Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 27 avril 2013

La chronique du blédard : Après la défaite…

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 25 avril 2013
Akram Belkaïd, Paris
 
Mercredi matin. A sa mère qui l’interroge sur les raisons de sa mine rembrunie, un petit homme prononce les paroles suivantes. « Hier, c’était vraiment une journée de m…, de bout en bout ! ». Face à la surprise consternée de l’intéressée, le père se dépêche de fournir quelques explications. La faute au Barça, dit-il, qui a pris quatre buts à zéro dans la figure contre le Bayern de Munich. Une tréha dial el-klab, une raclée pour les chiens… Une déroute jamais vue depuis seize ans ! La fin d’un règne aussi, celui d’une équipe qui a presque tout gagné ces quatre dernières années. Du coup, le petit supporter, « culé » jusqu’au bout des ongles, n’a guère envie de prêter attention au printemps enfin de retour et aux vacances de pâques qui approchent à grande vitesse.
 
Mais, il n’y a pas que ça. La veille, c’était aussi la journée du championnat sportif des écoles avec deux épreuves au programme. Du rugby et de la thèque, version scolaire, et simplifiée, du base-ball. Là aussi, et malgré quelques victoires en poule, une belle chevauchée ponctuée par un splendide essai ainsi qu’un fulgurant « home-run », ce fut, au final, la défaite et l’élimination. Cela face à des équipes bien plus rouées car coachées par des parents pour qui la victoire était, apparemment, bien plus importante que la participation.
 
La défaite donc… Quand on évoque la hausse spectaculaire des marchés financiers, on dit souvent que les arbres ne montent pas au ciel. Cela vaut aussi pour des équipes qui, pendant des années, raflent tout sur leur passage. Quel que soit le palmarès, l’issue est connue d’avance. Tôt ou tard, le club qui a le vent en poupe mordra la poussière d’où l’importance pour lui de ne rien partager tant que la victoire lui ouvre ses bras. Voilà ce que fut le premier commentaire paternel après que les efforts maternels eurent échoué à dérider l’inconsolable. Oui, on le savait bien, que le Barça finirait tôt ou tard par perdre de manière humiliante (même s’il reste un match retour et que, tout de même, cette équipe est pratiquement assurée d’être champion d’Espagne pour cette saison - ce qui n’est pas rien !).
 
Il est pourtant une loi universelle qui veut que certaines défaites laissent toujours plus de trace que la plus belle des victoires. C’est pourquoi on s’en souvient des années plus tard, comme si elles nous avaient marqué au fer rouge. Ainsi, ce très lointain match de basket-ball auquel participa le présent chroniqueur. Un déplacement hors d’Alger, avec force rires et chansons dans le bus, ambiance de conquérants persuadés de ne faire qu’une bouchée du modeste adversaire. Puis, vint la rencontre et avec elle, la grosse déconvenue. Un score sans appel avec une trentaine de points d’écart et les railleries obscènes d’un public connaisseur. Le désarroi au coup de sifflet final parce que l’on ne s’y attendait pas à cette fessée. Parce que l’on croyait vraiment que l’on allait se qualifier les doigts dans le nez.
 
Ah, la terrible ambiance dans le vestiaire alors que parvenaient les cris de joie des vainqueurs... Ah, ces corps prostrés et ces têtes baissées, posées sur les rotules ou serrées entre deux mains. Il y avait ceux qui n’acceptaient pas la défaite, ceux qui insultaient les deux arbitres et la table de marquage, ceux qui ne réalisaient pas encore et ceux qui cherchaient noise aux coéquipiers les accusant d’avoir mal joué, pas assez passé, trop mal tiré. Il y avait ceux qui cachaient leurs larmes, ceux qui avaient mal et pas simplement parce qu’ils s’étaient blessés et ceux qui se sentaient coupables cela sans oublier ceux qui riaient sous cape parce qu’ils n’étaient pas entrés sur le terrain et à qui l’on avait fini par dire que la défaite aurait été bien plus sévère s’ils avaient joué… Moments électriques où l’entraîneur préférait se taire et où, parfois, éclatait une bagarre qui obligeait à séparer, à s’énerver et à dire des mots que l’on finissait toujours par regretter.
 
Et puis, venait ensuite le retour de nuit et ce silence saisissant dans le bus. Ni chants ni tambours. Des chuchotements et rien d’autre. Pas de partie de carte, pas d’histoires drôles à raconter et encore moins de plaisanteries. Impossible de dormir ou de récupérer. Alors, on collait son visage contre la vitre et on essayait de distinguer le décor à l’extérieur en se disant que la défaite avait ses raisons cachées. Qu’elle évitait peut-être d’autres déconvenues. On se promettait que l’année prochaine, les choses seraient différentes. Que la préparation serait meilleure. Qu’elle devrait être plus sérieuse. Au fil des kilomètres, on finissait par se sentir mieux. On se surprenait à rêver que le bus continue de rouler, encore et encore, le temps d’apaiser la brûlure ressentie. Ah, quelle défaite, se disait-on tout de même. Mais quelle défaite…
 
Nécessaire est la défaite. Sans elle, il n’y a aucune envie de revanche, aucune volonté de mieux faire la prochaine fois. Sans elle, s’installent la facilité et l’habitude de la victoire et des trophées. Sans elle, les joueurs font la loi, n’écoutent plus leur entraîneur et finissent par se croire invincibles comme certains joueurs du Barça dont Guardiola voulait la tête l’année dernière (ce qui explique, entre autre, son départ…). Mais, ce qui est le plus étrange, c’est que la défaite, bien plus que la victoire, peut être fondatrice d’une histoire, grande ou petite. Bien des années après, on y songe presque avec nostalgie, reconnaissant qu’elle fut bénéfique. Mais il n’empêche. Vingt-quatre heures plus tard on ne peut s’empêcher de penser à elle en se disant que ce fut effectivement une vraie journée de m…
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