Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 29 avril 2014

La chronique économique : Le taux d’intérêt est faible, c’est grave ?

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 23 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris

Quel est le fondement de l’économie mondiale ? Nombreux sont ceux qui répondent à cette question par une ode au marché et à la libre-concurrence. Mais en faisant cela, ils confondent la fondation avec l’architecture. En réalité, le point essentiel qui régit depuis plusieurs siècles les échanges économiques est le taux d’intérêt. C’est ce « loyer » de l’argent prêté ou investi qui façonne les grandes évolutions du moment et c’est lui qui se retrouve actuellement au centre des discussions.

Un problème pour l’économie mondiale

Il y a quelques jours, le Fonds monétaire international (FMI) et le Trésor américain ont mis en garde sur le fait que les taux d’intérêt (ajustés à l’inflation) traversent actuellement une phase baissière et cela depuis une trentaine d’années. Une période qui pourrait, selon ces deux organismes influents, se prolonger. Vu sous l’angle du consommateur ou du client d’une banque, la baisse du taux d’intérêt peut paraître une bonne nouvelle. Or, c’est le contraire pour l’économie mondiale et cela en raison de deux facteurs.

D’abord, il y a le fait que cette faiblesse ne fait pas l’affaire des investisseurs et des épargnants. Confrontés à une baisse de ce que leur rapporte leurs placements, les premiers, bien plus que les seconds, sont donc tentés de prendre des risques et d’alimenter des processus spéculatifs. C’est ce à quoi nous assistons depuis quelques années (bulle internet, immobilier, subprimes,…). Ensuite, il y a la difficulté pour les banques centrales de conduire une politique monétaire incitative par le biais d’une baisse des taux. Quand ces derniers sont déjà très bas et que l’activité ralentit fortement, la marge de manœuvre de ces institutions devient réduite à moins qu’elles ne testent la situation de taux nominaux égaux ou inférieurs à zéro (ce qui reviendrait à dire que c’est le prêteur qui doit de l’argent à l’emprunteur !).

Comme le relèvent de nombreux économistes, cette situation est le résultat de plusieurs dérives. Premièrement, et contrairement à plusieurs idées reçues, c’est le fait d’un excédent de l’épargne mondiale. Cette dernière est disponible partout, y compris dans les pays les plus pauvres. Résultat, face à cette abondance, le taux d’intérêt ne peut être élevé selon le principe habituel de l’offre et de la demande. Deuxièmement, c’est aussi la conséquence de la lutte sans merci que mènent depuis trois décennies les banques centrales contre l’inflation. Enfin, il y a la combinaison de la baisse de la demande, de la perte du pouvoir d’achat d’une part importante de la population confrontée au chômage ou au risque de perdre son emploi et, enfin, à l’accroissement des inégalités avec des classes aisées de plus en plus riches mais qui dépensent moins.

Un retour à l’inflation ?

Face à cette situation, il n’est pas rare d’entendre des experts réclamer un retour à des politiques monétaires moins contraignantes. En clair, il s’agirait de laisser filer l’inflation, un mal jugé nécessaire pour relancer la machine économique et permettre l’appréciation des taux d’intérêts. Reste que cette perspective ne fera pas l’affaire des rentiers (et des épargnants) mais aussi des entreprises qui font de la limitation salariale un pivot de leur stratégie financière. Et c’est d’ailleurs là que repose peut-être la vraie explication de la faiblesse du taux d’intérêt, celle d’une modération exagérée des salaires.
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lundi 28 avril 2014

Message aux hyènes et autres nuisibles : Roosevelt? Mais t'es sérieux, là ?

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Salut,

je t'ai encore entendu, je ne sais plus sur quelle télévision française, de celles où, toi et tes pareils, vous vous exprimez avec une onctuosité déférente de mal-décolonisés (ça sert à quoi d'être au pouvoir si c'est pour s’aplatir comme ça ?).

Bref, je t'ai donc entendu expliquer que l'état de santé du président Bouteflika ne pose aucun problème et que Franklin Delano Roosevelt (le Delano, c'est moi qui le rajoute, je pense que tu en es incapable) a bien dirigé les États-Unis assis sur un fauteuil roulant.

Roosevelt ? Sérieux ?

Sais-tu au moins de qui tu parles ? D'un homme qui a affronté la Grande Dépression et dont la politique économique est encore étudiée dans toutes les bonnes universités. D'un homme qui a mené quatre campagnes électorales en s'adressant tous les jours à ses concitoyens avec, souvent, des discours improvisés de plusieurs heures. D'un homme qui a réussi à convaincre son peuple d'entrer en guerre contre l'Allemagne nazie. D'un homme qui, en cent jours, a fait passer un nombre incroyable de lois et de dispositions pour moderniser son pays. D'un homme qui a négocié pied à pied avec Staline à Yalta en février 1945. D'un homme qui, fauteuil roulant ou pas, s'est déplacé au Maroc en 1943 pour rencontrer ses alliés. D'un homme qui a dessiné le monde tel qu'il est encore aujourd'hui après, entre autre, sa rencontre avec le roi Saoud.

Tu as fais le choix de la servilité. On peut essayer de le comprendre ou de l'admettre. Pour cela, et si on a deux minutes à perdre, il faudrait creuser dans ton histoire familiale. Mais ça ne t'oblige pas à dire des bêtises pareilles.
Roosevelt...  
Ahchem chouia, un peu de retenue...
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vendredi 25 avril 2014

La chronique du blédard : Parlons frangliche !

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 21 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
Dans un texte publié dans M, le magazine du Monde, le journaliste Didier Pourquery relève l’emploi croissant du terme « clash » et de ses dérivés (1). Une tendance, rappelle-t-il, qui doit beaucoup aux rappeurs. Imitant leurs aînés étasuniens, ces grands penseurs ont effectivement pris l’habitude de se « clasher » pour un oui ou pour un non, notamment sur les réseaux sociaux. C’est ce qui s’est passé avec la récente – et dramatique – empoignade entre Booba et Rohff, l’un ayant moqué le clip de l’autre, lequel a répliqué par quelques insultes en traitant, parmi moult outrances, son rival de… « fleur de diarrhée ». Tout cela s’est terminé (provisoirement ?) par une agression à dix contre un qui a failli coûter la vie à jeune homme de dix neuf ans (il faut bien comprendre, qu’en France, les querelles entre intellectuels ont souvent tendance à dégénérer).
 
Bref, c’est un fait, le rap est responsable de la propagation endémique du franglais dans le langage quotidien mais il n’est pas le seul. Dans une chronique précédente (2), j’ai déjà abordé la question des jargons propres à l’entreprise de plus en plus globalisée (et donc « globishée »). A cela s’ajoute la multiplication d’anglicismes qui dénaturent le sens de la langue française à l’image de cette insupportable triplette : « adresser », au sens de régler ou faire face à un problème, « définitivement » pour dire « sans aucun doute » et, enfin, « actuellement » comme synonyme de « en fait ». Voilà d’ailleurs ce qui devrait constituer le chantier d’action prioritaire d’Alain Finkielkraut, nouvel académicien et, pour reprendre l’expression de Didier Pourquery, véritable « serial-clasheur »…
 
Le sujet est loin d’être totalement exploré. Aux anglicismes, s’ajoute désormais l’emploi systématique de mots ou d’expressions puisées dans la langue yankee (ne mêlons pas Shakespeare à cette affaire, il n’a vraiment rien à voir). C’est là le nec plus ultra de la branchitude, tendance bolosse qui s’ignore. Car une question simple s’impose : à quoi cela sert-il d’avoir recours à une langue que l’on ne maîtrise pas et dont on ne connaît que quelques bribes scolaires (« surnâme, ça veut dire non ou prénom ? »), sério-télévisuelles (« ah c’est dur en ce moment, 'ouinetère ize cominegue’ »), cinématographiques (« j’le calcule pas en ce moment, s’il me parle, j’lui répond ‘toking tou mi ?’ »), musicales (« ouais, ça va, j’vais bien, ‘âme api naou’ ») ou, enfin, publicitaires (« on se kiffe grave, ‘watte ailsse ?’»).
 
Voici quelques manifestations fréquentes de la « frangliche attitude », longtemps propre aux milieux de la communication et de la finance mais qui ont « spreadé » un peu partout dans la société. Si l’on est content, satisfait d’une nouvelle ou d’un résultat, on lève le coude, on serre le poing et on lance un « yaisse ! » triomphateur. C’est surtout le cas si l’on vient de sortir vainqueur d’une épreuve, pardon d’une « batteule » ou même d’un « faïtte » éprouvant imposé, par exemple, par un collègue jaloux, quelqu’un de notre « time », qui nous a « challengé » et essayé de nous faire sortir de notre « moude zen » en cherchant le clash pendant le « mornine mitinegue ». A l’inverse, si l’on est mécontent et que l’on cherche à signifier sa colère et sa frustration, on peut répéter autant de fois que l’on veut « phoque ! phoque ! phoque ! »  avant de préciser que « cette histoire, c’est quand même ‘tou meutche’ ! » et de prendre à témoin le premier venu avec un « t’en penses quoi, ‘mâne’ ? ».
 
Tenez, installons-nous à cette table en terrasse d’un beau quartier de Paris. Tendons l’oreille et écoutons, sans scrupule aucun, ces deux jeunes femmes qui commencent d’abord par parler d’un « tolke » de la veille et de quelques « posts » sur facebook à « layker ». L’une d’elles n’est pas contente, son chéri veut trop régenter sa vie. « Il cherche à décider de tout. C’est quand même ma 'layfe', merde ! » s’emporte-t-elle. Et d’ajouter : « il n’aime pas sortir, il ne sait que bosser. Tout ce qu’il sait dire, c’est qu’il est dans « 'ze streugueule for sa layfe' au taf ! J’ai peur qu’un jour ça ‘beugue’ dans sa tête. J’te jure, il voit pas les 'warnines' qui s’allument. C’est vraiment pas ‘feune’ ».
 
Celle qui écoute, une brune très « fachionne », n’est pas en reste de confidences. Elle raconte ses soucis au travail, les avances pressantes d’un collègue « 'kute' », certes, mais à qui elle ne cesse d’expliquer que ce n’est pas possible, qu’elle ne veut pas. « J’arrête pas de lui dire que c’est un principe chez moi : « no zaube in ze djobe » ! Mais il ne veut rien comprendre ! ». Pour finir, elles prennent quelques « selfies » et exigent du garçon qu’il encaisse au plus vite parce qu’elles ont intérêt à « speeder » pour arriver à l’heure au boulot.
 
Voilà, c’est « zi ainede » : ce 'couic-louk’ est terminé pour cette fois. Si vous avez quelques observations à faire, « forwardez-moi » vos réactions, je ne manquerai pas d’y répondre. « Asap », bien entendu. Mais « noticez » juste que je reviendrai sur ce topic. « Naixte tayme », promis, vous aurez droit à un texte plus complet. Je vais « chéquer » la doc et rédiger ma chronique « fineguère ine ze noze ». Vous aurez « ze bigue piktcheure », quoi.
 
(1) C’est ça le clash, 18 avril 2014.
(2) Ces mots qui, tels des maux, irritent, 17 janvier 2013.

PS : ajouts grâce aux commentaires et réactions des lecteurs :

- Dans sa boîte, il ne sait pas à quel supérieur il doit rapporter. (to report)
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A propos de l'émotion

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David Sander, psychologue, directeur du centre interfacultaire en sciences affectives de l'université de Genève, à propos des émotions (in Le Monde, 23 avril 2014).

"Il ne s'agit pas [l'émotion] d'un état mais d'un processus dynamique. Contrairement à une humeur, il est toujours déclenché par un événement, un objet. On a peur de quelque chose, on est en colère contre quelqu'un. Et pas n'importe quel objet, seulement ceux qui sont jugés importants par un processus d'évaluation basé sur vos buts, vos besoins ou votre humeur du moment.

"Il est faux de penser que les émotions sont toujours irrationnelles. Elles sont au contraire très bien adaptées à notre environnement et à notre quotidien. Il peut arriver qu'une réaction émotionnelle soit inadaptée, mais il est tout à fait rationnel d'avoir peur lorsqu'il y a un danger ou de se mettre en colère quand on nous insulte. Les émotions sont un des éléments qui influencent notre prise de décision. Les réactions des autres peuvent vous sembler irrationnelle, celle d'adolescentes qui hurlent devant un boys band, par exemple. Mais, si on décortique le processus, ces moments sont extrêmement importants dans l'échelle de leurs buts et de leurs besoins."
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jeudi 24 avril 2014

Xavier Bettel, PM luxembourgeois à propos de la Turquie

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"Il est temps d'arrêter de faire languir la Turquie (...) S'ils [les Turcs] n'étaient pas musulmans, ils seraient membres depuis trente ans, donc décidons si nous voulons, ou non, des musulmans dans l'Union [européenne]"

Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg, dimanche 20 avril, RFI

vendredi 18 avril 2014

La chronique du blédard : De la difficulté de se guérir d’un pays bien malade

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 17 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
J’aimerais me lever le matin sans avoir à y penser, sans en entendre parler à la radio ou au zinc du quartier, le plus souvent en mal ou avec catastrophisme. J’aimerais être un auto-exilé indifférent, peu concerné, de plus en plus éloigné, gagné par le cosmopolitisme et la conviction que la frontière est un mal anachronique, et la nation, une passion finalement bien relative pour ne pas dire inutile. J’aimerais regarder cette mascarade électorale avec de la désinvolture, un brin de compassion et quelques zestes d’amusement.
 
En rire… Oui rire de ces flagorneurs, ces chiyattines, ces qazabines, qui ont porté la photo, retouchée et encadrée, de leur invalide de maître aux quatre coins de l’Algérie (et de la France) lors d’une campagne électorale grotesque qui fera date dans les annales de la comédie humaine. Même les Monty Python n’ont pas imaginé pareil délire... Oui, j’aimerais en rire sans ressentir cette bouffée de colère qui obscurcit la vue et incite à égrener, mâchoires serrées un chapelet d’injures et d’obscénités.  Sans avoir envie de cogner et de cracher sur ces chancres heureux de leur bêtise, assumant sans vergogne leur incompétence et si fiers de la domination quasi-coloniale qu’ils font subir à leur propre peuple.
 
Pendant les années 1990, l’Algérie du fer et du sang faisait peur ou pitié, parfois les deux en même temps. Aujourd’hui, elle fait rire aux éclats. Dans le monde, les Algériens si susceptibles et si fiers, seront désormais moqués car connus comme ceux à qui l’on a demandé d’élire un vieil homme qui, dans tout autre pays, serait à la retraite depuis bien longtemps, entouré de soins et des siens. Les railleries à l’égard d’autrui finissent toujours par rattraper leur auteur. On s’est gaussé de Bourguiba et de sa sénilité précoce, on a plaisanté avec un mépris teinté de racisme à propos des tyranneaux d’Afrique noire, les Bokassa, Idi Amin Dada et autres Mobutu. Maintenant, c’est ce Continent qui bouge et s’éveille qui s’esclaffe à notre sujet. Mais parions que l’on continuera à monter sur nos grands, grands, très grands chevaux à la prochaine blagounette à notre sujet. Ah, toutes ces moustaches frémissantes…
 
Un confrère brésilien, de gauche, me parle souvent de son pays. Ses parents ont connu la période noire, celle de la dictature, des disparitions et des escadrons de la mort. C’est peut-être pour cela qu’il ne se laisse pas griser par les grands discours à propos des économies émergentes. Il sait que les choses peuvent basculer, qu’il y a toujours chez lui des généraux prêts à imposer leur conception bien particulière de la démocratie et que la prospérité n’est pas encore totale puisque les inégalités y demeurent importantes. Mais, il y a dans sa manière d’appréhender notre monde en mutation, quelque chose que je lui envie. Son pays bouge, s’anime, se cherche et innove y compris en matière de mobilisations sociales. Il se projette vers l’avant sans grandes craintes mais conscient des défis énormes qui l’attendent. En 2050, le Brésil sera une grande puissance ou pas, me dit-il. Ce n’est pas ce qui lui importe le plus. Ce qui compte, c’est le mouvement. L’idée d’être pleinement dans ce nouveau siècle et de ne pas reculer. De ne pas s’accrocher à un passé qui ne peut rien apporter.
 
L’Algérie, et ces dernières semaines l’ont bien montré, est minée par l’obsolescence. Les idées, les actes, les discours, tout cela sent le renfermé. C’est une vieille ruine en devenir, une terre qui se met en retrait de l’histoire immédiate et qui, comme cela a déjà été le cas au Moyen-Âge – va regarder, immobile et sans réaction, passer le train de la modernité et du changement. Et ce ne sont pas les clowns et les mauvais génies qui empêcheront cela. Leurs discours grandiloquents, leurs promesses de dernière minute n’y changeront rien. Cinquante ans après l’indépendance, le déclin et la régression sont bien là. Certains compatriotes qui vivent à l’étranger, d’autres qui vivent en exil à l’intérieur même du pays, y trouvent une raison pour se détacher de l’Algérie. Au lien douloureux et aliénant, ils préfèrent l’amputation. Choix radical mais est-il vraiment efficace ?
 
Où aller pour ne plus entendre parler de ce pays désespérant, de ses dirigeants inconséquents ? me demande un ami parti de son Oranie au début des années 1980 et qui peine à s’en détacher. Dans le nord du Québec ? En Sibérie ? A l’extrême-sud du Chili ? Au cœur de l’Afrique des grands lacs ? Qu’importe le choix, l’actualité, plus souvent tragique que comique mais jamais agréablement surprenante, agira toujours comme une constante force de rappel. Et puis, il y a les réseaux sociaux. En un clic, et c’est toute l’Algérie, ses drames, ses espérances et ses colères qui vous rattrapent et vous accablent. Même les parodies qui fleurissent sur le net participent à cet enchaînement. Où aller et que faire pour s’en défaire ? Je connais des gens qui sont rentrés au pays uniquement pour échapper à cette étrange captivité. Revenir au bled pour ne plus avoir à y penser de manière plus ou moins continuelle, un peu comme un toxicomane replonge dans l’enfer de la drogue pour ne plus avoir à lutter contre la tentation. Ah, qu’il est difficile de se guérir de ce pays si malade…
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jeudi 17 avril 2014

La chronique économique : Lafarge – Holcim, les leçons d’une fusion

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 16 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
 
Quand un PDG s’ennuie ou qu’il en a assez de gérer au quotidien, il fait de la stratégie et cela se termine le plus souvent par une nouvelle acquisition pour son groupe ou, plus rarement, par une fusion avec un concurrent. Ce qui précède n’est certes pas une loi intangible du management mais nombre de consultants en organisation l’ont toujours en tête. C’est ce qui les pousse à dire qu’il faut toujours occuper le patron d’un grand groupe sinon il peut être amené à faire des bêtises au nom de sa supposée vision stratégique.
 
Mariage de raison
 
On aura en tête cette perception du management supérieur en se penchant sur la fusion annoncée entre le cimentier français Lafarge et le suisse Holcim. Bien sûr, personne ne peut vraiment affirmer que Bruno Lafont et Rolf Soiron, respectivement PDG du premier et du second groupe, s’ennuyaient avant d’annoncer leur mariage. Mais il reste que l’on est en droit de s’interroger sur les réelles motivations de cette opération. Officiellement, le futur LafargeHolcim, dont le siège sera établi en Suisse, pèsera 40 milliards d’euros en Bourse avec un chiffre d’affaires de 32 milliards d’euros. Un géant mondial, donc, présent dans 90 pays avec 130.000 salariés, et capable de tenir la dragée haute à ses concurrents.
 
Interrogés, les deux architectes de ce regroupement affirment en effet qu’il s’agit de profiter d’une complémentarité réelle. Holcim est bien implanté en Amérique latine et en Inde tandis que Lafarge est très présent en Afrique du nord et au Moyen-Orient. Du coup, la fusion serait la meilleure réponse à la montée en puissance des groupes issus des pays émergents à l’image du mexicain Cemex ou du chinois Anhui Conch lequel est devenu en quelques années le principal cimentier mondial. De même, la fusion « entre égaux » serait aussi bien plus rationnelle pour Lafarge et Holcim qu’une longue série d’acquisitions destinées à étendre leurs portefeuilles géographiques.
 
Reste que de nombreux spécialistes estiment qu’il s’agit surtout d’un mariage de raison dont la rentabilité reste encore à prouver. Selon ses promoteurs, la fusion devrait permettre de dégager 1,4 milliards d’euros d’économies (pudiquement appelées « synergies ») en trois ans. Cela à condition que l’opération puisse avoir lieu. Car Lafarge et Holcim vont devoir convaincre les autorités de la concurrence de près d’une quinzaine de pays ainsi que la Commission européenne que leur union ne débouchera pas sur une position dominante. Un parcours du combattant juridique qui fera certainement le bonheur de nombreux avocats et conseillers… Pour y arriver, les deux entreprises prévoient de céder 5 milliards d’actifs, essentiellement en Europe. Une perspective qui inquiète de nombreux gouvernements qui craignent les conséquences sur l’emploi de ces désengagements.
 
Reprise des M& A
 
Finalement, l’un des enseignements de cette opération géante est que les banques d’affaires sont de nouveau à la manœuvre. La crise de 2008 qui avait figé les opérations de fusion et acquisitions (M&A, mergers and acquisitions) ne semble plus être qu’un mauvais souvenir. Encouragées, pour ne pas dire harcelées, par l’industrie financière, les grandes entreprises s’agitent de nouveau sur l’échiquier stratégique mondial. On peut y voir le signe avant-coureur d’une forte reprise de la croissance globale.
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Soir de défaite...

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Il est tard. Le match vient de s’achever. Le Real de Madrid a remporté la Coupe d’Espagne de football, la Copa del Rey, en battant le FC Barcelone par deux buts à un. Tristesse dans le salon. Le père et le fils sont silencieux, un brin accablés. Présent, un frère, et oncle, jubile et chambre mais on ne lui accorde guère d’attention. Le temps du Barça se termine. Une page se tourne… Le téléphone sonne. Le numéro du grand-père s’affiche. Un autre madridista... « Dis-lui que je dors ! » ordonne le petit-fils, visage fermé, en se dirigeant vers sa chambre.
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Participation à l'émission Décryptage (RFI)

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 RFI, Mercredi 16 avril 2014

 

Algérie : une élection pour rien ? (cliquez sur le lien)

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mercredi 16 avril 2014

Participation à l'émission Géopolitis de la RTS (Suisse)

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Algérie: si riche, si pauvre?

Avec les troisièmes réserves africaines en hydrocarbures, des réserves de change à quelques 190 milliards de dollars et une croissance du produit intérieur brut au-dessus de 3%, l'Algérie pourrait afficher le sourire.
Et pourtant, on estime qu'un algérien sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Le chômage des jeunes affiche des taux toujours aussi inquiétants. Le pays n'est classé qu'au nonante-troisième rang selon l'indice de développement humain (IDH), et, à la veille des élections présidentielles, prévues le 17 avril, il apparaît de plus en plus probable que l'actuel président Abdelaziz Bouteflika, âgé de 77 ans, sera réélu pour un quatrième mandat.

Comment expliquer que l'Algérie soit à la fois si riche et si pauvre? A quelques jours des élections présidentielles Geopolitis décrypte cette situation paradoxale dans laquelle se trouve le plus grand pays d'Afrique.

L'invité: Akram Belkaid, journaliste Afrique Magazine.
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mardi 15 avril 2014

Springitude (2)

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La chronique du blédard : L'élection présidentielle algérienne, quelques journalistes français et moi

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Ce matin, mardi 15 avril 2014, je reçois un appel d'une (jeune) journaliste française qui me pose la question suivante : " Je pars en Algérie demain pour couvrir l'élection présidentielle, vous pensez que je pourrai interviewer le général Tewfik".
Heu... Cétadjire...

Cela m'a rappelé cette chronique écrite il y a cinq ans, à la veille de la présidentielle algérienne de 2009. Rien n'a vraiment changé depuis....
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Le Quotidien d'Oran, jeudi 9 avril 2009
Akram Belkaïd, Paris

Premier appel. Allo ? Bonjour, Akrane Belkaïm ? Comment ? Oui, oui, c'est ça. Je n'ai pas l'habitude de prononcer votre nom. Je vous appelle de la part de Wassila. Son nom de famille ? Je ne l'ai pas en tête mais elle travaille de temps en temps pour nous. Vous devinez pourquoi je vous appelle. Non ? C'est à propos de l'élection présidentielle en Algérie. J'ai besoin du nom d'un ou deux économistes sur place que je pourrais interviewer. Mon adresse mail ? Vous ne pouvez pas me donner ces noms tout de suite ? D'accord, je compte sur vous, hein ? (*)

Second appel. Allo, Akram Belkaïd ? Je vous téléphone parce que j'ai trouvé notre nom sur Internet. Je vous explique, on va faire une petite couverture de l'élection présidentielle ce jeudi. Est-ce que vous seriez d'accord pour être interviewé en direct ? Ce serait vers six heures quarante. Non, non, c'est bien du matin que je parle. Vous ne pouvez vraiment pas ? C'est dommage. Sinon, vous n'auriez pas quelqu'un à nous recommander ? Un journaliste algérien par exemple. D'accord, je vous donne mon adresse mail, ce serait sympa de votre part. (*)

Troisième appel. Bonjour monsieur Belkaïd. Voilà, nous organisons un plateau à propos de l'Algérie et on aimerait savoir si vous pouviez nous aider à le composer. On cherche des intervenants à propos de l'Algérie qui aient des choses à dire. Par exemple, un intellectuel qui serait contre le pouvoir et un autre qui serait plutôt partisan du président Bouteflika. L'idée, c'est vraiment d'avoir un débat tendu et sans concessions. Notre règle aussi, c'est de ne pas inviter les journalistes mais je fais appel à vous pour avoir vos idées. Non, je n'ai aucun budget pour cela et c'est vraiment une demande confraternelle. D'accord. Je vous laisse le temps de la réflexion et vous revenez vers moi. Merci. Au revoir. (*)

Quatrième appel. Bonjour monsieur. Je vous téléphone parce que j'ai un vrai souci. Je cherche en vain, un universitaire français spécialiste de l'Algérie. Oui, oui, je connais les noms de Stora et de Harbi mais je cherchais plutôt un politologue de la jeune génération. C'est incroyable non ? On se dit que les relations entre les deux pays sont telles qu'il devrait y avoir des légions de spécialistes mais je ne trouve rien. Ou bien alors, il faudrait que je fasse appel à l'un des deux Antoine. Ouais, ça ne m'enthousiasme pas plus que ça.

Cinquième appel. Allo, Akra Belnaïm ? Je me permets de vous rappeler parce que je n'ai pas reçu votre message concernant les économistes algériens. Vous m'avez oublié ? C'est vraiment urgent, vous savez. Si vous le souhaitez, je ne dirai pas que j'ai eu leur numéro par votre biais. Je sais que dans certains pays, ça ne se fait pas de donner les coordonnées de ses contacts à des gens qu'on ne connaît pas. Dites, pendant que je vous ai, sur quoi à votre avis faut-il insister à propos de l'actualité économique algérienne ? Les tensions sur le prix du tabac à chiquer ? Vous rigolez ? Non, je ne savais pas que c'était un vrai dossier. Ah ouais, c'est original. Ecoutez, je vais creuser ça et j'attends votre courriel. (*)

Sixième appel. Bonjour monsieur, je vous téléphone parce que nous organisons le plateau pour l'émission de dimanche prochain. On n'en est pas encore sûr, mais on risque de parler de l'Algérie. Il y a d'autres sujets concurrents notamment avec ce qui se passe à l'université mais on penche de plus en plus vers le thème algérien. On a pensé à vous inviter mais avant j'aimerais savoir quelle est votre position sur cette élection ? Comment ? Je veux simplement m'assurer qu'il n'y aura pas de redondance sur le plateau. C'est important pour la bonne marche de l'émission. Si on invite six personnes qui ont le même avis, c'est une catastrophe pour la bonne marche de l'émission. Je veux être sûr de votre catégorie pour la bonne marche de l'émission. Je vous rassure, on fait ça pour tous les thèmes, ce n'est pas parce qu'il s'agit de l'Algérie, c'est pour la bonne marche de l'émission. Ça vous intéresse ? Non ? Ah bon ? C'est une émission qui marche bien et qui est très suivie au Maghreb, vous savez. Ecoutez, si vous changez d'avis, rappelez-moi, d'accord ? (**)

Septième appel. Akram Belkaïd ? Bonjour, je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, mais on s'était croisés à Alger à l'époque du Jeudi d'Algérie. C'était en 1992. Ecoutez, depuis, j'ai vraiment tourné le dos à l'actualité maghrébine puisque je suis allé vivre pendant quinze ans en Amérique du sud. Là, je reviens à Paris et je me disais que l'élection présidentielle serait une bonne occasion pour reprendre le dossier algérien. Si ça ne vous dérange pas, j'aimerais bien qu'on se rencontre pendant deux ou trois heures pour en parler. Vous êtes très occupé ? Oui, je comprends. La presse algérienne sur Internet ? Le problème, c'est que je ne lis pas l'arabe. Ah, il y a des titres en langue française ? Ah oui, ça me revient. Bon, d'accord, je vais commencer par ça et puis j'essaie quand même de vous rappeler ensuite, hein ? (*)

Huitième appel. Akrim ? Bonjour, je ne veux pas avoir l'air de vous harceler mais j'espère toujours avoir les deux contacts que vous m'avez promis. Ceci dit, je suis en train de me demander si je ne vais pas changer mon fusil d'épaule. Plutôt que de m'intéresser à l'économie, j'aimerais mieux parler de l'armée. Vous n'auriez pas le numéro de téléphone d'un général ? Quelqu'un qui parlerait en français et qui ne serait pas trop langue de bois. Pourquoi vous criez ? Mais faut pas vous énervez comme ça !

Conclusion : Cette chronique est dédiée à mes confrères de France, de Suisse et d'ailleurs, dont le professionnalisme fait honneur à notre corporation. Etre en amont, lire, s'informer sur les réalités complexes de l'Algérie avant de songer écrire la moindre ligne ou d'enregistrer le moindre son : voilà leur démarche qui relève de l'excellence. Quant aux autres, ceux qui vous harcèlent au téléphone à J-1 pour savoir qui pourrait leur donner le portable d'un conseiller d'Abdelaziz Bouteflika (comme si c'était un dû et que le journaliste algérien, doigt sur la couture du pantalon, ne saurait faire autrement qu'obéir), je ne peux que leur conseiller de faire leur métier de manière un peu plus sérieuse et respectueuse des autres.





(*) Compte dessus et bois de l'eau fraîche.
(**) Monte sept marches et bois de l'eau fraîche.

lundi 14 avril 2014

Participation à l'émission Affaires Etrangères, France Culture

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Algérie, une élection présidentielle pour la forme: cliquez ici pour écouter

12.04.2014 - 12:45 Ajouter à ma liste de lecture
A. Bouteflika, grafitti, in "Abode of Chaos" Musée d'art contemporain, Saint-Romain-au-Mont-d'Or © T. Ehrmann

Avant l'élection présidentielle en Algérie, le 17 avril prochain, Christine Ockrent analyse la situation politique en compagnie de ses invités, le caractère très particulier de cette campagne fantôme et fait le point sur l'Algérie face à l'AQMI et au terrorisme dans le Sahel.


Avec
Benjamin Stora, historien, professeur à l'université Paris-13, il a récemment publié Voyages en postcolonies : Viêt Nam, Algérie, Maroc (Stock, 2012).

et Akram Belkaïd, essayiste et journaliste pour Le Quotidien d'Oran. Il vient de publier Retours en Algérie : des retrouvailles émouvantes avec l'Algérie d'aujourd'hui (Carnets Nord, 2013).
et au téléphone depuis le Maroc, Djallil Lounnas, Professeur Assistant a Al Akhawayn University à Ifrane. Il a notamment publié « La stratégie algérienne  face à Al-Qaida au Maghreb Islamique »,  Politique   Étrangère,  Numéro 3, Septembre 2013.





samedi 12 avril 2014

La chronique du blédard : Rwanda : un déni français

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 10 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
 
Personne ne peut décemment affirmer que Paul Kagamé est un démocrate. Personne non plus ne peut démentir l’idée qu’il ne fait pas bon d’être un opposant à l’actuel président du Rwanda surtout si l’on a fait défection après avoir été l’un de ses proches (1). Derrière la façade démocratique et pluraliste de son régime, un habillage dont l’Afrique, y compris du nord, a le secret, l’homme est en réalité un autocrate qui n’entend pas partager son pouvoir. Cela même si on lui concèdera bien volontiers d’importantes et spectaculaires réussites en matière de reconstruction de son pays, de développement économique et d’efforts pour atténuer les conséquences du terrible génocide de 1994 commis par les milices et la population hutues (plus de 800.000 morts dont la très grande majorité appartenaient au groupe ethnique des Tutsis).
 
Mais la personnalité cassante de Kagamé (l’homme est un ancien militaire), sa poigne de fer et le rôle très controversé de son armée dans la crise sans fin que connaît la République du Congo voisine (RDC, ex-Zaïre) ne doivent pas servir à occulter le passé et à exonérer de leurs fautes les acteurs ayant eu une responsabilité directe ou indirecte dans les massacres des Tutsis. Pour Kagamé, la France (comme la Belgique) a eu un rôle dans « dans la préparation politique du génocide » et dans « la participation (…) à son exécution même » (2). Des propos graves et récurrents qui ont provoqué la colère des autorités françaises lesquelles ont annulé la présence de Christiane Taubira aux commémorations organisées le 7 avril à Kigali.
 
La responsabilité de la France
 
Pour disqualifier les accusations du président rwandais, de nombreuses personnalités françaises, parmi lesquelles l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine (il était Secrétaire général de l’Elysée – sous la présidence de François Mitterrand – durant le printemps sanglant de 1994), ont insisté sur l’isolement diplomatique croissant de Kagamé et rappelé que son grand protecteur étasunien manifeste des signes d’impatience à l’égard de son autoritarisme. Cela est vrai mais ce genre d’argument ne répond pas à l’essentiel. Il sert surtout à éluder le vrai débat en allumant des contrefeux grâce à des faits avérés. Le schéma dialectique avec ses « éléments de langage » est simple : Kagamé accuse la France, Kagamé est un dictateur isolé, ses accusations sont donc fausses et servent à la fois à masquer ses propres difficultés et à ressouder l’adhésion des Rwandais à son pouvoir de plus en plus contesté.
 
Le problème, c’est que la France a beaucoup à se reprocher dans cette triste affaire. Ce n’est pas un secret, elle a porté à bout de bras le régime de l’ancien président Juvénal Habyarimana (tué dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, après que son Falcon 50 a été abattu au-dessus de Kigali). Partie prenante des négociations entre le pouvoir rwandais de l’époque et la rébellion armée du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé, elle a aussi été un acteur du conflit en formant l’armée rwandaise et en lui fournissant une assistance militaire à partir d’octobre 1990 avec l’opération Noroit. « C’était pour empêcher que le FPR ne l’emporte et pour obliger Habyarimana à s’asseoir à la table des négociations » se défend aujourd’hui Hubert Védrine. On appréciera cette explication à sa juste valeur…
 
La France a aussi toléré que s’exacerbe, dès le début des années 1990, une propagande fasciste et génocidaire à l’encontre des Tutsis. Contrairement à l’argument ressassé par les négationnistes et ceux qui cherchent à régler leurs comptes avec Kagamé, ce n’est pas parce que l’avion d’Habyarimana a été abattu que la folie meurtrière a eu lieu. Les tueries de masses étaient préparées depuis longtemps et pas uniquement par le biais de l’immonde radio des mille collines. C’est toute l’idéologie officielle du régime rwandais qui a conduit à l’irréparable. En tant que parrain et protecteur d’Habyarimana, la France avait les moyens d’enrayer cette machinerie démoniaque. Elle ne l’a pas fait.
 
Et à ce jour, des questions restent posées quand à cette période qui a précédé l’hécatombe. Des troupes spéciales françaises ont elles directement participé aux combats contre les forces du FPR ? Quand exactement les livraisons d’armes françaises se sont-elles vraiment interrompues ? Avant ou après le 7 avril ? L’Elysée ou le Quai d’Orsay étaient-ils informés des agissements de certains barbouzes français présents à Kigali auprès des génocidaires ? Et, question fondamentale, pourquoi la France n’est-elle pas intervenue ensuite auprès des autorités intérimaires rwandaises (celles qui avaient succédé à Habyarimana) pour ordonner l’arrêt des massacres? « Une simple menace de Mitterrand aurait suffi » affirment aujourd’hui encore des rescapés tutsis.
 
Et puis, il y a eu cette fameuse opération Turquoise lancée par l’armée français le 22 juin 1994 (un mois et demi après le début du carnage) non pas pour (enfin) faire cesser les exactions mais pour s’interposer entre l’offensive militaire triomphante du FPR et les populations civiles hutues en fuite. Pour Kagamé et ses pairs, la France n’est intervenue que pour permettre aux génocidaires de s’enfuir. Et il est vrai qu’une bonne partie des organisateurs et planificateurs de la boucherie ont pu quitter le pays et se cacher aux quatre coins de la planète. Certains d’entre n’ont jamais été inquiétés à ce jour notamment ceux qui ont formé les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) qui opèrent aujourd’hui à partir de la RD Congo. Avec l’opération Turquoise, la France a privé Paul Kagamé d’une victoire militaire totale sur les génocidaires et offert, volontairement ou non, une porte de sortie à ses ennemis : c’est cela, entre autre, qu’il ne lui pardonne pas.
 
La France ne veut pas demander pardon
 
On pourrait consacrer plusieurs autres paragraphes à détailler les multiples griefs formulés par les Rwandais, et pas simplement leur président. Mais, l’un des aspects les plus importants de ce drame est que la France n’a jamais demandé pardon pour ce qui s’est passé au Rwanda. Du bout des lèvres, elle a reconnu des « fautes » comme l’a fait le président Nicolas Sarkozy en 2010 à Kigali. Des diplomates admettent des « erreurs graves » dans la gestion des événements ayant précédé le drame. Mais d’excuses présentées, point (à l'inverse de la Belgique, des Etats-Unis ou même de l'Onu). Et ce n’est pas le retour aux affaires de l’ancienne gauche mitterrandiste qui va changer les choses. En effet, poser la question de la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis, c’est questionner le rôle de François Mitterrand et de ses collaborateurs de l’époque.
 
De façon générale, il y a en France une complaisance réelle à l’égard de ce qui n’est rien d’autre que du négationnisme. On peut tranquillement y expliquer que les Tutsis sont responsables de leurs malheurs, qu’ils ont payés « le mal qu’ils ont infligé aux Hutus ». Qu’ils sont un peuple « menteur » et « dissimulateur ». Des propos qui empruntent à l’argumentaire antisémite sans que cela n’interpelle les autorités françaises. A Paris, on peut aussi développer en public la thèse du « double génocide » en affirmant que s’il y a bien eu massacre de Tutsis par les Hutus, ces derniers ont subi la même chose de la part des premiers ceci, bien entendu, expliquant cela… On peut aussi y relativiser le carnage en jurant que c’est un Tutsi, en l’occurrence Paul Kagamé, qui l’a sciemment déclenché contre les siens en faisant abattre l’avion d’Habyarimana. Une thèse rejetée aujourd’hui par la justice française laquelle, au passage a mis bien du temps avant de se réveiller pour traquer les génocidaires réfugiés dans l’Hexagone. Et, contrairement à la destruction des Juifs par les nazis ou le massacre des Arméniens par les Ottomans, on peut nier, ou réviser, ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 sans craindre d’être poursuivi par cette même justice française…
 
On peut même se saisir des massacres des Tutsis pour en faire le sujet d’un sketch fécal diffusé sur l’antenne d’une grande radio, comme l’a osé en février dernier l’imitateur Nicolas Canteloup. Prenant la voix de l’animateur Julien Courbet, spécialiste télévisuel et radiophonique du règlement à l’amiable des différends entre voisins, ce dernier a brodé sur un « conflit de voisinage » entre « monsieur Hutu » et « monsieur Tutsi », le premier exagérant dans les supplices infligés au second. Un « amusement » très franchouillard qui a ulcéré les Tutsis vivant en France mais pour lequel Canteloup a refusé de s’excuser, recevant même le soutien d’Alain Jakubowicz, président d’une Licra à l’indignation à géométrie variable…
 
« La France doit défendre son honneur » a protesté Alain Juppé (ministre des Affaires étrangères en 1994) après les nouvelles accusations de Paul Kagamé. En réalité, et quel que soit le sujet, l’honneur commande de reconnaître ses erreurs et de demander pardon pour ses fautes. Mais encore faudrait-il que la France officielle se débarrasse d’une suffisance héritée d’un temps pas si ancien où l’obsession de « sa grandeur » et de son influence dans le monde permettait toutes les dérives. A commencer par le soutien accordé à des régimes bien peu recommandables. Et c’est même en demandant aux Rwandais de lui pardonner que la France contribuera à les aider à se relever et à se reconstruire.
 
(1) Rwanda : Paul Kagame met de nouveau en garde les dissidents en exil, RFI, 17 mars 2014.
(2) Paul Kagamé, « du génocide à la ‘rwandité’ », Jeune Afrique, 6 avril 2014.
 
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PS : Signalons aussi ces propos de Guillaume Ancel, capitaine de l'armée française pendant l'opération "Turquoise" en 1994 (rapportés par le quotidien Le Monde daté du 9 avril 2014)
 
" Je sais qu'en aucun cas nous n'avons participé au génocide. Mais je sais aussi, parce que je l'ai vécu, que nous avons une part des responsabilités dans le drame rwandais pour avoir commis des erreurs lourdes de conséquences. 'Turquoise' n'était pas au départ, comme on le prétend, une opération humanitaire. J'étais spécialiste des frappes aériennes : on n'emmène pas ce type de professionnel pour faire de l'humanitaire ! Ma mission était agressive : elle consistait à dégager la voie pour un raid terrestre sur Kigali. Il s'agissait de combattre le Front patriotique rwandais [FPR de Paul Kagamé] et de reprendre la capitale pour y réinstaller au pouvoir le gouvernement soutenu par Paris."

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vendredi 11 avril 2014

La chronique économique : De l’omniprésence des projets d’infrastructures en Chine et ailleurs

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 9 avril 2014

Akram Belkaïd, Paris


Plus de 7% ou moins de 7% ? C’est la question récurrente à propos de ce que sera, en 2014, la performance de la croissance du Produit intérieur brut (PIB) de la Chine. Déjà, en 2013, on pensait que le taux de progression en matière de création de richesses passerait sous cette barre symbolique après avoir déjà décroché du pallier des 8%. Au final, la croissance économique a été de 7,7% en 2013 mais les experts pensent qu’il sera difficile pour Pékin de maintenir ce niveau. A moins de recourir encore aux inévitables solutions keynésiennes…

Stimuler la croissance n’est pas la créer

Le gouvernement chinois vient en effet de décider de lancer de nouvelles mesures de stimulation de l’économie pour contrebalancer le ralentissement de l’activité. Et comme ce fut le cas en 2013, les grands chantiers seront de nouveau à l’honneur avec 6 600 kilomètres de voies ferrées qui vont être mises en place (1 000 kilomètres de plus qu’en 2013) et plus de 4,7 millions de logements sociaux qui seront construits. Au total, les travaux d’infrastructures vont représenter 30% du Produit intérieur brut. De quoi largement permettre à la Chine de maintenir une croissance au moins égale à celle de l’année dernière. Et pour bien se représenter l’ampleur des projets en cours, il faut savoir que 60% du parc mondial des grues est concentré en Chine…

Cette omniprésence des infrastructures dans les politiques économiques chinoises appelle deux remarques. D’abord, comme l’ont constaté nombre d’économistes, on voit bien que la Chine a encore du mal à compenser le ralentissement de ses exportations (provoqué par une baisse de la demande mondiale) en favorisant le développement d’une économie tertiaire interne. En clair, le rythme au ralenti de « l’usine du monde » n’est pas compensé par les services et le marché intérieur. D’où la nécessité de s’en remettre aux grands travaux.

Ensuite, une autre réflexion, moins fréquente, est que cette démarche chinoise risque d’induire en erreur nombre de pays en développements notamment africains. D’Alger à Kinshasa, il n’est question en ce moment que des infrastructures. Bien entendu, il y a nécessité pour les pays concernés de combler des décennies de sous-investissements et d’offrir les meilleures infrastructures possibles pour soutenir et stimuler l’activité économique. Routes, autoroutes, voies ferrées, aéroports, centrales électriques, ports : tout cela est fondamental.

Eléphants blancs et corruption

Le problème, c’est qu’il ne sert à rien de construire des infrastructures sans s’être appuyé sur une stratégie économique globale. S’engager dans des projets coûteux nécessite d’être en adéquation avec une politique économique cohérente et ayant des objectifs précis. Pour dire les choses de manière plus simple : les projets d’infrastructures ne font pas le développement à eux seuls. Ils ne sont qu’un moyen, un outil et un prérequis mais certainement pas une finalité. C’est d’ailleurs parce qu’ils ignorent cela que nombre de pays se retrouvent avec des « éléphants blancs », c’est-à-dire des réalisations que l’on inaugure en grande pompe et qui, par la suite, ne servent plus à rien. D’ailleurs, l’un des autres grands problèmes de la priorité accordée aux infrastructures réside dans la corruption que cela engendre. C’est cette réalité que la Banque africaine de développement (BAD) aborde de manière implicite quand elle estime que nombre de ses membres se focalisent trop sur les grands projets et cela au détriment de ce qui compte le plus, c’est à dire l’éducation et la formation.
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Le Barça, ses problèmes structurels et son déclin annoncé

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Transversales, jeudi 10 avril 2014

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Dans quelques années, quand la roue aura tourné (car elle tourne toujours) les supporters de l'Atletico Madrid repenseront avec une fierté nostalgique à la victoire de leur équipe contre le FC Barcelone en quart de finale de la Ligue des champions (1-0, mercredi 9 avril 2014). Mais ils éprouveront aussi des regrets car les "colchoneros" sont vraiment passés à côté d'un plus grand exploit. En effet, c'est par un 3-0 voire un 4-0 que ce match aurait dû se terminer. L'Atletico a manqué le ko à un moment où les joueurs du Barça ne savaient plus où ils étaient. Leur désarroi était encore plus important que lorsqu'il furent balayés, un an plus tôt, par le Bayern de Munich en demi-finales de la Ligue des champions (0-4, 0-3).

Après cette défaite contre les Bavarois, on avait annoncé la fin d'une époque, celle d'un Barça outrageusement dominateur, abandonnant quelques miettes à ses rivaux. Mais la saison en cours a laissé penser que ce n'était pas le cas. L'équipe catalane est encore en course pour la Liga et la Coupe du roi et nombre de journalistes pensaient qu'il lui serait possible de vaincre au stade Vincete Calderon. On le sait, il n'en a rien été. Contre les Madrilènes au maillot rayé (le terme "colchoneros" signifie "matelassiers" en raison des rayures des matelas d'antan), le FC Barcelone a été piétiné et rudoyé comme jamais au cours de ces dix dernières années. Ce fut une faillite et un ange catalan a certainement agi pour éviter la déroute et une humiliante déculottée.

Que s'est-il passé ? Bien sûr, l'Atletico est une équipe formidable avec une rage de vaincre impressionnante. Son schéma tactique fait d'interceptions au pressing et d'une défense regroupée coulissant en permanence de droite à gauche restera dans les annales. Mais le Barça s'est battu lui-même parce qu'il est entré sur le terrain sans avoir réglé de vrais problèmes qui le minent depuis plusieurs mois.

D'abord, il y a le cas Messi. En méforme, incapable de peser sur le jeu ou même de fixer les adversaires pour dégager des espaces pour ses coéquipiers, il n'a jamais semblé capable de faire basculer la partie. A cela s'ajoutent les signes évidents d'un froid entre lui et l'encadrement du club. Restera, restera pas ? Cela fait un moment que l'avenir de l'Argentin apparaît en pointillé avec Barcelone. Pour certains, il serait temps qu'il parte ailleurs, de façon à permettre un renouvellement et l'émergence de nouveaux joueurs. Mieux, souhaiter qu'il laisse Neymar s'installer et prendre la mesure de sa nouvelle équipe n'est plus une pensée hérétique. Bien sûr, le Camop Nou lui reste acquis mais, si cette situation perdure, les sifflets contre lui viendront tôt ou tard.

Ensuite, il y a le cas Fabregas. Concernant ce joueur, la question est simple. A quoi sert-il ? Personne ne conteste son talent ni sa classe ou sa excellente vision du jeu. C'est d'ailleurs l'un des rares footballeurs à systématiquement chercher à jouer vers l'avant. Le problème, c'est qu'avec le Barça, sa place exacte n'est pas déterminée. Attaquant de pointe ? Milieu offensif ? Meneur de jeu ? En réalité, son problème est qu'il n'y aura pas de rôle majeur pour lui tant que Xavi continuera à être le dépositaire du jeu. En 2012, Guardiola souhaitait se séparer de ce dernier, estimant qu'il était temps de rajeunir l'équipe (il voulait aussi le départ d'Alves et de Piqué mais pour des raisons liées à ce qu'il estimait être une hygiène de vie insuffisante eut égard aux exigences du métier). La mise au placard de Xavi n'a pas été acceptée par les dirigeants du Barça et cela a beaucoup pesé dans la décision du "Pep" de quitter son club de coeur. Aujourd'hui, la cohabitation Xavi - Fabregas prive l'équipe d'un vrai attaquant et provoque des embouteillages au milieu. C'est elle qui grippe la machine, tout autant que la méforme de Messi.

Enfin, il faut citer les problèmes défensifs. Cela fait plus d'un an que Puyol est blessé mais le club n'a pas cherché sérieusement à le remplacer (et l'on se demande comment il va pouvoir le faire sachant que la Fifa vient de lui interdire tout recrutement pour la prochaine saison). Si Piqué arrive à livrer des prestations plus ou moins honorables (il était absent mercredi soir), son compère Mascherano peut difficilement faire oublier qu'il est d'abord un milieu de terrain et qu'il a du mal à lutter avec soit des gabarits plus larges que lui soit des joueurs rapides et techniques. Ce genre d'handicap peut être compensé contre une équipe de bas de tableau de la Liga mais pas lors d'un match européen.

En prenant les clés du Barça à la rentrée 2008, Guardiola n'a pas hésité à exiger la tête de certains joueurs, et non des moindres à l'image d'Etoo. Ce fut l'une des clés de son succès. Martino qui n'a pas la même légitimité ne peut pas le faire. Du moins pas tout de suite. Une défaite plus large contre l'Atletico aurait pu lui donner les moyens de cette révolution dont a besoin le club catalan (même si cela aurait pu aussi sonner l'heure de son limogeage). Dans les semaines qui viennent, ils seront nombreux à guetter les signes confirmant que Barça n'en finit pas de décliner.
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L'absence d'Ibrahimovic et autres raisons de la défaite du PSG

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Transversales, mercredi 9 avril 2014


Commençons par un point essentiel qui semble être perdu de vue. La victoire de Chelsea contre le PSG a tenu à un fil. Il s'en est fallu de peu. Trois ou quatre minutes. C'est peu, certes, mais cela a suffit. Il est donc important de garder cela en tête au moment où les médias français et européens multiplient les critiques à l'encontre de l'équipe entraînée par Laurent Blanc. Ceci étant précisé, on peut relever quelques facteurs ayant conduit à cette défaite et, plus encore, expliquant pourquoi Paris n'a pas pu développer son jeu habituel.

- L'absence d'Ibrahimovic, les errements de Lucas et Verratti

Le PSG sans le géant suédois n'est pas la même équipe y compris lorsque Zlatan est en méforme comme ce fut le cas au match aller. L'homme pèse sur les défenses adverses, facilite le jeu de récupération de ses milieux en donnant notamment à Thiago Motta plus de latitude pour orienter et rythmer le jeu. Plus important encore, c'est un "patron". Non pas tant en matière d'animation du jeu que de recadrage de ses coéquipiers. Avec lui présent mardi soir à Stamford Bridge, un Lucas ou même un Verratti auraient été très vite rappelés à l'ordre. Le premier en raison de ses courses têtes baissées qui ne servent à rien (on passera rapidement sur ses mauvais placements défensifs notamment lors du premier but de Chelsea). Quant à Verratti, un Zlatan aurait été bien précieux pour lui faire comprendre la nécessité de ne pas trop monopoliser le ballon face à des "blues" décidés à presser haut et à ne faire aucun cadeau.

- Le cas Cavani

Qu'est venu faire Cavani à Paris sachant qu'Ibrahimovic en est la vedette première ? C'est la question que l'on est encore en droit de se poser. On nous prédisait une entente dévastatrice (pour les défenses adverses) entre les deux hommes, on l'attend encore. Difficultés dans sa vie personnelle (divorce), frustration de devoir jouer sur le côté après avoir pensé que le PSG jouerait en 4-4-2 ce qui lui aurait permis d'évoluer en pointe : ces deux éléments ne sont pas négligeables. Ils minent le rendement d'un joueur que l'on a du mal à reconnaître même s'il faut insister sur son abnégation défensive dont un Lucas ferait bien de s'inspirer.

- L'absence d'un "méchant", une certaine indolence et un manque d'expérience

Certes, le PSG a Thiago Motta qui sait se faire respecter avec quelques semelles vicieuses. Mais ce n'est pas un Terry ou même un Lampard. En regardant le match, il était patent que le PSG manquait de niaque, d'une volonté de se faire respecter dans les duels. Bien sûr, Verratti a essayé d'en imposer mais son jeune âge et sa carrure ne l'aident guère. De façon plus générale, c'est la conséquence aussi d'un championnat de France qui manque sensiblement d'intensité et d'engagement. Cette saison, le PSG a rarement été secoué. Il n'a pas la "mémoire" qu'il faut en terme d'engagement. C'est l'une des raisons qui l'ont fait reculer face à Chelsea. En clair, il faudra peut-être encore plusieurs matchs européens avant que le PSG ne monte d'un cran dans la hiérarchie de la Ligue des champions.

- L'attentisme de Laurent Blanc

L'entraîneur du PSG a attendu trop longtemps avant de décider le remplacement de Verratti par Cabaye puis celui de Lucas par Pastore. Dix minutes à peine après le retour des vestiaires, il était patent que l'équipe parisienne allait subir et que toute balle perdue au milieu serait  dangereuse. On a beaucoup parlé du coaching payant de Blanc au match aller mais pour ce retour, on l'a senti plus crispé, peut-être moins clair dans ses choix. En effet, le PSG est entré dans le match pour préserver le résultat et non pour gagner la rencontre. Et c'est la meilleure manière de perdre un match...
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mercredi 9 avril 2014

Quand Mourinho imite Guardiola...

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Transversales, 8 avril 2014

C'est l'une des scènes qui restera certainement dans les mémoires footballistiques : José Mourinho qui court comme un dératé le long de la ligne de touche après le deuxième but de Chelsea contre le PSG (2-0) en quart de finale retour de la Ligue des champions. On se souviendra de son sprint et des instructions données à ses joueurs, notamment Fernando Torres et Demba Ba.

Du cinéma égotique, certainement même si dans le quotidien L'Equipe, Pascal Dupraz, entraîneur de l'ETG (Ligue 1 française) relève que l'entraîneur portugais a demandé à Demba Ba "de jouer stoppeur" et qu'il a placé "Torres au poste de latéral gauche". Un réajustement tactique donc pour éviter de prendre un but dans les dernières secondes.

Mais il y a une autre explication que l'on qualifiera de plus psychologique. La course de Mourinho rappelle en effet celle de son meilleur ennemi, Pep Guardiola, le 6 mai 2009 au stade Stamford Bridge après l'égalisation d'Iniesta (1-1), synonyme de finale pour le Barça et d'élimination pour Chelsea. Certes, Mourinho n'était plus alors l'entraîneur du club londonien, mais les images de Guardiola (qui lui aussi en avait profité pour donner des instructions à ses joueurs) fait, aujourd'hui encore, un tabac sur le net. Elles font figure de moment fondateur dans la carrière de l'entraîneur catalan.

Mourinho, on le sait, est obsédé par Guardiola, l'homme qui l'a empêché de réaliser ses objectifs avec le Real de Madrid (dont celui de gagner la Ligue des champions). En courant comme un fou après le but de Demba Ba, c'est un peu comme si Mourinho voulait se prouver, consciemment ou non, qu'il est capable de faire aussi bien que Guardiola.
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dimanche 6 avril 2014

La chronique du blédard : DZombie

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 3 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris

On parle beaucoup de morts-vivants en ce moment et pas seulement parce que notre gloire nationale, notre Danube, pardon, notre Mazafran de la littérature planétaire, Yasmina Khadra, a qualifié, dans les colonnes du Journal du Dimanche (1), le régime algérien de « zombie » (ce qui est une manière élégante de remercier le dit régime de lui avoir offert un beau poste à l’étranger, rémunéré en devises fortes, mais ceci est une autre histoire…). Reprenons. Des zombies donc. Il y a quelques semaines, l’hebdomadaire Courrier international a publié la traduction d’un article du Wall Street Journal (WSJ) où il est question de l’étrange engouement que connaît le monde universitaire américain pour ces créatures revenues d’entre les morts pour s’attaquer aux vivants (2).

« Il est manifestement acceptable aujourd’hui d’étudier avec sérieux les zombies » a ainsi déclaré Kyle William Bishop, directeur du département d’anglais de l’université orientale de l’Utah et lui-même auteur d’une thèse ( !) sur le sujet. A croire le WSJ, il existerait aujourd’hui « une horde d’universitaires fascinés par l’histoire culturelle et la métaphore représentant les morts-vivants ». Et l’attrait pour ce thème est d’autant plus fort que ce dernier est omniprésent. Littérature, cinéma, séries télévisées, jeux informatiques : le zombie est une valeur sûre comme en témoignent le succès d’un film comme « World War Z » ou de la série « The Walking Dead ».

On peut en sourire mais cet engouement des universitaires proclamés « zombiologues » est dérangeant à plus d’un titre. Le quotidien des affaires étasunien rapporte que des enseignants s’inquiètent du fait que cela pourrait inciter les étudiants à « se détourner des classiques ». Il est vrai qu’entre Shakespeare et « The Walking Dead », le choix d’une recherche ou d’une dissertation menée par un post-adolescent (ou un adulescent) risque fortement de privilégier l’aspect ludique. D’ailleurs, ce n’est pas propre qu’aux zombies puisqu’il est de bon ton aujourd’hui pour les chercheurs de s’intéresser avec sérieux aux séries télévisées, « The Wire » et « Game of Thrones » arrivant en tête des publications et colloques.

L’autre élément qui intrigue est que les défenseurs des études en « zombiologie » affirment que cette thématique a alimenté « une mythologie très importante, qui traite spécifiquement de l’esclavage ». Le Wall Street Journal cite d’ailleurs un ouvrage, « le zombie transatlantique : esclavage, rébellion et morts-vivants », qui montrerait comment « les zombies ont fini par incarner les luttes contre l’esclavage et le colonialisme ». Thèse intéressante, qui mérite d’être signalée en attendant d’être lue et qui interpellera certainement celles et ceux qui vivent en situation de domination.

Mais revenons à l’usage du terme zombie. Il y a quelques années, l’économiste australien John Quiggin a publié un ouvrage intitulé « Zombie Economics » où il était question des idées économiques qui aurait dû mourir d’elles-mêmes tant elles étaient discréditées mais qui continuent pourtant d’exister encore et qui dominent toujours le débat et les stratégies politiques. Parmi elles, il y a l’idée que les marchés financiers sont toujours efficients (on l’a bien vu en 2008…), celle que l’indépendance des Banques centrales empêche toute dérive (comme en 2008…) ou celle selon laquelle les politiques fiscales en faveur des plus riches favorisent toujours l’emploi (mais où est passé le bouclier fiscal de Sarkozy ?). Conclusion de Quiggin : ces idées disqualifiées sont très difficiles à tuer. Tout comme les zombie dont la quasi-invulnérabilité offre d’infinies possibilités aux scénaristes.

Pour terminer ce tour d’horizon, et comme il y a longtemps que cette chronique n’a pas traité de football (à la grande satisfaction de nombre de ses lectrices et lecteurs), on signalera donc la sortie sur les écrans de « Goal of the dead », une « comédie d’horreur » française où il est question d’une équipe modeste et de son public qui se transforment en zombies juste avant une rencontre avec la grande équipe de Paris. Dérision et clin d’œil garantis.

Mais reprenons notre sérieux. Toute cette réflexion à propos des zombies ne peut que nous ramener à parler de l’Algérie. En 2001, l’un des slogans des jeunes manifestants du printemps kabyle était : « vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts ». Des mots tragiques qui mettaient en exergue la désespérance d’une jeunesse en sursis et privée d’une « vraie » vie. Pourtant, il n’est pas possible de la traiter de zombie. Le terme est trop négatif, trop connoté. Finalement, notre Medjerda de la scribouille n’a pas tort : s’il faut parler de zombie, c’est bien en référence au régime algérien. Pas simplement parce qu’il entend maintenir un homme très malade à la tête de l’Etat mais parce qu’il est malfaisant, qu’il est l’ennemi de la vie de son peuple, qu’il semble des plus difficiles à déloger et, qu’in fine, il n’a aucune perspective. Voilà pourquoi les zombiologues de tous poils devraient laisser tomber l’étude de « The Walking Dead » et converger en masse vers l’Algérie. Ils y trouveront une matière abondante et de quoi publier moult thèses et papiers savants.

(1) « Le régime algérien est un zombie », propos recueillis par François Clemenceau, 29 mars 2014.
(2) « Zombie Studies Gain Ground on College Campuses », Erica E. Phillips, 3 mars 2014.
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samedi 5 avril 2014

La chronique économique : Candy krach…

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 3 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
Une entrée en Bourse est parfois emblématique de l’époque, de la conjoncture économique et du paradigme du moment. Ces derniers temps, le marché américain a ainsi accueilli les « ipo » (initial public offering) de Facebook et de Twitter, jugées toutes les deux comme des emblèmes du boom des réseaux sociaux. En novembre dernier, l’entrée en Bourse tonitruante de Twitter (+70% en un jour pour l’action et une valorisation de 25 milliards de dollars) avait déclenché un flot impressionnant d’analyses et de commentaires, les experts avertissant que l’entreprise du « gazouilleur bleu » n’avait pas encore dégagé de bénéfices. Et de dresser dans la foulée un parallèle avec la période de la bulle internet où les « n’importe-quoi.com » pouvaient lever des milliards de dollars en un jour avant de disparaître en fumée faute de revenus conséquents.
 
Le passé ne compte pas
 
Il y a quelques jours, l’ouverture du capital de King digital entertainement a illustré à sa façon, non pas l’air du temps, mais certains mécanismes habituels du marché. Cette entreprise est l’éditrice du fameux jeu (très addictif) de Candy crush dont le but est d’aligner (et de détruire) les bonbons d’une même couleur. Destiné aux smartphones, ce jeu connaît depuis deux ans un énorme succès et l’on pensait que cela permettrait à son éditeur de réussir son « ipo » à Wall Street. Mais cela n’a pas été le cas. Certes, l’entreprise basée à Londres a levé 500 millions de dollars mais le cours de son action s’est effondré de 15,56% dès le premier jour de cotation ce qui a porté sa valorisation à un peu moins de 6 milliards de dollars contre les 7,6 milliards de dollars espérés.
 
Que s’est-il passé sachant que, contrairement à Twitter, King digital entertainement enregistre des bénéfices conséquents (714 millions de dollars en 2013) et que son chiffre d’affaires a explosé en moins de deux ans (1,88 milliards de dollars en 2013 contre 164 millions de dollars en 2012) ? La réponse est simple. De nombreux opérateurs de marché n’ont guère été impressionnés par les performances passées de l’éditeur, ne s’intéressant qu’à l’avenir. Pour eux, Candy crush, qui représente 78% des recettes de la société, risque tôt ou tard de passer de mode étant donné la vitesse à laquelle le marché des jeux pour smartphone évolue. Du coup, l’éditeur ayant perdu sa « vache à lait » (produit permettant d’importantes recettes pour un coût de plus en plus faible), ses perspectives financières seraient moins intéressantes. En clair, c’est parce qu’une entrée en Bourse est d’abord un pari sur l’avenir que cette « ipo » n’a pas été étincelante. Si l’on pousse un peu le raisonnement, on peut même en conclure que, finalement, il vaut mieux ne pas avoir trop d’historique comptable et être juste capable d’afficher de belles promesses. Ainsi, les investisseurs, qui, pour nombre d’entre eux, ne sont rien d’autre que des parieurs, auront la sensation de prendre un vrai risque sachant que, pour reprendre le vieil adage des boursicoteurs, seul le risque paie…
 
Le pari, toujours et encore
 
Mais, dans le lot, il y a tout de même des opérateurs qui ont acheté le titre King digital. Pour eux, c’est d’abord un pari d’autant plus prometteur que rares sont qui le prennent. Sans croire au caractère éternel de Candy crush, ils anticipent deux évolutions positives. D’abord, ils ont bien noté que cet éditeur alimente Facebook en applications et que cela peut lui garantir des recettes durables. Mais, plus encore, ils se disent que King digital a peut-être dans les tuyaux un futur jeu vedette qui fera encore plus fort que Candy crush. Achetée à bas prix, l’action de l’éditeur devrait alors repartir à la hausse. Dans cette affaire, les parieurs qui tiennent ce raisonnement devront savoir être patients…
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vendredi 4 avril 2014

Soutien des USA à Boutef ? C'est vite dit...

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De nombreux organes de presse, alimenté par une dépêche de l'Agence Algérie presse service (APS) ont résumé la visite de Secrétaire d’État John Kerry comme ayant débouché sur un feu vert à la réélection d'Abdelaziz Bouteflika. Comme le montre le verbatim de son intervention publié sur le site du Département d’État, la réalité est plus nuancée. Le chef de la diplomatie étasunienne a certes loué et remercié l'Algérie pour son rôle dans la crise du Sahel et assuré du soutien de son pays dans la lutte contre le terrorisme :

"First and foremost, our security cooperation: The United States will absolutely continue to stand with Algeria to fight the scourge of terrorism (...) We are grateful, very grateful, for Algeria’s efforts in Mali and Niger which underscore Algeria’s constructive role in regional stability not only in the east, but to the south also."

De même, John Kerry a-t-il insisté sur la coopération énergétique entre l'Algérie et les États-Unis et confirmé que son pays serait bien l'invité d'honneur de la Foire internationale d'Alger en juin prochain. Le Secrétaire d'Etat en a aussi profité pour évoquer ce qui, très certainement, devait constituer l'une des raisons majeures de sa visite à savoir la situation en Ukraine et que le fait que l'Occident a besoin du gaz naturel algérien pour compenser le chantage énergétique de la Russie :

"There are just an enormous amount – energy, as we think about the challenge of climate change in the world, as well as the challenges we see with the recent events of Ukraine – energy must not be used as a weapon, as a tool of conduct in international affairs".


Mais le plus important est contenu dans la conclusion du discours de Kerry qui a relevé que " les États-Unis attendent (espèrent ? sont convaincus d') une élection transparente en Algérie. En effet, l'expression "looking forward" utilisée ne signifie pas que les États-Unis "se réjouissent" de la perspective d'un scrutin transparent. La nuance est de taille et il est regrettable que les propos du Secrétaire d’État aient été plus ou moins bien interprétés...  Certes une phrase plus directe aurait été plus appropriée. Mais c'est là les limites de la diplomatie. Et l'Algérie n'est pas l'Afghanistan : Kerry ne peut dire "les élections doivent être transparentes". On notera aussi qu'il souhaite que ces élections permettent aux citoyens algériens de jouir de leurs droits...

"Lastly, you have an election coming up here in Algeria two weeks from now. We look forward to elections that are transparent and in line with international standards, and the United States will work with the president that the people of Algeria choose in order to bring about the future that Algeria and its neighbors deserve. And that is a future where citizens can enjoy the free exercise of their civil, political, and human rights, and where global companies, businesses, are confident in being able to invest for the long haul."

Si l'on imagine un barème allant de 1 à 6 dans le sens d'une pression diplomatique de plus en plus forte en matière de démocratisation et d'ouverture politique et économique, on dira que ce discours correspond au rang 3 (petite pression, pas trop contraignante mais tout de même réelle). En tous les cas, ce n'est pas le niveau 1 (soutien total) que célèbrent les soutiens du président sortant... Reste à savoir s'il s'agit d'une déformation délibérée ce qui serait tout de même très grave. Ou alors, et c'est une hypothèse qui n'est pas à exclure, on peut aussi penser que c'est un nouveau dégât occasionné par la traduction automatique sur internet. La prochaine fois, l'APS se méfiera de Google Traduction...
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jeudi 3 avril 2014

Quelques questions fondamentales à propos du Rwanda

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(Archive)
Afro-Maghreb (SlateAfrique), 21 septembre 2011
Akram Belkaïd, Paris
Il y a très peu de points communs entre l’Algérie et le Rwanda à part peut-être le fait que quelques militaires rwandais ont fait leurs études dans les académies algériennes dans les années 1980. Mais comme l’a expliqué le colonel français Jacques Hogard à la journaliste Maria Malagardis dans un article publié par SlateAfrique, la mise en cause de l’armée française pour son rôle supposé dans le génocide de 1994 est très certainement la plus grave depuis la Guerre d’Algérie. Comme nombre d’officiers ayant participé à l’opération Turquoise, le colonel Hogard dénonce les accusations récurrentes à l’encontre d’une armée française accusée, notamment par l’actuel pouvoir rwandais, d’avoir non seulement protégé les génocidaires mais d’avoir aussi participé aux tueries. «À ma connaissance, il n’y a pas d’équivalent, jamais nous n’avons été à ce point dénigrés. Sauf peut-être en Algérie? Avec le Rwanda, on se trouve face à une seconde guerre d’Algérie» a ainsi relevé l’officier supérieur qui commandait une zone protégée dans le sud-ouest du Rwanda.

Y-a-t-il eu oui ou non génocide ? Qui en était l’auteur ?

Il est évident que cette question du rôle, supposé ou réel, de l’armée française durant le génocide de 1994 va encore faire couler beaucoup d’encre. Mais, dans le même temps, il s’agit de l’une de ces controverses dont l’exacerbation permet le plus souvent de faire oublier l’essentiel et d’offrir matière à des manœuvres dilatoires qui fleurent bon le négationnisme. Car, dans cette triste affaire, il y a d’abord deux questions essentielles : Y a-t-il eu, oui ou non, génocide à l’encontre des Tutsis ? Et, si oui, qui en était l’auteur ? Les réponses à ces deux interrogations devraient servir de base de départ pour toute discussion or, on voit bien que nombre de positions françaises sont loin d’être tranchées. En France, en 2011, le génocide des Tutsi continue ainsi d’être relativisé ou bien alors son évocation est accompagnée d’autres considérations qui tendent à en diminuer la portée et la gravité. Oui, entend-on, des Hutus ont bien massacré des Tutsis mais ces tueries se seraient inscrites dans un cycle de violences réciproques avivées par la guérilla (tutsie) du Front patriotique rwandais (FPR). En clair, tout cela ne serait que la conséquence malheureuse d’une guerre civile entre forces égales…
Le point d’orgue de ce discours biaisé est atteint lorsque la cause du génocide est attribuée, comme l’ont fait le juge Bruguière ou l’écrivain-enquêteur Pierre Péan, à l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyriamana. Un attentat, affirment les révisionnistes et les relativistes de tous poils, qui serait le fait du FPR de Paul Kagamé. Là aussi, par un étrange tour de passe-passe, on transfère la responsabilité du génocide commis par les Hutus au FPR, ce dernier étant accusé d’avoir provoqué en retour les tueries. Passons sur le fait que cette thèse ignore allégrement les semaines et semaines de bourrage de crane médiatique menée par la propagande de la tristement célèbre Radio mille-collines. Qui peut croire qu’un seul attentat, même ayant visé le président rwandais, pouvait déboucher sur des tueries d’une telle ampleur ? En réalité, cette controverse autour du rôle ou non du FPR dans la mort d’Habyriamana permet de faire passer le génocide au second plan et d’occulter le rôle sanglant des milices hutues interahamwe et, de façon plus particulière, celui de l’Akazu, ce groupe de personnalités hutues qui a conçu et préparé le génocide. De même, c’est une chose que de constater que le régime rwandais est tout sauf démocratique et, c’en est une autre que de mettre en avant cette réalité pour nier ou minimiser le génocide. Que Kagamé soit un dictateur ne doit pas donner le droit de s’appuyer sur cette réalité pour tenter de réécrire l’histoire du génocide rwandais.

Pourquoi la France n’a-t-elle pas mis fin aux massacres ?

Par ailleurs, la quasi-sacralisation de l’opération Turquoise offre, là aussi, des outils dilatoires aux autorités françaises, qu’elles soient politiques ou militaires. Trop souvent, une confusion est savamment entretenue autour de l’objectif de cette opération que nombre de Français pensent sincèrement avoir servi à mettre fin au génocide tutsi. Or, ce n’est malheureusement pas le cas puisqu’au-delà de ses objectifs humanitaires d’interposition, cette opération a permis à nombre de miliciens génocidaires de fuir. De là, se posent deux autres questions fondamentales et, là-aussi, préalable à toute discussion sur l’affaire rwandaise : pourquoi les autorités françaises ont-elles soutenu le régime rwandais jusqu’au moins la fin mai 1994 ? Et pourquoi les militaires français n’ont-ils pas mis au pas les milices interahamwe ? Selon le général canadien Roméo Dallaire, qui commandait le bataillon de l’ONU présent au Rwanda pendant le génocide, une simple démonstration de force de la part de l’armée française aurait suffi à ramener le calme. Ce ne fut malheureusement pas le cas. Comme on le voit, la question n’est pas de s’interroger sur le soutien français au régime d’Habyriamana mais d’avoir des explications sur ce qui s’est passé pendant les tueries. Voilà donc les questions autour desquelles les positions des uns et des autres doivent être éclaircies à moins de vouloir continuer à entretenir la confusion au bénéfice des négationnistes de tous bords.
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