Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mercredi 25 novembre 2020

La chronique du blédard : Du complotisme et des complotistes

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 19 novembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Le complotisme dont on parle tant par ces temps de pandépidémie ou d’élections américaines qui – à en croire Donald Trump et ses adorateurs – auraient été truquées, ce n’est pas uniquement croire aux complots. Car il ne faut surtout pas être naïf. Les complots et les conspirations ont toujours existé et il en existera toujours. L’histoire est truffée de machinations, de tentatives de renverser l’ordre des choses, de provoquer tel ou tel résultat en manipulant les hommes et les événements. Par exemple, un coup d’État est d’abord un complot. De même, les opérations « false flag » ou sous faux drapeau ou encore sous faux pavillon peuvent être assimilées à des conspirations puisque des actes de guerre sont commis au nom d’autrui comme lorsqu’Israël mena de 1979 à 1983 une campagne d’attentats à la voiture piégée au Liban en faisant porter la responsabilité à un « Front pour la libération du Liban » inventé pour cela.

 

Alors qu’est-ce que le complotisme ? Il existe plusieurs définitions et plusieurs écrits à ce sujet (1). Pour ma part, je pense qu’il s’agit d’une propension à réfuter des faits établis en proposant une explication alternative sans jamais hésiter à tordre le cou à la réalité et sans craindre de se contredire. Les constructions intellectuelles qui circulent actuellement à propos d’un complot mondial qui serait derrière l’épidémie de Covid-19 en sont la meilleure preuve. Le vacarme est tel que plusieurs thèses circulent avec des affirmations en apparence structurées, qui empruntent quelques éléments de réalité, mais dont la finalité est de reprendre la fameuse phrase de la série X-Files : « la vérité est ailleurs » (on ne dira jamais assez à quel point cette série a préparé le terrain aux dérives complotistes).

 

Le complotisme est une facilité. A des situations complexes, incertaines, où il existe certainement des éléments ignorés par la majorité, il apporte des réponses simples. S’il y a une épidémie, c’est la faute (choisir par ordre de préférence) : Les Chinois, les « Big pharma » (les grandes compagnies pharmaceutiques), Bill Gates, les Illuminatis, la CIA, le Mossad, le gouvernement mondial constitué par de grands financiers et patrons, etc. Le complotisme, c’est, ne cherche pas à comprendre, « ils » sont plus forts que nous, « ils » contrôlent les médias, « ils sont partout ». Ils ? Les maîtres du monde ou, pourquoi pas, les envahisseurs que traquait David Vincent dans une série elle aussi paranoïaque mais ayant plus à voir avec la guerre froide et la supposée infiltration des États-Unis par les communistes.

 

Le complotisme est aussi le refus systématique de la version officielle. Ce qui n’est pas forcément une tare. Tous les gouvernements, toutes les entreprises mentent. Par volonté de ne pas tout dévoiler, par volonté de masquer leurs bêtises et incompétences, par souci de ne pas affoler les marchés financiers. Mais ces mensonges, que n’importe quel (bon) journaliste doit avoir en tête lorsqu’il est en conversation avec un service de presse, ne signifient pas que « tout » est mensonge, trucage et surtout, que tout dérive d’une machination structurée. Prenons la gestion catastrophique de la situation sanitaire en France au printemps dernier. 

 

Les enquêtes de la presse et des commissions parlementaires, les indiscrétions parues ici et là, tout cela montre que ce qui a dominé, ce sont l’impréparation, la désinvolture au début de la crise (des réunions ministérielles qui n’ont pas lieu à cause des vacances de ski !), la désorganisation (trop de centres de décision) et l’incompétence. Par la suite, sont venus les mensonges, comme notamment celui qui consistait à faire croire que les masques étaient inutiles plutôt que de reconnaître une pénurie qui aurait exigé que des coupables soient sanctionnés. Bref un mélange de bêtise, d’erreurs et de duplicité. Les autorités françaises le nieront jusqu’au bout, mais leur but au départ était d’imiter la stratégie de Boris Johnson en pariant sur l’immunité croisée. On connaît la suite… Feu Michel Rocard, l’ancien premier ministre français, avait une formule lapidaire pour résumer la chose : « toujours préférer l'hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare. » On peut remplacer connerie par incompétence ou sournoiserie.

 

Le complotisme permet de s’affranchir des règles de base quant au savoir et la science. Les médecins peuvent dire ce qu’ils veulent concernant le virus, la façon de le traiter ou de s’en protéger, leur propos sera raillé, délégitimé. La phrase, « je ne suis pas médecin mais je pense que… » est devenue monnaie courante. « Je ne suis pas médecin mais je pense que les vaccins ne servent à rien », m’a affirmé il y a peu un ancien camarade de lycée. Je lui ai fait remarquer que notre génération a échappé à la tuberculose, à la variole et à la poliomyélite grâce aux programmes de vaccination scolaire des années 1960 et 1970. « Je suis sûr que ça ne servait à rien », m’a répondu ce vendeur de voitures, métier, on le sait, qui donne autant de légitimité que quelqu’un qui a fait huit années d’études de médecine… Il faut bien garder en tête les propos du philosophe allemand Norbert Bolz pour qui Internet est devenu le « royaume des idiots », c’est-à-dire ces « idiotae » de jadis qui se contentaient d’avoir une opinion en étant persuadés qu’ils pouvaient se passer du savoir des lettrés. 

 

Le complotisme donne au complotiste la sensation qu’il est plus intelligent que les autres. Normal, puisque lui « sait » tandis que les autres, naïfs qu’ils sont, baignent volontairement dans l’ignorance et le déni. Discuter avec quelqu’un qui est persuadé que les vaccins servent à injecter des puces électroniques destinées à nous surveiller en permanence est une expérience édifiante. Pour reprendre un mot bien algérien, le gars est « mareg ». Il est « aware », c’est un « « sachant » qui n’aura que mépris et commisération pour son interlocuteur.

 

Enfin, le complotisme est une facilité et une incitation sournoise au renoncement. Puisque le monde est géré par des forces occultes et puissantes, puisque les dés sont pipés, pourquoi alors s’engager et se battre ? Pourquoi se mobiliser puisque « tout » ce qui arrive est le résultat d’une savante conspiration que personne ne semble capable de démonter ? Interrogé avec véhémence sur les raisons pour lesquelles il ne se prononçait jamais sur le « complot » des attentats du 11 septembre 2001 (aucun avion n’aurait percuté les tours du World Trade Center, etc), Noam Chomsky fit la réponse suivante : « il faut être économe de son énergie et se concentrer sur les combats qui valent la peine d’être menés ». Autrement dit, le complotisme n’est finalement rien d’autre qu’une dangereuse distraction.

 

(1) Voir l’ouvrage de Marie Peltier, « Obsession : Dans les coulisses du récit complotiste », Éditions Inculte, Paris, 2018, 128 pages, 15.90 euros. Lire aussi la livraison de Manière de Voir consacrée au complotisme : « Complots : Théories… et pratiques », n°158, avril-mai 2018, 100 pages, 6 euros (version numérique).

 

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La chronique économique : En Chine, l’État face au marché

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 18 novembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

 

Il y a quelques semaines, cette chronique annonçait l’entrée en Bourses de Shanghai et de Hong Kong d’Ant Group (1), le numéro un des transactions électroniques en Chine (55% des parts de marche contre 40% pour son concurrent Tencent). L’opération promettait d’entrer dans l’histoire avec une levée de fonds record de 34,5 milliards de dollars, autrement dit loin devant le géant du commerce en ligne Alibaba (25 milliards de dollars) et le groupe pétrolier saoudien Aramco (25 milliards de dollars). Or, à la surprise générale, cette Initial Public Offering (IPO) a été bloquée à la dernière minute par les autorités chinoises. Comment interpréter un tel revers ?

 

Reprise en main étatique

 

Dans cette même chronique nous évoquions le fait qu’Ant Group, comme d’autres opérateurs du secteur du commerce électronique, ne cessent d’élargir leur gamme de services et c’est bien cela qui inquiète les autorités. Empôcher des milliards de dollars en ponctionnant une commission sur chaque achat effectée grâce à Internet, cela passe. Mais commencer à utiliser ces liquidités pour se lancer peu à peu dans le crédit en ligne, l’assurance et, surtout, la gestion de l’épargne, et cela au grand dam des banques étatiques qui sont incapables de suivre le rythme, cela n’est pas accepté par les plus hautes autorités du pays.

 

Selon la presse économique, c’est le président chinois lui même qui aurait décidé de stopper l’IPO d’Ant Group. Xi Jinping serait décidé à freiner l’expansion des géants chinois de l’internet avant qu’ils n’échappent à tout contrôle ou qu’ils deviennent trop puissants et trop riches pour que l’Etat continue à leur dicter sa loi. Il est intéressant de noter que le gouvernement chinois n’hésite plus à exprimer son inquiétude quant au risque de voir des monopoles privés se constituer. L’ironie de la situation est évidente : voilà un Parti communiste au pouvoir qui a enclenché l’adaptation du pays à l’économie de marché mais qui décide qu’il existe des limites à ne pas dépasser.

 

Secteur florissant

 

Mais la marge de manœuvre de Pékin est très étroite. Les autorités peuvent freiner Ant Group ou même son ex-maison-mère Alibaba (qui en détient encore un tiers du capital) mais le risque est que ces acteurs perdent de leur compétitivité par rapport à leurs concurrents américains qui rêvent de prendre pied sur le marché chinois. Encore une fois, il est nécessaire de suivre ce qui se joue aujourd’hui en Chine car le capitalisme d’État tant vanté au cours des deux dernières décennies est en train d’atteindre ses limites. Il n’est pas étonnant d’entendre un Jack Ma, fondateur d’Alibaba et aujourd’hui officiellement retiré des affaires, critiquer de manière régulière l’inertie du système financier chinois (2).  

 

Jack Ma, le « crocodile du Yangtze » et ses pairs sont d’ailleurs le collimateur des autorités. Mais peuvent-elles les mettre au pas ? Le 11 novembre, la « journée des célibataires », grand moment consumériste dont le chiffre d’affaires dépasse de loin ceux du « black Friday » ou des fêtes de fin d’année, a démontré la vigueur du commerce en ligne en Chine avec un chiffre d’affaires de 64 milliards de dollars pour le seul Alibaba (contre 34 milliards de dollars lors du 11/11 de 2019). Cette manne est un levier puissant pour asseoir un pouvoir économique. C’est aussi un motif d’inquiétude pour tout pouvoir politique qui entend garder la main sur l’économie.

 

 

 

(1) « Ant Group bat le record des entrées en Bourse », Le Quotidien d’Oran, 28 octobre 2020.

 (2) « Jack Ma, milliardaire et (déjà) retraité », Le Quotidien d’Oran, 11 septembre 2019.

 

 

 

  

 

vendredi 13 novembre 2020

La chronique du blédard : Messmar Trump (le clou de Trump)

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 12 novembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Joseph Robinette Biden Jr., dit Joe Biden, est donc le quarante-sixième président des États-Unis d’Amérique. C’est du moins ce que la majorité des grands médias et agences de presse ont établi quatre jours après l’élection. Pourtant, ce résultat n’est pas encore officiel. Le président sortant Donald John Trump ne veut pas admettre (merci de ne pas utiliser le terme impropre de « concéder ») sa défaite. Il clame en multipliant les tweets en lettres capitales qu’il a gagné haut la main et que les démocrates ont triché en manipulant le vote par correspondance. On attend toujours qu’il produise les preuves de ces fraudes qu’il ne cesse de dénoncer… Mais avec lui, comme c’est le cas depuis des années, la vérité n’est pas le plus important. Il suffit d’affirmer l’existence d’un fait pour qu’il soit.  L’affaire est certes risible mais la situation prend une tournure inquiétante, bien plus que « l’embarras » que Joe Biden évoque.

 

Ce scénario potentiel du pire, l’Afrique le connaît bien. Une élection présidentielle, deux candidats qui revendiquent la victoire. Le ton monte, les partisans de l’un et de l’autre se chauffent l’esprit et la violence qui a émaillé la campagne électorale repart de plus belle, menant parfois à la guerre civile. Bien entendu, les États-Unis n’en sont pas (encore) là. Pour le moment, les démocrates adoptent une attitude prudente, qu’ils aimeraient perçue comme « responsable », alors que le camp républicain multiplie les vociférations et les mises en cause. On relèvera au passage que les comportements serviles sont universels. En Algérie, des députés payés à ne rien faire obéissent aux ordres en votant à main levée n’importe quel texte et, aux États-Unis, les élus, sénateurs et représentants, du parti républicain n’osent pas féliciter Joe Biden par peur des représailles du clan Trump.

 

Plus d’une semaine après l’élection, plusieurs scénarios sont possibles d’ici le vote des grands électeurs le 14 décembre prochain puis la prestation de serment, la troisième semaine de janvier. On peut assister à une transition chaotique avec des tentatives multiples de la part du locataire de la Maison-Blanche d’entraver l’installation de Joe Biden dans ces mêmes locaux. Cela passera peut-être par des procédures judiciaires voire par un recours auprès de la Cour suprême. Pour le moment, la majorité des experts sollicités par les médias estiment que ces démarches n’ont quasiment aucune chance d’aboutir même si la « SCOTUS » (Supreme Court of the United States) est composée en majorité de juges conservateurs. Mais, sait-on jamais…

 

On peut aussi assister à une dégradation rapide du climat civil. A force de crier qu’on lui a volé sa victoire et d’appeler ses partisans à la rescousse, Trump est capable de provoquer une situation de grand désordre. Une marche à Washington, des manifestations localisées, des sit-in, c’est-à-dire tout ce que le président sortant envisage, représentent un jamais-vu dangereux qui peut facilement dégénérer en affrontements. Certes, certains médias américains affirment que des contacts discrets ont lieu avec l’équipe de transition démocrate mais cela reste à confirmer et, surtout, ce n’est pas encore officiel.

 

Depuis son élection en 2016, Trump a constamment brisé les conventions et remis en cause les normes en vigueur. Son comportement actuel s’inscrit en droite ligne de ses outrances et de sa capacité à toujours imposer son point de vue à son entourage. Pourquoi refuse-t-il la défaite ? Il est peu probable qu’il croit lui-même à ces histoires de fraude. Ce qu’il sait, par contre, c’est que se retrouver dans la peau d’un ex-président lui vaudra nombre de problèmes à commencer par la perte de son immunité face aux diverses enquêtes qui le concernent : fraude fiscale, favoritisme, etc. Il n’est donc pas exclu que sa surenchère actuelle accompagne des négociations dans l’ombre pour lui garantir sa tranquillité après janvier 2021.

 

On entend ici et là, y compris en Algérie, que Biden ou Trump, c’est du kif-kif, du « ki sidi, ki lalla ». Il y a un peu de vrai dans cela. Quel que soit le locataire de la Maison-Blanche, l’Amérique ne changera pas de politique extérieure, elle demeurera impérialiste, privilégiant toujours ses intérêts en premier. Les deux mandats de Barack Obama l’ont bien montré, lui dont la planète entière espérait une transformation radicale de l’Empire au prétexte qu’il appartient à la minorité noire. Pour autant, et c’est une situation récurrente pour ne pas dire désormais habituelle, entre deux maux, il faut choisir le moindre.

 

Donald Trump est un raciste décomplexé et un misogyne. Son élection à la Maison-Blanche a constitué un signal d’encouragement pour tout ce que la planète compte comme organisations réactionnaires et fascisantes. Il est l’homme du décret interdisant à certains musulmans d’entrer aux États-Unis (« muslim ban ») et du transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem en violation du droit international. Il suffit d’écouter quelques minutes, pas trop longtemps, le vacarme des marigots que constituent les chaînes françaises d’information en continu pour comprendre qu’il est l’idole de l’extrême-droite où qu’elle se trouve.

 

Tout le monde au Maghreb connaît l’histoire du clou (messmar) de Djha (Djoha). Ce dernier vend sa maison à condition de pouvoir rendre régulièrement visite à un clou porte-bonheur fiché dans l’un des murs. Au final, le nouveau propriétaire, lassé par les visites, finit par craquer et revendre la maison à Djha pour une bouchée de pain. Même expulsé de la Maison-Blanche, Trump, qui a récolté plus de soixante-dix millions de voix (plus que lors de sa victoire en 2016), laisse un clou planté dans le mur fêlé de la démocratie américaine. Cela signifie que rien n’est réglé mais le fait qu’il ne rempile pas pour un second mandat est déjà une bonne nouvelle à prendre.

 

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La chronique économique : Euphorie boursière

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 11 novembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

 

Champagne pour tout le monde ! La journée du lundi 9 novembre a été faste pour les grands marchés financiers européens et nord-américains. L’euphorie qui tranche avec la morosité de ces derniers mois s’est ensuite prolongée le mardi 11 novembre aux places asiatiques notamment à Tokyo. Partout, les indices ont été dans le vert, comprendre qu’ils ont progressé par rapport à la veille. Comprendre les raisons d’une telle progression permet d’évoquer quelques ressorts du fonctionnement des Bourses et des stratégies des investisseurs.

 

Biden et Pfizer

 

Dès leur ouverture, les marchés étaient orientés à la hausse ayant décidé que le suspense autour de l’élection présidentielle était clos. Même si le président sortant Donald Trump refuse de concéder sa défaite et d’ouvrir la voie à la passation de pouvoir entre ses équipes et celles du président-élu Joe Biden, la plupart des acteurs des marchés semblent convaincus que l’affaire est désormais jouée. Pour eux, le recomptage des voix – s’il se confirme - ne changera rien au résultat. De même, et cela concerne plus particulièrement Wall Street, le fait que la composition du Sénat ne devrait pas fondamentalement changer – équilibre entre démocrates et républicains avec petite avantage pour ces derniers – alors que l’on attendait une « vague bleue » (couleur des démocrates par opposition au rouge des républicains) ravit les opérateurs qui craignent que les démocrates n’augmentent la fiscalité sur les entreprises.

 

Le même jour, il y a eu l’effet Pfizer. En annonçant que ses résultats intermédiaires de la phase finale d’expérimentation de son vaccin contre le Covid-19 était prometteuse avec 90% d’efficacité, le groupe pharmaceutique a donné des ailes au marché, profitant lui-même de l’annonce pour prendre 7,69% par rapport à son cours de la veille. Dans la foulée, d’autres secteurs ont connu des hausses appréciables : le secteur aérien, la publicité, la location d’automobiles et la construction. Pourquoi ? Le raisonnement est simple : qui dit vaccin, dit fin de l’épidémie. Et qui dit fin de l’épidémie, dit reprise de l’activité économique et donc redémarrage des voyages, de la communication des entreprises et des déplacements de particuliers. 

 

Versatilité des marchés

 

Pour autant, il faut se garder de croire que ces raisonnements sont définitifs. Il n’y a rien de plus versatiles que les marchés financiers. Dans les prochains jours et semaines, il est probable qu’ils prennent un chemin inverse. Si la « guérilla » procédurière de Trump s’intensifie, si la transition présidentielle ne commence pas et si, d’aventure, les risques d’une longue période d’incertitude institutionnelle se concrétisent, alors la Bourse va paniquer. Certain que son homologue d’à-côté va vendre, l’investisseur en fera de même dans un réflexe moutonnier bien connu. Et si Pfizer annonce le moindre retard dans la mise sur le marché de son vaccin désormais attendu par tous, alors, les indices boursiers plongeront. En attendant que reviennent d’autres bonnes nouvelles…

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La chronique du blédard : Une élection et ses premiers enseignements

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 5 novembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

A l’heure du bouclage de cette chronique, il n’était pas encore possible de savoir qui de Joe Biden ou Donald Trump a remporté l’élection présidentielle américaine. Mais au bout d’une soirée (et d’une nuit) de décompte serrés, il est d’ores et déjà possible de tirer plusieurs enseignements de ce scrutin à part. Le premier, le plus évident, est que contrairement à ce qu’annonçaient nombre de sondages mais aussi nombre de « spécialistes » des États-Unis, Donald Trump ne s’est absolument pas effondré. Bien au contraire. Il a sécurisé le vote en Floride et dans l’Ohio, deux États que les démocrates auraient aimé remporter pour gagner l’élection (cela vaut aussi, mais à un degré moindre pour les « chances » de Biden, pour le Texas et la Caroline du nord). Surtout, Trump n’a pas été stoppé par le fameux « mur bleu », ces États du nord, traditionnellement dévolus aux démocrates mais que le président américain avait déjà pu arracher, à la surprise générale, lors de l’élection de 2016 contre Hillary Clinton. Ce sont d’ailleurs les résultats du Wisconsin, du Michigan et de la Pennsylvanie qui devaient trancher. 

 

Le second enseignement, qui est aussi tout autant évident, c’est que la vision du monde de Trump, ses outrances, son racisme, sa misogynie, son « anti-science » trouvent un vrai soutien au sein d’une partie de la population américaine. Mais, contrairement aux analyses simplistes, cela n’explique pas tout. Ses électeurs ne sont pas que des « red-necks », ces ruraux si souvent pointés du doigt pour leur conservatisme et leur vision binaire du monde. Il ne s’agit pas ici que de ces fous furieux défenseurs du droit de porter une arme et prompts à célébrer les figures ségrégationnistes du Sud. Bien au contraire. Trump est présent partout, y compris dans les zones urbaines (même s’il n’y arrive pas toujours en tête). En clair, des électeurs l’ont choisi pour d’autres motivations. Certains, ont même caché leurs intentions lors des sondages, attitude que seuls de rares médias ont signalée. Qui sont ces électeurs ? Ils sont présents dans toutes les catégories de la société et ils n’ont voté pour Trump que pour une seule chose : leur intérêt financier et économique. Avec lui, de 2016 à ce jour, ils ont eu droit à des réductions d’impôts à de nombreux niveaux et ils comptent sur lui pour limiter les dépenses sociales dont ils pensent – souvent à tort – qu’elles se font à leur détriment. 

 

En clair, et pour reprendre l’explication d’une universitaire algérienne installée dans l’État du Maine, on peut très bien avoir affaire à un dentiste ou un architecte qui déplorera en public le discours raciste de Trump, qui se dira effrayé par son discours clivant et son comportement et ses « tweets » erratiques, mais qui, au final, vote pour lui en pensant à sa déclaration annuelle de revenus. Money, is the key my friend ! Il faudra aussi s’interroger sérieusement sur le fait que les électeurs originaires d’Amérique latine ou centrale, les « Latinos », ont voté pour Trump malgré ses discours racistes à leur encontre (il semble qu’en Floride, le matraquage présentant Biden comme socialiste a touché les électeurs d’origine cubaine et venezuelienne). Idem pour les « seniors » dont on disait qu’ils étaient ulcérés par la mauvaise gestion de la pandémie de Covid-19. Tout cela, à l’exception des retraités de l’Arizona, ne s’est pas vérifié dans les urnes. Quel que soit le résultat, Trump a créé la surprise.

 

Le troisième enseignement, est d’ailleurs lié aux sondages qui donnaient Joe Biden largement gagnant du scrutin. Aux États-Unis, le sondage est une véritable industrie. Cette dernière alimente en chiffres et pourcentages le monde politique mais aussi les médias, les acteurs culturels (maisons d’édition, cinéma, etc.). Elle est devenue tellement envahissante qu’elle tend à remplacer les vraies enquêtes, le porte-à-porte, le recours à de vraies études sociologiques menées au long cours. Ces dernières auraient peut-être alerté le parti démocrate que les « latinos » de Floride voteraient en masse pour Trump. Bref, le sondage n’est ni une vérité et certainement pas une prédiction en béton. Pour les journalistes, où qu’ils soient, cela permet de rappeler ces règles de prudence trop souvent oubliées : un sondage n’est pas un argument politique ou électoral, ce n’est pas une certitude et, surtout, ce n’est pas un matériau journalistique à favoriser surtout quand on n’a aucune idée de la manière avec laquelle il a été réalisé, aussi connu soit l’institut qui en est l’auteur.

 

Enfin, parmi d’autres enseignements à venir, on relèvera que les électeurs de Donald Trump n’ont pas hésité à aller voter malgré les risques sanitaires contrairement à la majorité des démocrates qui ont voté par correspondance. Cette conviction que le virus n’est pas dangereux ou qu’il faut vivre avec quels qu’en soient les dangers est sidérante. Elle prouve que Trump et ses discours niant la gravité de l’épidémie rencontrent une vraie adhésion populaire. Il est des absences de raison qui défient l’entendement.

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La chronique de l’économie : Le e-commerce, vedette de 2020

Le Quotidien d’Oran, mercredi 4 novembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Pour ce qui concerne l’économie, la pandémie de Covid-19 aura contribué à l’affirmation de la vente en ligne au détriment de la distribution directe, qu’elle soit grande ou petite. Cela fait certes plusieurs années que les ménages dans les pays développés privilégient ce type d’achat aux emplettes classiques. Mais avec les restrictions en matière de déplacement et la fermeture des commerces de détail pour des raisons sanitaires, le e-commerce est vainqueur sur tous les fronts. Il est l’unique solution pour faire ses achats « non-essentiels ».

 

Une dynamique haussière

 

La tendance va s’amplifier à l’approche des fêtes de fin d’année et leurs campagnes d’incitation à l’achat (« Black Friday, Noël, soldes de janvier). Les entrepôts des grandes plateformes vont donc tourner en continu. Ce créneau de la logistique est d’ailleurs l’un des rares secteurs à continuer d’embaucher alors que le reste de l’économie est en panne. On pourrait saluer l’émergence d’une nouvelle dynamique en matière d’activité mais des voix discordantes commencent à se faire entendre.

 

D’abord, le e-commerce contribue à tuer les commerces de proximité. Certes, des magasins de services particuliers ne sont pas affectés comme c’est le cas, par exemple, des nettoyages à sec. Par contre, libraires, confiseurs, papetiers, droguistes, magasins de vêtements, parfumeurs, sont tous sous la menace de géants qui peuvent rogner sur leurs marges pour attirer vers eux la clientèle. Et rien, sur le plan réglementaire, ne peut empêcher cette concurrence. Les discours sur la convivialité, sur le lien social, cèdent rapidement le pas quand il s’agit de faire des économies.

 

Impact environnemental

 

Ensuite, il y a la question de l’environnement. Derrière le clic et le numéro de la carte de crédit que l’on communique au site internet, il y a l’énergie des serveurs, la masse d’eau qui nécessite leur refroidissement. Il faut rappeler ici que le secteur du numérique au sens large est considéré comme un gros pollueur avec une part de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (ges). C’est plus que le secteur aérien, lui aussi sur la sellette. 

 

A cela s’ajoute les quantités importantes d’énergie dépensées pour stocker puis déstocker le produit avant de l’acheminer chez l’acheteur ou, chez l’intermédiaire où il viendra retirer ses achats. Une chaîne qui accumule les émissions de ges sans oublier le fait que les grands entrepôts, comme ceux d’Amazon rognent sur les terres agricoles et participent et à l’enlaidissement des paysages. Certes, on peut relever que ces émissions sont compensées par le fait que les ménages n’ont plus à se déplacer avec leurs voitures dans les grands centres commerciaux pour faire leurs courses. D’ailleurs, la tendance de fond, si l’on prend le cas des États-Unis, et au déclin de ces « mall » qui ont connu leur heure de gloire à partir de la fin des années 1950. Pour autant, le e-commerce n’est certainement pas, ou pas encore, l’ami de l’environnement.

 

L’affaire semble être entendue. Le grand centre commercial comme la petite boutique sont obligés de repenser leurs activités. Dans certains cas, la combinaison site réel et site internet est privilégiée mais est-ce que cela va durer ? C’est à une véritable révolution du commerce et de la consommation que nous assistons actuellement.

 

La chronique économique : Ant Group bat le record des entrées en Bourse

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 28 octobre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Pandémie de Covid19 ou pas, les marchés financiers continuent leur folle sarabande alimentée par d’énormes quantités de liquidités nées des politiques de taux bas des Banques centrales. Certes, les indices peuvent plonger quand se profile l’hypothèse d’un nouveau confinement général (comme c’est le cas en France actuellement) mais dans le moyen terme, la Bourse joue les lendemains qui chantent. Comment ne pas en être convaincu quand on s’apprête à assister à l’ouverture du capital de Ant Group, l’entreprise chinoise de solutions de paiement et de placement sur internet ?

 

318 milliards de dollars de valorisation

 

Ancienne propriété du géant Alibaba, qui en possède toujours 33% du capital, Ant Group est le numéro un des transactions électroniques en Chine avec 55% des parts contre 40% pour son concurrent Tencent. Le 5 novembre prochain, Ant va procéder à son Initial public offering (IPO) sur deux places : Hong Kong et Shanghai. Selon les spécialistes, cette entrée en Bourse devrait battre tous les records avec une levée de fonds de 34,5 milliards de dollars. Jusque-là, le maximum avait été atteint par Alibaba (25 milliards de dollars) et le groupe pétrolier saoudien Aramco (25,6 milliards de dollars).

 

Si l’on se base sur un cours de départ de 80 dollars, Ant Group pèsera 318 milliards de dollars. Une valorisation inférieure à celle de Tencent (538 milliards de dollars) mais équivalent à celle du géant américain JP Morgan et de loin supérieure à ses concurrents occidentaux PayPal (233 milliards de dollars) et Square (75 milliards de dollars). C’est donc d’un géant des marchés qu’il est désormais question. Un géant adossé à une activité réelle avec 800 millions d’utilisateurs, pour la plupart chinois, et 16 milliards de dollars de paiements électroniques gérés en 2019.

 

Ce qui est aussi intéressant, c’est de relever à quel point la trajectoire d’Ant Group « raconte » l’évolution de la Chine au cours de ces vingt dernières années. Deux décennies où le pays dirigé officiellement par un parti communiste a permis à des entreprises de naître et de croître à l’ombre, voire au détriment du secteur d’État traditionnel. Ainsi, Ant Group est désormais un acteur incontournable du paiement électronique (80% de son activité) mais il se développe aussi dans la gestion d’épargne et dans l’assurance. Face à lui, les banques publiques sont à la traîne et ne doivent de garder leur activité qu’aux réglementations étatiques qui les protègent encore.

 

Maîtrise technologique

 

Il n’est pas certain que l’on puisse faire d’Ant Group un exemple à suivre mais son expérience comme celle de Tencent mériterait d’être analysée en Algérie. Il s’agit d’exemples concrets d’acquisition d’une compétence à la fois technologique mais aussi financière. Les débuts furent laborieux mais, aujourd’hui, il est impensable pour le consommateur chinois de se passer des achats par internet tout en ayant la possibilité de disposer de solutions locales. Même chose quand il s’agit de gérer son épargne. Une chose est clair, la combinaison téléphonie intelligente – internet – services financiers et bancaires, est le credo du futur à court et moyen terme. Dans un pays comme l’Algérie où payer par chèque relève de l’exploit, cela donne la mesure du travail qui reste à accomplir.

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