Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 28 mars 2022

"L'Algérie, espace et société" (archive)

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Note de lecture à propos de l'ouvrage "L'Algérie, espace et société"
de Marc Cote dont on vient d'apprendre le décès.

L’Algérie, espace et société
Marc Cote

par Akram Belkaïd
Le Monde diplomatique, août 1996

Marc Cote, géographe, a enseigné durant vingt-cinq ans à l’université de Constantine, et son ouvrage, riche en cartes géographiques et données chiffrées, se propose de « décrypter la réalité algérienne » à travers l’interface société-espace. On y lira avec attention la partie consacrée à « l’Algérie des campagnes » avec, à la clé, une intéressante analyse sur la situation de l’agriculture où l’auteur met en relief la nécessité d’« une révolution agricole », le pays n’atteignant plus que 30 % d’autosuffisance alimentaire. Autre impératif de sécurité, celui qui concerne « l’Algérie des villes » et leurs ressources hydrauliques. A la différence du domaine alimentaire où le pays ne peut que réduire sa dépendance extérieure, il lui est possible de couvrir tous ses besoins hydrauliques à la condition d’achever son programme de barrages à l’horizon 2025. Mais l’un des intérêts majeurs de ce livre est de fournir un outil sérieux et scientifique pour comprendre une partie des mécanismes qui ont conduit à la crise actuelle tout en replaçant cette dernière dans un contexte socio-historique et géographique qui la relativise. Si les Algériens « se sentent mal dans leur espace », leur pays, « qui a 2000 ans d’histoire derrière lui », n’en a pas moins les moyens de surmonter ses difficultés.

Éditions Masson-Armand Collin, Paris, 1996, 253 pages, 130 F.

mercredi 2 mars 2022

Le pas de côté : Non au campisme

Par Akram Belkaïd

Paris, mercredi 2 mars 2022

 

L’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes déclenche un peu partout passions et divisions. Dans ce genre de situation, les adeptes du campisme – autrement dit ceux qui multiplient les injonctions à choisir son camp – entretiennent la confusion et poussent à la surenchère et à la radicalisation des positions. Les uns condamnent Poutine et vont jusqu’à exiger un conflit armé avec la Russie. Les autres rappellent, à juste-titre, que d’autres pays ont envahi ou annexé des territoires qui ne leur appartiennent pas et que cela ne déclenche pas les mêmes réactions indignées.

 

Que faire ? 

 

Comme pour toute crise majeure, l’unique boussole devrait être le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies. Qu’importe la nature des régimes concernés et qu’importe le passif des uns ou des autres. Je m’explique. En 1990, l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein a provoqué une situation comparable à celle que nous vivons aujourd’hui. Il s’agissait alors d’une agression contraire au droit international puisque Bagdad entendait annexer un pays souverain reconnu par la communauté internationale. Arguant de la nature détestable de la monarchie koweitienne, nombreux furent ceux qui y trouvèrent argument pour ne pas condamner l’attaque irakienne. Or, cette condamnation était nécessaire et légitime. En attendant que l’humanité trouve mieux, la règle est simple : on n’attaque pas son voisin, on ne l’envahit pas et, surtout, on ne l’annexe pas. Le respect des frontières est la clef de voûte de la paix dans le monde.

 

Cela vaut pour ce qui se passe en Ukraine. La condamnation de l’attaque russe doit être sans équivoque et même, s’il le faut, sans passion aucune. Le droit international est trop précieux pour être séquencé ou relativisé. Et c’est cette condamnation qui donne du crédit à la position non-campiste que l’on est en droit de défendre. Condamnation ne veut pas dire naïveté ou complicité avec l’Occident. Oui, la Russie a des griefs légitimes à l’encontre de l’Occident et plus particulièrement des États-Unis. Oui, la promesse faite à Mikhaïl Gorbatchev de ne pas étendre à l’est les forces de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) n’a pas été respectée. Oui, la mise en garde vindicative de Vladimir Poutine contre l’unilatéralisme américain lancée en février 2007 lors de la Conférence sur la politique de sécurité n’a pas été prise au sérieux ou, pire, elle a été méprisée. Tous ces arguments sont recevables pour réclamer des négociations pour la paix mais ils n’excusent pas l’attaque de l’Ukraine et la mort de civils.

 

Personne ne niera que le droit international n’est pas toujours respecté par les pays qui le brandissent aujourd’hui afin de sanctionner la Russie. En 1991, il fut mis en avant pour « libérer » le Koweït alors que, dans le même temps, il continuait d’être violé par Israël qui, aujourd’hui encore, continue d’occuper – et de coloniser - des Territoires palestiniens qui ne lui appartiennent pas sans oublier l’annexion illégale du plateau du Golan syrien. Dans les deux cas, Israël foule aux pieds plusieurs résolutions des Nations Unies et cela décrédibilise les discours occidentaux à l’encontre de la Russie. Nous en avons l’habitude : droit international en faveur des uns mais pas des autres… C’est bien pour cela que la condamnation de l’invasion russe est nécessaire. Elle relève d’une cohérence de position. Si nous revendiquons le droit des Palestiniens à être libres et à bénéficier des résolutions de l’ONU, nous ne pouvons pas décider de regarder ailleurs en ce qui concerne l’Ukraine. Le message à l’égard de l’Amérique et de l’Union européenne est simple : Nous condamnons comme vous cette invasion mais nous ne sommes pas dupes quant à vos principes à géométrie variable. Et en cela, nous ne sommes pas dans le même camp.

 

Cela amène, pour finir, à la remarque suivante. Oui, il est toujours désagréable d’avoir la sensation d’être dans le même bateau que les BHL et autres néo-conservateurs qui s’étaient déjà illustrés en 2003 en soutenant l’agression anglo-américaine contre l’Irak. Ces gens sont des clowns dangereux dont la posture belliciste a déjà fait beaucoup de dégâts. Rappelons donc la formule d’usage qui sied à ce genre de situation : une montre cassée donne tout de même l’heure exacte deux fois par jour. Condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce n’est pas être dans le même camp que BHL et compagnie. C’est juste une coïncidence, surtout si on rappelle à cette camarilla ses silences et compromissions à propos de la Palestine. 

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