 1871) sur les événements de Paris dans « La guerre civile en France », Karl Marx écrivit que « la grande mesure sociale de la Commune » résida « dans sa propre existence et son action. »

 

Dirigés par le très réactionnaire Adolphe Thiers, dit « Foutriquet », les Versaillais, pères et pairs hasardeux de la IIIème République, rêvaient quant à eux de restauration monarchiste. Leurs alliés de fait, les républicains « conservateurs » voulaient une République « prudente », « raisonnable » où, dans la réalité, chacun resterait à sa place. Où l’ordre social ne serait pas bouleversé et où le « petit » peuple demeurerait sous garde constante. On ne s’étonnera pas non plus d’apprendre que de grandes figures célébrées au panthéon républicain furent elles aussi opposées à la Commune et n’eurent aucun scrupule à se ranger du côté des Versaillais. Ce fut le cas, par exemple, de Jules Ferry dont on nous dit tant et tant de bien aujourd’hui. On relèvera aussi qu’exception faite de quelques grandes figures intellectuelles, dont Louise Michel et Jules Vallès, nombreux furent les écrivains, parmi lesquels George Sand et Émile Zola, qui se détournèrent de la Commune.

 

En se penchant sur l’histoire de cette révolution avortée, on se rend compte que la défaite des Communards coïncide peu ou prou avec la naissance de la IIIème République dont le poids demeure important dans l’imaginaire politique français. Or, cette République, n’est pas simplement née de la déroute totale de Sedan qui valut à Napoléon III un humiliant emprisonnement par les Prussiens. Elle est née des décombres d’une expérience progressiste, laïque et démocratique. On relèvera donc que les personnalités politiques françaises qui n’ont que l’adjectif « républicain » à la bouche sont, en réalité, les héritiers d’une vraie contre-révolution…

 

La Semaine sanglante fut un massacre total : Au moins 35 000 insurgés parisiens tués (contre 1200 soldats aux ordres de Versailles), cinq cent barricades détruites dans la fureur de combats acharnés et des dizaines de milliers d’arrestations. Sur le plan militaire, l’armée versaillaise a inauguré une stratégie de combats urbains qui existe aujourd’hui encore. Au lieu d’avancer dans les rues, les militaires passaient d’une maison à l’autre, détruisant les murs intérieurs pour circuler de pièce en pièce. Plus d’un siècle plus tard, l’armée israélienne appliquera la même stratégie pour mater l’insurrection du camp palestinien de Jénine (avril 2002)…

 

Quand on parle de l’Histoire de France au dix-neuvième siècle, l’Algérie n’est jamais loin. En mars 1871, quand le peuple de Paris refuse de restituer ses canons (point de départ de la Commune), c’est le moment où naît l’insurrection menée par le cheikh El-Mokrani en Kabylie et dans le Sétifois. Neuf mois d’incandescence qui se termineront, ici aussi, par une défaite, des exactions contre les populations civiles, des exils intérieurs et des déportations de milliers d’habitants de la Kabylie vers la Nouvelle-Calédonie. C’est là que Louise Michel, l’une des plus célèbres figures de la Commune, elle aussi déportée, prendra conscience de ce qui se jouait en Algérie. Fidèle à une promesse faite alors aux relégués kabyles (lesquels, contrairement aux ex-Communards ne pourront jamais rentrer chez eux), elle se rendra plus tard en Algérie. En compagnie d’Ernest Girault, elle y donnera plusieurs conférences d’octobre à décembre 1904, quelques mois avant sa mort à Marseille. Cet épisode algérien où, devant des salles combles, elle s’éleva contre l’oppression et l’exploitation coloniale tout en appelant à la révolution sociale, est très rarement évoqué.

 

On retrouve l’Algérie comme élément de parcours chez l’un des plus abjects personnages de la Semaine sanglante. Il s’agit du général Gaston de Galliffet, militaire de carrière qui, jeune officier participa à plusieurs campagnes « de pacification » en Algérie. Par la suite, plus que de le faire suer, il fit « saigner le burnous » en étant en poste à Tlemcen. Fort de son expertise acquise en Algérie, mais aussi lors de l’expédition militaire française au Mexique, Gallifet s’illustra ensuite dans la guerre et la répression contre les Communards, gagnant par ses « exploits » le surnom de « Massacreur de la Commune ». Dirigeant l’une des colonnes qui investit le Paris insurgé, il fut surtout le maître d’œuvre d’une justice expéditive à laquelle la capitale française a dû nombre de fosses communes dont certaines continuaient à être exhumées jusqu’au milieu du XXe siècle. Selon les estimations, il ordonna l’exécution sans aucune forme de procès de 3 000 prisonniers, choisissant ses victimes au hasard ou selon des critères que l’on appréciera à leur juste valeur comme lorsqu’il ordonna que l’on fusille les hommes ayant des cheveux gris ou blancs. Pourquoi ? Parce que cela prouvait qu’ils avaient connu la révolution de 1848 et que son échec ne les avait pas empêchés de récidiver…

 

Après avoir massacré des Algériens puis des Communards, Galliffet accumulera les honneurs et les postes prestigieux, devenant même ministre de la guerre en pleine affaire Dreyfus. L’histoire, dit-on, est une succession ininterrompue de crimes impunis et de méfaits récompensés. En France, les Versaillais imposèrent leur vérité, faisant des Communards des révoltés alcoolisés, des sauvages, des « pétroleuses » (femmes insurgées qui auraient mis le feu à Paris). Bien qu’elle s’en défende, une partie de la gauche française demeure mal à l’aise vis-à-vis de cette période (Jules Ferry ou Louise Michel, il faut choisir…) tandis que la droite continue de dénoncer une sédition coupable d’avoir exécuté des prêtres. L’absence d’une grande commémoration nationale de la Commune montre bien que la plaie n’est pas refermée.

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mardi 18 mai 2021

KARIM, NIKOLA, INDULGENCE ET DEVOIR D'EXEMPLARITÉ

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Le retour de Karim Benzema en équipe de France de football est une vraie surprise. Personne ne dira le contraire. Par contre, ce qui n’est pas surprenant, c’est la colère pour ne pas dire la haine que cela a provoqué chez celles et ceux qui ont toujours réclamé sa tête. Une détestation motivée, du moins officiellement, par son implication dans une obscure histoire de chantage à la sex-tape au détriment d’un autre joueur, Mathieu Valbuena. Pour mémoire, Benzema aurait joué le rôle d’intermédiaire entre la victime et les maîtres-chanteurs. Rappelons que la justice a été saisie et que l’affaire suit toujours son cours.

 

Soyons clairs, il ne s’agit pas de trouver la moindre excuse à Benzema au cas où la justice viendrait à le condamner. Et s’il vient à subir des sanctions sportives, cela ne sera pas scandaleux. Mais rappelons que, dès lors qu’il y a une accusation par la puissance publique, la notion de présomption d’innocence s’applique jusqu’au jugement définitif. Pourtant, sans jamais avoir été condamné par la justice, Benzema a été immédiatement suspendu de l’équipe de France durant près de six ans et voué aux gémonies par plusieurs personnalités politiques dont l’ineffable Manuel Valls. Ce dernier, alors qu’il était premier ministre, s’est personnellement impliqué dans cette affaire et l’on sait qu’il a exercé des pressions sur la Fédération française de football pour qu’elle écarte définitivement Benzema de l’effectif des Bleus. On pourra faire remarquer que c’est une très bonne chose qu’un responsable politique défende l’éthique et la justice.

 

Admettons et parlons maintenant d’une autre affaire. En 2017, la justice française a définitivement condamné « pour escroquerie » la star du handball Nikola Karabatic. Une peine de deux mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende pour avoir trempé dans une histoire de paris sur un match entre son équipe, le Montpellier Agglomération Handball et Cesson Rennes. Pour la faire simple, Karabatic, capitaine emblématique de l’équipe de France, a parié, ainsi que nombre de ses proches contre sa propre équipe... Rappelons que depuis l’explosion des paris en ligne, les sportifs sont tenus de ne jamais parier sur les compétitions de leurs disciplines. Ajoutons à cela qu’il est tout de même pour le moins choquant qu’un joueur parie sur… la défaite de sa propre équipe. Le genre de mise qui éveille les soupçons quant à un éventuel arrangement du score, autrement dit un autre délit. Bref, pour la justice française, Karabatic s’est rendu coupable d’une escroquerie au détriment de La Française des Jeux, organisme de paris, qui avait été alertée par le niveau inhabituel des sommes engagées sur ce match. « Un comportement de petit con » dira Daniel Constantini, ancien entraîneur de l’équipe de France de handball, à propos de Karabatic.

 

Une escroquerie donc… Mais durant toute cette affaire, Karabatic n’a jamais été suspendu ni exclu de l’équipe de France de handball. Personne au sein du personnel politique, et certainement pas Manuel Valls, n’a trouvé scandaleux que ce délinquant continue de jouer avec la sélection nationale . In fine, après sa condamnation définitive, la fédération de handball lui a infligé la punition terrible de… six matchs de suspension dont deux aménageables en travaux d’intérêt général. Six ans de mise à l’écart pour l’un, six matchs pour l’autre. Deux poids, deux mesures.

 

La tradition d’indulgence à l’égard de sportifs vedettes coupables d’incartades est bien connue. Dopage, bagarres, violences conjugales, les pouvoirs politiques agissent souvent pour atténuer les peines et réintégrer au plus vite les fautifs. On se souvient de feu le footballeur italien Paolo Rossi impliqué dans le scandale des paris clandestins et qui purgea une suspension de trois ans avant de faire son retour dans l’équipe d’Italie à la veille de la coupe du monde de 1982 dont il fut la vedette. Cette indulgence est universelle mais pour en bénéficier en France, il est préférable de se prénommer Nikola plutôt que Karim. Cette règle d’airain est un argument supplémentaire, mais en faut-il vraiment, pour que certains sachent que l’exigence du devoir d’exemplarité s’applique bien plus à eux qu’à d’autres. 

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lundi 17 mai 2021

De l’usage du terme « tsahal » à Radio France (et ailleurs, presse algérienne comprise)

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En 2007, Radio France distribuait un « Micro-guide » à l’ensemble de ses personnels appelés à passer à l’antenne, notamment les journalistes en charge des journaux. « Si Radio France est aussi une ‘‘ école de la République ’’, elle l’est d’abord par la qualité exemplaire du français qu’elle met sur les ondes », notaient les rédacteurs de ce livret et de conclure ainsi leur présentation : « Ceci nous oblige. Une vigilance individuelle et collective est nécessaire dans la mise en forme de nos informations. » 

Pourtant, il est quelques recommandations que nombre de journalistes, dont ceux de France Inter, semblent n’avoir jamais lues ou bien avoir très vite oubliées. Concernant « Tsahal », terme dont on use et abuse actuellement à l’antenne, le guide stipule ceci : « acronyme de tsa hagana léyisrael – armée de défense d’Israël [ce terme] a acquis une connotation familière synonyme d’attachement très fort pour les israéliens qui s’en servent comme on le fait d’un diminutif chargé d’affection dans le sens ‘‘notre armée’’. Conclusion : ne pas utiliser. » 

Bah si, c’est utilisé… Idem pour le « Gouvernement de Jérusalem », expression que le guide conseille d’éviter : « Il est exact que le Parlement israélien a fait de la ville la capitale ‘‘unifiée, éternelle et indivisible’’ de l’état d’Israël. Mais la communauté internationale n’a jamais reconnu cette décision. Périphrase pour périphrase, le ‘‘gouvernement de Tel Aviv’’ ne correspond à aucune réalité politique. Conclusion il est préférable de faire simple et exact et de parler du ‘‘Gouvernement israélien’’. »

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samedi 15 mai 2021

Ton nom de Palestine (poème d'Olivia Elias)

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Musiciens je vous parle d’une vie dans l’œil du cyclone

fracassée par les assauts des vagues scélérates

d’une vie chavirée dans la zone des quarantièmes

rugissants

d’une vie lézardée à la merci des Puissants

Le grand frère d’Amérique qui agite frénétiquement

son hochet sur lequel est marqué Droit de veto

Dame Europe qui vêtue de sa belle robe

observe du haut de sa tour les peuples « inférieurs »

se débattant en enfer

Elle ne sait que répéter en dodelinant la tête

la même ritournelle

 

La mascarade continue pendant que les marchands

d’armes se frottent les mains

Décidément ces vauriens ne veulent pas

entendre raison

Lançons immédiatement la fabrication

d’instruments de morts plus puissants

 

Je vous parle d’un peuple magnifique

animé d’une volonté farouche

de faire la nique aux abominations

en cultivant l’art du café du petit matin

capable d’inventer la cinétique du cabossé

et de la tôle ondulée

de peindre les ânes en zèbre

pour amuser les enfants

 

Je vous parle d’un peuple qui tambourine

sans relâche aux portes de l’avenir

d’un pays relégué aux marges de l’histoire

Dans ce pays les petites Salma ont pour Nidal

Les yeux de Chimène et rêvent d’épousailles

Ils grandiront auront des enfants

qui auront des enfants jusqu’à ce qu’une balle

en plein cœur interrompe le fil du récit

 

A quoi rêvent les enfants de Gaza ?

Qui dira la peine des survivants ?

Comment font-ils pour traverser ces temps tragiques

en maintenant le désir d’être humain et vivant ?

Qui racontera la geste de ceux dont chaque acte

est un exploit ?

 

Olivia Elias, Ton nom de Palestine, Combats, Al Manar, 2017.

 

jeudi 13 mai 2021

ET NOUS, NOUS AIMONS LA VIE (poème de Mahmoud Darwich)

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Et nous, nous aimons la vie autant que possible,
Nous dansons entre deux martyrs. Entre eux, nous érigeons pour les violettes un minaret ou des palmiers.
Nous aimons la vie autant que possible.
Nous volons un fil au ver à soie pour tisser notre ciel et clôturer cet exode.
Nous ouvrons la porte du jardin pour que le jasmin inonde les routes comme une belle journée.
Nous aimons la vie autant que possible.
Là où nous résidons, nous semons des plantes luxuriantes et nous récoltons des tués.
Nous soufflons dans la flûte la couleur du lointain, lointain, et nous dessinons un hennissement sur la poussière du passage.
Nous écrivons nos noms pierre par pierre. O éclair, éclaire pour nous la nuit, éclaire un peu.
Nous aimons la vie autant que possible.
Mahmoud Darwich, poème traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi.
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