Le Quotidien d'Oran, jeudi 28 août 2014
Akram Belkaïd,
Paris
Il est des
chroniques qui provoquent plus de réactions que d’autres et le plus étonnant
dans l’affaire c’est qu’il n’y a pas de règle précise permettant de le prévoir
à l’avance (sauf à parler de l’identité algérienne ou encore à décrire ce qui
se passe durant une journée de forte affluence dans les consulats d’Algérie en
France…). Ainsi, le texte concernant la bataille des transats dans les centres
touristiques a-t-il beaucoup inspiré les lecteurs à commencer par une très
susceptible consœur franco-allemande qui m’a indiqué revendiquer le droit de
« réserver ses transats » (à l’allemande) mais aussi « de
râler » (à la française). Autre information qui m’est parvenue, celle
concernant un éminent universitaire, qui serait passé maître dans l’art de
disposer, dès l’aube, ses serviettes sur une plage du Lavandou - là où,
d’ailleurs, Carla et Nicolas ont passé leurs vacances. On comprendra que, par
charité musulmane, je me dispense de fournir le nom de cet expert.
J’ai aussi reçu
ce témoignage d’un ami et confrère toujours prompt à évoquer l’Algérie des
années 1970. « C’était à Tipaza Matarès (un complexe touristique bâti par
l’architecte Fernand Pouillon). Les gens préféraient la piscine à la plage,
pourtant superbe. Il y a avait aussi une bataille pour réserver les transats
mais là, pas question de juste poser une serviette. La place était ‘tenue’ par
des gamins tombant de sommeil jusqu’à ce que les parents viennent prendre le
relais ». Et de préciser, qu’à l’époque, les Algériennes se baignaient en
maillot, une ou deux pièces, et que le spectacle grotesque (le terme est du
présent chroniqueur) des burkinis et autres toiles noires amphibies n’était pas
de mise.
Un lecteur me
signale aussi que l’écrivain David Lodge a abordé cette question dans son roman
Thérapie (1). La scène se déroule dans une plage des Canaries et voici ce que
raconte l’une des protagonistes de cette quête existentialiste des plus
hilarantes et dont je recommande vivement la lecture : « Nous avons décidé de passer notre première
matinée à flemmarder près de la piscine. Mais quand nous sommes descendus, il
ne restait pas une chaise longue ni un parasol de libre (…) Tout d’un coup la colère m’a prise contre
les gens qui s’étaient réservés des lits de plage en y déposant leurs affaires
avant d’aller prendre leur petit-déjeuner. J’ai suggéré à Lawrence (le
principal personnage, ndc) que nous
allions réquisitionner une paire de ces lits de plage inoccupés, mais il ne
voulait pas. Les hommes sont d’une lâcheté pour ces choses-là ! Alors je
m’en suis chargée toute seule. Il y avait deux lits de plage côte à côte sous
un palmier, avec des serviettes pliées, alors j’ai simplement transféré l’une
des serviettes d’un lit à l’autre et je me suis installée à l’aise. Une
vingtaine de minutes plus tard, une femme est arrivée et elle s’est mise à
fulminer, mais j’ai fait semblant de dormir et au bout d’un moment elle a
ramassé les deux serviettes et elle est partie, alors Lawrence s’est ramené pas
trop fier et il a pris l’autre lit de plage. »
De manière plus
sérieuse, un expert tunisien m’a transmis le commentaire suivant :
« La situation (créée en Turquie par la formule du ‘all inclusive’ et donc
du tourisme de masse, ndc) est semblable en Tunisie et dans les autres pays qui
ont été obligés de l’adopter. Cette formule, économiquement douteuse et
sourdement stérile, il ne suffit pas de la déplorer mais de la dénoncer
vigoureusement, c’est ce que je m’efforce de faire ». Il est vrai que, de
toutes les grandes destinations touristiques, la Méditerranée, notamment au sud
et à l’est, a de plus en plus de mal à digérer les conséquences négatives de ce
rush estival. Il y a bien sûr les dégâts environnementaux qui sont importants
en raison notamment de la très mauvaise gestion des déchets et du gaspillage
des ressources hydrauliques mais il y aussi le fait que la fameuse, et fumeuse,
expression de « deal gagnant-gagnant » ne s’applique guère. En effet,
le « all inclusive » signifie que la plus grosse part de la valeur
ajoutée reste détenue par les opérateurs européens tandis que le pays d’accueil
doit se contenter de quelques miettes. Pire, avec la crise et la baisse du
pouvoir d’achat, le touriste estime qu’il a suffisamment payé et il limite donc
ses dépenses sur place (quand il n’estime pas que piller l’hôtel où il est descendu
lui revient de droit…).
Il fut un temps
où le tourisme de masse était présenté comme une activité nécessaire au
développement des rives sud et est de la Méditerranée. Ce paradigme a encore la
vie dure alors que de nouvelles approches font jour à commencer par le
développement d’un « tourisme responsable et durable » basé sur le
rejet des grands complexes et par une proximité plus importante avec la
population du pays visité. Le Maroc et, de manière plus modeste, la Tunisie se
sont déjà engagés dans cette voie. Gites, chambres chez l’habitant, hôtels
écologiques, tout cela existe déjà et l’Algérie pourrait fortement s’en
inspirer. Et dans ce genre d’endroit, une chose est certaine : pas besoin
de se lever aux aurores pour réserver un transat…
(1) Payot et
Rivages, 1998.
(2) Lire à ce
sujet la note du chercheur Maxime Weigert intitulée « Renouveler le
tourisme euro-méditerranéen, le grand chantier » (disponible sur www.ipemed.coop)
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