Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 22 octobre 2011

Tunisie : le PDM rocks !


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Il est bientôt dix-neuf heures à Tunis, quartier d’El-Menzah. Sous la coupole du Palais des sports, l’ambiance est à l’ébullition. Près de dix mille personnes se sont installée dans les gradins et sur les chaises du parterre pour assister au meeting de clôture du Pôle démocratique moderniste (PDM, Al-Qotb). Tout à l’heure, à minuit, la campagne électorale se terminera, offrant un samedi de «silence» aux électrices et aux électeurs pour faire leur choix en prévision du vote du dimanche 23 octobre. La salle et les vêtements sont aux couleurs du Pôle : étoile blanche sur fond noir. Drapeaux, fanions, bendirs, tambourins et applaudissements : l’ambiance est à la fois festive, rock n’roll et déterminée. «Al-Qotb ! Liberté ! Justice sociale !» scande l’assistance où les jeunes, femmes et hommes, sont nombreux. La sono crache quelques notes de hard-rock avant que l’on n’entende les couplets chantant la gloire du «Comandante Che Guevara». Les jeunes reprennent en chœur le «hasta siempre». D’abord interloqués, des journalistes italiens ont un large sourire presque attendri. Peut-être que cela leur rappelle des souvenirs, une époque de lutte et de poings levés qu’ils croyaient définitivement révolue… Puis viennent les vers d’Ahmed Fouad Nejm chantés par la voix du grand Cheikh Imam. «Quand le soleil se noie dans une mer de brume»… Un protest-song qui, dans les années 1970, avait entretenu la flamme de la résistance contre l’infitah de Sadate et la faillite du camp arabe.

Le meeting va bientôt commencer. Le Coupole est surchauffée. On se croirait à un derby local ou bien encore à l’un de ces fameux matchs de hand-ball ou de basket entre clubs maghrébins… Mais là point de chauvinisme. L’heure est à la mobilisation pour le scrutin du dimanche. On compte les rangs, on se serre les épaules, on chante et on danse. On s’époumone sur «samâa soutek» – fait entendre ta voix – l’hymne d’Al-Qotb qui est en passe de devenir un véritable tube national. Dans le carré réservé à la presse s’installent quelques personnalités dont l’écrivain Abdelwahab Meddeb. Grand moment d’émotion quand la sono diffuse les phrases rauques et rageuses prononcées par un Tunisien au soir du 14 janvier dans une rue de la capitale: «Peuple tunisien! Peuple tunisien! Le criminel s’est enfuit! Le criminel s’est enfuit! Ben Ali s’est enfuit!». Comment ne pas oublier ces mots? Ce courage? Puis viennent quelques extraits de chansons de feu Michael Jackson. «Who’s bad?», «They don’t care about us!». Le clin d’oeil est évident et la liesse atteint des sommets…

Voici enfin venir «l’ambianceur» qui, micro à la main, raconte son vote, la veille à Paris, son index marqué à l’encre indélébile et les gens «qui sortaient du bureau de vote en pleurant». Il rend hommage à quelques précurseurs de la Révolution parmi lesquels le poète Salah Garmadi, l’activiste Ahmed Ben Othman et l’homme politique Georges Adda. Et c’est le tour de Fadhel Moussa, tête de liste pour la circonscription de l’Ariana, dans la banlieue de Tunis. «Nous sommes Arabes, musulmans et républicains. Nous défendrons la liberté de croyance et de conscience et nous voulons un Etat civil», lance-t-il en rappellant au passage que le PDM est la seule formation à avoir appliqué la parité homme-femme aux têtes de liste. «On va gagner!» hurle ensuite Samir Bettaieb candidat du Pôle à Tunis-1. L’homme, très à l’aise devant un micro, délivre un message sans aucune ambiguïté – même s’il ne les nomme pas – aux islamistes d’Ennahda. «Nous lutterons contre les projets extérieurs qui ne veulent pas le bien de la Tunisie». Et de s’interroger: «Que peut-on attendre de ceux qui veulent exclure la moitié de la population ? De ceux qui veulent nous diviser entre croyants et incroyants ? Qui regardent du côté de l’Est, du Soudan, de l’Iran ou du Qatar ?». Et de lancer sous les acclamations : «Nous avons un projet tunisien ! Nous n’avons pas de problème d’identité ! Nous sommes Tunisiens!».

Les oreilles des Nahdaouis continuent de siffler quand Abdelaziz Belkhodja, autre figure du PDM, prend le micro. Le propos est sans équivoque. «Nous n’avons pas eu peur de Ben Ali. On ne va pas avoir peur de ceux qui nous menacent. Nous ne voulons plus de dictature. Ceux qui nous menacent doivent faire attention». L’applaudimètre s’affole ensuite quand la cinéaste Salma Baccar, candidate à Ben Arous, prend le micro. «Je n’ai besoin de personne pour savoir quel est mon identité» dit-elle sous les vivas. Puis vient le tour d’Ahmed Ibrahim, leader d’Ettajdid, l’une des composantes du PDM et tête de liste dans la circonscription Tunis-2. D’emblée, il affirme que l’étoile du PDM «est en train de monter tandis que celle des autres, ceux qui croyaient avoir gagné est en train de descendre», allusion aux menaces d’Ennahda quant à une éventuelle manipulation du scrutin. L’universitaire rend ensuite hommage aux peuples Syriens et Palestiniens et demande une minute de silence en mémoire des martyrs de la Révolution. Une pause écourtée par les inévitables «vive la Tunisie» et qui sera rapidement suivie par hymne national scandé à tue-tête par la salle. En clôture, Riadh Ben Fadhel, coordinateur général du Pôle, affirme que la création de cette coalition est «saut qualitatif pour la Tunisie » avant d’appeler les électeurs à un «vote utile». Vient le temps de la clôture, avec le chanteur Baaziz en guest-star maghrébine avec sa fameuse reprise et adaptation de l’Hexagone de Renaud (les Algériens présents s’attendaient à l’entendre chanter « nedjma qotbiya » de Dariassa*).

Il est vingt-et-une heures. La coupole se vide peu à peu. Dehors, dans le ciel bleu-noir de Tunis, des étoiles scintillent au-dessus d’une jeunesse militante persuadée que les lendemains du 23 octobre seront chantants.

Akram Belkaïd, Tunis

(*) Référence que seuls les arabophones et amateurs de Dariassa comprendront.
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