Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 31 août 2015

1991

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Qu’est-ce qui unit une femme, un enfant, un homme ?
Qu’est-ce qui unit un Tibétain, un Kurde, un Arménien ?
Qu’est-ce qui unit un Palestinien, un Israélien ?
Qu’est-ce qui unit un Anglais, un Italien, un Allemand, un Français ?
Le fait d’être un être humain.
Qu’est-ce qu’un être humain en janvier 1991 ?
Qu’est-ce qui le lie à chaque être humain ?
L’impossibilité absolue de jouer un rôle quelconque ; d’infléchir son propre destin ; de sauver l’eau, le ciel, la forêt ; de protéger les animaux ; de veiller sur ceux et celles qu’on aime. Sans même parler de liberté, d’égalité. Exceptionnellement, l’année commencera le 15 janvier, le monde à l’envers.

Michel Butel.
Editorial en une de l’Autre Journal, janvier 1991, à la veille de l’intervention militaire occidentale contre l’Irak (Guerre du Golfe).

 

samedi 29 août 2015

La chronique du blédard : Les VILAIN et le pétrole

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 août 2015
Akram Belkaïd, Paris

La question tourne désormais en boucle : quelles vont être les conséquences de la chute des cours du pétrole ? Pour les pays importateurs de brut, notamment ceux d’Afrique subsaharienne, c’est une bonne nouvelle en ces temps de turbulences boursières et financières mondiales car cela signifie une baisse substantielle de leur facture énergétique. Mais pour certains exportateurs, les risques sont nombreux et l’inquiétude quant à leur stabilité sociale et politique est justifiée. Il y a cinq ans, le présent chroniqueur a imaginé l’acronyme VILAIN pour désigner les pays exportateurs d’hydrocarbures incapables de diversifier leur économie – et leur système politique (*). Venezuela, Irak, Libye, Algérie (ou/et Angola), Iran et Nigéria : tous ont pour point commun un modèle économique en panne où la manne pétrolière (et gazière) alimente à plus de 90% les recettes extérieures du pays.
 
A l’époque, l’idée était d’opposer cet acronyme à celui des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), autrement dit les pays émergents les plus dynamiques, et à celui des CIVETS (Colombie, Indonésie, Vietnam, l’Egypte, Turquie et Afrique du Sud), soit des « pré-BRIC » susceptible de rivaliser avec la Chine et le Brésil à l’horizon 2020-2030. On connaît aujourd’hui les limites auxquelles sont confrontés ces pays. Exception faite de la Chine, laquelle est tout de même soumise à de sérieuses difficultés structurelles, les autres émergents n’ont pas confirmé l’hypothèse selon laquelle ils finiraient par prendre le relais des pays développés. Ils n’ont pas pu aussi se « découpler » d’eux, c’est-à-dire évoluer indépendamment de la conjoncture des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon.
 
Si la pertinence des acronymes BRIC et CIVETS mérite d’être questionnée, il n’en va pas de même pour les VILAIN. Après une décennie marquée par un hausse quasi-constante des cours du pétrole et par des revenus se chiffrant en centaines de milliards de pétrodollars, aucun de ces pays n’a réalisé la moindre réforme fondamentale visant diversifier son économie. C’est donc le retour à la case 1986 ou 1996, périodes où le prix du baril était au plus bas et où les pays concernés peinaient à boucler leurs budgets et à rembourser leur dette extérieure. Depuis 2000 et le retour à une tendance haussière du marché pétrolier, quinze années précieuses ont donc été perdues, l’ivresse de la richesse immédiate ayant empêché toute tentative de changer des modèles économiques peu efficaces. C’est le cas de l’Algérie qui, faute d’autres types d’exportations, va bientôt devoir piocher dans ses réserves de change si elle entend simplement maintenir ses dépenses, notamment sociales et alimentaires, à leur niveau actuel.
 
Pour autant, il faut bien s’entendre sur ce qu’il aurait été souhaitable de faire au cours de ces dernières années et ce sur quoi il est encore possible d’agir. La chute du baril de pétrole, les turbulences politiques et sociales qui ne vont pas manquer de suivre, sont trop souvent l’occasion de ressortir les vieilles lubies néolibérales. Il faut ainsi s’attendre à des attaques frontales contre les systèmes divers de subventions ou encore contre les dépenses sociales qui, comme cela a été le cas au Venezuela, ont tout de même contribué à sortir des millions de personnes de la pauvreté. Et, le danger, c’est que ce discours va faire mouche auprès des gouvernants surtout si le Fonds monétaire international (FMI) est appelé à la rescousse pour aider à boucler les fins de mois comme ce fut le cas en Algérie en 1994.
 
Dans un contexte d’abondance financière, les VILAIN auraient pu faire en sorte que la manne pétrolière serve surtout à l’investissement public, au maintien des dépenses sociales et à la préparation de l’après-pétrole. Ainsi, l’Algérie a-t-elle manqué une chance historique en ne se transformant pas en puissance industrielle spécialisée dans les énergies renouvelables notamment la solaire. Cela vaut aussi pour l’Iran ou pour le Nigéria, ces deux pays étant confrontés à d’importants problèmes de pénurie d’électricité. De même, le fait que l’Algérie n’ait pas profité de ces dix dernières années d’aisance financière pour créer un fonds souverain, demeure totalement incompréhensible. On ne prépare pas l’après-pétrole en stockant des Bons du Trésor américain ou, pour le dire autrement, en permettant à l’Amérique de continuer à vivre au dessus de ses moyens.
 
En bref, la réforme au temps du pétrole cher aurait dû signifier le renforcement de l’Etat-providence pour les plus démunis avec, en parallèle, des mesures réelles de diversification de l’économie (c’est là, par exemple, que la libéralisation des législations aurait été justifiée notamment en matière de création d’entreprise). Au lieu de cela, les VILAIN (on mettra de côté la Libye qui fait face actuellement à d’autres problèmes bien plus importants) vont certainement tailler dans les dépenses sociales et relâcher les rennes de la supervision économique au profit du sacro-saint marché. On sait sur quoi cela peut déboucher. Grèves, émeutes, paupérisation, résurgences de mouvements armés. Le pire est possible et c’est pourquoi on ne peut absolument pas se réjouir de la baisse des prix du pétrole au prétexte que cela va ouvrir la voie à des réformes. Certes, il y en aura mais elles risquent d’être mauvaises car ce genre de retournement de tendance frappe toujours les plus défavorisés et peut même faire imploser une société entière.
 
Dans les mois qui viennent, les dirigeants des pays mono-exportateurs de pétrole devraient d’abord oublier la certitude qui fonde leur immobilisme, autrement dit le fait qu’ils sont persuadés que tout est affaire de cycles et que le prix du baril finira bien par remonter (et qu’en attendant, il s’agit juste de tenir le coup…). Ensuite, il leur faudrait admettre que libérer l’initiative économique – en ne la garantissant pas uniquement aux seules clientèles du pouvoir – est la meilleure manière de créer des richesses et des emplois. Cela sans pour autant que l’Etat renonce à son rôle de régulateur, d’investisseur, d’épargnant et de protecteur des plus modestes. L’équation est difficile et sa résolution ne peut faire l’économie d’une ouverture politique. Mais ceci est déjà un autre sujet…
 
(*) Après les BRIC, les CIVETS et les VILAIN, Le Quotidien d’Oran, mercredi 15 septembre 2010

 

 

 

mercredi 26 août 2015

Lost in translation...

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“Quand on comprend ce que l’on entend, d’une façon ou d’une autre on y prête attention. Mais, lorsqu’on ne peut pas déchiffrer ce qui est écrit sur les panneaux publicitaires ou dans le bus, qu’on ne comprend pas ce que les gens disent, on entre dans une bulle d’incommunicabilité. Il m’est arrivé de passer plusieurs jours sans parler à personne. Les pensées affluaient dans ma tête.”

João Paulo Cuenca, écrivain brésilien après un séjour à Tokyo.
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mardi 25 août 2015

La fille et le Moudjahidine (lecture)

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C’est un témoignage qui fait écho à une actualité européenne presque quotidienne que livre la journaliste Prune Antoine (*). Installée en Allemagne, elle se lie d’amitié à Djahar, un jeune migrant musulman originaire du Caucase du nord. Elle vit à Berlin et a plutôt l’habitude de vivre dans les milieux « schickimicki », autrement dit bobos. Lui, installé dans une (triste) petite ville de l’ex-RDA est à la fois boxeur, combinard, délinquant et chef de famille. Petit à petit, il va s’ouvrir à elle, lui faire découvrir son quotidien heurté, interlope, symbole d’un « multikulti », le modèle multiculturel allemand, qui ne fonctionne pas ou, plutôt, qui ne semble plus adapté à la situation actuelle. Stages bidons, Integrationskurs (cours d’intégration) suivis uniquement parce qu’il s’agit d’une obligation, Djahar rêve de devenir professionnel, expliquant, signe d’une première fêlure, que sa passion pour les sports de combats – domaine où il semble en imposer aux autres, s’explique par « son départ forcé » de son pays et parce qu’il ne veut plus se « sentir vulnérable ».





Au fil des discussions entre Slivka (prune en russe, car c’est ainsi qu’il la surnomme) et Djahar, le discours de ce dernier évolue peu à peu, passant d’un certain conservatisme machiste à un propos ouvertement religieux, de plus en plus salafiste. C’est ainsi qu’un jour, lui qui a eu des petites amies allemandes (ce qui exclut l’explication trop facile de la radicalisation induite par la frustration sexuelle), il finit par clamer qu’il veut « vivre selon la charia » et qu’il reconnaît être de plus en plus connecté aux sites djihadistes. Au point d’envisager de prendre le « one way ticket trip », autrement dit le voyage aller pour la Turquie afin de rejoindre ensuite les djihadistes qui combattent le régime de Bachar al-Assad.

            Cette inquiétante évolution est racontée de manière précise, sans jugement de valeurs, et l’auteure a l’honnêteté d’avouer son incompréhension car, pour elle, la dérive salafiste, on pourrait écrire pré-djihadiste, de Djahar, demeure incompréhensible. « En silence, écrit-elle en décrivant un moment où elle marche en compagnie de Djahar, je réalise que je n’ai aucune réponse, seulement des questions. Pourquoi la seule manière pour Djahar de devenir un homme est-elle de partir à la guerre ? Pourquoi a-t-il tant besoin de reconnaissance ? Comment quelqu’un qui a grandi dans la violence peut-il retomber dans cette même violence ? Partir faire le djihad est-il le seul moyen d’échapper à ses responsabilités ? De fuir son passé criminel ? De repartir à zéro ? De masquer son impuissance à devenir un Européen comme les autres ? ». Des questions fondamentales qui se posent aussi dans d’autres pays européens, à commencer par la France confrontée aux départs de nombreux candidats au djihad et issus de milieux différents.

            On terminera cette recension par deux remarques. La première concerne ce dialogue entre la journaliste et Djahar qui mérite réflexion car il laisse entrevoir des calculs sordides qui, il y a quelques années, peut-être moins aujourd’hui, ont facilité l’afflux de djihadistes européens vers la Syrie :

« Ça m’étonnerait que tu puisses voyager aussi facilement.
- Il n’y a pas autant de contrôles qu’ils le disent dans les aéroports. Et puis, ça arrange les flics de laisser filer des mecs de mon genre, ça leur fait moins de problèmes.
- Tu veux dire, parce que tu es un délinquant ?
- Non, parce que je suis un étranger. »

Quant au second point, il s’agit d’un petit regret d’ordre sémantique, qui n’enlève rien à la qualité et à l’intérêt du récit. En effet, il est dommage que Djahar soit qualifié de « moudjahidine », abus d’emploi que l’on commet trop souvent en France, car ce terme, en langue arabe, est un pluriel (un moudjahid, des moudjahidine).

Akram Belkaïd

(*) La fille et le moudjahidine, de Prune Antoine, carnetsnord, 125 pages, 12 euros.
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lundi 24 août 2015

Aux origines climatiques des conflits

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Dans un article (*) publié par Le Monde Diplomatique du mois d'août, la journaliste Agnès Sinaï, rappelle que le dérèglement climatique est aussi une cause de conflits. Ainsi, est avancée l'idée que le réchauffement climatique a influé sur les événements du Printemps arabe de 2011.
Extraits :

- “Entre 2006 et 2011, la Syrie a connu la plus longue sécheresse et la plus importante perte de récoltes jamais enregistrées depuis les premières civilisations du Croissant fertile.” (...)
 
- “L’effondrement du système agricole syrien résulte d’un jeu complexe de facteurs dont le changement climatique, une mauvaise gestion des ressources naturelles et la dynamique démographique. Cette ‘combinaison de changements économiques, sociaux, climatiques et environnementaux a érodé le contrat social entre le gouvernement, catalysé les mouvements d’opposition et irréversiblement dégradé la légitimité du pouvoir d’Assad’, estiment Francesco Femia et Caitlin Werrell, du Centre pour le climat et la sécurité. Selon eux, l’émergence de l’Organisation de l’Etat islamique et son expansion en Syrie et en Irak résultent en partie de la sécheresse. Et celle-ci ne relève pas seulement de la variabilité naturelle du climat”.

- Concernant les conséquences de la sécheresse et des tempêtes de sable de 2010-2011 en Chine, l'article note que, “la perte de récolte a en effet contraint Pékin à acheter du blé sur le marché international. La flambée du cours mondial qui s’est ensuivie a alimenté le mécontentement populaire en Egypte, premier importateur mondial de blé, où les ménages consacrent couramment plus du tiers de leurs ressources à la nourriture. Le doublement du prix de la tonne de blé, passé de 157 dollars en juin 2010 à 326 dollars en février 2011, a été fortement ressenti dans ce pays très dépendant des importations. Le prix du pain a triplé, ce qui a accru le mécontentement populaire contre le régime autoritaire du président Hosni Moubarak”. (Référence : The Arab Spring and Climate Change, The Center for Climate and Security, Washington, DC, Février 2013)

(*) Aux origines climatiques des conflits, Agnès Sinaï, Le Monde Diplomatique, août 2015._


 
 
 

dimanche 23 août 2015

Extrait de « Boutros Boutros Ghali, une histoire égyptienne » d’Alain Dejammet

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"Fin septembre 1973, les attachés militaires étrangers en poste au Caire sont invités à suivre un exercice de défense passive dans une caserne de la ville. Les sirènes hurlent, les fourgons des pompiers, les ambulances se ruent en désordre, se télescopent ; de fausses victimes qui gisaient à terre suite à un simulacre de bombardement, deviennent de vrais blessés, clamant au secours tandis que l...e tumulte et la cacophonie envahissent la scène et déchaînent l’hilarité des témoins diplomates. Retour dans leurs ambassades, ceux-ci se libèrent en récits sarcastiques sur l’indescriptible état d’impréparation de l’armée égyptienne. Les Israéliens peuvent dormir tranquilles.
Quelques jours plus tard, début octobre, cette même armée égyptienne, objet de tous les quolibets, franchit le canal, perce la ligne Bar Lev, bouscule les défenses israéliennes (le chef de l’aviation, Hosni Moubarak, se distingue). A New York, le Conseil de Sécurité se réunit avec, comme de coutume, l’objectif immédiat d’un cessez-le-feu. Israël sur le recul ne dit pas non. C’est paradoxalement l’Egypte qui manœuvre, avec l’appui des Russes, pour faire traîner le débat dans l’espoir que son offensive se développe. Assez vite cependant les Israéliens, rééquipés en force par un pont aérien voulu par Kissinger, font valoir que le temps – celui d’amorcer une contre-offensive – travaille désormais pour eux."


(*) Erik Bonnier Editions, 469 pages, 23 euros.
Pour en savoir plus : http://orientxxi.info/…/boutros-boutros-ghali-une-histoire-…

samedi 22 août 2015

La chronique du blédard : Monologue de celui qui a regardé un film de dauphins

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 août 2015
Akram Belkaïd, Paris

Bon, ils m’ont demandé de rester pour regarder un film avec eux et leurs enfants. Au début, j’ai dit non. Un film en famille, ce n’est plus possible. La honte, khô… Maintenant, même dans les dessins animés, il y a des « scènes ». Les gamins, ils savent tout du khichibichi à dix ans ! Ils ont insisté en me disant que ce serait une histoire de dauphins et là, j’ai tout de suite dit oui. Les films de dauphin, c’est un truc spécial. Ça me parle. A toi aussi, non ? On a tous grandi avec Flipper. Tu te souviens ? Ha ha ! Sandy, Bud et ses tâches de rousseurs, le ponton, les espadrilles, les cordes et puis leur père qui passait son temps dans sa vedette avec sa radio et son uniforme bien repassé. J’ai entendu parler de Coral Key avant même de savoir ce qu’était la Floride ! Flipper, khô ! A la plage, on imitait tous sa marche arrière et son drôle de cri. Creep-Creep-Creep !
 
Bon, donc le film commence. L’histoire d’un endroit à la fois parc et hôpital pour animaux marins. Au début, ils te montrent un grand bassin avec deux dauphins à l’intérieur. L’un d’eux n’a pas de queue. Efface ce sourire s’il te plaît ! Il est handicapé, alors ils lui mettent une prothèse. Des fois, il y a le public qui vient et donc le dauphin nage avec deux ados et une athlète handicapée. Une superbe femme à qui il manque un bras. Du coup, je commence à me dire que l’affaire va tourner autour d’elle et du patron du parc. Rien du tout… Sur ce, tu as un cormoran fou qui commence à faire des siennes. Là, je pense que c’est un clin d’œil à Hitchcock, peut-être que les oiseaux vont attaquer et que les dauphins vont sauver l’humanité. Bref, une qar3a, un navet habituel, mais un gentil navet. Tu parles…
 
Tout de suite après, le dauphin qui n’a pas de queue commence à se comporter bizarrement. Il manque même de blesser  l’un des ados qui plonge avec lui et qui a l’air d’être encore plus sérieux qu’un comptable suisse. Là, tu as le choix. Tu te dis que le gamin va avoir des problèmes. Qu’en fait, c’est un délinquant qui fait plein de bêtises dans le parc et que le dauphin l’a compris. Ou alors, tu espères que l’animal est nerveux parce qu’une une grosse catastrophe menace. Un tremblement de terre ou alors, mieux, comme dans Flipper, un ouragan avec un superbe raz-de-marée. Grâce au dauphin, tout le monde est sauvé, même cet abruti de cormoran qui vole leurs doudous aux enfants et qui veut ensuite manger une tortue marine qui fait dix fois son poids ! Et bien, walou
 
En fait, il faut attendre vingt bonnes minutes pour avoir le premier choc du film. L’un des deux dauphins, pas celui qui n’a pas de queue, meurt en restant au fond du bassin alors que le public est présent. Terrible… Evacuation générale… Instants dramatiques… Tu penses… Même les figurants n’ont pas l’air d’y croire. Tiens, ça me rappelle une histoire. Tu savais que pour Flipper, on n’utilisait que des dauphins femelles parce qu’elles sont plus calmes ? Si, si... Et donc, l’une d’elles, n’a pas supporté de ne plus tourner après la fin de la série. Elle a déprimé et elle s’est suicidée. En décidant de ne plus respirer et en allant, elle aussi, au fond du bassin…
 
Bon, je reprends. Donc, l’un des deux dauphins meurt et l’autre se met à faire un peu n’importe quoi. Il cogne, il fait la tête, il déprime. Et là, tu te dis qu’en fait c’est lié à un poison quelconque. Qu’on va découvrir qu’un méchant veut torpiller le parc ou alors que c’est le patron – qui a une tête de pervers – qui est derrière tout ça alors que sa fille adore les animaux et qu’elle a le béguin pour celui qui plonge avec les dauphins. Tu me suis ? A un moment, t’as un inspecteur envoyé par le ministère de l’agriculture pour vérifier le parc. Là, tu te dis, waow, c’est ça un pays développé… Un inspecteur pour les dauphins… Donc, le type n’est pas content parce qu’il y a un peu peinture qui s’écaille au bord du bassin. Impossible de ne pas se dire que l’intrigue, c’est ça. Une peinture toxique, le directeur du parc qui a rogné sur les dépenses et qui veut masquer l’affaire, sa fille qui va s’en apercevoir et le dénoncer pour épouser le premier prix d’allemand. Niet…
 
En fait, un autre dauphin est soigné et il faut le relâcher alors que sa compagnie aurait pu faire du bien à son pote déprimé. C’est le dilemme tragique… La remise à l’eau, c’est un truc façon grande opération logistique. Des dizaines de gens et des talkies-walkies, en pagaille. A peine lâché, le dauphin part vers le large. Mais là, il y a un écho sur le radar d’une vedette censée le suivre. J’ai pensé, ça y est ! Les requins attaquent. Un truc à la Sharknado. Comment, tu connais pas ? Za3ma journaliste… Sharknado, un, deux, trois et il paraît qu’ils préparent le quatre. T’as un ouragan et une immense tornade au large du Mexique. Ils aspirent les requins de l’océan qui retombent ensuite sur Los Angeles. Imagine la scène : il pleut, t’es sur le perron de ta maison, tu hésites à aller plus loin quand un requin tombe du ciel, t’avale un bras et disparaît dans les égouts… C’est avec un ancien acteur de Beverley Hills. C’est pas vrai, je ne te crois pas, tout le monde regardait ça pour mater Brenda ! Enfin, Sharknado, c’est vraiment pas mal. La preuve, Mia Farrow et Philip Roth sont fans. Si, si, je te jure que c’est vrai. Ils l’ont même tweeté. Philip Roth…
 
Bref. C’était pas des requins mais d’autres dauphins venus faire la fête à leur copain. Et là, on approche de la fin du film. Un nouveau venu, tout petit, est mis avec le déprimé. Ça commence bien, il y a du suspense, on se dit que le grand va cogner l’autre. Le manger. Bah non, sauf que le petit se rend compte que l’autre est handicapé et il se met soudain à tourner comme un fou dans le parc en poussant des hurlements. Là, Mandela qui est présent fait une moue du style ce n’est pas normal. Oui, Mandela, enfin, l’acteur qui joue son rôle. Ne me demande pas ce qu’il fait dans le film. Il est là avec un nœud-pap et son chapeau et il dit des phrases bizarres qui te font toujours croire qu’il se passe quelque chose de grave alors que nada. Finalement, le petit dauphin s’habitue à celui qui n’a pas de queue. Le patron du parc sourit et a l’air moins bizarre. Mandela est content et l’ado trop sérieux s’en va faire des études alors que sa copine lui fait plein de signes pour lui avouer qu’elle l’aime. Et même le cormoran refait son apparition alors qu’on pensait que les figurants l’avaient mangé.
 
Et tu sais quoi ? Je suis allé sur internet le soir même parce que c’est censé être une histoire vraie. Mais tout ça, c’est du festi. La prothèse fait mal au dauphin et lui a déformé la colonne vertébrale. Le petit qui lui tient compagnie n’a jamais eu peur de lui et l’état des bassins est dégueulasse et ce n’est pas que des éclats de peinture qui le salissent. Tu vois… Non seulement c’était un navet mais c’était aussi de la propagande pour faire croire que les parcs marins de Floride traitent bien les dauphins et qu’ils les relâchent alors qu’ils les exploitent pour du flouss. Quoi ? Non, j’ai rien trouvé sur le cormoran. Pourquoi ça t’intéresse ? Je peux regarder si tu veux.…
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samedi 15 août 2015

Opinion et réalité

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Texte d’Idries Shah in « Contes initiatiques des soufis »

 

Un groupe de « chercheurs » était venu rendre visite à un grand maître qui connaissait la voie de la sagesse. Il trouvèrent le maître dans la cour, festoyant avec les disciples.
« C’est odieux ! s’indignèrent les uns. Ce n’est pas une façon de se conduire, quel que soit le prétexte ! »
Les autres, au contraire, d’approuver :
« Rien à redire à cela ! Ce type d’enseignement nous plaît, nous voulons y participer. »
D’autres avouaient leur perplexité :
« Nous ne savons pas trop qu’en penser, nous aimerions bien pouvoir éclaircir ce mystère. »
D’autres encore s’interrogeaient :
« Sans doute y a-t-il là-dessous quelques sagesse cachée… Devons-nous chercher à savoir ce qu’il en est ? Ou faut-il en rester-là ? »
Le maître les congédia tous. Ces gens répandirent leurs opinions, en paroles et par écrit, concernant les festivités dont ils avaient été témoins. Même ceux qui ne firent pas directement allusion à leur expérience en furent marqués à un degré ou un autre, et les impressions qu’elle leur avait laissée se reflétèrent dans leurs propos et même dans leurs actes.
Quelques temps après, certains membres de ce groupe, se trouvant à proximité de la maison du maître, lui rendirent de nouveau visite. Ils se tinrent un moment à l’entrée. Le maître et élèves étaient assis dans la cour intérieure, hiératiques, abimés dans la contemplation.
« Voilà qui est mieux ! dirent les uns : il a manifestement tenu compte de nos protestations.
- C’est parfait ! dirent les autres : la dernière fois, il voulait nous mettre à l’épreuve, voilà tout !
- C’est sinistre ! estimèrent d’autres, des tristes mines, on peut en voir partout. »
D’autres encore avaient d’autres opinions, qu’ils exprimèrent ou non.
Le grand sage les renvoya tous.
Longtemps après, quelques-uns de ces « chercheurs », désireux de savoir ce que le maître pensait de leurs réactions et réflexions revinrent pour la troisième fois. Ils se présentèrent à l’entrée, jetèrent un coup d’œil dans la cour. Le maître était là : il ne festoyait pas, ne méditait pas, ses élèves avaient disparu.
« Je peux maintenant vous dire ce qu’il en est, leur dit-il, car j’ai pu renvoyer mes disciples : le travail est achevé.
« La première fois que vous êtes venus ici, les disciples prenaient les choses trop au sérieux. J’étais en train d’appliquer le correctif.
« La deuxième fois que vous êtes venus, ils s’étaient montrés trop désinvoltes, j’appliquais le correctif.
« Quand un homme travaille, il n’a pas toujours le temps, ni le désir, de s’expliquer devant des visiteurs de passage, si intéressés ceux-ci pensent-ils être. Quand une action est en cours, ce qui compte, c’est son déroulement correct. L’appréciation des observateurs extérieurs est en l’occurrence une affaire secondaire. Ce que les gens peuvent penser d’une situation nous en apprend davantage sur eux que sur la situation considérée. »
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vendredi 14 août 2015

La chronique du blédard : Nos plages et les digoulasses

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 13 août 2015
Akram Belkaïd, Paris

Une plage, au nord de Tunis (disons-le tout de suite, la scène pourrait très bien se passer non loin d’Alger, de Béjaïa ou d’Oran). Le ramadan est terminé, les jours bénis de l’aïd sont passés et avec eux la tranquille solitude sur fond de sable blanc. La scène se passe en fin de matinée. Il y a déjà du monde avec ses couffins, ses glacières, ses cornets d’arachides ou de graines séchées et ses étoffes délavées destinées à transformer les parasols en tentes médiévales mais le gros de la foule n’a pas encore débarqué. Une heure auparavant, l’endroit était encore propre. Ou presque. Dans la nuit, un tracteur a tracé ses sillons. Très tôt, des balayeurs ont nettoyé la rue et le trottoir avoisinant. Tout cela pour rien. Maintenant, c’est un dépotoir. Des bouteilles en plastique, des sachets multicolores, des emballages de yaourts ou de jus, des mégots jaunis par le soleil, des briquets usagés et, bien sûr, les incontournables quartiers de pastèques et de melons dûment grignotés. Un homme, la quarantaine, ventre de buveur de bière et grosse montre de plongée au poignet, jette la couche-culotte de son bébé dans l’eau. On lui demande les raisons de ce geste alors qu’une poubelle, vide, se trouve à dix mètres de lui. « De quoi tu te mêles, la plage t’appartient ? » telle est la réponse belliqueuse du phoque.
 
Dès lors, on se trouve confronté à plusieurs types de réaction possible. La scandinave (ou la suisse) qui consisterait à ne rien dire et à aller repêcher le détritus pour le jeter soi-même. Autrement dit le civisme et l’éducation, ou plutôt la rééducation, par l’exemple silencieux. Si l’on est de nature optimiste et tenace, on peut y croire. On peut se dire, qu’à terme cela peut payer. Autre possibilité, la méthode Stasi, c’est à dire se mettre en quête d’un représentant de l’ordre pour l’informer et l’amener à infliger une amende au pollueur indélicat. Autant l’avouer, cette solution n’est pas la plus simple. La guérite de police est très éloignée et on imagine la surprise du boulici face à une telle démarche. Reste donc l’option algérienne qui consiste à répondre en choisissant parmi l’une de ces variantes : « non, effectivement cette plage ne m’appartient pas et je sais bien que c’est celle de ta mère » ou bien « non, ce n’est pas ma plage. C’est celle de la femme que tu crois être ta mère » ou encore, en se mettant avant cela bien sur ses appuis, le mât du parasol prêt à être utilisé pour percer la bedaine : « cette plage que tu salis n’est pas la mienne mais celle de tous les types qui pourraient être ton père »…
 
Venu aux nouvelles, le jeune gérant de la petite plage privée attenante se charge de la sale besogne et empêche donc toute debza-demissile (bagarre – sang qui coule). Il hoche la tête d’un air dégouté et raconte que ses clients font la même chose sinon pire. Il dit remplir six sacs géants par jour. Qu’il a renoncé à convaincre les gens d’utiliser les poubelles et de cesser de prendre la mer et le sable pour des décharges. « Ils s’en moquent. Mais ce que je ne comprends pas, c’est qu’ils reviennent le lendemain malgré tout ce qu’ils ont jeté » conclut-il en se dirigeant vers d’autres détritus. On réalise alors que ce qu’il vient de relever n’est pas inintéressant. Car, de deux choses l’une. Soit, ces digoulasses, ces khamdjines qui souillent les plages de Tunisie mais aussi d’Algérie – signalons que le Maroc est bien moins touché ( !) – sont convaincus que la Méditerranée possède un puissant pouvoir de régénération et que, ma foi, la nature est donc suffisamment forte pour éliminer en une nuit plastique, mégots, étrons et autres restes. Ou bien alors la vérité dérangeante oblige à dire que ces gens n’ont pas d’éducation et absolument aucune hygiène (la seule utilité qu’on pourrait leur trouver serait alors de les envoyer à Paris pour « ambiancer » Tel-Aviv sur Seine…).
 
Il y a quelques semaines l’Algérie a connu un profond engouement wanetoutriste à propos d’une émission diffusée par l’émission Thalassa avec pour thème le littoral de notre pays. Il est vrai que ce dernier, tout comme celui de la Tunisie, recèle de merveilles extraordinaires, parfois peu connues (et heureusement d’ailleurs). Certes, de rares voix discordantes ont vu dans ce documentaire une sorte de publi-reportage passant sous silence une réalité plus sordide comme cette pollution qui, courants marins portants, touche les Baléares. Mais elles ont vite été rappelées à l’ordre. Pourtant, la saleté des plages et, de façon générale, celle, insupportable, de l’espace public mériterait une vraie médiatisation. Des campagnes de presse permanentes, des mises en garde, des discours publics appelant au civisme et faisant honte aux pollueurs. Au lieu de cela, la règle consiste à éluder la réalité, à balayer le sujet d’un geste gêné ou irrité comme si le fait d’en parler attentait aux dignités et fiertés nationales.
 
En Algérie comme en Tunisie on retrouve donc la même situation. Hors des zones particulières (celles réservées à la nomenklatura ou les hôtels pour touristes étrangers), de plus en plus de plages publiques sont dévastées par la saleté née de l’incivilité. A cela s’ajoute le spectacle de ces habits hétéroclites portés au nom d’une bigoterie qui stupéfierait quelqu’un qui débarquerait directement des années 1970 ou 1980. Se baigner complètement habillé, souvent avec des vêtements amples, n’est pas simplement disgracieux – je conviens qu’il ne s’agit pas d’un argument recevable – c’est surtout peu hygiénique (rien de mieux pour collecter tous les microbes qui traînent) et dangereux (cela augmente les risques de noyade y compris au bord de l’eau) cela d’autant que la couleur la plus fréquente, autrement dit le noir, est la moins adaptée pour résister au soleil qui cogne.
 
On dira que tout ceci est bien secondaire. Que l’été ne dure que deux mois et qu’il y a d’autres soucis bien plus importants. Cela est certainement vrai. Mais, sans tomber dans des analyses de bas étage, on ne peut s’empêcher de penser que l’état de ces plages en dit bien plus qu’on ne le croit sur l’état de nos sociétés.
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dimanche 9 août 2015

La chronique du blédard : Darja ou pas et, d’abord, quelle darja ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 6 août 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Faut-il ou non utiliser la darja, autrement dit l’arabe dialectal, ou mieux encore l’arabe algérien, à l’école ? Faut-il l’enseigner ou doit-on même penser à en faire la langue d’enseignement d’autres matières y compris l’arabe classique ou littéraire ? Depuis quelques jours, ces interrogations ont engendré un vif débat national et diverses passions sur les réseaux sociaux. Il faut dire que la question n’est pas neutre car elle renvoie à l’histoire de l’Algérie, à sa quête identitaire tourmentée ainsi qu’à des considérations d’ordre politique qu’il ne faut pas éluder.
 
Mais commençons par insister sur le point suivant. Ce n’est pas la langue qui fait la bonne qualité d’une pédagogie. Autrement dit, ce n’est pas en ayant recours à la darja que des programmes archaïques vont soudain se métamorphoser et permettre au pays de repêcher un système éducatif en faillite.  Cela fait des années que le constat est connu. L’Algérie a du mal à moderniser son école et à cesser de produire des légions de diplômes et de cursus qui ne servent à rien et qui, au contraire, sont le gage d’une régression permanente. Une régression qui se traduit, entre autres, par la mise à mal de la rationalité et par la diabolisation de l’esprit critique dans un contexte de bigoterie endémique. Alors oui, le secteur éducatif mérite un débat et donc d’inévitables polémiques, mais il y a certainement plus urgent que de s’écharper à propos du dialectal.
 
Ceci étant précisé, il est évident que l’Algérie est l’un des rares pays à avoir un vrai problème avec une langue qui est pourtant parlée par la majorité de sa population. La darja, comme d’ailleurs la langue berbère, a souffert de nombreux bannissements. Il fut un temps, c’est moins le cas désormais, où elle était interdite d’antenne, à la radio et surtout à la télévision. Interdite aussi d’emploi à l’école où des professeurs de langue arabe à la pédagogie plus qu’approximative prenaient un malin plaisir à humilier les élèves qui l’employaient dans leurs rédactions. Avec le temps, une moindre crispation politique vis-à-vis des questions linguistiques et l’essor des nouveaux médias ont changé la donne. C’est le cas notamment avec internet qui permet la diffusion de vidéos en darja et qui a aussi favorisé l’émergence de l’arabezi - ou arabizi - c’est à dire la langue arabe, qu’elle soit dialectale ou classique, écrite avec des caractères latins et des chiffres comme par exemple le terme 3arbiya.
 
La langue que nous parlons tous les jours est tout sauf menacée. Elle n’a nul besoin d’Académie, elle n’appartient à personne, elle a sa vigueur, elle capture et refaçonne tout ce qui l’intéresse puisqu’aucune règle ne semble la contraindre. Dans le fond, l’idée qu’elle fasse son entrée à l’école en tant qu’outil ou vecteur pédagogique n’est pas idiote. Mais faut-il aussi l’enseigner ? Une première réponse immédiate est de demander pourquoi faire puisqu’elle s’apprend partout, dans la rue comme dans les familles. La question qui suit est quant à elle plus essentielle. Enseigner la darja ? D’accord, mais laquelle ? Celle de la rue qui tend à dériver de ce néo-algérois aux accents emphatiques et, trop souvent, d’une insupportable vulgarité ? Ou alors celle que l’on pourrait adapter de l’arabish, cette langue arabe globalisée (celle des médias satellitaires) que l’on appelle aussi arabe médian ? Ou enfin cette « vraie » darja, du moins la plus ancienne, c’est à dire celle qui a porté la culture populaire algérienne de la fin du dix-neuvième siècle aux premiers temps de l’indépendance ? La darja des contes, de la boqala, du chaabi, du hawzi ou même du vieux raï ?
 
Si c’est de cette dernière qu’il s’agit, alors il faut admettre que l’on devra ressusciter une langue perdue, peu à peu oubliée. Avant d’émettre tel ou tel avis définitif, il faudrait ainsi faire preuve d’un peu de curiosité en lisant un vieux manuel d’arabe algérien – élaboré pendant la période coloniale - ou en parcourant un dictionnaire d’arabe algérien rédigé par quelques anciens fonctionnaires des bureaux arabes. On s’apercevra alors que nombre de termes mentionnés ne sont plus employés aujourd’hui ayant été notamment remplacés par des mots français. On peut aussi prendre la peine de lire dans le texte les proverbes maghrébins recueillis par Mohamed Bencheneb (1869-1929). La darja qui y est employée n’est plus de mise aujourd’hui sauf dans certains cercles restreints de lettrés ou d’artistes.
 
Plus important encore, en redécouvrant cette darja, l’on se rendra compte, contrairement aux élucubrations que l’on peut lire et entendre actuellement, que cette dernière ne renie en rien son lien de parenté avec la langue arabe classique. L’auteur de ces lignes – qui espère que le distingué linguiste de Ténès ne froncera pas les sourcils en lisant ce texte - peut en témoigner. Les proverbes recueillis par Bencheneb sont compris de Casablanca à Mascate en passant par le Caire ou Amman. Nul besoin de les traduire en langue littéraire sauf quand ils contiennent un mot turc ou berbère. Voilà qui risque de déplaire à celles et ceux qui, à l’image de l’administration coloniale jadis, pensent que la promotion de la darja permet de couper les ponts avec le reste du monde arabe. En réalité, c’est bien au résultat inverse que l’on risque d’aboutir.
 
Par ailleurs, il serait peut-être temps de cesser de s’en prendre systématiquement à l’arabe classique au nom du refus d’appartenir au monde arabe. Dans une affirmation outrancière d’une identité qu’elles définissent avant tout par ce qu’elles ne sont pas, ou ce qu’elles ne veulent pas être, certaines élites francophones nous expliquent que cet arabe classique est une langue morte (ou bien alors qu’elle alimente le terrorisme…). Outre le fait qu’elle nie l’existence de millions d’Algériens qui maîtrisent cette langue (et cela malgré les aléas d’une arabisation catastrophique du système éducatif), cette déclaration traduit un abyssal manque de culture. Morte la langue de Fayrouz, de Mahmoud Darwich, de Taha Hussein ou de Nizar Qabbani ? Soyons sérieux… On a le droit de plaider pour une singularité maghrébine voire méditerranéenne. On a même le droit, dans ce qui serait une sorte d’étrange revirement postcolonial, de se dire plus proche du monde occidental que du reste du monde arabe. Mais ce n’est pas en s’en prenant à la langue arabe classique que l’on trouvera la bonne justification pour cela.
 
En attendant, habbite nqoulelkoum belli ellougha hadja sérieuse, machi tmasskhire. Lazem 3aliha tekhmima sans pitié, dial les scientifiques ya chriki ! Rakoum dakkor, yakhi ?
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