Le Quotidien d’Oran,
jeudi 11 septembre 2014
Akram Belkaïd,
Paris
Il y a treize
ans, jour pour jour, les attentats perpétrés à New York et Washington ont
ouvert une séquence historique qui encore loin d’être achevée. Ainsi, depuis
cette date, chaque événement concernant, de manière directe ou indirecte, le
monde arabe peut être lu à l’aune des conséquences de ces attaques menées par
Al Qaeda contre les Etats-Unis. Mais avant de poursuivre, on rappellera d’abord
à quel point le legs du « nine-eleven » est difficile à accepter pour
les défenseurs des droits de la personne humaine. En Amérique du nord comme
ailleurs, notamment en Europe occidentale, ces droits ont été rognés au nom de
la sécurité. Torture de suspects, emprisonnement sans jugement dans le camp de
Guantanamo, fichage de masse, prisons secrètes, écoutes téléphoniques planétaires,
juridiction d’exception qui deviennent la norme, intrusion des gouvernements
dans la vie privée, voyages aériens compliqués par des mesures de sécurité de
plus en plus draconiennes : tout cela est justifiée par la toujours
sacro-sainte « lutte contre le terrorisme ». En cela, les instigateurs des
attentats du 11 septembre ont atteint un objectif qu’ils ne visaient peut-être
pas à savoir une limitation profonde et durable des libertés individuelles. Une
atteinte dont la mise en place, ici et là, d’un passeport biométrique n’est que
l’un des exemples parmi tant d’autres.
Concernant le
monde arabo-musulman, les attentats du 11 septembre 2001 ont eu pour suite une
guerre sans fin en Afghanistan, une invasion de l’Irak avec la chute du régime
dictatorial de Saddam Hussein cela sans oublier la propagation d’une onde de
choc qui a eu une influence certaine sur les révoltes de 2011. Cela, alors que
l’on a longtemps pensé que les dictateurs arabes en avaient largement profité
pour conforter leur pouvoir à l’image de l’ex-président Ben Ali (rappelons au
passage le titre de cet éditorial de l’hebdomadaire L’Express publié le 8 novembre 2001 par le journaliste Denis
Jeambar : Ben Ali contre Ben Laden...). La destruction des tours jumelles
peut donc être considérée comme le point de départ d’un grand désordre dont
nous enregistrons quotidiennement les péripéties. Cela vaut surtout pour la
situation au Moyen-Orient. Le démantèlement de l’Etat irakien, la dissolution
de son armée menée par les autorités américaines d’occupation et
l’encouragement d’un retour au confessionnalisme peuvent expliquer pourquoi les
troupes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) n’ont pas été loin de
prendre Bagdad au mois d’août. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette
organisation, que l’on désigne aussi par l’acronyme Daech (dawla islamiya fil ‘iraq wal cham) et que l’on a vu
soudainement surgir sur les devants de l’actualité, est née en 2006. C'est-à-dire
à un moment où la revanche des chiites irakiens – longtemps relégués au second
plan y compris durant la domination anglaise – a pris une tournure des plus
violentes (c’est d’ailleurs en décembre de cette année que Saddam Hussein a été
pendu).
Aujourd’hui, la
situation en Irak laisse deviner que c’est un nouveau conflit de grande
intensité qui se profile au Moyen-Orient et cela alors que la situation reste
tendue à Gaza – toujours sous l’emprise de l’implacable blocus israélien – et
que commencent à circuler des rumeurs sur une possible nouvelle guerre entre
l’Etat hébreu et le Hezbollah libanais. Ce qui est certain, c’est que les
Etats-Unis veulent entraîner leurs alliés européens - et leurs vassaux arabes dont
ceux du Golfe – dans une action armée contre Daech. La nouvelle est accueillie favorablement par les opinions
publiques, y compris arabes, car cette organisation n’a eu de cesse depuis
plusieurs mois de multiplier les actes de sauvagerie à un point tel qu’il est
difficile de ne pas s’interroger sur sa stratégie. Engagé avant tout contre le
régime de Bachar al-Assad en Syrie et contre le pouvoir central irakien, Daech et son chef, le
« calife » Abou Bakr Al Baghdadi, ont semblé absolument rechercher la
confrontation avec les Etats-Unis et d’autres pays sunnites de la région dont
l’Arabie saoudite. Une démarche pour le moins erratique – surtout quand on veut
fonder un nouveau « pays » et que l’on a besoin d’alliés - et qui
alimente les théories conspirationnistes selon lesquels Daech ne serait rien d’autre qu’une organisation manipulée par les
services secrets américains, voire israéliens, pour maintenir la division entre
musulmans dans la région.
En tout état de
cause, la montée en puissance de l’EIIL interpelle. Comment une telle
organisation a pu se procurer autant d’armes pour pouvoir annexer une bonne
partie du nord irakien et s’emparer d’une partie de ses richesses
pétrolières ? De même, on ne peut s’empêcher de relever que les Etats-Unis
vont, certes d’une manière indirecte, rendre service au régime d’Assad en s’en
prenant militairement – par des frappes aériennes – aux troupes et
installations de Daech. Assistons-nous, au nom de la lutte contre l’Etat
islamique, à un bouleversement général des alliances avec, entre autre, un
rapprochement qui ne dit pas son nom entre Washington et Téhéran (principal
allié du régime de Damas dans la région) ? Est-il temps de se souvenir que
pour certains néoconservateurs américains – ceux qui ont poussé
l’administration Bush à déclencher l’invasion de l’Irak – l’allié souhaitable
pour les Etats-Unis – et Israël – dans la région est l’Iran ?
Une chose est
certaine, cette énième intervention militaire américaine, si elle se confirme,
ne règlera rien sur le plan politique. Les troupes de l’Etat islamique seront
peut-être défaites mais des milliers de ses soldats vont s’égayer dans la
nature, certains parmi eux s’en retournant dans leurs pays d’origine avec les
conséquences que l’on imagine… De même, les tensions entre sunnites et chiites
ne disparaîtront pas et cela d’autant que les prédicateurs du Golfe continuent
de jeter de l’huile sur le feu en appelant à châtier les
« hérétiques ». On le voit, la situation est des plus troubles. Les
ennemis des uns pouvant soudainement devenir leurs alliés et cela dans un
contexte où deux dossiers majeurs sont loin d’être réglés. D’abord, la question
palestinienne qui n’en finit pas de s’enliser. Ensuite, le nucléaire iranien
dont, étrangement, plus personne ou presque ne parle…
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