Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mercredi 6 février 2019

La chronique du blédard : Neymar et les bourrins


Le Quotidien d’Oran, jeudi 31 janvier 2019
Akram Belkaïd, Paris

En juillet dernier, quelques jours après le sacre des Bleus en finale de la Coupe du monde à Moscou, un journaliste du mensuel So Foot posait une question d’apparence anodine mais qui témoigne de la difficulté de situer la France sur l’échiquier mondial du ballon rond : « La France est-elle un pays de foot ? » s’interrogeait-il ainsi tandis que sur les réseaux sociaux et ailleurs l’on continuait à célébrer la deuxième étoile désormais frappée sur le maillot au coq (*). Les réponses apportées par l’article méritent d’être rappelées. Un pays de foot ? Assurément, si l’on considère le palmarès de l’Équipe de France. Deux fois championne du monde, dont une fois hors de ses bases, deux fois championne d’Europe, dont là aussi une fois hors de ses frontières, un palmarès dont rêveraient des pays tels que les Pays-Bas ou la Belgique. J’insiste sur les titres obtenus hors de ses frontières car c’est ce qui fait une grande équipe. L’Algérie ne sera un « vrai » champion africain que le jour où les Verts remporteront la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) ailleurs qu’à domicile (on peut toujours rêver…).

Mais revenons au football français. Un grand du monde, donc. A l’inverse, la réponse à la question est moins catégorique si l’on se penche sur d’autres critères dont l’incontournable palmarès des clubs (deux petits trophées européens, l’un pour Marseille, l’autre pour le PSG et rien depuis le milieu des années 1990). Si les Bleus sont des grands d’Europe et du monde, les clubs hexagonaux sont des nains sur le plan européen, incapables qu’ils sont de remporter des trophées continentaux y compris secondaires. Et cela, les supporters italiens, portugais ou même anglais ne se privent pas de le rappeler. Les efforts désespérés du PSG, version argent du Qatar, pour remporter la Ligue des champions démontrent que beaucoup de chemin reste à faire. Et que ce n’est pas qu’une simple question d’argent et de joueurs achetés au prix d’un aéronef. Il faut ce quelque chose de plus qui est un mélange d’histoire, de passion, de culture, de dévotion des supporters, de légendes, etc.

Il y a quelques jours, un joueur de Strasbourg a blessé le brésilien Neymar. L’affaire est fâcheuse car le prodige sera absent des stades jusqu'à mi-avril. Victime d'une lésion du cinquième métatarsien droit, il manquera donc le huitième de finale de la Ligue de champions face à Manchester United. Et peut-être aussi un éventuel quart de finale. Une blessure dans le foot, cela peut arriver mais quand le même scénario se répète deux années de suite, c’est qu’il y a un problème. Personne ne niera que le PSG est le club à abattre dans le championnat français. Club riche, trop riche, qui plus est possédé par des Arabes, faisant jouer l’un des meilleurs joueurs au monde, c’en est trop pour certains habitués au pépère « on reste bien en place et on vise le zéro-zéro ».

Si j’évoque la question de la culture footballistique, c’est parce que j’ai été attentif aux commentaires ayant suivi la blessure de Neymar. A en croire nombre de journalistes, de « consultants », d’entraîneurs et même de joueurs en activité, le Brésilien a été blessé parce qu’il abuserait de son talent. Parce qu’il « chambre » ses adversaires, qu’il multiplie les feintes, les « gris-gris ». Vous comprenez, chers lecteurs, Neymar n’aurait pas le droit de s’amuser aux dépens de ses adversaires. Il doit les « respecter », il doit « rester humble » et ne pas trop en faire… En somme, il ne doit pas faire ce pour quoi le foot est fait. Il doit limiter l’expression de son talent (un peu comme le bon élève à qui on demande de ne pas trop la ramener en classe…). Avec ce genre de mentalité, le basket-ball devrait donc interdire les dunks (smash), ce qui fut d’ailleurs le cas de 1967 à 1976 aux Etats-Unis avant que l’exigence de spectacle ne reprenne ses droits.

Un petit pont, un crochet, un grand pont, une mystification, tout cela c’est l’âme du foot. C’est le plaisir fondamental du jeu, la joie que l’on fait éprouver au spectateur ou alors la colère, laquelle fait partie du jeu. Mais cela reste un pilier de ce sport. Sans joueurs comme Neymar, on s’emmerderait dans les stades. On aurait affaire à des machines athlétiques capables de courir sans fin et de nous forcer à nous endormir à force de manquer d’imagination et d’inventivité. Oui, Neymar est insupportable quand il simule mais pas quand il joue sur ses qualités. Pas quand il rappelle aux défenseurs que la loi du football est simple : l’attaquant, c’est le roi, le faiseur de beau spectacle, le créateur d’émotion, celui qui a le droit d’humilier l’adversaire par une feinte.

Alors, trouver des excuses au bourrin qui l’a blessé, un bhim tunisien qui ne mérite même pas d’être nommé, c’est montrer à quel point on manque de culture footballistique. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau. En 1987, le journaliste du quotidien Le Monde qui avait couvert la finale Porto-Bayern de Munich (Coupe des clubs champions), n’avait guère éprouvé d’enthousiasme face au but talonné de Madjer (le foot, c’est sérieux, la fantaisie ça va un moment, faut se concentrer sur les stats…). Idem, il y a un ou deux ans, quand un joueur de Rennes, N’tep si je me souviens bien, s’est retrouvé seul devant la cage adverse : il s’est alors mis à genoux et, rigolard, a marqué de la tête. N’importe quel fan de football a compris le geste. Qui n’a pas essayé de le faire en jouant contre les copains ou de parfaits inconnus ? Oui, mais voilà, la cohorte entraîneurs-consultants-journalistes n’a pas aimé. « Manque de respect » pour l’adversaire ont-ils hurlé. C’est cette mentalité qui fait que la France n’est pas une grande nation « complète » du football. C’est cette mentalité qui fait trouver des excuses à un joueur médiocre pour qui la seule manière de faire parler de soi, c’est de casser plus talentueux que lui.

(*) Par Chérif Ghemmour, mercredi 18 juillet 2018 (papier disponible sur le site sofoot.com).
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1 commentaire:

Ajorque a dit…

Bon jusqu'ici oui, mais Neymar pourrait aller au-delà, à cet âge (29) il a plus de buts que Ronaldo quand il avait le même âge.

Ouais, honnêtement, je voulais flipper un maillot du PSG Neymar. je voulais vraiment qu'il remporte la ligue des champions l'année dernière.