Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 24 juillet 2020

La chronique du blédard : Toudjine, le fringant pédagogue

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 juillet 2020
Akram Belkaïd, Paris

Il est des enseignants qu’il est impossible d’oublier. Certains, parce qu’ils vous ont dégoûté d’une matière, d’autres parce qu’ils étaient complètement fous mais rares sont ceux que l’on garde en mémoire parce qu’ils étaient tout simplement géniaux et entièrement habités par leur matière. La chronique qui suit est un hommage dédié à une personnalité inclassable, M. Merzouk Toudjine, que nous appelions « monsieur Toudjine », professeur de physique et chimie pour les élèves de Terminale au lycée El-Mokrani à Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger.

Ma classe de « mathématiques bilingues une » (MB1) était arrivée en Terminale précédée d’une double réputation plutôt contradictoire. D’un côté, le chahut (l’année de Première fut un festival mémorable), de l’autre, la présence de plusieurs cracks, capables d’aligner durant toute l’année les vingt sur vingt en mathématiques et en physique-chimie. C’est d’ailleurs par l’un d’eux, celui que nous surnommions « Y le rouge » ou « Y errougi », que j’ai appris la triste nouvelle de la disparition de celui qui allait nous (très bien) préparer aux épreuves du baccalauréat.

D’emblée, M. Toudjine tint à nous signifier qu’il n’était pas du genre à se laisser impressionner par les réputations d’excellence. Les premières semaines furent normales. En classe, personne ne mouftait et les cours se passaient dans une fluidité stimulante. Avec lui, rien n’était difficile. Avant la formule à apprendre par cœur, il y avait surtout la méthode. Avant le calcul, il y avait la réflexion. La marque de fabrique Toudjine c’était : d’abord réfléchir, poser ensuite ses équations et résoudre le tout. Cette recette, je l’ai gardée et affinée par la suite au cours de mes études d’ingéniorat. Mais l’essentiel fut acquis en Terminale et peut servir pour tout exercice intellectuel, qu’il s’agisse de résoudre une série d’équations différentielles ou d’écrire sur le commerce mondial de telle ou telle matière première.

Au milieu de l’automne vint la fameuse séance de travaux pratiques, « le T.P » disions-nous, qu’aucun élève de la MB1 ne peut avoir oubliée. La séance précédente, consacrée à la cinématique, s’était déroulée sans accrocs. Nous avions juste à terminer chez nous un petit calcul. Une application numérique des plus simples, de celles que l’on peut même faire quelques minutes avant d’entrer en cours. Quinze jours plus tard vint donc « la » séance. Tout se passait bien jusqu’à ce qu’un élève ne signale sa difficulté à résoudre un exercice. M. Toudjine vint vers lui pour l’aider et, ce faisant, remarqua que l’application numérique de la séance passée n’avait pas été faite. Soufflante homérique sur l’élève puis vérification de tous les cahiers. Tous coupables ou presque. Une misérable ligne de calcul oubliée allait nous valoir un moment d’anthologie.

« Ha ! La MB1… La classe des petits génies et des cracks… Des petits merdeux, oui ! Vous êtes tous des petits merdeux ! ». Puis, pointant tour à tour du doigt chaque élève : « Toi, petit merdeux. Toi aussi, petit merdeux ! Toi, comme lui, petit merdeux ! Vous êtes tous de petits merdeux qui pensent que le bac est un examen facile. Un petit calcul oublié sur votre feuille d’examen et vous perdez des points précieux. Coefficient sept, bande de petits merdeux ! ». Inutile de vous dire que nous regardions tous notre cahier, exception faite de Nafissa, la seule courageuse qui osa lui tenir tête : « Je ne suis pas une petite merdeuse ! ». Mauvaise idée. « Quoi ? Mais si, mais si ! Tu es une petite merdeuse, comme les autres. Khra ! Zbel ! »

Au fil des semaines, nous avions appris à connaître l’homme et à anticiper ses humeurs. Élégant, rasé de frais, les cheveux tombant sur les épaules, c’était l’assurance d’un cours tranquille où aucun secret de la mécanique ondulatoire n’allait nous résister. Le visage fermé, une barbe de quelques jours, et c’était un avis de tempête à venir, l’obligation de faire profil bas et d’éviter les questions idiotes, de celles que le camarade que nous avions surnommé « jipakompré » dès la Seconde posait presque toujours. Un jour d’hiver, l’un de nous se mit en tête de contester ce qui était écrit au tableau. « Monsieur, vous avez fait une erreur !» lança-t-il triomphant et sans même lever le doigt, Silence soudain en classe. « Où ça ? »(ton agacé du prof mais contenance toute pédagogique). « L’équation numéro trois. »Bien entendu, il n’y avait pas d’erreur et M. Toudjine haussa les épaules et continua sa démonstration. Mais l’autre ne voulait pas en démordre : « Monsieur, je vous jure qu’il y a une erreur. Je vous défie (sic)de vous le prouver. »Toudjine se retourna et c’était parti pour un moment très rock’n’roll.

« Tu me défies ? Tu sais quoi, tu vas prendre tes affaires, tu vas sortir dans la cour et tu vas aborder le premier venu en lui disant que tu le défies. Allez, du vent, dehors ! Va défier le censeur ! Dis-lui que tu viens de ma part ». Je précise ici qu’il tombait à verse et que dans notre bâtiment, un vieux monastère, les classes donnaient immédiatement sur l’extérieur. Le défiant fut donc immédiatement trempé et quant à nous, nous eûmes droit à une sérieuse mise au point. « Il me défie ? Pourquoi ? Parce que son père est colonel ? Mais je n’ai peur de personne, moi ! Je n’ai pas peur des ministres »(allusion directe à l’un de nos camarades qu’il n’appréciait guère. « Moi, je fais mon boulot. Et rien que mon boulot. Je n’ai peur de personne, vous m’entendez ? Amenez-moi Chadli[le président de l’époque] et je me battrai avec lui s’il le faut ! »(il ne disait pas Chadli mais Tchadli).

Des souvenirs d’algarades et de colères, je peux vous en citer des dizaines, ayant eu droit en ce qui me concerne à des punitions – oui, oui, en classe de Terminale ( !) – pour avoir eu le défaut de mal écrire le H dans les formules chimiques (il ressemblait à un N inversé). Mais le plus beau souvenir, celui qui restera toujours, c’est la visite de M. Toudjine à ses élèves de MB1 à la fin de l’épreuve de physique-chimie, le jour du bac. C’était un mardi de juin, le temps était lourd dans le centre-ville d’Alger. La plupart d’entre-nous avions « éclaté » l’épreuve, « finger in the nose » dirait-on aujourd’hui. En sortant du centre d’examen, il était là, son habituel sourire ironique cachant mal son émotion. Nous savions déjà qu’il avait un supplément d’affection, voir un faible, pour les élèves de série mathématique. Sa présence nous le confirmait. Certains d’entre-nous ne pouvaient rentrer chez eux et revenir à temps pour l’épreuve d’anglais. Il nous invita donc au Cyrnos, restaurant de la rue Didouche Mourad. Il nous parla de physique, d’études supérieures, de l’Algérie, de la liberté et du droit à ne pas se laisser faire. On dit souvent que les épreuves du baccalauréat sont un rite de passage. Ce repas en fut un instant magique. 
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La chronique du blédard : Autoritarisme, incompétence et mensonges d’État

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 juillet 2020
Akram Belkaïd, Paris

C’est une vérité que tout journaliste, ou même tout citoyen, doit faire sienne. Tous les gouvernements mentent y compris les plus vertueux ou les plus démocratiques. Il ne s’agit pas ici de sombrer dans un complotisme primaire mais tout simplement de rappeler certaines choses qu’il faut garder à l’esprit quand on écoute parler un dirigeant politique. Oui, les gouvernements mentent. Certains, le font par simple omission. Parce qu’ils considèrent que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Que la population n’est pas prête à tout entendre, ou capable de tout savoir, surtout les informations les plus alarmantes. 

Qu’ils soient démocratiques, autoritaires ou même dictatoriaux, les régimes partagent souvent le même postulat selon lequel il est préférable de ne pas parier sur la maturité du peuple. Lui dire les choses telles qu’elles sont devient alors un acte dangereux susceptible d’engendrer la panique et des troubles. Une autre motivation, que l’on retrouve quelle que soit la nature des pouvoirs, mais qui vaut surtout pour les plus autoritaristes, consiste à mentir pour cacher l’incompétence et les échecs des dirigeants. 

Dans un contexte où les libertés sont étouffées – cas de l’Algérie mais aussi de nombre de pays comme l’Égypte du maréchal Sissi, l’Inde du premier ministre Modi ou le Brésil de Bolsonaro – les efforts des dirigeants sont souvent orientés vers la volonté de redessiner la réalité. Il y a alors les faits réels et ceux que l’on proclame et invente pour masquer ses limites et manquements. Les fameux « faits alternatifs » chers à Donald Trump ne sont pas autre chose. Dès lors, le mensonge devient une seconde nature. Une façon de faire et d’être. Parfois, certains dirigeants finissent même par croire à leur propre fantasmagorie.

La pandémie de Covid-19 est la parfaire illustration de ce qui précède. En Algérie, des dizaines de praticiens, de gens sur le terrain, tirent la sonnette d’alarme et affirment que la situation est très grave. Faut-il s’en étonner quand on sait que les mille milliards de recettes pétrolières et gazières empochées en moins de vingt ans n’auront guère servi à réhabiliter un secteur hospitalier en jachère depuis les années 1980 ? Pour nos dirigeants et ceux qui les servent, tout va bien ou presque. S’il y a des problèmes, c’est parce que la population n’est pas sérieuse et qu’elle ne respecte pas les mesures de distanciation physique (préférons cette expression à celle de distanciation sociale) et les gestes barrière.

Il est évident que le manque de civisme des uns, le déni des autres quant à la virulence de la maladie, sont un problème. Le refus de porter le masque chirurgical (pourquoi diable l’appelle-t-on bavette ?) ou bien le fait de le porter de manière fantaisiste comme s’il s’agissait d’un foulard à nouer autour du cou, méritent des campagnes de sensibilisation et de mobilisation. Mais peut-on croire des autorités qui n’ont de cesse de mentir au peuple depuis des décennies ? Quel crédit accorder aux déclarations gouvernementales quand on a pris l’habitude de ne les écouter que d’un quart d’oreille ?

Revenons à l’incompétence, cette fille de l’autoritarisme. Quand le contexte politique interdit la critique, quand les libertés sont rognées, quand la violence, physique ou judiciaire, s’exerce contre les récalcitrants, alors rien ne peut plus empêcher les incapables de régner en maître. Puisqu’il n’y a plus de contre-pouvoir, l’incompétent comprend vite qu’il a de beaux jours devant lui pourvu qu’il serve le pouvoir avec fidélité. Un directeur de la santé incapable sait qu’il sera indéboulonnable pour peu qu’il se ménage les bonnes amitiés et les bons relais. Le praticien ou le journaliste qui chercheront à le mettre en cause pour ses manquements et son incompétence en seront pour leurs frais. C’est même contre eux que le système se retournera.

Autoritarisme et incompétence vont donc de pair, l’une alimentant l’autre. Pour exister, pour donner le change, pour créer l’illusion d’un autre réel, l’incompétent a tout intérêt à faire parler la menace et la force sur les seuls sujets qu’il maîtrise. A l’armée, nous avions un officier impitoyable quant à notre mise. Un tour d’oreille pas assez net, des chaussures mal cirées, un mauvais plis du pantalon, un bouton manquant à la vareuse, et la permission du week-end sautait. Tout cela n’était que du vent car, dès le premier bivouac, il fut constaté que l’homme était incapable de lire une carte ou de mener une section d’un point à l’autre par une nuit sans lune. 

Depuis l’hiver dernier, l’épidémie de Covid-19 montre un peu partout dans le monde comment nombre de pays étaient, et restent, incapables d’y faire face. Dans certains cas, rares, les gouvernements ont fait face avec humilité en reconnaissant leurs limites comme, par exemple, en Allemagne. Dans d’autres, c’est un mélange de mensonges visant à nier toute impréparation et de volonté d’aller de l’avant en corrigeant le tir comme si de rien n’était et sans avoir à rendre des comptes. Le cas français en est la parfaite illustration.

Aux Etats-Unis, Donald Trump aimerait que l’on teste moins ses compatriotes afin que les chiffres des contaminations au Covid-19 soient moins accablants. En Algérie, on menace les journalistes qui font tant bien que mal leur travail en tirant le signal d’alarme. Dans les deux cas, c’est la même logique de fuite en avant qui cherche à s’imposer. L’Histoire montre que minimiser les problèmes ou les taire mène toujours à des catastrophes bien plus grave. Il n’y a rien de plus impitoyable et opiniâtre que le réel.

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La chronique du blédard : Monologue du jeune djerbien, marchand de fruits et célibataire

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 9 juillet 2020
Akram Belkaïd, Paris

Cette année, je n’irai pas au bled. Pendant le confinement, le patron a fermé boutique et m’a mis d’office en congé. Je n’étais pas trop d’accord mais qu’est-ce que je pouvais y faire ? C’est le patron. C’est quelqu’un de mon village, c’est mon aîné, c’est lui qui verse mon salaire, c’est lui qui décide de tout. En avril, j’ai été payé normalement alors qu’il n’avait aucune rentrée. En mai, j’ai tenu la boutique alors qu’il n’y avait pratiquement aucun client. Il m’a payé les deux mois mais m’a dit : cette année, pas de vacances jusqu’à Noël. C’est un dealnormal. Un peu sur son dos, un peu sur le mien. Le confinement a été un peu dur. Heureusement que je ne suis pas marié et que je n’ai pas d’enfants. Mon collègue qui travaille avec moi le week-end a failli devenir fou. Il a trois gamins en bas âge et sa femme a une santé fragile. Elle n’avait pas l’énergie pour les tenir.

En juin, on a bien travaillé. Ça faisait plaisir de revoir les clients. Enfin, les bons clients. Juin, c’est le meilleur mois pour les fruits. Il y a de tout. Cerises, fraises, pastèques, melons. Quand les abricots et les nectarines arrivent, c’est la fête. Mais depuis début juillet, le chiffre a baissé. Les gens sont partis. Épidémie ou pas, ils ont encore les moyens de prendre des vacances. Je les envie un peu. Mais bon, c’est la vie. Ils sont dans leur pays, ils ont de la famille dans le Sud ou en Bretagne, je ne sais pas. Moi, j’ai la Méditerranée et toute la Tunisie à traverser.

C’est un peu dur de se dire que je devrais attendre l’été prochain pour revoir Djerba et la famille. Je me console comme je peux. Je me dis que je vais économiser le coût du billet d’avion. En 2021, j’aurai plus d’argent, je serai bien plus à l’aise. En fait, les vacances au bled, c’est une équation qui n’est pas simple mais j’y gagne toujours parce que j’économise ce que j’aurais dépensé en restant à Paris. Bien sûr, côté dépenses, je dois compter le billet qui reste trop cher. C’est un scandale. Ça fait des années qu’on proteste mais ça ne changera pas. Les compagnies aériennes, même Air France, s’entendent entre elles. C’est du tout bénéfice pour elles.

Donc, il y a le billet mais ce n’est pas le plus important. Il y a les cadeaux. Je dois faire plaisir aux miens. Ça fait beaucoup d’argent. Ceux à qui je ne ramène rien, je leur donne un peu d’argent, une cartouche de cigarette ou un paquet de tabac pour la chicha. Il y a aussi l’excédent de bagages à payer. Quoi que tu fasses, tu n’y échappes pas. Et là aussi, c’est un scandale. Les compagnies aériennes nous sucent le sang. L’un dans l’autre, des vacances au pays, ça me coûte entre 1 500 et 2 000 euros pour le billet, les cadeaux et ce que je dépense sur place. J’économise pendant toute l’année pour ça. Je fais du gardiennage ou des déménagements mes jours de repos.

Là où je gagne, c’est que dès que tu quittes Paris, tu fais des économies. A Djerba, je ne dépense pas beaucoup. Cinq euros par jour au maximum. Ici, ça te paye à peine un kebab sans frittes. La vie n’est pas chère au village. Deux ou trois cafés par jour, une limonade, un casse-croûte pour les petites faims et c’est tout. A midi, je mange chez mes parents. Le soir aussi sauf quand je vais à un mariage. L’été, il y en a toujours deux ou trois par semaine. Ça ne s’arrête pas. Là, je mange pour trois ! A la fin de mon séjour, j’ai toujours deux ou trois centaines d’euros qui me restent. Je donne ça au père. Parfois, je donne aussi à un cousin qui prépare son mariage pour l’année prochaine. Je suis très sollicité mais je ne suis pas le seul. Toutes les familles djerbiennes ont des émigrés. Quand on te demande de l’aide, tu ne peux pas dire non. Je vis en France et j’ai un travail. Ça fait de moi un privilégié. Et quand je dis que je me lève tous les jours à quatre heures du matin pour aller à Rungis, y compris en hiver, on me dit d’arrêter de me plaindre. Dans quelques temps, je me marierai aussi. Là, ce sera un peu plus compliqué. Je devrai être un peu plus égoïste. Pour le mariage, il me faudra beaucoup plus d’argent mais j’économise pour ça aussi. Ça m’aide à serrer les dents.

Le quartier change. Avant, c’était très populaire. Mais les choses bougent. Les bourgeois s’installent. Mon patron c’est un malin. Il a compris. Regarde, il vent du miel bio, du jus de grenade, de la confiture d’ananas. C’est un truc pour bobos, ça. Ils ont de l’argent. Et c’est pour eux qu’on fait aussi le relais pour les colis. Ils achètent plein de trucs sur internet. Bon, en même temps, ce ne sont pas des naïfs non plus. Ils savent ce qu’ils veulent. Le marchand de vin d’à côté me dit qu’ils adorent les bières artisanales. C’est pas donné mais ils ne se refusent rien. Mais ce qui est étrange, c’est qu’ils m’engueulent presque parce que les cerises coûtent neuf euros le kilo.

Un jour, j’aurai mon magasin. Ce sera une grande fierté. Je suis venu en France pour faire des études mais ça n’a pas marché. Je croyais que je pouvais les financer en travaillant à côté. Ça a marché un an et puis je suis tombé malade. Il a fallu faire un choix. Au début, j’ai eu honte de moi. Mais mon oncle maternel a réglé le problème avec mes parents. Il leur a dit, tant qu’il a un travail et que l’argent qu’il ramène à la maison est hlal, alors il faut respecter ce qu’il fait.
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La chronique économique : L’Oracle d’Omaha

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 8 juillet 2020
Akram Belkaïd, Paris

Son surnom attitré résume tout. Pour la presse économique et financière, Warren Buffet, troisième fortune mondiale selon le magazine Forbes(82,5 milliards de dollars) est « l’oracle d’Omaha ». C’est dans cette ville que vit cet investisseur et homme d’affaires qui ne rechigne pas à déjeuner d’un hamburger et d’un soda dans un fastfood. C’est là, au cœur de l’Amérique profonde qu’il a débuté en créant un petit fonds d’investissement Berkshire Hathaway lequel détient aujourd’hui 137 milliards de dollars de réserves en cash. Un immense trésor qui fait saliver tous ceux qui ont quelques entreprises à céder ou à recapitaliser.

Investissement dans le gaz

Pourquoi l’appelle-t-on ainsi ? Parce que l’homme s’est rarement trompé en matière d’investissements. Son histoire est de celle que les magazines aiment raconter. Une mise de départ modeste et puis, au fil du temps, les milliards qui s’accumulent. Depuis trois décennies, chacune de ses prises de participations est détaillée à la loupe par le marché et ses propos font office… d’oracle. Cette semaine, le fonds Berkshire Hathaway vient ainsi de débourser 9,7 milliards de dollars – dont 5,7 milliards de dollars de reprise de dette – pour acheter la branche gazière Dominion Energy. Transport, compression et stockage, l’acquisition fait beaucoup parler (elle reste sujette à l’accord des autorités de concurrence américaines) car elle témoigne de la volonté de l’investisseur de privilégier cette énergie « propre ». 

Dans un milieu marqué par la spéculation, les modes changeantes, la multiplication de bulles et donc de crises, Warren Buffet fait figure de « sage ». Il s’est ainsi largement tenu à l’écart du boom des valeurs internet, n’investissant que dans les poids lourds du secteur de la technologie et refusant de céder à la folie du nimportoi.com. De même, il n’a pas été pris dans les rets des produits dérivés ce qui a limité ses pertes après la crise de 2008. Pour lui, rien ne remplacera la « vieille économie » et les investissements qui privilégient « le temps long » en matière de rentabilité. Il y a plus de dix ans, cette chronique se penchait déjà sur l’un de ses investissements majeurs dans transport ferroviaire de marchandises (26 milliards de dollars pour acquérir 100% du géant de fret Burlington Northern Santa Fe *). 

Pour plus d’impôts

Warren Buffet fait aussi parler de lui pour certaines de ses prises de positions qui dépareillent dans un milieu plutôt prompt à célébrer le laissez-faire et le néolibéralisme. Il fait ainsi partie de ces milliardaires qui jugent qu’ils ne paient pas assez d’impôts et pour qui la baisse de la fiscalité pour les plus riches est dangereuse parce qu’elle aggrave les inégalités. De même, il n’est pas contre des lois limitant les héritages. Bien entendu, l’homme croit aux vertus du marché et il serait exagéré d’en faire un gauchiste mais c’est son bon sens qui fait sa popularité. En 2013, il s’est ainsi élevé contre la politique de rachat de la dette étasunienne par la Réserve fédérale en qualifiant cette dernière de « plus gros fonds spéculatif de l’histoire. »

Dans sa lettre aux investisseurs de son fonds publiée en juin dernier, Buffet a aussi livré son avis sur certains points, l’un d’eux, délicieux, concernant les membres de conseil d’administration (CA) des entreprises cotées en Bourse. Il faut savoir que ce genre de place peut rapporter jusqu’à un demi-million de dollars par an. Et le constat du milliardaire est sans appel : quand un PDG cherche un nouvel administrateur, il choisira un homme peu fortuné qui, trop content d’être bien payé grâce à ses jetons de présence au CA, se comportera comme un « caniche » incapable de s’opposer aux décisions du patron.

* « Warren Buffet aime le train », Le Quotidien d’Oran, mercredi 11 novembre 2009.

La chronique de l’économie s’interrompt durant la période estivale et reprendra le mercredi 9 septembre.
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La chronique du blédard : Mémoire : l’exemple belge

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 2 juillet 2020
Akram Belkaïd, Paris


A l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo – désormais République démocratique du Congo (RDC), Philippe, le roi des Belges depuis 2013, a présenté au nom de son pays « ses plus profonds regrets pour les blessures »infligées aux Congolais durant la période coloniale. Cet acte de contrition est le premier du genre pour ce qui concerne la monarchie belge. Il a pris la forme d’une lettre adressée au président Félix Tshisekedi où le souverain affirme que la douleur des blessures du passé « est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore présentes dans [nos] sociétés ». Le roi des Belges n’est pas allé jusqu’à mettre en cause nommément son aïeul, le roi Léopold II qui fit du pseudo « État indépendant du Congo » sa colonie privée de 1885 à 1908 (il la « céda » ensuite à l’État belge) mais il a tout de même reconnu « des actes de violence et de cruauté qui pèsent encore sur [notre] mémoire collective. »

On sait de quels actes il s’agit. Léopold II imposa le travail forcé sur ses concessions de caoutchouc et les « travailleurs » improductifs avaient les mains coupées. Nombre d’ouvrages universitaires mais aussi littéraires ont documenté cette terrible période dont l’écrivain Joseph Conrad tira sa longue nouvelle Au Cœur des Ténèbres(Heart of Darkness). Elle inspira aussi le poète américain Vachel Lindsay qui écrivit ces fameux vers : « Écoutez le hurlement du fantôme du roi Léopold, / brûlant en enfer pour ses légions à une main. »Les excuses du roi Philippe concernent aussi la période coloniale (1908-1960) qui « a également causé des souffrances et des humiliations. »

Le contexte de ces excuses (préférons ce mot à celui de « repentance » qui est de nature religieuse) est connu. Depuis la mort de George Floyd, un afro-américain tué par des policiers de Minneapolis, la Belgique, comme d’autres pays occidentaux, connaît une ébullition antiraciste et mémorielle dont l’une des manifestations est un vandalisme visant, à Bruxelles et Anvers, de nombreuses statues de Léopold II mais aussi celles d’autres personnalités liées à la période coloniale. Une pétition lancée par le collectif anticolonialiste « Réparons l’Histoire » exige que toutes les statues de Léopold II soient retirées de la capitale belge. La démarche du roi Philippe est un pas historique qui devrait contribuer à tempérer les passions d’autant qu’il s’est engagé à « combattre toutes les formes de racisme »encourageant l’initiative parlementaire qui doit examiner la mémoire coloniale en concertation avec des experts belges et africains.

Côté français, l’information a été relayée sans trop de commentaires par les grands médias. L’idée qu’une pareille initiative puisse exister en France n’a été que très rarement évoquée pour être, le plus souvent, balayée. « La Belgique, ce n’est pas la même chose que la France », a-t-on pu lire et entendre. Cela n’a rien de surprenant. On connaît la tiédeur qui existe dans l’Hexagone dès lors qu’il s’agit de regarder le passé. Ces derniers jours, à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de la défaite française de 1940, on a, par exemple, assisté à des joutes sans fin concernant la manière dont il faut considérer le régime de Vichy, l’affirmation « ce n’était pas la France »continuant d’avoir ses partisans.

En France aussi, un mouvement de déboulonnage de statue a fait son apparition. Sans surprise, il met en fureur l’extrême-droite qui, ravie, tente de jouer le rôle de gardienne morale de l’histoire française. Mais le cercle des contempteurs de ce mouvement est bien plus large et concerne aussi les droite et gauche républicaines. La revendication concernant le retrait des statues de Colbert, accusé d’avoir lancé le processus de rédaction législatif du Code Noir régissant le statut des esclaves, leur est purement et simplement insupportable. Il est intéressant de relever la violence verbale dont font l’objet les mouvements en pointe dans cette bataille mémorielle qui ne fait rien d’autre que d’exhumer les squelettes du passé colonial et esclavagiste de la France. « Racialistes », « indigénistes », « communautaristes », « incultes », tous ces mots visent à disqualifier une revendication qui n’en peut plus d’être étouffée.

Car c’est bien là le problème, notamment pour une partie de la gauche. Pendant longtemps, cette dernière a très bien su calmer ce genre d’ardeurs revendicatives. Aujourd’hui, face aux nouvelles générations qui, contrairement à leurs parents, ne se taisent pas, elle est dépassée. Avec les réseaux sociaux, les collectifs de militants s’autonomisent et il n’est pas question pour eux de subir le même sort que les acteurs de la Marche pour l’égalité (appelée, c’est dire, « marche des Beurs ») phagocytés par le Parti socialiste. L’idée que ces demandes soient formulées de manière de plus en plus radicale faute d’avoir été écoutées à temps ne semble guère interpeller les thuriféraires de « l’universalisme », concept devenu bien commode pour faire taire les voix des minorités en colère.

Soyons certains qu’un geste d’Emmanuel Macron, comparable à celui du roi Philippe et qui serait à destination de l’Algérie ou d’autres pays ayant été colonisés par la France ne changera guère la donne. La polarisation sur ce sujet est telle que cela aura d’inévitables conséquences électorales en 2022. Mais cela ne doit pas empêcher le débat. A condition que les adeptes du Moranodisme – le fait d’avancer qu’on a des amis arabes ou noirs comme seul argument pour se dire exempt de tout préjugé – comprennent que tout ce bouillonnement est légitime et qu’il est temps d’écouter les revendications de gens trop longtemps ignorés.
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mercredi 15 juillet 2020

La chronique économique : Facebook (encore) accusé

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Le Quotidien d'orange, mercredi 1er juillet 2020
Akram Belkaïd, Paris

Une action qui chute de 8,3% par rapport à son cours de la veille. Une capitalisation boursière qui perd en une séance 56 milliards de dollars. Voilà ce qui est arrivé en fin de semaine dernière à Facebook, le plus important des réseaux sociaux, après que plusieurs entreprises ont confirmé leur volonté de ne plus y diffuser de publicités payantes. Les raisons d’un tel boycottage sont liées à l’actualité récente des violences policières et de meurtres d’afro-américains par les forces de l’ordre. 

Appels au boycottage

Depuis plusieurs semaines, des internautes mais aussi des organisations non gouvernementales s’indignent du fait que Facebook ne lutte pas suffisamment contre les propos haineux et racistes qui fleurissent sur ses fils. Malgré les promesses passées, la firme de Menlo Park en Californie ne semble guère pressée pour mettre de l’ordre dans son réseau. C’est ce qui a poussé la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP, association national pour la promotion des gens de couleur) à lancer le mot d’ordre de boycott. Lequel a été entendu par des géants comme Coca Cola, Unilever (dont sa filière Ben & Jerry’s) ou Verizon. C’est ce qui explique les déboires boursiers de l’entreprise directement concernée par le mot d’ordre « stop hate for profit ».

Marck Zuckerberg a eu beau promettre que sa compagnie ferait plus d’efforts pour lutter contre la haine en ligne, les décisions de retrait des budgets publicitaires ont été maintenues. Facebook est donc touché directement au porte-monnaie. Mais il est encore trop tôt pour dire si la crise aura des répercussions à long terme ou s’il s’agit uniquement de difficultés conjoncturelles. En 2018, alors que l’on apprenait que les données privées de 50 millions de « facebookiens » avaient été recueillies de manière illégale par la firme Cambridge Analytica, on pensait déjà que le plus populaire des réseaux ne s’en relèverait pas. Deux ans plus tard, Facebook est toujours là mais, cette fois, ce sont les entreprises qui le mettent en difficulté.

Complaisance coupable

En effet, le modèle économique de Facebook repose avant tout sur la publicité et les perspectives de ciblage de telle ou telle catégorie de consommateurs. Or, des milliers de pages et bien plus encore de messages continuent de stigmatiser des groupes humains pour leur origine, leur religion ou leur orientation sexuelle. Des personnes sont harcelées de manière quotidienne et n’ont pas d’autre choix que de quitter le réseau (ce qui ne met pas fin aux écrits malveillants les concernant). Dans ce genre de situations, les victimes ont du mal à se faire entendre d’autant qu’il faut parfois plusieurs semaines avant qu’un signalement ne soit traité.

Autre reproche adressé au réseau. Il ne fait pas assez pour lutter contre les campagnes de dénigrement et d’influence orchestrées par les États ; faux comptes, robots, perturbateurs ou provocateurs (les fameux trolls), là aussi, c’est la complaisance de Facebook qui est mise en cause. Le boycottage décidé par les entreprises est une première qui ouvre peut-être un nouveau chapitre dans l’évolution du modèle économique des réseaux.
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mercredi 1 juillet 2020

La face honteuse du « métal bleu »

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Des enfants employés dans les mines de cobalt en République démocratique du Congo

Akram Belkaïd

Indispensable pour la fabrication des batteries électriques, le cobalt fait partie des matières premières les plus convoitées. Sa rareté alimente les inquiétudes quant à d’éventuelles pénuries. En République démocratique du Congo (RDC), principal producteur mondial, des enfants travaillent dans les mines pour fournir les grandes entreprises des secteurs de l’automobile, de l’informatique et de la téléphonie.

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