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Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 décembre 2021
Akram Belkaïd, Paris
Quelques mois après l’élection de Valérie Pécresse à l’élection présidentielle (on ne précisera pas l’année), M. Deqqa El-Tkatki toucha enfin au bout de son parcours administratif pour obtenir la nationalité française. Une démarche qu’il tenait secrète vis-à-vis de son entourage amical habitué à le voir conspuer l’ancienne puissance coloniale à coups de posts rageurs et de gazouillis outranciers. Mais ce n’est pas là l’essentiel de notre histoire. Pour devenir le concitoyen du premier ministre Eric Zemmour, M. El-Tkatki n’avait plus qu’à passer l’entretien final et répondre aux fameuses quatre questions prévues par la loi « intégration, laïcité et lutte contre le séparatisme vicieux ».
Dans un bureau morne et poussiéreux de la préfecture de Lyon, il avait en face de lui un fonctionnaire à la moue désabusée, un signe que Deqqa ne put interpréter. Sans perdre de temps, son vis-à-vis lui posa la première question. « Avez-vous un sapin de Noël chez vous ? ». Deqqa se détendit. Aucun ordre n’était prévu pour les questions. Celle-ci, ne devait pas trop lui poser de problèmes. De plus, la rencontre se déroulait en juin. La vérification immédiate qui avait parfois lieu était donc hautement improbable. « En ce moment, non », répondit-il avec un large sourire. « Je veux dire, achetez-vous un sapin pour Noël ? » s’agaça le fonctionnaire sans lever la tête de ses papiers.
Deqqa laissa passer quelques secondes avant de porter ce qu’il jugeait être sa première estocade. « Écoutez, allons directement au fond des choses. Je sais que le conseil d’État vous interdit de me poser la vraie question mais je vais tout de même y répondre. Oui, dans ma famille, nous fêtons Noël ! ». Le bureaucrate lui lança un regard surpris. « Vraiment ? ». Deqqa se dandina sur sa chaise. « Vingt-cinq points sur cent » se dit-il (il en fallait un minimum de soixante, la future loi « laïcité, sécurité et loi contre le communautarisme sournois » qui portait l’exigence à quatre-vingt-points sur cent n’ayant pas encore été votée). Mais rien n’était encore joué. Le fonctionnaire ne lâchait pas prise facilement. « Avez-vous gardé les factures d’achat du sapin ? Avez-vous des photos du réveillon ? Que vous-a-t-on offert au dernier Noël ? », demanda-t-il en rafale. Ces questions étaient prévisibles mais elles mirent Deqqa en alerte. L’affaire serait peut-être plus difficile à régler.
Comme cadeau, il cita d’emblée « Ma capacité d’adaptation », le best-seller de Manuel Valls puis tira de sa chemise cartonnée quelques factures – obligeamment fournies par Hssissen, fleuriste à Saint-Etienne – et fit défiler quelques clichés sur son téléphone. On y voyait une famille réunie autour d’une table à la nappe blanche avec en arrière-plan un sapin et quelques guirlandes. L’aspect souffreteux de l’arbrisseau, les mines rigolardes des enfants et celle, figée, de son épouse, pouvaient donner lieu à diverses interprétations et à des vérifications supplémentaires mais l’autre opina du chef. « 25 points », dit-il. « Passons à la deuxième question. Qui sont les vainqueurs du Tour de France en 1950 et 1951 ? ».
Deqqa se mordit les lèvres. Il avait appris par cœur le palmarès du Tour de 1947 à 1998 – après, cela ne servait à rien en raison, dopage et tricheries obligent, de la dévaluation manifeste de l’épreuve. Mais dans ce classement, il retenait surtout les victoires françaises. Robic, Bobet, Walkowiak – oui, oui, il connaissait le nom de ce vainqueur inconnu et oublié -, Anquetil, Aimar, Pingeon, Thévenet, Hinault et Fignon. Il avait même en tête un laïus à propos de La Marseillaise qui n’avait plus retentit à l’arrivée finale depuis 1985. Une « hchouma, pardon, une honte, mon cher monsieur ! ».
Mais là, la question précise portait sur « les deux Suisses ». Il connaissait leur nom, un peu trop semblables ce qui ajoutait à son trouble car il ne savait jamais dans quel ordre les placer. Kübler puis Koblet ou Koblet avant Kübler ? Et ce maudit moyen mnémotechnique qu’il croyait infaillible et qu’il finissait toujours par oublier... Après le « k », fallait-il suivre l’ordre alphabétique : le « o » avant le « u » et donc Koblet en 1950 et Kübler en 1951. Ou était-ce l’inverse, le « u » avant le « o » ? A tout hasard, il lança « Kübler en 1950, Kobler en 1951, Coppi en 1952 et le très très grand Louison Bobet en 1953 ». Le fonctionnaire siffla d’admiration. « Cinquante points. J’en ajoute cinq grâce à mon pouvoir discrétionnaire car je suis breton et Bobet est un héros familial. Bon, je ne vais pas vous embêter avec le foie gras. Moi-même je déteste cette mélasse. Parlons des Miss. Regardez-vous le concours ? »
Deqqa fut partagé. La question sur le foie gras – il en mangeait volontiers – lui aurait permis de placer l’estocade finale. « Oui, j’adore ça mais moins que la choucroute garnie » aurait été sa réponse. Simple, précis, emportez, c’est pesé, par-ici le passeport et la carte d’identité, terminée l’attente à la préfecture pour la résidence, bienvenue aux voyages sans visas, bref, plus de galère. Mais là, il fallait parler des Miss. Rien de vraiment difficile. « Oui, j’aime beaucoup », dit-il. « Bien sûr, ma femme me surveille quand on regarde » ajouta-t-il avec un clin d’œil complice. « Mais ce que j’aime, c’est quand les candidates parlent de leur région. Ça donne envie de faire du tourisme en France, de mieux connaître le pays… ».
Le fonctionnaire eut un large geste de satisfaction. « Quatre-vingt points ! Bravo. Vous êtes même dans les cordes de la prochaine loi. Néanmoins, j’ai juste une petite vérification à faire. C’est nouveau. Il y a une semaine nous avons reçu une circulaire de la part de madame Schiappa, la garde des sceaux. Votre naturalisation est acquise mais c’est juste pour ne pas vous imposer une durée probatoire. Alors voilà : dites-moi sincèrement quelle serait votre réaction si une Miss se présentait voilée ? ».
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