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dimanche 15 septembre 2013

La chronique du blédard : De la laïcité et de l'islam en France

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 12 septembre 2013
Akram Belkaïd, Paris
 
Le gouvernement français s’en défend mais pour de nombreux musulmans de France la mise en place d’une charte de la laïcité à l’école s’apparente à un acte hostile contre eux et contre leur religion. Il ne faut pas se leurrer : la défiance à ce sujet est réelle d’autant qu’il faudrait être naïf pour nier l’existence d’arrière-pensées des autorités concernant un sujet hautement délicat pour ne pas dire explosif. Car, dans ce genre de situation, les procès d’intention sont nombreux. « Islamophobie évidente et intolérable » crient les uns. « Démarche rendue nécessaire par les problèmes rencontrés en milieux éducatifs » répondent les autres en jurant pourtant qu’ils ne visent personne en particulier.
 
Le mieux, pour juger de l’affaire, est de se reporter à ce document de quinze articles. La première constatation c’est que l’islam n’est jamais cité et que les musulmans n’y sont pas désignés du doigt. Mais, diverses actualités obligent, il est évidemment impossible de lire ce texte sans penser à la religion musulmane et aux diverses tensions qui accompagnent sa présence de plus en plus visible – d’aucuns diront son essor – en France. On pense bien sûr aux affaires liées à l’interdiction du voile dans les établissements scolaires mais aussi à d’autres polémiques si caractéristiques de l’air du temps dans l’Hexagone comme la question de la viande hallal dans les cantines.

Le premier article de la charte stipule que la France, « République indivisible, laïque, démocratique et sociale (…) respecte toutes les croyances ». La République, peut-être, mais cela n’est pas toujours vrai en ce qui concerne ses représentants ou ceux qui aspirent à l’être. Cette réalité alimente bien des rancœurs. En effet, depuis plus d’une décennie, les discours ouvertement islamophobes ne sont pas le fait de la seule extrême-droite et dans ce contexte même l’Etat français n’est pas toujours exempt de reproches.

Le document rappelle ensuite la neutralité de l’Etat vis-à-vis des convictions religieuses ou spirituelles. « Il n’y a pas de religion d’Etat » proclame ainsi l’article deux. Ce principe fondateur né des combats menés au début du XXème siècle pour affranchir la République du poids de l’Eglise catholique mériterait aujourd’hui une exégèse. Non pas pour le remettre en cause mais pour répondre aux enjeux de l’époque avec notamment une importante communauté musulmane, de nationalité française, qui estime qu’une partie de ses droits lui sont déniés. Cela quand elle n’est pas victime d’une stigmatisation récurrente alimentée, il est vrai, par les errements et les excès sanglants de mouvements extrémistes se réclamant de l’islam.
 
L’absence de religion d’Etat en France est un acquis dont les pays musulmans feraient mieux de s’inspirer (mais ceci est une autre affaire...). Par contre, il est des questions auxquels les principes de laïcité tels qu’ils existent aujourd’hui ne répondent pas de manière satisfaisante. L’un des reproches des musulmans français à l’égard de leur Etat – reproche souvent exprimé de manière vigoureuse – est que ce dernier répugne à assurer l’égalité des religions entre elles, estimant que là n’est pas son rôle. Certes, comme le rappelle le troisième article de la Charte, la laïcité « permet la libre expression de ses convictions » - précisant au passage que cela se fait « dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public ». Mais ce document ne dit rien à propos de l’égalité pour ce qui est des conditions et possibilités de pratiquer librement et dignement son culte ? On pense, bien entendu, à la question des constructions de mosquées qui, le plus souvent, s’apparentent à un parcours du combattant comme en témoignent notamment les péripéties juridiques autour du chantier de la future mosquée de Marseille…
 
Pour de nombreux défenseurs de la laïcité, l’Etat n’a pas à se mêler de l’égalité en matière de conditions de pratique du culte son rôle se bornant à garantir la liberté de conviction religieuse. C’est une position que l’on pourrait comprendre dans un panorama religieux figé mais la France, comme une bonne partie du monde évolue. La place importante de l’islam dont la présence remonte pourtant à moins d’un siècle, l’émergence de nouvelles spiritualités, tout cela ne peut permettre à l’Etat français de se cantonner dans une position défensive pour ne pas dire répressive. Si l’Etat n’a pas à se mêler de religions il est tout de même obligé de veiller à ce qu’aucune d’entre elles ne se considère comme malmenée.
 
Il est certainement important de défendre la neutralité religieuse de l’école publique et l’exigence d’une application identique des règles pour tous les écoliers. Il est aussi bienvenu de rappeler que « nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’Ecole de la République » (article 13 de la charte). Mais grande est la conviction chez une bonne partie des musulmans de France que la laïcité est un outil de coercition destinée à préserver un statu quo en matière de prépondérance d’une religion sur l’autre et à empêcher que, finalement, l’islam ne puisse être considéré comme une religion « française » au sens qu’elle ne serait plus « importée » de l’extérieur.
 
Enfin, il faudrait aussi que l’Etat et ses représentants s’emploient à rappeler que, la laïcité, ce n’est pas la promotion de l’athéisme et le refus des religions. Que la laïcité, ce n’est pas consacrer la critique systématique et la mise en cause des religions au rang de projet de société et de mode de vie. Car, hélas, qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans, de nombreux croyants se sentent aujourd’hui pointés du doigt par toute une machinerie médiatico-intellectuelle dont la conception de la laïcité semble pour le moins des plus restrictives. Et l'Etat français gagnerait à ne pas s'en faire le relais.
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