Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 28 juin 2012

France, qu'as tu fait des promesses de ton équipe black, blanc, beur?

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SlateAfrique, 25 juin 2012

Nasri a accepté de porter le maillot de l’équipe de France. Cela lui impose des obligations de comportement exemplaire. Lui a-t-on enseigné cela?

Nasri, Ribery et Diarra le 15 juin 2012 à Donetsk (Ukraine). REUTERS/Alessandro Bianchi
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Il va donc falloir s’habituer à l’idée selon laquelle l’équipe de France de football sera source de désordre (pour son encadrement), de colère (pour ses supporters) et de rigolade (pour le reste de la planète foot) à chacune de ses participations à une grande compétition internationale.
Il y a eu l’Afrique du Sud en 2010 et sa fameuse grève de l’entraînement (sans compter les insultes dans le vestiaire et quelques autres histoires non confirmées qui finiront bien par sortir un jour), il y aura désormais l’Ukraine et une élimination sans gloire face à l’Espagne dans un contexte de tension entre un entraîneur dépassé et quelques sales gosses surpayés et peu motivés.
A côté de cela, ce qui avait constitué un quasi-drame en 1978 —une sombre histoire de chaussures de foot noircies au cirage par les joueurs pour en masquer le logo publicitaire —fait figure de petit couac même si, à l’époque, la presse hexagonale s’en était emparée pour fustiger avec dureté (eh oui!) la bande à Platini, éliminée du premier tour du mundial argentin…

Une affaire d’argent et de sale mentalité

Comme dans chaque péripétie de la vie des Bleus, il y a plusieurs enseignements à tirer de ce qui vient de se passer durant cet euro. Il est désormais indéniable que le football français a un vrai problème de mentalité.
A observer la dégaine de certains joueurs (Nasri, Ménez, Ben Arfa, M’Vila...), leur morgue, leur suffisance, leur vulgarité (ah, ces coupes de cheveux…) et leur nonchalance à l’entraînement comme sur le terrain (la défaite contre l’Espagne étant un exemple sidérant), on a le droit de se dire qu’il y a des gifles qui se perdent.
En cela, ces millionnaires du ballon rond sont emblématiques de leur génération. On ne se pose pas de question, on frime, on la ramène, on se la joue blasé (alors qu’on n’a rien prouvé sur le terrain) et, plus que tout, on se comporte en singeant les héros de ses films préférés que sont Le Parrain et Scarface, c’est dire le niveau…
Plus grave encore, on ne reconnaît de l’autorité qu’à celui qui tient le chéquier. Car la question est là: que pèse une équipe nationale face aux centaines de milliers d’euros versés chaque semaine par Manchester City ou tout autre club européen?
Il fut un temps où jouer à l’étranger se méritait. Il fallait être meilleur parmi les meilleurs et la sélection en équipe nationale permettait de se faire connaître. Platini a longtemps attendu avant de partir en Italie à la Juventus.
Idem pour Cantona ou même Zidane. Désormais, législation européenne oblige, on peut partir à vingt ans dans un club prestigieux sans jamais avoir fait ses preuves avec le maillot tricolore.
Il y a quelques semaines, le joueur russe Archavine (un autre sale gosse) avait déclaré qu’il préférait vivre à Moscou car, très riche, son argent lui permettait «de tout y faire» sans trop craindre d’ennuis.
Il est vraisemblable que de nombreux joueurs français pensent que leur salaire les met à l’abri de toute obligation, y compris celle de respecter le maillot de l’équipe de France.
Voilà pourquoi il est peut-être temps de redorer le blason de la sélection chez les Bleus en décidant qu’elle doit se mériter, quel que soit le club auquel le joueur appartient.
Dans deux ans, aura lieu la Coupe du monde au Brésil. Ceux qui n’en seront pas du fait de leur comportement comprendront alors ce qu’ils auront raté. Et les jeunes qui suivent sauront quelle est la voie qu’il ne faut pas suivre.

Le rôle trouble des agents

Dans le monde du football français, il y a par ailleurs des voix qu’il faut écouter. Celle d’Emmanuel Petit, ancien international et vainqueur de la Coupe du monde, en fait partie.
Certes, l’homme est rude dans son jugement et ses propos sont parfois prompts à désigner une certaine catégorie de joueurs (en clair, celle originaire des banlieues). Mais, quand il dit que le problème du football français, c’est aussi le rôle que jouent les agents en coulisse, il met en évidence un tabou que même la presse sportive française (pour laquelle les agents sont de précieux informateurs et intermédiaires avec les joueurs) évite d’aborder.
En 2010 comme en 2012, des agents ainsi que des membres de l’entourage direct de certains joueurs ont soufflé sur les braises de la division, encourageant les petites vendettas minables à l’intérieur du vestiaire («pourquoi moi et pas lui?», «je veux plus», «je veux une suite», etc… Enfin, on peut se demander quel ascendant peut avoir un entraîneur sur un joueur s’ils possèdent tous deux le même agent…

Le cas Nasri

Samir Nasri fait partie de ces gens, certes talentueux, mais dont l’intelligence et le sens des responsabilités laissent à désirer.
Il est possible que celui qui a été couronné champion d’Angleterre avec Manchester city n’a aucune idée de ce dont il est porteur ne serait-ce que parce qu’il porte un nom à consonance maghrébine.
En 1998, le bon comportement de Zidane lors de la Coupe du monde de football en France, ses deux buts en finale, le maillot bleu qu’il embrassait à chaque réalisation, tout cela a contribué à présenter les jeunes issus de l’immigration comme un apport positif à la France (le fameux black-blanc-beur).
Aujourd’hui, quand Nasri se comporte comme il l’a fait, c'est-à-dire en jouant à l’enfant gâté, en proférant des insanités en direct après avoir marqué un but ou en insultant un journaliste de l’AFP (lequel, disons-le au passage ne vaut guère mieux pour avoir lancé un ‘casse-toi’ très sarkozyen à Nasri), il conforte le discours contre les enfants des banlieues.
Il permet au «ces gens-là ne valent pas grand-chose et ils n’aiment pas la France» de se diffuser et d’être renforcé. Il ne faut pas être dupe. Pour de nombreux commentateurs, l’occasion est trop belle.
Crier haro sur le Nasri, c’est faire le procès de la diversité et reprendre à son compte un discours de stigmatisation que l’on croyait promis à disparaître depuis le résultat de la dernière élection présidentielle.
Mais, de cela, Nasri n’est peut-être pas conscient… Il a pourtant accepté de porter le maillot de l’équipe de France. En ce sens, cela lui impose des obligations de décence et de comportement exemplaire. Lui a-t-on enseigné cela? L’a-t-il compris? Veut-il le comprendre ou se croit il revenu de tout grâce, ou à cause, du salaire indécent que lui et ses pairs touchent? En tout état de cause, son comportement fait bien plus de mal qu’il ne se l’imagine…

Akram Belkaïd
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La chronique du blédard : De l'Algérie, de son indépendance et de la haine de soi et des siens

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 28 juin 2012
Akram Belkaïd, Paris
 
Le cinq juillet prochain sera célébré le cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Dans le pays, comme en France (surtout en France, d’ailleurs), ce rendez-vous est l’occasion, depuis plusieurs mois, de multiples écrits et évènements. Articles, livres, expositions, colloques, conférences, soirées culturelles et émissions télévisées : l’Algérie et son histoire contemporaine sont l’un des sujets incontournables de cette année 2012. De la tonalité générale de ces manifestations, un thème fort s’impose. C’est la faillite du système politique algérien et de l’indiscutable incapacité du pouvoir en place depuis 1962 à tenir les belles promesses de l’indépendance. Cinquante ans après le départ de la puissance coloniale, le bilan est terrible : l’Algérie est un pays à la traîne sur de nombreux plans et ce n’est pas la richesse artificielle – et éphémère - engendrée par la rente pétrolière qui peut nuancer ce constat humiliant.


Faut-il pour autant faire preuve de si peu de considération pour l’instant indépendance ? Et pourquoi faudrait-il se couvrir la tête de cendres et joindre ses pleurs au concert de lamentations que l’on ne cesse d’entendre à propos de l’Algérie ? Dans leur colère, et parfois leur haine, à l’encontre du pouvoir et de la manière dont il « non-gère » le pays, nombreux sont celles et ceux qui ne s’attardent guère sur ce qu’a pu représenter, ce que représente encore, l’indépendance. Face au bilan de cinq décennies plus ou moins perdues, le moment de grâce de juillet 1962 est relégué aux oubliettes. C’est à peine si l’on évoque son importance, son caractère fondamental pour les Algériens cela sans oublier l’euphorie de tout un peuple et, plus encore, la victoire que représentait, au sens de la condition et de la dignité humaines, sa sortie de l’asservissement. En clair, on balaie ce qui fut pourtant essentiel – et fondateur - car on préfère gémir à propos de ce qui est arrivé ensuite, comme si l’indépendance ne méritait qu’une simple mention liminaire en marge d’une longue liste d’échecs.

Lisons et écoutons ce qui s’écrit ou se dit par des Algériens à propos de l’indépendance de leur pays. Ce n’est qu’une longue incantation négative, une ahurissante auto-flagellation qui mêle dégoût, désespoir et abattement. C’est là le triste résultat des agissements du pouvoir et des différentes formes de violence qu’il a infligées à son peuple. Mais cette explication n’est pas suffisante. Impossible, en effet, de ne pas y voir la trace d’une certaine haine de soi, une non-acceptation de ce que l’on est, c'est-à-dire des hommes et des femmes qui appartiennent à un pays qui, certes, aurait pu avoir un bien meilleur sort mais qui méritait avant tout d’être indépendant. Relativiser l’indépendance, la « mettre en perspective » comme le disent certains confrères, c’est feindre de croire que l’on aurait pu « être » sans elle. C’est la considérer comme un événement banal et neutre.

La haine de soi traduit aussi de vieilles fêlures et frustrations (*). Elle habite celui ou celle qui, enfant ou adolescent, a subi la réalité coloniale et qui, oubliant ce qu’il était – et ce qu’il n’aurait jamais pu être sans l’indépendance (médecin, ingénieur, architecte, journaliste, écrivain, universitaire…) – rêve encore d’appartenir au monde qui lui était jadis interdit. Comprenons-nous bien. Il ne cherche pas, comme l’a si bien expliqué Fanon, à prendre la place du colon (ça, ce sont les nouveaux maîtres du pays qui l’on fait !). Non, il rêve simplement de prendre une revanche sur son propre passé. Il rêve de quitter sa peau de colonisé et de pouvoir, les pieds enfin chaussés, danser au bal-musette du 14 juillet sur la place de la mairie. Ses mises en causes de l’Algérie indépendante, ses diatribes à l’égard de ce que fut la Guerre de libération et de la manière dont elle fut menée, sont ainsi l’expression du désir refoulé de se prouver qu’il aurait pu quitter sa condition d’indigène ou de sujet de la République française. Et lorsque ce discours est tenu en France, et quel que soit le milieu auquel il s’adresse, c’est une manière pathétique de dire « Voyez ! Voyez, comme j’aurais pu être des vôtres. »

Ce type de détestation s’est même transmis d’une génération à l’autre. D’est en ouest, on continue d’agiter les bras à destination du nord, en essayant de mettre en avant sa propre singularité dans une masse que l’on accuse de tous les maux et de tous les « ismes » : fascisme, obscurantisme, intégrisme, antisémitisme, etc… Il est certes du devoir de l’observateur, qu’il soit journaliste, universitaire ou écrivain, de se mettre au-dessus de la mêlée et de porter la plume ou la parole là où elle doit faire le plus mal (et d’accepter au passage d’être critiqué pour cela). Mais cette position ne doit viser qu’à prendre du recul et non pas à se sentir supérieur vis-à-vis du peuple auquel on appartient. La haine et le mépris des siens ne sont rien d’autre que la haine et le mépris de soi…

Ce qui est choquant dans l’affaire, c’est que ces jérémiades continues – fussent-elles fondées – contribuent à discréditer l’idée même de la nécessité de l’indépendance de l’Algérie. Quand des Algériens se mettent plus bas que boue alors qu’il s’agit juste de parler du 5 juillet 1962, il ne faut pas s’étonner que le courant révisionniste qui sévit en France s’en trouve renforcé. Ici, c’est la mémoire des tortionnaires de la Bataille d’Alger que l’on célèbre. Là-bas, c’est « l’œuvre civilisatrice » de l’Algérie française que l’on revendique et souhaite voir proclamée de manière officielle. Et les élites algériennes, qu’elles soient politiques ou intellectuelles, se retrouvent sommées de faire amende honorable. Les voici presque obligées de demander pardon pour l’indépendance et de convenir, tête basse et mains derrière le dos, que le FLN a imposé l’indépendance en terrorisant une population qui n’en voulait pas tant elle était satisfaite de l’ordre colonial ( !). Voici ces élites obligées d’admettre que les choses auraient pu être différentes, que Bugeaud pourrait avoir encore sa statue à Alger, que l’incendie de la bibliothèque universitaire d’Alger par l’OAS était compréhensible et, plus que tout, les voici appelées à proclamer sur la place publique des relations franco-algériens, que l’indépendance n’a finalement servi à rien.

Il est vain de faire l’élégie d’un pays virtuel. Cette Algérie qu’il nous arrive tous de pleurer pour l’avoir tant rêvée, ne pouvait naître et exister aussi vite. Parce que telle est l’Histoire des peuples et des nations, la démocratie et la liberté sont un long combat, tortueux et quotidien. Il ne s’agit donc pas de sacraliser juillet 1962 mais d’en faire un moment à part et respecté. Faisons un pas de côté et respirons un peu. Prenons une pause dans l’expression continue de la désespérance et du ressentiment nationaux. Ce sera une manière comme une autre de crier « vive l’indépendance algérienne ! » à l’heure où notre amertume et les errements coupables d’un système qui ne lâche rien donnent raison à ceux qui hurlent encore – ou de nouveau, et de plus belle - « vive l’Algérie française ! ».

(*) Sur la notion de haine de soi et des dégâts qu’elle inflige à la société algérienne, dirigeants compris, il faut lire La Martingale algérienne (éditions Barzakh) d’Abderrahmane Hadj Nacer.

vendredi 22 juin 2012

La chronique économique : Petite pause pour le baril de pétrole

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Revoici donc le baril de pétrole sous la barre des 100 dollars. Certes, ce n'est pas une décrue considérable puisqu'il se maintient au-dessus de 96 dollars à Londres. Pour autant, cela place les prix de l'or noir à leur plus bas niveau depuis dix-huit mois et cela relance les discussions concernant l'évolution à court et moyen terme du marché pétrolier. Il existe à ce sujet plusieurs hypothèses mais la plus répandue est que cette baisse modérée devrait durer encore plusieurs semaines en raison de la conjoncture mondiale.

DE NOMBREUX FACTEURS BAISSIERS

Il est vrai que le contexte économique ne favorise pas une hausse des cours. En Europe, la croissance est au plus bas et de nombreux pays sont confrontés à une grave crise de finances publiques. Aux Etats-Unis, la situation est moins grave mais de nombreux signaux - dont la hausse récente du chômage - démontrent la réalité du ralentissement de l'activité. Tout cela a un impact négatif sur la demande en pétrole et il est donc normal que les prix de l'or noir baissent. De plus, de nombreux investisseurs se détournent du marché pétrolier en raison de l'appréciation du dollar étasunien, monnaie dans laquelle sont libellées les transactions pétrolières (cette hausse du dollar est due aux doutes sur l'avenir de l'euro).

Un autre facteur baissier réside dans l'arrivée massive, sur le marché physique, du pétrole de schiste («oil shale »). C'est le cas notamment aux Etats-Unis où l'Etat du Dakota du nord - principal lieu d'exploitation de ce type d'hydrocarbure - est devenu la seconde source de production pétrolière derrière le Texas mais devant l'Alaska. 

Cette émergence du pétrole de schiste - conjuguée à la montée en puissance du gaz de schiste - n'est pas un phénomène anodin. Cela offre aux Etats-Unis mais aussi à d'autres pays consommateurs, une diversification importante. Il est encore trop tôt pour dire si le pétrole de schiste va contribuer à rééquilibrer la répartition de la production mondiale (42% sont assurés par les pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole - Opep) mais une chose est sûre : le marché sait qu'à l'avenir, le pétrole de schiste pourra compenser en partie la diminution de la production du brut classique.

Enfin, circonstance suffisamment rare pour ne pas être évoquée, la géopolitique influe aujourd'hui à la baisse sur les marchés pétroliers. Ainsi, la crise du nucléaire iranien n'est-elle pas dans une phase aiguë.      Les pourparlers entre Téhéran et les pays occidentaux ont repris tandis que l'annonce d'un éventuel retrait de la vie politique du président Mahmoud Ahmadinejad en 2013 alimente les supputations sur un rapide règlement du différend entre l'Iran et la communauté internationale.

En tout état de cause, les primes de risque pour le passage du détroit d'Ormuz ont diminué ce qui, de manière mécanique, a un effet baissier sur les prix du pétrole. Par ailleurs, l'entrée en vigueur, le 1er juillet prochain, de l'embargo européen sur une partie des exportations pétrolières iraniennes a déjà été intégrée par le marché et ne devrait pas engendrer de hausse significative des cours (cela d'autant que le rebond de la production irakienne permet de compenser les effets de cet embargo).

UN MARCHE HAUSSIER A TERME

Mais l'équilibre du marché pétrolier reste fragile. Malgré l'émergence du pétrole de schiste, l'essentiel de l'approvisionnement de la planète continuera de dépendre de zones plus ou moins instables à commencer par le Golfe et l'Afrique de l'ouest. Cela signifie que la moindre crise politique aura des conséquences immédiates sur les cours du brut d'autant que des zones de production, plus stables sur le plan politique, comme la Mer du nord ou le Golfe du Mexique, ont commencé à décliner.
En clair, il ne devrait pas se passer trop de temps pour que le baril ne repasse la barre des 100 dollars. A moins que les géants de l'Opep ne s'engagent dans une course effrénée à la production. Ce qui est une autre histoire…

Le Quotidien d'Oran, mercredi 20 juin 2012
Akram Belkaïd, Paris
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La chronique du blédard : Lectures en déambulations

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 21 juin 2012
Akram Belkaïd, Paris

Marchons dans Paris, qu’un air pur accompagne nos pas. Marchons, marchons, nos yeux grands et ouverts. Notons ce qu’il y a d’écrit, d’inscrit, de tagué, de raturé, de peint et griffonné. Captons le message, le spot ou la réclame. A peine quelques mètres, et voici la première prise. Une affichette collée à un arbre. Photo noir et blanc d’un matou. Texte : « Il s’appelle Hipo. Perdu sur le boulevard Montparnasse. Appelez le 06… Reconnaissance assurée ». Ce qui en clair veut dire qu’il n’y a pas de récompense à la clé. Mais que faisais Hipo en plein boulevard ? Souvenir de cet autre avis de recherche à propos d’un hamster perdu au jardin du Luxembourg. Qui sait, peut-être est-ce Hipo qui l’a mangé…
 
Continuons. Voici un restaurant avec des lettres inscrites à la craie bleue sur une ardoise bien fatiguée. « Couscous emporté », telle est l’annonce sur laquelle s’attardent le regard et l’esprit. Qu’est-ce que cela veut bien dire ? Un mauvais plaisantin aurait-il volé la semoule, la viande, les légumes et la sauce ? Serait-ce un manifeste culinaire pour clamer que le couscous révisé à la façon hexagonale (avec merguez et, hélas, trop souvent sans pois-chiches ni lben) n’est plus le vrai couscous et que la mondialisation l’a emporté ? Voilà un beau thème de réflexion pour bacheliers en herbe. Autre souvenir, celui d’un avertissement placardé, fin janvier 2011, dans un bistrot de la rue de Lille : « Nous n’acceptons plus les tickets restaurants 2010 jusqu’à la fin janvier 2011 ». Là aussi, que faut-il comprendre ? Que ces tickets seront acceptés à partir de février 2011 ? Impossible pour n’importe quel matheux de modéliser ce problème…

Empruntons la rue Falguière. Une fenêtre au rez-de-chaussée d’un immeuble construit en 1973. Une grande feuille collée sur la vitre : « Nous ne sommes pas les concierges. Merci de ne pas frapper à la fenêtre !!!! ». Les points d’exclamation disent tout. La colère, l’exaspération, la fatigue aussi. Imaginez : le couple invité par les locataires du cinquième qui cogne au carreau parce qu’il n’a pas le code. Même chose pour la voisine du troisième qui a oublié ses clés ou encore les livreurs, le vendeur de calendriers… Un peu plus loin, en allant vers Duroc, on retrouve ces mêmes points d’exclamation  sur un carton collé à l’entrée d’un commerce que les mauvais esprits, passants ou du coin, qualifient certainement de particulier : « Ici, salon de massage sérieux ! Si voulez autre chose, allez ailleurs !!! ».

Voilà donc une histoire bien plus compliquée que le couscous disparu. On pousse la porte et, profession d’écrivant déclinée, on s’enquiert de la signification de cette injonction. Sourire pincé de la dame derrière le comptoir : vous n’êtes pas naïf à ce point, monsieur ! Vous imaginez bien ce que certains croient trouver dans un salon de massage tenu par des femmes asiatiques ? On hoche alors la tête, on s’excuse et on s’en retourne battre le trottoir. Très vite, nouveau commerce, nouveau message. Une droguerie qui, comme un grand nombre d’entre elles à Paris, est tenue par des trimeurs venus d’Inde. « Ici, stock de vieilles ampoules. Dernier arrivage. N’attendez pas, forte demande ». Là, nul besoin de chercher l’explication. Une loi, pondue quelque part entre Paris et Bruxelles, a mis hors jeu les bons vieux bulbes à filament. Et quand les bureaucrates et les écolos interdisent l’incandescence au nom de la basse consommation (laquelle s’avère fort onéreuse), le marché noir et la débrouille s’organisent.

Poursuivons. Un pressing et une autre mise en garde. « Merci de ne pas laisser vos chiens uriner devant nos vitrines ». La confirmation, s’il en fallait une, que nous sommes bien à Paris, ville crottée où le présent chroniqueur traquera sans relâche le propriétaire du chien qui abandonne petite et grande commissions au beau milieu du seul terrain de sport municipal du quartier… Mais revenons au pressing qui aurait pu s’appeler la vespasienne de Médor. Juste en face, l’enseigne d’une brasserie proclame en grandes lettres d’or : « Ici, bière à flot et vin vertigineux ». Songeur, on se dit qu’il y a peut-être un rapport avec les outrages subis par la vitrine du pressing et que la gente canine n’est pas la seule coupable…

Le lecteur attentif aura noté qu’on lui a épargné les slogans et autres affiches politiques. Sacrifions deux exceptions à cette volonté de ne pas trop s’attarder sur la période électorale qui vient de se terminer dans le soulagement général. D’abord, un vieux graffiti, peinture noire et lettres capitales : « Vivement la Viktoir deux la droite ! Allllé !!!! ». Il se dit que l’auteur de ce gribouillage serait un ancien ministre ayant affirmé qu’un certain Zadig aurait été le co-auteur de François-Marie Arouet, dit Voltaire. Vient ensuite, cette affirmation, peinture rouge vif, quelque peu triviale mais ô combien pertinente : « le FMI commence toujours par baiser les plus pauvres ». Ici, le suspect est le propriétaire d’une petite boutique d’alimentation grecque.

Terminons ce compte-rendu vagabondant. D’abord, par cet avis placardé sur le panneau d’information d’une école primaire publique. « Wanted ! Des vêtements cherchent leurs propriétaires ! Parents : des dizaines de vêtements oubliés par les enfants s’accumulent à l’école ». Suivent des suppliques pour que soient marquées sur les étiquettes des fripes en question, nom et prénom du bambin, surtout « pour les manteaux, les écharpes et les tenues de sport ». Vient, pour finir, un ultimatum : « si l’habit n’est pas récupéré avant les grandes vacances, il sera offert à une association caritative. » On s’éloigne, on s’engage dans une petite ruelle du quinzième arrondissement et là, on tombe ensuite sur le tag qui oblige à ressortir carnet et crayon : « Vivement demain pour que tout soit pareil à hier ». Voilà qui est bien dit et qui, résumant si bien l’air du temps, termine cette première énumération.
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mercredi 20 juin 2012

L'Algérie et la Libye enterrent la hache de guerre


SlateAfrique (19.06.2012)

Les relations entre les deux pays, tendues depuis la révolution libyenne, s’harmonisent progressivement.

Mustapha Abdeljalil et Abdelaziz Bouteflika, à Doha, au Qatar, nov. 2011 © REUTERS/Mohamad Dabbouss
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Entre Alger et Tripoli (sans oublier Benghazi), ce n’est peut-être pas le début d’une grande romance mais, au moins, les nuages noirs qui s’amoncelaient dans le ciel bilatéral se sont-ils dissipés. On est désormais loin de l’automne 2011.
A l’époque, les membres du Conseil national de transition(CNT) ont le vent en poupe. Le régime de Mouammar Kadhafi est tombé, l’ancien «Guide» est mort et la communauté internationale est aux petits soins avec le nouveau pouvoir libyen.
Pour ce dernier, c’est l’heure des diatribes à l’encontre du voisin algérien coupable de ne pas avoir soutenu «la révolution» et de n’avoir pas appelé Kadhafi à se démettre.
«L’Algérie va répondre de son attitude pendant notre lutte contre le régime de Kadhafi», déclare ainsi le colonel Ahmed Omar Bani, l’un des principaux chefs de la rébellion armée, lors d’une conférence de presse à Benghazi.

Le cas Aïcha Kadhafi

Plus grave encore pour le CNT, c’est dans le sud-est algérien qu’une partie du clan Kadhafi a trouvé refuge avec l’accord des autorités algériennes.
Aïcha (la fille), Mohamed et Hannibal (les fils), Safiya (l’épouse) et de nombreux proches de l’ancien président ont donc pu échapper à l’arrestation, contrairement à Seif al Islam, héritier supposé de son père et détenu aujourd’hui par une faction des ex-rebelles.
L’asile offert à Aïcha et les siens a aggravé les tensions entre les deux pays au point que plusieurs diplomates occidentaux présents dans la région ont craint une escalade armée. Une perspective alimentée par des mises en garde musclées de la part d’Alger.
«Si le CNT continue à nous provoquer, il va comprendre qui est le vrai patron dans la région», déclarait à ce sujet un haut responsable algérien à SlateAfrique.
Mais aujourd’hui, tout est effacé ou presque. En avril 2012, Mustapha Abdeljalil, le président du CNT, a effectué une visite officielle de deux jours à Alger, à l’invitation du président Abdelaziz Bouteflika. La normalisation des relations et la coopération sécuritaire a été au centre des entretiens entre les deux hommes.
C’est ainsi qu’Alger et Tripoli ont décidé de collaborer pour sécuriser leur frontière commune qui court sur plus de 1.000 kilomètres.
Objectif annoncé, «la lutte contre le terrorisme, le trafic d’armes, la contrebande, le crime organisé et l’immigration clandestine».

Entente de raison

De façon générale, les deux pays ont convenu de faire en sorte que chacun d’eux ne soit pas une menace pour l’autre.
Un engagement qui concerne directement Aïcha Kadhafi et ses proches. Pas question pour l’Algérie de les laisser constituer la base arrière de l’opposition au CNT.
En décembre 2011 déjà, la fille de Kadhafi avait été vertement tancée par le gouvernement algérien pour avoir appelé au renversement du nouveau régime sur les ondes d’une télévision syrienne.
Depuis, peu satisfaite de ses conditions d’accueil (elle serait aujourd’hui dans une grande ville du nord algérien) et de l’obligation qui lui est faite de se taire, Aïcha Kadhafi chercherait un autre point de chute.
Le Maroc, l’Afrique du Sud ou le Venezuela sont les pistes évoquées de manière officieuse à Alger sans que l’on ait la moindre indication sur les intentions réelles de celle qui a visiblement décidé de reprendre le flambeau familial.
«Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement algérien a signifié aux Libyens, qu’ils soient pour ou contre l’ancien régime, qu’il n’avait pas l’intention de déstabiliser le CNT», confie un observateur. Un geste bonne volonté qui a certainement apaisé les tensions et contribué à la reprise des opérations de la compagnie pétrolière algérienne Sonatrach, en Libye, depuis le mois de mai 2012.

Akram Belkaïd
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mardi 19 juin 2012

Lettre à Zidane : Il faut sauver Mahmoud al-Sarsak

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Mon cher Zinedine,

Je t’ai vu il y a quelques semaines à la télévision commenter l’année sportive 2011-2012. Tu étais plutôt à l’aise, bien plus que de coutume même si on devinait bien que ce n’était pas ton exercice préféré. Je crois que tu n’as jamais aimé paraître à la télévision, mais ce n’est pas pour cela que je t’écris.
  
Allons droit au but. As-tu entendu parler de Mahmoud al-Sarsak ? Laisse-moi te donner quelques détails. Il s’agit d’un footballeur palestinien de 28 ans. Il y a trois ans, c’était le 22 juillet 2009, il a été arrêté par les forces de sécurité israéliennes au point de passage d’Erez alors qu’il venait de quitter Gaza pour rejoindre son équipe nationale en Cisjordanie. A ce jour, il est toujours en «détention administrative», ce qui veut dire que la justice israélienne n’est pas obligée de dire pourquoi il est en prison ni même d’organiser son procès. Sa famille n’a pas le droit de lui rendre visite. En un mot, ce footballeur prometteur n’existe plus. C’est une ombre, un fantôme, à qui il peut tout arriver. Voilà pourquoi il a décidé de faire la grève de la faim depuis mars dernier. Un chiffre, un seul : Mahmoud a perdu 30 kilogrammes et sa vie est désormais en danger.
  
Mahmoud Sarsak, cher Zinedine Zidane, n’est pas le seul dans ce cas. Des centaines de Palestiniens sont détenus aujourd’hui de manière administrative. Mais, par la force des choses et de la puissance universelle du football, il est devenu leur emblème. C’est pourquoi le monde se mobilise pour lui, à commencer par tes collègues footballeurs. Nombre d’entre eux, avec d’autres sportifs, ont signé une pétition pour réclamer sa libération. Parmi eux, il y a Nicolas Anelka, Philippe Christianval, Mamadou Niang, André Gignac et Jeremy Menez. De son côté, Eric Cantona a publiquement pris position pour sa libération. Et toi ? Et toi, cher Zidane, toi qui est le footballeur français le plus connu et le plus admiré ? N’as-tu rien à dire pour ce joueur interdit de liberté, sans qu’il sache pourquoi ? N’as-tu pas envie de t’exprimer sur ce sujet ?
     
Je sais que tu n’aimes pas te mêler de domaines autres que celui du football. Je sais aussi que ton entourage est très vigilant et qu’il veille à ce que tes intérêts ne puissent pas être mis en danger par une prise de position publique. Mais là, cher Zinedine, ce n’est pas du Qatar dont il s’agit mais de la vie et de la dignité d’un homme. Vois-tu, jeudi soir, comme des millions de gens, comme toi aussi je suppose, j’ai regardé le match Espagne – Irlande. Comme des millions de téléspectateurs, ce n’est pas le score qui a compté pour moi. Dans ce stade de Gdansk où nombre de panneaux incitaient au respect, à la fraternité et à la lutte contre le racisme, j’ai aimé le comportement des supporters irlandais. Leur équipe venait de prendre une valise de quatre buts, mais ils ont chanté sans discontinuer durant les dix dernières minutes. C’était beau et propre. Un spectacle, une offrande qui auraient mérité un article ou une chronique. Mais ce n’est pas possible.
   
Ce n’est pas possible parce qu’il y a un footballeur, quelqu’un qui a certainement essayé d’imiter tes dribbles et tes passements de jambe, qui est en train de mourir faute de liberté et de respect. Voilà pourquoi je m’adresse à toi. J’espère que tu auras le courage de faire savoir que tu es solidaire de cet homme, comme tu le serais de n’importe quelle personne, quelle que soit sa race et sa religion, privée du droit humain le plus élémentaire. La pétition circule, cher Zizou. Il serait bien que tu sortes de ton silence.
  
Bien cordialement
  
Akram Belkaïd




Billet posté sur le Blog Afro-Maghreb : SlateAfrique
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lundi 18 juin 2012

Fields of Athenry

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14 juin 2012, Espagne 4 Eire 0. Il reste quelques minutes à jouer. Quand les supporteurs Irlandais entonnent "Fields of Athenry".

Le chant des supporteurs irlandais 

Un moment extraordinaire, une folle émotion. Quelle ferveur, quel entrain.
Cette chanson a été écrite à la fin des années 1970. C'est une ballade à propos d'un homme emprisonné pour avoir volé de la nourriture pendant la Grande famine du 19ième siècle en Irlande (merci, les Anglais...).
Ce soir là, nous étions Irlandais !
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Quand Libération fait des titres 100% Libé

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La victoire électorale de la gauche française a visiblement inspiré éditeurs et secrétaires de rédaction du quotidien Libération. Ce journal est connu pour ses titres basé sur le calembour et l'édition de ce lundi 18 juin en offre un florilège :


- En une : La gauche royale (avec la photo de Hollande...)
- En page 2 : Un palais rose Bourbon
- En page 6 : Le siège de la Rochelle fatal à Ségolène Royal
En page 8 : Pas de carton rouge pour le Front de gauche
En page 11 : Nadine Morano se prend une tôle à Toul
En page 13 : La benjamine Marion Maréchal-Le Pen plante son bâton à Carpentras
En page 14 : Béarn out pour François Bayrou (le meilleur titre selon moi)
En page 16 : Michelle Alliot-Marie rend les armes 
- En page 17 : Patrick Braouezec, Le dino sort
En page 24 : De belles lettres, sans papiers ( à propos d'un Rwandais réfugié en France, diplômé d'HEC et romancier)
En page 27 : La Banque du Vatican ne l'emportera pas au Paradis
En page 28 : Le coq tout près de dompter sa poule (à propos de l'équipe de France et de son groupe)
- En page 29 : Zlatan Ibrahimovic, l'idole des jaunes (le jaune est la couleur de l'équipe de Suède)
En page 38 : Harrisson ressort la tête de l'eau
- En page 38 : Impact de bulles (à propos de la bd "saison brune"
En page 39 : scène tragique à Toronto (mort d'une personne après l'effondrement d'une scène où devait se produire le groupe Radiohead)
- En page 44 : Chaudronniers, le filon du métal
En page 46 : Sein d'esprit (à propos d'un lanceur d'alerte sur les prothèses PIP)
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"Etre Arabe Aujourd'hui", obtient le prix lycéen du livre de Sciences Economiques et Sociales

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Le prix lycéen 2012 du livre de Sciences Economiques et Sociales a été attribué à Akram Belkaïd pour "Etre Arabe Aujourd'hui" (éditions carnetsnord, sept 2011)

16 livres parus dans l’année en cours sont proposés par Liens Socio et Alternatives Economiques, 10 sont retenus et constituent la sélection officielle. Les 10 livres de la sélection sont disponibles à la mi septembre et la désignation du lauréat par les lycées participants s'effectue à la mi- mai. Chaque établissement doit organiser la circulation pour lecture, l'échange de points de vue, les discussions, les critiques.

Pour en savoir plus :

- Prix lycéen du livre d'économie et de sciences sociales

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La chronique du blédard : Monologue du crypto-stal

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 14 juin 2012
Akram Belkaïd, Paris

T’as vu l’équipe russe ? Ils jouent bien, hein ? Ça a toujours été comme ça. De l’organisation, de la technique et du style. Et, en plus de ça, de la correction. Bon, sur ce plan, c’est moins vrai qu’avant. Le capitalisme, ça favorise les sales manières. Mais t’aurais vu l’équipe de l’URSS ou même des autres pays de l’Est, Yougoslaves mis à part. Jamais de mauvais geste, jamais de contestation contre l’arbitre même quand il sifflait des fautes imaginaires. Il en est resté quelque chose. Regarde l’Ukraine, c’est la même chose. De la discipline et de la solidarité. De l’éducation aussi. Les joueurs faisaient des études supérieures, ils avaient un métier. C’est pas comme les ânes friqués d’aujourd’hui. Le communisme ça avait quand même du bon… Y’avait pas de hooligans à l’époque.

Je ne suis pas naïf. La Russie ne peut pas être championne d’Europe. Les arbitres ont des instructions. Ce pays ne peut pas gagner, ça créerait trop de problèmes. C’était déjà comme ça avec l’URSS. Bien sûr que si ! Souviens-toi de tous les matchs qu’ils ont perdus à cause d’un arbitrage aux ordres. C’est toi-même qui m’as dit que tu avais été longtemps dégoûté du foot à cause du match URSS – Belgique de 1986. Ah, tu vois ! Un scandale, hein ? Oui, sauf que c’était tout le temps comme ça. Les clubs russes ont passé leur temps à être volés. Tout ça parce qu’il ne fallait pas que les communistes l’emportent !

Laisse-moi te raconter un truc. La seule fois où l’URSS a gagné un titre européen, c’était en 1960 contre la Yougoslavie. Tu sais quoi ? L’arbitre de la finale, on n’a plus jamais entendu parler de lui. Mines de sel ! Il a été puni parce qu’il n’a pas fait le boulot ! Les capitalistes, la Fifa et le reste, ils préféraient encore que les bandits de Tito gagnent. Ensuite, ça été pire. En 1964 et en 1972, les soviétiques sont allés jusqu’en finale, et à chaque fois, l’arbitrage a donné un coup de pouce aux autres. Y’a jamais eu de plus grand gardien de but au monde que Yachine ! Y’a jamais eu de plus beau football que celui du Dynamo de Kiev.

Tu imagines les conséquences ? Une équipe communiste championne du monde ou d’Europe en pleine guerre froide? Impossible. Ça aurait donné des idées aux travailleurs. Non ! Rien n’a changé. Les critiques contre Poutine, ça reste de l’anticommunisme primaire. Ça ne s’explique pas autrement. Les gens parlent de démocratie, de droits de l’homme, mais en fait, ce qu’ils détestent, c’est l’idée que la Russie d’hier soit encore là et qu’elle puisse menacer le modèle occidental. Poutine, c’est quoi ? C’est le redressement de la Russie. C’est la fierté d’un peuple qui s’est retrouvé nu comme un ver dans les années 1990. C’est des salopards qui ont pillé le pays et qu’il jette en prison. Et ça, les Américains ne peuvent pas le supporter, alors ils arrosent les médias d’informations négatives sur lui et Medvedev.

Quoi, les Tchétchènes ? Ah non, tu vas pas faire du communautarisme, hein ! C’est quoi les Tchétchènes ? Ils sont combien ? Qui en entendait parler à l’époque de l’URSS ? Est-ce que vous parliez d’eux en Algérie dans les années 1970 ou même dans les années 1980 ? Moi, j’veux bien qu’ils défendent leur droit, mais de manière pacifique pas avec du terrorisme et tout ça. Ils n’avaient qu’à se regrouper dans un parti politique puisque c’est comme ça que ça se passe maintenant. Et puis l’indépendance pourquoi faire ? Pour qu’il y ait des mosquées partout ? Des barbus, des madrassas et tout le reste ?

C’est comme la Géorgie. Le type, c’est un affairiste  à qui les Américains ont lavé le cerveau et on nous le présente comme un grand démocrate. Tu parles… Du business, oui. Le gars, il te déclenche une guerre contre la Russie et quand il reçoit la pâtée, il se met à hurler au secours. Fallait le laisser se débrouiller au lieu de lui sauver la mise. Y’a un grand pays, un géant régional, il faut le respecter et ne pas l’embrouiller dans son jardin. Les Européens, ils feront quoi si demain quelqu’un vient se mêler des affaires du Luxembourg ou du Danemark ? La géopolitique, c’est comme ça. Chacun son gâteau. Faut laisser les Russes tranquilles. Ils sont en train de redevenir aussi fort qu’avant. J’comprends que ça puisse faire peur…

Tu vois, tu es communautariste et corporatiste. Bien sûr que c’est moche une journaliste qui se fait tuer. Une journaliste ou quelqu’un d’autre d’ailleurs. Pour moi, y’a pas de hiérarchie, alors que vous, les journalistes, vous hurlez dès qu’on touche à l’un des vôtres. Mais est-ce que c’était vraiment une journaliste, hein ? T’en es sûr ? Qui te l’a dit ? Newsweek ? Les journaux de Murdoch ? Et qu’est-ce qu’elle faisait à se mêler des histoires de Tchétchènes ? Moi, on m’a même dit qu’elle avait un passeport américain. Donc… Ça  veut dire que c’est plus compliqué que ça.

Bien sûr qu’on est nombreux à penser comme ça ! C’est pas parce que le parti a changé qu’on a disparu. Faut pas croire ce raconte la télé… On n’est pas visible, c’est tout. Les gens disent qu’on est démodé. Il y a des camarades qui ont retourné leur veste et qui nous expliquent que ce à quoi on croyait c’est du passé. Sauf que le passé, il réapparaît toujours d’une manière ou d’une autre. Demain, dans un an, dans dix ans, quand le capitalisme aura fait encore plus de dégâts, ça reviendra. On sera aussi fort qu’avant. En attendant, on est des résistants. On entretient la flamme. On continue de croire en l’histoire. C’est ça qui est le plus important.
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vendredi 15 juin 2012

Climat délétère en Tunisie : SlateAfrique

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14 juin 2012 - SLATE AFRIQUE

Tunisie : jusqu'où iront les salafistes?

La question est de savoir jusqu’où les salafistes vont aller dans leurs actions et jusqu’à quand le gouvernement restera réticent à engager une grande épreuve de force avec eux.

Manifestation le 8 juin à Tunis contre Jalel Brick. REUTERS/Zoubeir Souissi
L'AUTEUR
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Mise à jour du 15 juin 2012: Après un début de semaine marqué par des violences en Tunisie, les islamistes ont lancé le 14 juin des signes "d'apaisement": le parti Ennahda, au pouvoir, et plusieurs factions radicales ont renoncé à manifester pour "défendre les valeurs du sacré" vendredi.
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Des affrontements d’une grande violence, des casseurs qui sèment la terreur, des forces de l’ordre qui font usage de leurs armes – et qui ont reçu l’autorisation de tirer à balles réelles en cas de besoin –, des tribunaux et des commissariats attaqués (et parfois incendiés), des quartiers populaires qui s’embrasent, le couvre-feu rétabli (puis allégé) sur Tunis et sa grande banlieue.
Voilà donc la Tunisie de nouveau en proie à l’agitation et à l’instabilité, cela à quelques semaines du début de la saison touristique. Dans les faits, tout a commencé avec uneexposition d’art contemporain à La Marsa, en bordure nord de la capitale. «Un sacrilège» ont dénoncé des salafistes à propos de certaines œuvres dont une qui représentait une femme nue sous le regard d’hommes barbus.
Un peu dépassé par ces événements qui inquiètent la société, les autorités tunisiennes ont mis en cause «des groupes extrémistes», comprendre des salafistes mais aussi des membres de la mouvance d’extrême-gauche, et des «spectres du régime déchu», en clair des partisans de Ben Ali et des membres de l’ex-RCD, l’ancien parti au pouvoir désormais interdit d’activité. Selon les témoignages recueillis par la presse locale et étrangère, des délinquants et des jeunes désœuvrés ont aussi participé à ces échauffourées qui ont fait un mort par balle et plusieurs dizaines de blessés.

Activisme salafiste qui semble ne connaître aucune limite

«L’exposition à La Marsa n’a été que le catalyseur d’une situation déjà tendue», explique un homme d’affaires tunisien qui requiert l’anonymat. Il est vrai que la Tunisie n’en n’a pas fini avec ses problèmes majeurs et cela alors que les travaux de la nouvelle Assemblée constituante avancent à la vitesse d’un escargot. Il y a d’abord l’activisme salafiste qui semble ne connaître aucune limite.
Déterminé à instaurer un Etat islamique, les membres du parti Ansar el-Charia, ainsi que d’autres groupuscules qui lui sont plus ou moins liés, multiplient les provocations et les actions d’éclats. Dans un pays qui a longtemps connu une certaine tranquillité imposée d’une main de fer par la dictature de Ben Ali, ces incidents à répétition démoralisent une bonne partie de la population.
Les salafistes bénéficient de plus du renfort de jeunes laissés pour compte pour qui la chute du régime de Ben Ali n’a rien changé. Le chômage est toujours au plus haut, aucun plan de relance économique digne de ce nom n’a été mis en place et ce n’est pas la chute annoncée des recettes touristiques pour cet été qui va arranger les choses.

Une certaine indulgence du parti Ennahdha

Plus important encore, cette frange radicale de l’islamisme sait qu’elle peut compter avec une certaine indulgence du parti Ennahdha au pouvoir depuis octobre dernier. Malgré un discours officiel de fermeté et de mise en garde, le gouvernement tunisien semble en effet peu disposé à engager l’épreuve de force avec un parti qui défie ouvertement les institutions et l’ordre public et qui, plus important encore, bénéficie d’une sympathie au sein de la base d’Ennahdha.
De plus, le parti de Rached Ghannouchi sait que les salafistes sont un repoussoir qui lui permettent d’apparaître comme un moindre mal. D’ailleurs, la récente sortie d’Ayman al-Zawahiri, le numéro un d’Al Qaïda, qui a condamné et critiqué Ennahdha ne fait finalement que conforter la crédibilité de cette formation vis-à-vis des Tunisiens mais aussi des partenaires occidentaux de la Tunisie. Il est évident qu’Ennahdha joue un jeu dangereux dans cette affaire. Le risque est grand pour ce parti de se voir dépasser par les salafistes mais aussi par une partie de sa base qui reste convaincue que la réislamisation des institutions tunisiennes mais aussi de la vie quotidienne doit être poursuivie.

Appels à une intervention de l’armée

La question est donc de savoir jusqu’où les salafistes vont aller dans leurs actions et jusqu’à quand le gouvernement tunisien restera réticent à engager une grande épreuve de force avec eux. Les perspectives sont d’autant plus incertaines qu’une partie de l’opposition laïque – notamment une partie de l’extrême-gauche - joue elle aussi avec le feu en appelant de manière plus ou moins explicite l’armée à intervenir pour rétablir l’ordre. Un scénario qui a la faveur de nombreux Tunisiens lassés par l’instabilité de leur pays mais qui pourrait faire basculer ce dernier dans le chaos.
Dès lors, dans une atmosphère minée par les rumeurs alarmistes en tous genres, on comprendra pourquoi l’annonce de la condamnation à perpétuité (et par contumace) de l’ex-président Ben Ali n’a guère soulevé d’émotions. Pour mémoire, le parquet avait requis la peine capitale contre le dictateur en fuite dans un procès destiné à juger les responsables de la mort de dizaines de manifestants au centre de la Tunisie durant les manifestations de décembre 2010 et janvier 2011.

lundi 11 juin 2012

La chronique du blédard : Le consommateur français, cette victime consentante

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 7 juin 2012
Akram Belkaïd, Paris
 
Paris, seize heures. Soleil radieux avec juste ce qu’il faut comme fraicheur printanière. Une brasserie et sa terrasse donnant sud-ouest. Un endroit autant convoité par le flâneur local que par les visiteurs de passage et les touristes qui ne sont pas les derniers à vouloir en être. Voici donc l’un des rites de la belle saison : conquérir sa place en terrasse, se battre s’il le faut (ou presque) et se tasser les uns contre les autres. Tout cela pour s’asseoir au milieu des fumeurs interdits d’intérieur et être au plus près des klaxons et des tuyaux d’échappement... Bronze, hume et fume, c’est bon pour ta santé, mon gars !

Placardées sur les vitres et les ardoises de l’établissement, des affichettes délivrent toutes le même avertissement que voici : « Après 15h, plus d’expresso en terrasse extérieure ». Etrange, n’est-ce pas ? Commençons par relever l’absence d’explication ou de regrets. Pas de café à l’extérieur, et c’est ainsi. Circulez si vous n’êtes pas content. Pourquoi une telle interdiction ? En fait, ce n’est qu’une simple question de business, un moyen comme un autre pour empêcher la consommation à minima dans un emplacement se devant de toujours rapporter plus et encore plus y compris lorsque la plage hautement rentable du repas (à au moins trente euros le menu du jour) est terminée.

Un expresso ? Quelques euros – ce qui est déjà beaucoup pour ce qui ne valait que quelques francs – avec lesquels on peut, en théorie, étirer le temps d’exposition au soleil, journal, livre ou tablette numérique à la main. La vie en terrasse, les rencontres, les regards, les rêveries… Du bon temps bon marché. Sauf que le garçon de café, aimable comme bon nombre de ses congénères parisiens, veille au grain. Et pour monsieur, ce sera ? (ton faussement enjoué). Un expresso (réponse un peu détachée de celui qui fait semblant de ne pas avoir lu l’affichette). Le couperet tombe. Ah non, vous devez prendre autre chose (comprendre de plus cher) ou rentrer à l’intérieur avec le reste des pâlichons.

Le plus étonnant dans l’affaire, c’est que personne ou presque ne proteste. L’habitude et la résignation. L’acceptation de la dégradation du service dû au payeur : c’est aussi cela l’air du temps hexagonal. Le client n’est plus roi et le consommateur ne cesse de se faire rabrouer. Il raque mais on le claque. On le dit râleur mais, fait déroutant, il se tient coi. Dans les boutiques, qu’elles soient de luxe ou non, dans les restaurants, gargotes ou de plusieurs étoiles, il lui faut subir mauvaise humeur, réflexions désagréables et autres attitudes désinvoltes. En clair, il paye mais c’est lui qui encaisse.

De retour du nord des Etats-Unis, une thésarde spécialiste de la confrontation musclée avec les vendeurs mauvais n’en revient pas et ses observations ont inspiré la présente chronique. Terminés pour elle les sourires et les comment allez-vous aujourd’hui, certes de commande et peu sincères, mais ô combien agréables. Entre une cordialité artificielle mais générale et une face de carême des moins avenantes, qui peut prétendre préférer la seconde ? Prenons un autre exemple. Toujours à Paris, un petit supermarché de quartier. Une cliente demande à être livrée. L’employé s’approche d’elle, ni bonjour ni sourire, et lance tout de go : « j’espère pour vous qu’il y a un ascenseur et puis, de toutes les façons, vous avez trop de bouteilles ». Sous d’autres latitudes, ce genre de réflexion vaudrait une remontrance voire un renvoi. Mais là… 

Est-ce à dire qu’il y aurait une spécificité française de la maltraitance du client ? Ce serait aller vite en besogne que de l’affirmer. Ceux qui ont connu l’Algérie des années souk-el-fellah et du makache systématique peuvent témoigner qu’eux aussi ont connu ces moments de solitudes où l’on a l’impression qu’il faut se mettre à genoux pour dépenser son propre argent. Il y a encore deux ou trois décennies, les choses étaient plutôt différentes. Considération, bonne humeur (que l’on retrouve encore sur les marchés ou dans les petits commerces de quartier) et cordialité n’étaient pas de vains mots. Alors, pourquoi une telle dégradation qui en dit long sur l’évolution de la société française ? Il ne s’agit pas de trouver toutes les réponses mais de dire simplement que quand les incivilités et le rapport de force pullulent, dans la rue comme à l’école ou dans l’entreprise, il ne faut pas s’étonner que cela se propage partout y compris dans les commerces et les services.

Reprenons l’exemple du livreur de mauvais poil. Pourquoi son homologue espagnol ou, exemple incontournable, américain, évite de se comporter ainsi ? La raison est simple, c’est parce que son renvoi peut se faire du jour au lendemain. Aux Etats-Unis, il aura même des conséquences terribles puisqu’il peut signifier la perte immédiate de toute couverture de santé. En France, même dans le pire des cas, le concerné sait qu’il continuera à bénéficier de ses droits sociaux. Que l’on se comprenne bien. Il ne s’agit pas de mettre en cause le système français de protection sociale mais juste de remarquer qu’il peut aboutir à des effets bien pervers.

Mais là n’est pas le plus important. En réalité, ce qu’endure le consommateur, ce sont les conséquences de l’âpreté au gain et des politiques salariales restrictives. Pourquoi cette jeune femme, vendeuse dans une enseigne dite culturelle, fait-elle la mine du matin au soir ? C’est tout simplement parce qu’elle est mal payée, parce que ses horaires sont totalement anarchiques et que, chômage oblige, elle n’a aucune marge de manœuvre pour faire jouer la concurrence entre employeurs. Alors, elle râle et elle remballe. Et que fait sa victime ? Elle saisit la première occasion pour se venger, notamment quand elle appelle un service après-vente. A ce sujet, et c’est déjà une autre histoire, il faut lire les témoignages des employés des centres d’appel. Il s’agit de lieux où l’insulte fuse très vite et où le possible enregistrement des conversations, annoncé dès le départ, est censé servir d’arme doublement dissuasive. L’employé à intérêt à être calme et cordial et le client se dit, qu’enregistré, il se doit de rester correct. Du moins, en théorie…

Tout ce qui précède montre que le pari du vivre ensemble ne concerne pas uniquement les grandes questions des inégalités, des discriminations ou des violences qui gangrènent la société. Cela commence par la lutte contre des comportements qui transforment le quotidien en jungle du chacun pour soi et dont l’effet de sape est bien réel. En attendant que les choses s’arrangent, le consommateur maltraité dispose encore d’une arme efficace. Celle du boycottage et c’est pourquoi le présent chroniqueur, même s’il n’est pas amateur d’expresso, ne met simplement plus les pieds dans cette brasserie à la belle terrasse orientée sud-ouest. 
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lundi 4 juin 2012

La chronique économique : Nuages sur l'Inde

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 30 mai 2012
Akram Belkaïd, Paris

L’Inde ne brillerait-elle plus ? On se souvient de ce slogan (« India is shining ») du milieu des années 2000, quand New Delhi prétendait vouloir (et pouvoir) rattraper son voisin chinois en matière de performances économiques. Aujourd’hui, ce pays est l’objet de toutes les inquiétudes, même si le taux de croissance de son Produit intérieur brut (PIB) devrait être compris entre 6 et 7% en 2012. Un niveau envié par tous les pays occidentaux mais qui reste insuffisant pour réduire une pauvreté endémique. De fait, il faudrait un taux de croissance supérieur à 8%, voire à 10% selon certains économistes, pour que la plus vieille démocratie du monde s’engage dans un cycle durable, et non réversible, de diminution des inégalités.

LA ROUPIE PLONGE
Mais les problèmes de l’Inde ne concernent pas uniquement son taux de croissance. Depuis un an, la roupie, sa monnaie, est en chute libre, ayant perdu plus du quart de sa valeur face au dollar américain. Alors que la devise indienne est actuellement autour de 56 roupies pour un billet vert, les spécialistes du marché de change s’attendent à ce qu’elle glisse encore à un rapport historique de 60 pour 1. Comment expliquer une telle baisse dont l’une des conséquences est la persistance d’une inflation élevée à 7% (ce qui pénalise encore plus les catégories les plus pauvres de la population) ?

Pour de nombreux économistes, la chute de la roupie est la preuve d’une défiance des milieux économiques indiens et internationaux à l’égard de la politique économique menée par le gouvernement de Manmohan Singh. Longtemps présenté comme l’un des pères du miracle économique indien, le Premier ministre est à la tête d’une coalition hétéroclite empêtrée dans ses conflits et rivalités. Résultat, l’Inde est paralysée sur le plan politique et n’est plus capable de mener des réformes de grande envergure. Qu’il s’agisse de la réforme fiscale, du lancement de nouveaux grands chantiers d’infrastructures ou de la réduction de sa facture énergétique (le pays importe 80% de ses besoins en hydrocarbures) ou encore de la modernisation de l’appareil industriel, l’Inde s’avère ainsi incapable de la moindre initiative pour répondre à ses problèmes structurels.

C’est donc un pays en panne dont semblent se méfier les investisseurs. Alors que les agences de notation menacent de dégrader son rating, New Delhi se retrouve confrontée à une crise de confiance qui menace de se transformer en crise de liquidités. En effet, pour assurer leurs arrières, de nombreux opérateurs économiques indiens achètent actuellement des dollars en prévision d’une dépréciation plus accrue de la roupie. Cela pourrait obliger la Banque centrale indienne à intervenir en vendant directement des dollars à ces opérateurs afin de les dissuader d’écouler de la roupie sur le marché des changes (et donc de contribuer à une plus forte baisse de cette devise). Seul problème, ce procédé n’est pas soutenable dans la durée et peut déboucher sur une baisse conséquente des réserves de change.

LES PAYS ÉMERGENTS TOUS CONCERNES ?
Il reste à savoir si l’Inde est un cas isolé ou si ses difficultés n’annoncent pas un revirement de fortune pour les autres pays émergents. Déjà, la Chine annonce une croissance moins importante que prévu (elle restera tout de même de l’ordre de 8%), tandis que le Brésil reste confronté à une menace de surchauffe de son économie. A bien des égards, la deuxième partie de l’année 2012 dira si les pays émergents ont été rattrapés à leur tour par la crise économique qui frappe déjà les pays avancés. Si tel est le cas, l’économie mondiale serait gravement pénalisée par une crise généralisée aux conséquences dévastatrices en matière d’emploi mais aussi de stabilité politique.
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Pauvre Dylan...

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Dans la nuit de vendredi à samedi. On allume la télévision et on met quelques secondes à comprendre ce qui se passe. Il y a un post-ado joueur de guitare sèche, une maigrichonne qui pilonne un xylophone avec le sérieux d'un pape et, au micro, Charlotte Gainsbourg qui chante (chantonne ? murmure ? ânonne ?) Just like a woman. On se demande ce que Bob Dylan a commis comme crime pour mériter un tel outrage. Apparaît ensuite Hugues Auffray qui attaque Comme une pierre qui roule et là, on se dit, qu'il faut arrêter de traîner et qu'il est temps de se mettre au lit.
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vendredi 1 juin 2012

Humour à l'algérienne

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Comment dit-on un quatre-quarts en algérien ?


Réponse : un rab'3a kirane


traduction pour celles et ceux qui n'y auraient pigé que pouic : "un quatre car"...

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La chronique du blédard : Ce que nous dit la cabale contre Christiane Taubira

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 31 mai 2012
Akram Belkaïd, Paris

Depuis sa nomination au poste de ministre de la justice du gouvernement français, Christiane Taubira fait l’objet d’attaques aussi rageuses que malveillantes. Outre des critiques sur son engagement politique à gauche, des rumeurs et des fausses informations circulent sur internet l’accusant d’avoir, entre autre, jugé peu répréhensible le fait de brûler un drapeau français. Elus de l’UMP, militants de droite,  internautes proches de la « réacosphère » voire de la « fachosphère », reprennent à leur compte - sans précaution ni vérification - cette mise en cause contre la nouvelle garde des Sceaux. Et ils se gardent bien de dire que plusieurs médias ont prouvé que l’accusation est fausse.
   
Insultes, caricatures grotesques, attaques personnelles : ce déchaînement de haine et de bêtise n’a rien d’étonnant. Les adversaires de la ministre ont beau jeu d’affirmer qu’il s’agit de critiquer ses propositions et intentions en matière de réformes de la justice mais il faudrait être naïf pour les croire. De fait, le vrai enjeu dans cette affaire ne relève pas de la simple joute politique entre une gauche revenue au pouvoir et une droite qui n’a pas digéré sa défaite à l’élection présidentielle. En réalité, ce qui est central ici, c’est que madame Taubira est noire de peau et qu’elle n’a pas sa langue dans la poche. C’est bien cela qui déplaît aux racistes en tous genres mais aussi à celles et ceux qui ne lui ont jamais pardonné à la fois son passé de militante autonomiste de la Guyane et la loi de 2001 - elle porte son nom - qualifiant la traite négrière de crime contre l’humanité.

Contrairement à nombre de personnalités issues de l’immigration ou des départements et territoires français d’Outre-mer, Christiane Taubira n’est pas un « oncle Tom » ou quelqu’un qui, dos voûté et yeux baissés, s’excuserait en permanence d’exister. Il est clair qu’elle ne cherche pas à plaire et à séduire en modérant son discours et ses revendications. Toujours déterminée, elle n’essaie pas non plus à donner des gages d’intégration à la bonne société française ou, plus exactement, aux biens pensants qui s’irritent et s’impatientent dès lors que sont remis sur la table des dossiers aussi dérangeants que l’esclavagisme ou le racisme sans oublier, bien sûr, le colonialisme.

Si l’on était aux Etats-Unis, Christiane Taubira se ferait certainement traiter de « femme noire en colère ». Cette expression  a d’ailleurs longtemps concerné Michele Obama et nombreux sont les conseillers de son mari qui ont craint que cela ne lui coûte la Maison-Blanche. En matière de lutte contre les discriminations et de défense de la condition des Noirs d’Amérique, on sait que la First Lady américaine est bien plus radicale que son époux lequel, déjà en butte à des problèmes d’identité (il s’est longtemps fait appeler Barry car n’assumant pas ses origines), a très tôt compris que son intérêt politique lui commandait de ne surtout pas apparaître comme un « homme noir en colère ».

Aux Etats-Unis, comme en France, l’homme ou la femme noire en colère - tout comme d’ailleurs l’Arabe en colère - fait peur et agace. On lui reproche d’envenimer les choses, d’attiser la haine des racistes mais aussi d’indisposer une majorité plutôt neutre et bienveillante en ressassant des problèmes que cette même majorité (blanche) estime réglés. Or, on ne dira jamais assez la différence de perception qui peut exister sur des sujets comme le racisme. Aux Etats-Unis, selon un récent sondage du Pew Center, 60% des Noirs estiment que cela demeure un problème important qui mine la société alors que seuls 20% des Blancs pensent la même chose. Cette divergence, qui existe aussi en Europe et en France, est à l’origine de nombre de malentendus et de rancœurs. « On parle trop de ces sujets en leur donnant plus d’importance qu’ils n’en méritent » m’a dit un jour un confrère parisien, d’origine picarde, à propos de la question du délit de faciès à l’encontre des Noirs et des Maghrébins. Pour lui, la dénonciation répétée de ce genre de pratique ne pouvait que conduire à un ras-le-bol de l’opinion publique et donc à aboutir à l’effet inverse. En clair, c’est moins on en parle, mieux ça vaut pour le vivre-ensemble…

Les Etats-Unis connaissent bien cette question qui s’est de nouveau révélée dans toute son acuité après la mort de Trayvon Martin, un jeune Noir de dix-sept ans abattu en février dernier par un homme blanc en patrouille armée dans son quartier. Pour mémoire, Martin ne portait pas d’arme et rentrait tranquillement chez lui après avoir acheté des sucreries quand il a été tué par le vigile autoproclamé George Zimmerman. Au lendemain de ce qui a été qualifié par la justice de meurtre sans préméditation, l’Amérique était pratiquement unie dans l’émotion et la condamnation de cet acte. Mais les choses ont changé après que Barack Obama eut déclaré que s’il avait eu un fils, il aurait ressemblé à Trayvon Martin. Des propos condamnés avec virulence par la droite américaine qui a accusé le président de jeter de l’huile sur le feu et d’exploiter la corde raciale à des fins électoralistes (1).

Aurait-il fallu qu’Obama se taise ? Faut-il aussi que les Noirs de France se taisent eux, qui de toutes les minorités dites visibles (ou discernables), sont ceux qui doivent certainement subir le plus de discriminations ? En réalité, celles et ceux qui sont concernés pensent qu’on ne parle jamais assez de ces manquements à la dignité de la personne humaine. Ils estiment qu’on n’évoque pas suffisamment ce qu’ils endurent et ce qu’ont endurés leurs parents ou ancêtres. Comment leur en vouloir ? Certes, il faut être honnête en reconnaissant qu’il existe bien quelques opportunistes qui tirent avantage de ce que subissent leurs pairs. Mais prétendre que les discriminés en font trop sur le registre de la revendication, c’est faire fausse route ou, plus grave encore, c’est les heurter de manière délibérée. Pour celui qui souffre, se voir dire que sa douleur n’existe pas ou se voir signifier qu’il faut la nuancer, la relativiser ou encore la taire, est insupportable.

L’affaire Trayvon Martin a mis en exergue un autre aspect des différences de perception à propos du racisme et des discriminations. « Est-ce que le président aurait dit la même chose si la victime avait été blanche ? » s’est faussement interrogé l’ultraconservateur Newt Gingrich à propos de la déclaration d’Obama. Cette sortie n’est pas anodine. C’est une attitude, désormais systématique, qui agite l’existence d’un racisme anti-blanc à la figure de celles et ceux qui dénoncent les discriminations et violences subies par les minorités. En France, pour nombre de ses contempteurs, Christiane Taubira serait tout simplement coupable d’occulter le racisme anti-blanc. 

Il n’est pas question ici de dire que ce dernier n’existe pas. Discours communautariste, insultes et stéréotypes négatifs à l’encontre du « céfran », du « blanc-blanc-navet », du « babtou » ou du « gawri » existent bel et bien et doivent être condamnés sans aucune hésitation. Mais ce serait faire preuve de malhonnêteté intellectuelle que d’affirmer qu’il y autant de Blancs que de Noirs qui sont victimes de racisme. Voilà où réside la faiblesse, pour ne pas dire autre chose, du discours des adversaires de Christiane Taubira. Qu’on le veuille ou non, le racisme anti-blancs reste ultra-minoritaire, non-structurel et son existence ne doit pas justifier l’inaction et le silence face à ce que Noirs, Arabes, Maghrébins et autres minorités visibles de France subissent de manière récurrente.

(1) “Is Obama making it worse”, Newsweek, 16 avril 2012.