Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 6 septembre 2014

La chronique du blédard : All inclusive (suite)

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 28 août 2014
Akram Belkaïd, Paris

Il est des chroniques qui provoquent plus de réactions que d’autres et le plus étonnant dans l’affaire c’est qu’il n’y a pas de règle précise permettant de le prévoir à l’avance (sauf à parler de l’identité algérienne ou encore à décrire ce qui se passe durant une journée de forte affluence dans les consulats d’Algérie en France…). Ainsi, le texte concernant la bataille des transats dans les centres touristiques a-t-il beaucoup inspiré les lecteurs à commencer par une très susceptible consœur franco-allemande qui m’a indiqué revendiquer le droit de « réserver ses transats » (à l’allemande) mais aussi « de râler » (à la française). Autre information qui m’est parvenue, celle concernant un éminent universitaire, qui serait passé maître dans l’art de disposer, dès l’aube, ses serviettes sur une plage du Lavandou - là où, d’ailleurs, Carla et Nicolas ont passé leurs vacances. On comprendra que, par charité musulmane, je me dispense de fournir le nom de cet expert.

J’ai aussi reçu ce témoignage d’un ami et confrère toujours prompt à évoquer l’Algérie des années 1970. « C’était à Tipaza Matarès (un complexe touristique bâti par l’architecte Fernand Pouillon). Les gens préféraient la piscine à la plage, pourtant superbe. Il y a avait aussi une bataille pour réserver les transats mais là, pas question de juste poser une serviette. La place était ‘tenue’ par des gamins tombant de sommeil jusqu’à ce que les parents viennent prendre le relais ». Et de préciser, qu’à l’époque, les Algériennes se baignaient en maillot, une ou deux pièces, et que le spectacle grotesque (le terme est du présent chroniqueur) des burkinis et autres toiles noires amphibies n’était pas de mise.

Un lecteur me signale aussi que l’écrivain David Lodge a abordé cette question dans son roman Thérapie (1). La scène se déroule dans une plage des Canaries et voici ce que raconte l’une des protagonistes de cette quête existentialiste des plus hilarantes et dont je recommande vivement la lecture : « Nous avons décidé de passer notre première matinée à flemmarder près de la piscine. Mais quand nous sommes descendus, il ne restait pas une chaise longue ni un parasol de libre (…) Tout d’un coup la colère m’a prise contre les gens qui s’étaient réservés des lits de plage en y déposant leurs affaires avant d’aller prendre leur petit-déjeuner. J’ai suggéré à Lawrence (le principal personnage, ndc) que nous allions réquisitionner une paire de ces lits de plage inoccupés, mais il ne voulait pas. Les hommes sont d’une lâcheté pour ces choses-là ! Alors je m’en suis chargée toute seule. Il y avait deux lits de plage côte à côte sous un palmier, avec des serviettes pliées, alors j’ai simplement transféré l’une des serviettes d’un lit à l’autre et je me suis installée à l’aise. Une vingtaine de minutes plus tard, une femme est arrivée et elle s’est mise à fulminer, mais j’ai fait semblant de dormir et au bout d’un moment elle a ramassé les deux serviettes et elle est partie, alors Lawrence s’est ramené pas trop fier et il a pris l’autre lit de plage. »

De manière plus sérieuse, un expert tunisien m’a transmis le commentaire suivant : « La situation (créée en Turquie par la formule du ‘all inclusive’ et donc du tourisme de masse, ndc) est semblable en Tunisie et dans les autres pays qui ont été obligés de l’adopter. Cette formule, économiquement douteuse et sourdement stérile, il ne suffit pas de la déplorer mais de la dénoncer vigoureusement, c’est ce que je m’efforce de faire ». Il est vrai que, de toutes les grandes destinations touristiques, la Méditerranée, notamment au sud et à l’est, a de plus en plus de mal à digérer les conséquences négatives de ce rush estival. Il y a bien sûr les dégâts environnementaux qui sont importants en raison notamment de la très mauvaise gestion des déchets et du gaspillage des ressources hydrauliques mais il y aussi le fait que la fameuse, et fumeuse, expression de « deal gagnant-gagnant » ne s’applique guère. En effet, le « all inclusive » signifie que la plus grosse part de la valeur ajoutée reste détenue par les opérateurs européens tandis que le pays d’accueil doit se contenter de quelques miettes. Pire, avec la crise et la baisse du pouvoir d’achat, le touriste estime qu’il a suffisamment payé et il limite donc ses dépenses sur place (quand il n’estime pas que piller l’hôtel où il est descendu lui revient de droit…).

Il fut un temps où le tourisme de masse était présenté comme une activité nécessaire au développement des rives sud et est de la Méditerranée. Ce paradigme a encore la vie dure alors que de nouvelles approches font jour à commencer par le développement d’un « tourisme responsable et durable » basé sur le rejet des grands complexes et par une proximité plus importante avec la population du pays visité. Le Maroc et, de manière plus modeste, la Tunisie se sont déjà engagés dans cette voie. Gites, chambres chez l’habitant, hôtels écologiques, tout cela existe déjà et l’Algérie pourrait fortement s’en inspirer. Et dans ce genre d’endroit, une chose est certaine : pas besoin de se lever aux aurores pour réserver un transat…

 
(1) Payot et Rivages, 1998.
(2) Lire à ce sujet la note du chercheur Maxime Weigert intitulée « Renouveler le tourisme euro-méditerranéen, le grand chantier » (disponible sur www.ipemed.coop)
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