Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 14 février 2019

La chronique du blédard : Face au cinquième mandat

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 14 février 2019
Akram Belkaïd, Paris

L’annonce d’une candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat provoque une multitude de sentiments qui ne sont pas forcément contradictoires ni antagonistes. Le premier, bien sûr, est l’accablement. La question est simple : Pourquoi ? Pourquoi cette tbahdila ? Pourquoi infliger cette humiliation au pays, aux Algériens et, peut-être même, au principal concerné ? N’était-il pas temps de tourner la page ? D’admettre qu’il y a une urgence à remettre le pays sur les rails en innovant et en ouvrant enfin le champ politique et en saisissant que rien de bon ne risque de sortir de cette élection d’ores et déjà jouée ?

Souvenons-nous de 2009. Déjà, à l’époque, le « non au troisième mandat » parcourait les médias et les réseaux sociaux. L’humour, jamais absent, annonçait d’ores et déjà la création d’un comité de soutien pour un quatrième mandat. Un quatrième mandat, impossible disaient les voix de ceux qui se voulaient visionnaires. Et pourtant… Nous avons eu droit au troisième, au quatrième et maintenant c’est donc le cinquième qui se profile. Que dire, si n’est tout simplement : non.

Ce qui va avec l’accablement, est la colère. Comment ne pas être furieux devant un tel mépris pour le pays, pour le peuple et pour les institutions ? Tout le monde sait que le président est malade, qu’il ne peut pas assurer sa mission, mais on nous affirme le contraire avec un aplomb digne d’un arracheur de dent baratinant le badaud sur le marché de Htatba. Cette situation illustre on ne peut mieux l’expression « plus c’est gros, mieux ça passe. » Et le message est explicite : faites ce que vous voulez, criez autant que vous le voudrez, on vous emm…, on fait ce qu’on veut car ce pays est notre propriété. 

On peut aussi, par dépit et impuissance, avoir envie d’insulter à l’infini la cohorte de chiyatines dont on se demande comment ils se regardent le matin devant une glace. Comment ces manieurs de la brosse à reluire arrivent-ils à se convaincre qu’ils ne font rien de mal en nous expliquant que le cinquième mandat est la meilleure chose qui puisse arriver à l’Algérie ? Gardons bien en tête le nom de ces fripouilles. Le temps viendra bien assez tôt où, contrits et affichants leurs remords de circonstance, ils expliqueront qu’ils ne pouvaient faire autrement, qu’ils pensaient qu’ils agissaient pour le bien du pays, etc. La nature humaine étant ce qu’elle est, on peut avoir la faiblesse, ou la prudence, de ne pas dire « non à un cinquième mandat ». Mais alors, mieux vaut se taire. Dans ce genre de situation, le silence est déjà un courage et une morale. Bref, l’histoire jugera ces meuniers.

On peut aussi relever que les grandes puissances sont bien prudentes. C’est très étonnant. Une telle situation dans un autre pays aurait d’ores et déjà provoqué, au moins, la « préoccupation » diplomatique des grandes capitales. Attention, soyons clair car je vois d’ici quelques moustaches frémir : il ne s’agit pas de demander une intervention étrangère ou une quelconque pression… C’est juste que je relève que les partenaires occidentaux de l’Algérie semblent très bien s’accommoder de ce statu quo qui n’en finit pas. Il est vrai que l’Algérie de 2019 est une précieuse vache à lait (jetez un coup d’œil à l’évolution des importations depuis 1999 pour en prendre la mesure) qu’il ne faut pas effaroucher.

Mais il y a aussi les conclusions que l’on peut d’ores et déjà tirer de cette triste affaire. L’une d’elle peut inciter à l’optimisme ou, au contraire, à un profond pessimisme. Le fait est que le système algérien est à bout de souffle. Son entropie, autrement dit son usure, explose. Il en arrive à faire n’importe quoi pour se maintenir. C’est le signe annonciateur de la fin. Expliquons-nous : Depuis 1962, et plus encore depuis 1965, ce système a toujours eu l’obsession des apparences, de la cohérence et des solutions à "façades" plus ou moins acceptables. Cette fois, il manque totalement d’imagination et de créativité politique.

Prenons un exemple. En 1992, quand il a fallu obliger Chadli Bendjedid à démissionner pour ouvrir la voie à l’interruption du processus électoral, une solution cohérente, plus ou moins acceptable, fut trouvée. Création d’un Haut comité d’État (HCE) et rappel de Mohammed Boudiaf, une personnalité historique dotée d’une légitimité révolutionnaire et d’une totale virginité politique concernant l’Algérie indépendante. Le putsch, car c’en était un, était illégal au regard des lois et des institutions, mais l’habillage, la solution proposée en échange, pouvait faire illusion auprès d’une partie des Algériens et de la communauté internationale. Malgré les circonstances dramatiques, cela généra quelques espoirs chez certains, une sorte de petite dynamique de changement dont on sait, hélas, comment elle s’enlisa avant de se terminer un jour funeste de juin 1992.

Aujourd’hui, il n’y a plus de Boudiaf. La famille révolutionnaire voit la génération de novembre disparaître peu à peu et, de toutes les façons, tout cela ne veut rien dire pour une jeunesse qui confond le 1er novembre et le 5 juillet. Dans une conjoncture intérieure où tous les voyants sont au rouge, où les besoins de réformes sont immenses et où l’on s’interroge sur l’existence d’un projet de société unissant les Algériens (autre que « la défense intangible des acquis de la révolution »), que propose-t-on aux Algériens pour faire passer la pilule du cinquième mandat ? Une conférence nationale et une possible énième révision constitutionnelle… Vingt ans de présidence pour ça ? Sérieusement ? Alors oui, le système s’épuise. Et cela ouvre la voie à tous les possibles. Les meilleurs comme les pires.
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mardi 12 février 2019

La chronique économique : La guerre de la 5G a déjà commencé

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 6 février 2019
Akram Belkaïd, Paris

Un slogan concernant cette nouvelle technologie pourrait être « le futur est déjà là ». Il s’agit de la cinquième génération de téléphonie mobile, appelée plus communément 5G. Alors que certains pays en sont encore à la troisième génération (3G) et qu’ils commencent à peine à passer à la 4G, les grandes puissances économiques se préparent au big-bang de la nouvelle génération qui permettra d’augmenter la vitesse de connexion et de transmission. La 5G, c’est effectivement de 1,4 giga-octets par seconde (Go/s) à 4,5 Go/s soit un débit vingt fois plus rapide que la 4G. Mieux, des articles parient déjà sur un débit encore plus impressionnant de 10 à 15 Go/s à moyen terme.

La Chine en pointe

La 5G ne va pas simplement bouleverser le quotidien des particuliers avec des applications internet plus puissantes et une connectivité encore plus étendue. Elle va coupler le web aux objets dit intelligents ou encore les objets mobiles. Exemple, les voitures sans conducteurs, les drones, les robots. Autrement dit, la 5G associée à de nouvelles techniques liées à l’intelligence artificielle est susceptible de provoquer une nouvelle révolution industrielle sans que l’on sache où tout cela mènera l’humanité. A cela s’ajoute aussi le fait que la 5G nécessitera un grand nombre d’antennes relais et que cela veut dire une multiplication des radiofréquences et des champs électromagnétiques. Le plus prudent serait de faire des tests et de vérifier l’innocuité de ces champs et ondes que l’on soupçonne pourtant de provoquer des cancers. Oui, mais voilà. Le marché est énorme. Plusieurs centaines de milliards de dollars sont en jeu. Et la bagarre et les grandes manœuvres ont déjà commencé.

Un équipementier brigue la place de champion du monde de la 5G. Il s’agit du groupe chinois Huawei, dont les équipements de 4G lui confèrent déjà le deuxième rang mondial de vendeur de téléphones intelligents (« smartphones »). Huawei est aussi le premier fabricant planétaire d’antennes pour la téléphonie mobile et ses ventes devraient exploser avec le développement de la 5G.

Oui, mais voilà : de nombreux pays occidentaux ne veulent pas de la technologie chinoise. Ou, plus exactement, de nombreux gouvernements occidentaux sont inquiets à l’idée que leurs réseaux de 5G dépendent de la Chine. C’est le cas des Etats-Unis entrés en confrontation directe avec Pékin avec l’arrestation, il y a près de deux mois, de la n°2 de Huawei alors qu’elle faisait escale à Vancouver au Canada. La justice américaine demande son extradition au prétexte que la compagnie chinoise n’aurait pas respecté les sanctions imposées à l’Iran. En réalité, Washington cherche à affaiblir Huawei dont il ne veut pas comme équipementier pour sa 5G.

Quel choix pour l’Europe ?

Il y a quelques jours les services secrets norvégiens ont mis en garde leur gouvernement contre tout choix de Huawei pour la 5G, estimant que cela rendrait vulnérables la protection d’un certain nombre d’informations sensibles. Ici ou là en Occident, on reproche ainsi à Huawei sa trop grande proximité avec le gouvernement chinois. C’est oublier dans la foulée que les firmes de Silicon Valley travaillent souvent main dans la main avec les autorités américaines. La réalité est que la bataille est surtout commerciale car où que l’on soit, en matière de technologies de la communication, il n’y a pas d’indépendance à l’égard des pouvoirs politiques. Dans cette affaire, l’Europe qui a du mal à développer sa propre technologie de 5G voit donc se profiler trois options délicates : un, elle s’appuie sur les Etats-Unis (et en dépend) ; deux, elle acquiert une technologie chinoise au risque de se fragiliser (et d’irriter Washington) ; trois, elle développe sa propre 5G mais paie le prix de son retard technologique en la matière. Car, comme indiqué en début de chronique, la 5G c’est pour 2019 avec une montée en puissance dès 2021.
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vendredi 8 février 2019

La chronique du blédard : Un Algérien de droite, réac, ça peut exister ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 7 février 2019
Akram Belkaïd, Paris

A la fin des années 1980, je suis tombé un jour sur un ancien journaliste d’Algérie-Actualité qui me tint un discours plutôt déroutant. Reconverti dans la communication et le démarchage publicitaire, il se lança dans une longue diatribe contre ses ex-collègues et confrères, les qualifiant de « staliniens patentés », de « gauchistes notoires », de « communistes radicaux », de « trotskystes déguisés » ou de « pagsistes sectaires » (comprendre des militants du Parti de l’avant-garde socialiste ou Pags). Il leur en voulait de l’avoir fait taire pendant des années et de l’avoir empêché de défendre ses idées (néo)libérales. Très fier de lui, il me tint un discours à la gloire des économistes Milton Friedman et Arnold Harberger dont il espérait voir les idées triompher en Algérie.

En l’écoutant, j’ouvrais de grands yeux, un peu comme si je venais de rencontrer un extra-terrestre ou un compatriote ayant préféré passer sa journée à la plage plutôt que de suivre la fameuse rencontre de football entre l’Algérie et la RFA. Au bout d’un moment, je lui fis remarquer que Friedman avait surtout inspiré les fameux Chicago Boys, ces économistes dont s’entoura le général Pinochet après son coup d’État contre Salvador Allende. Cela ne le perturba guère. Au contraire, il loua les mérites économiques du boucher de Santiago. La chose était claire, j’avais un Algérien de droite, voire d’extrême-droite devant moi et, période d’ouverture démocratique oblige, il pouvait enfin s’en vanter et défier les « gauchos » dont il avait subi l’implacable dialectique progressiste et unanimiste (notons au passage que, quelques mois plus tard, en 1992, après les fameuses élections que-vous-savez, ce furent des gens de « gauche » qui basculèrent dans l’éradicalisme – pardon pour ce néologisme – le plus droitier et le plus intolérant).

J’ai repensé à cette histoire avec les dernières péripéties du feuilleton Kamel Daoud et les Algériens. Daoud écrit régulièrement dans le très droitier hebdomadaire français Le Point – celui où est publié le bloc-notes de l’ineffable Bernard-Henry Levy (BotulHL). L’un de ses derniers textes, consacré au Venezuela, a mis en rogne nombre de lecteurs algériens car il y flingue allègrement Hugo Chavez et le guevarisme (1). L’écrivain et acteur Chawki Amari y a vu un motif de rupture avec Daoud et l’a fait savoir (2). Les réseaux sociaux se sont enflammés, les uns étant pour l’autre et les autres étant pour l’un. Un « débat » wanetoutriste, un peu du genre « toi t’es Ronaldo (époque Madrid) mais moi je suis Messi  : on ne pourra donc jamais s’entendre. »

On a le droit de ne pas être d’accord avec Daoud et de le lui faire savoir. La politique est une chose sérieuse et les idées doivent être défendues pied à pied. Comme expliqué dans une chronique le concernant, prendre position sur un sujet, c’est prendre des coups (3). Mais, ce qui est intéressant dans l’affaire c’est de voir que nous avons encore du mal à accepter l’idée qu’il puisse exister des Algériens qui expriment autre chose qu’une pensée de gauche, révolutionnaire, tiers-mondiste ou postcoloniale. Nous en sommes encore au point où le fait d’être Algérien nous impose à tout un chacun l’obligation d’aimer la révolution, le peuple, l’anti-impérialisme et le progressisme d’antan.

Mais l’Algérie indépendante est bientôt sexagénaire. Ses enfants ont peut-être désormais le droit de défendre les idées qu’ils veulent sans se sentir attachés à une quelconque fidélité héritée de combats passés. Ils peuvent, si telle est leur sincère conviction, préférer Fulgencio à Fidel, Somoza à Sandino, Pinochet à Allende, Batista à Castro, Videla – Banzer – Stroessner et Bordaberry (que des gens bien) au Che, Condor au bolivarisme, Vidiadhar Surajprasad Naipaul ou Bernard Lewis à Edward Saïd, la privatisation des ressources publiques au postlibéralisme, le FMI à la Cnuced, le pragmatisme au primitivisme, un « président » autoproclamé à un président élu, le dépeçage de la Sonatrach, de la Pemex ou de PDVSA à des programmes sociaux qui, vaille que vaille, sortent des gens de la pauvreté et ainsi de suite… Ils peuvent aussi ne pas se sentir solidaires des combats arabes et n’y voir que des « injonctions racialistes » (expression d’une internaute que je me permets de reprendre).

Grand bien leur fasse. Pourtant, réfléchissons un peu et convenons que le mieux serait de se dire que personne n’est obligé de penser comme ci ou comme cela parce qu’il est né ici ou là. Mais une fois qu’on a dit cela, alors allons-y gaiement pour la castagne. Pour défendre ses idées, pas pour s’en prendre à la transgression qui serait de ne pas penser comme on serait en droit de l’exiger d’un Algérien. Par exemple, Boualem Sansal, grand spécialiste du « moi je ne pense pas comme mon peuple », confie à qui veut l’entendre ses élans affectifs à l’égard d’Israël. Plutôt que de l’insulter (et de se décrédibiliser), montrons-lui autant de fois qu’il le faudra à quel point il se trompe ; à quel point aucun des arguments qu’il avance ne tient la route et qu’il est dommage que sa notoriété en Occident ne serve pas à défendre les droits des Palestiniens (on peut toujours rêver…).

Dans tout cela, le maître mot est la sincérité des opinions exprimées ici et là. Dans un texte au vitriol, Omar Bendera ancien banquier, affirme que nombre de nos intellectuels et écrivains encensés en France sont une fabrication politique (4). Là aussi, le texte a provoqué acclamations et insultes. Des réactions binaires qui empêchent un vrai débat. Bendera n’a pas (totalement) tort. Comment peut-on nier que le système médiatico-éditorial français a ses cahiers des charges, ses exigences, ses figures imposées, ses contraintes commerciales ? Et qu’il privilégiera toujours ce qui coïncidera avec ses présupposés ?

Les mis en cause se disent quant à eux droits dans leurs bottes et dénoncent des cabales à leur encontre. Leurs thuriféraires qui font d’eux « la » vérité, parfois sans même les lire, et pour qui la vie intellectuelle se résume à une sorte de hit-parade, n’ont qu’un seul argument : les critiques relèveraient de la seule jalousie. La sagesse commande de prendre acte de la revendication de sincérité de ces « stars » algériennes de l’édition hexagonale. Mais il faut alors leur signifier une chose. Tout comme un flux continu de critiques incendiaires et de mises en causes est contreproductif, un flot d’éloges sans le moindre accroc, sans la moindre confrontation avec le système dominant doit constituer pour eux un signal d’alarme.

(1) « Je ne rêve pas d’être vénézuélien », 31 janvier 2019.
(2) « Hasta la Vista », page Facebook de l’auteur, 2 février 2019.
(3) La chronique du blédard : Ecrire, c'est s'exposer (du moins à ses pairs), Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 février 2016.
(4) « La résidence très politique d’un écrivain algérien », Algeria-Watch, 4 février 2019
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mercredi 6 février 2019

La chronique du blédard : Neymar et les bourrins


Le Quotidien d’Oran, jeudi 31 janvier 2019
Akram Belkaïd, Paris

En juillet dernier, quelques jours après le sacre des Bleus en finale de la Coupe du monde à Moscou, un journaliste du mensuel So Foot posait une question d’apparence anodine mais qui témoigne de la difficulté de situer la France sur l’échiquier mondial du ballon rond : « La France est-elle un pays de foot ? » s’interrogeait-il ainsi tandis que sur les réseaux sociaux et ailleurs l’on continuait à célébrer la deuxième étoile désormais frappée sur le maillot au coq (*). Les réponses apportées par l’article méritent d’être rappelées. Un pays de foot ? Assurément, si l’on considère le palmarès de l’Équipe de France. Deux fois championne du monde, dont une fois hors de ses bases, deux fois championne d’Europe, dont là aussi une fois hors de ses frontières, un palmarès dont rêveraient des pays tels que les Pays-Bas ou la Belgique. J’insiste sur les titres obtenus hors de ses frontières car c’est ce qui fait une grande équipe. L’Algérie ne sera un « vrai » champion africain que le jour où les Verts remporteront la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) ailleurs qu’à domicile (on peut toujours rêver…).

Mais revenons au football français. Un grand du monde, donc. A l’inverse, la réponse à la question est moins catégorique si l’on se penche sur d’autres critères dont l’incontournable palmarès des clubs (deux petits trophées européens, l’un pour Marseille, l’autre pour le PSG et rien depuis le milieu des années 1990). Si les Bleus sont des grands d’Europe et du monde, les clubs hexagonaux sont des nains sur le plan européen, incapables qu’ils sont de remporter des trophées continentaux y compris secondaires. Et cela, les supporters italiens, portugais ou même anglais ne se privent pas de le rappeler. Les efforts désespérés du PSG, version argent du Qatar, pour remporter la Ligue des champions démontrent que beaucoup de chemin reste à faire. Et que ce n’est pas qu’une simple question d’argent et de joueurs achetés au prix d’un aéronef. Il faut ce quelque chose de plus qui est un mélange d’histoire, de passion, de culture, de dévotion des supporters, de légendes, etc.

Il y a quelques jours, un joueur de Strasbourg a blessé le brésilien Neymar. L’affaire est fâcheuse car le prodige sera absent des stades jusqu'à mi-avril. Victime d'une lésion du cinquième métatarsien droit, il manquera donc le huitième de finale de la Ligue de champions face à Manchester United. Et peut-être aussi un éventuel quart de finale. Une blessure dans le foot, cela peut arriver mais quand le même scénario se répète deux années de suite, c’est qu’il y a un problème. Personne ne niera que le PSG est le club à abattre dans le championnat français. Club riche, trop riche, qui plus est possédé par des Arabes, faisant jouer l’un des meilleurs joueurs au monde, c’en est trop pour certains habitués au pépère « on reste bien en place et on vise le zéro-zéro ».

Si j’évoque la question de la culture footballistique, c’est parce que j’ai été attentif aux commentaires ayant suivi la blessure de Neymar. A en croire nombre de journalistes, de « consultants », d’entraîneurs et même de joueurs en activité, le Brésilien a été blessé parce qu’il abuserait de son talent. Parce qu’il « chambre » ses adversaires, qu’il multiplie les feintes, les « gris-gris ». Vous comprenez, chers lecteurs, Neymar n’aurait pas le droit de s’amuser aux dépens de ses adversaires. Il doit les « respecter », il doit « rester humble » et ne pas trop en faire… En somme, il ne doit pas faire ce pour quoi le foot est fait. Il doit limiter l’expression de son talent (un peu comme le bon élève à qui on demande de ne pas trop la ramener en classe…). Avec ce genre de mentalité, le basket-ball devrait donc interdire les dunks (smash), ce qui fut d’ailleurs le cas de 1967 à 1976 aux Etats-Unis avant que l’exigence de spectacle ne reprenne ses droits.

Un petit pont, un crochet, un grand pont, une mystification, tout cela c’est l’âme du foot. C’est le plaisir fondamental du jeu, la joie que l’on fait éprouver au spectateur ou alors la colère, laquelle fait partie du jeu. Mais cela reste un pilier de ce sport. Sans joueurs comme Neymar, on s’emmerderait dans les stades. On aurait affaire à des machines athlétiques capables de courir sans fin et de nous forcer à nous endormir à force de manquer d’imagination et d’inventivité. Oui, Neymar est insupportable quand il simule mais pas quand il joue sur ses qualités. Pas quand il rappelle aux défenseurs que la loi du football est simple : l’attaquant, c’est le roi, le faiseur de beau spectacle, le créateur d’émotion, celui qui a le droit d’humilier l’adversaire par une feinte.

Alors, trouver des excuses au bourrin qui l’a blessé, un bhim tunisien qui ne mérite même pas d’être nommé, c’est montrer à quel point on manque de culture footballistique. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau. En 1987, le journaliste du quotidien Le Monde qui avait couvert la finale Porto-Bayern de Munich (Coupe des clubs champions), n’avait guère éprouvé d’enthousiasme face au but talonné de Madjer (le foot, c’est sérieux, la fantaisie ça va un moment, faut se concentrer sur les stats…). Idem, il y a un ou deux ans, quand un joueur de Rennes, N’tep si je me souviens bien, s’est retrouvé seul devant la cage adverse : il s’est alors mis à genoux et, rigolard, a marqué de la tête. N’importe quel fan de football a compris le geste. Qui n’a pas essayé de le faire en jouant contre les copains ou de parfaits inconnus ? Oui, mais voilà, la cohorte entraîneurs-consultants-journalistes n’a pas aimé. « Manque de respect » pour l’adversaire ont-ils hurlé. C’est cette mentalité qui fait que la France n’est pas une grande nation « complète » du football. C’est cette mentalité qui fait trouver des excuses à un joueur médiocre pour qui la seule manière de faire parler de soi, c’est de casser plus talentueux que lui.

(*) Par Chérif Ghemmour, mercredi 18 juillet 2018 (papier disponible sur le site sofoot.com).
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