Cela s’est passé au milieu des années 1980. A l’époque, je suivais mes études d’ingénieur à l’Enita de Bordj-el-Bahri (ex-Cap Matifou). Un nouveau commandant d’école venait d’être nommé et l’une de ses toutes premières décisions fut d’ordonner l’abattage de plusieurs arbres dont un magnifique eucalyptus plus que centenaire au tronc noueux et imposant. Je me souviens bien de ce triste jour où scies, marteaux-piqueurs, bulldozer et forces djounouds entrèrent en action pour déraciner le vénérable végétal et cela au nom d’un improbable « plan de défense » de l’établissement. Partageant notre consternation, un enseignant, alors appelé du contingent, avait eu ces mots définitifs : « les Banou Hilal frappent encore… ». Je me suis souvenu de cette phrase quelques années plus tard quand, effectuant des recherches pour un article, je suis tombé sur une étude concernant la ville tunisienne de Sfax où, photographies satellites à l’appui, les auteurs mettaient en exergue l’existence passée de plusieurs milliers d’hectares de vergers et d’oliveraies vraisemblablement détruits lors de l’invasion hilalienne.
On sait que les Banou Hilal et les tribus qui leur
étaient affiliées ont apporté chaos et dévastation au Maghreb même si plusieurs travaux historiques montrent que leurs méfaits ont été exagérés. Et il est
logique de penser à eux et à leurs destructions chaque fois que des arbres sont
abattus en Algérie. Il y a deux ans, ce fut la triste histoire du bois des pins
sur les hauteurs d’Alger. Un espace vert rasé pour faire place à un parking et
à centre commercial et cela malgré l’opposition des riverains et plusieurs
affrontements entre eux et les forces de l’ordre. Aujourd’hui, c’est au tour d’arbres
centenaires de la forêt de l’Atlas (que les Algérois continuent d’appeler Bois
de Boulogne), à proximité d’Hydra (colonne Voirol) d’être rasés. Cette magnifique
pinède qui longeait l’avenue Souidani Boudjemaâ a été éventrée en quelques jours
pour laisser la place à une trémie (tunnel routier souterrain). Objectif de l’opération :
désengorger un carrefour très encombrés aux heures de pointe alors qu’il se
situe non loin d’emplacements stratégiques comme le siège de la présidence de
la République algérienne ou le lieu de résidence de plusieurs personnalités
politiques sans oublier l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique.
Le massacre des espaces verts de la capitale algérienne
et de ses environs se poursuit donc. Pourtant, il fut un temps où le
reboisement du pays était considéré comme une priorité nationale. La terre d’Algérie
n’avait-elle pas subi le napalm et autres bombes incendiaires ? Ne
fallait-il pas, grâce au « barrage vert », stopper l’avancée des
sables pour préserver les terres fertiles du nord ? Aujourd’hui, rien
de tout cela n’est à l’ordre du jour. On rase et on coupe ce qui, finalement,
est peut-être une manière non-avouée d’honorer les ancêtres hilaliens voire
leurs prédécesseurs vandales. On rase et on coupe car, finalement, on n’est
peut-être bon qu’à ça et certainement pas à permettre le développement
harmonieux d’un pays et de sa population…
On peut rétorquer que le sort des arbres est bien moins
important que celui de millions d’Algériens qui vivent en-dessous du seuil de
pauvreté. C’est vrai mais cette Algérie verte que l’on défigure à coup de bêton
et de parpaings mérite aussi que l’on se mobilise pour elle. A ce sujet,
nombreux sont ceux qui ont fait le parallèle entre les événements du parc
Taksim d’Istanbul et le sort de l’ex-Bois de Boulogne. D’un côté, la révolte et
la mobilisation populaire contre une urbanisation effrénée non dénuée d’arrière-pensées
politiques (en finir avec le caractère cosmopolite de la ville, réduire les
espaces publics susceptibles d’abriter des manifestations géantes). De l’autre,
une apathie que les chaleurs de l’été n’expliquent qu’en partie. On peut effectivement relever qu’il reste
encore beaucoup de chemin pour qu’émerge une vraie société civile en Algérie
qui serait capable de croiser le fer avec les autorités pour défendre le
patrimoine écologique du pays. Mais il faut tout de même émettre la réserve
suivante : le Bois de Boulogne n’appartient pas aux Algérois. Certes, on
peut le traverser et ses riverains profitent de sa fraîcheur mais son accès est
réservé aux fonctionnaires de la Présidence. Peut-être que la situation aurait
été différente si cette pinède avait été accessible à tous.
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