Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 septembre 2014
Akram Belkaïd, Paris
Le culot et
l’arrogance, peut-être même l’outrance de celui qui s’estime être en position
de force... C’est ce qui vient à l’esprit quand on entend les propos du patron
des patrons français Pierre Gattaz. « Le modèle social (français) a vécu.
Il n’est plus d’actualité » a-t-il ainsi déclaré en formulant plusieurs
propositions-revendications censées provoquer le redémarrage d’une économie atone.
Autorisation du travail le dimanche ou la nuit, suppression de deux jours
fériés, salaires inférieurs au smic, fin de la semaine des trente-cinq heures,
modération salariale : c’est ce que le Medef vient de poser sur la table
après avoir déjà obtenu du gouvernement 41 milliards d’euros de réduction
d’impôts et de cotisations sociales.
Pour Gattaz, il
serait temps de casser « les tabous » et de remettre en cause un
modèle social dont les bases remontent aux acquis arrachés par le Front
populaire en 1936. Certes, il n’a pas proposé de réintroduire le travail des
enfants mais à l’entendre énumérer ses exigences on se dit que ce n’est qu’une
question de temps… Dans un contexte de morosité générale avec un chômage qui
continue de battre des records et un gouvernement de plus en plus impopulaire,
le président du Medef semble donc persuadé que c’est le moment où jamais d’en
finir avec un modèle jugé trop coûteux.
Pour résumer la
situation, on pourrait dire que le patronat n’a désormais plus peur de rien. En
multipliant les cadeaux fiscaux (lesquels sont tout de même appelés à être
compensés par les ménages des classes moyennes) en faveur des entreprises et
cela sans exiger formellement des contreparties, le gouvernement Valls s’est
mis dans une position de faiblesse dont il lui sera difficile de sortir. Quant
aux syndicats, ils sont aux abonnés absents, incapables de prendre la mesure
d’une conjoncture potentiellement explosive où la relative quiétude sociale
n’est préservée que parce les amortisseurs de l’Etat providence fonctionnent
encore. Enfin, car il faut bien le rappeler, la « menace » rouge n’existe
plus, le capitalisme ayant triomphé de l’ « espérance »
communiste tandis que la gauche socio-démocrate s’est rangée docilement aux
dogmes néo-libéraux comme en témoigne le maintien d’une politique d’austérité
qui ne donne pourtant aucun résultat. Pas même celui de réduire les déficits
pour faire respectivement plaisir à la Commission européenne, à Berlin et aux
agences de notation.
Il faut
replacer les propos de Gattaz dans une perspective historique et se rappeler
que le patronat français n’a jamais accepté les acquis sociaux majeurs de
manière spontanée. Ces derniers ont toujours été obtenus à la faveur d’une
confrontation avec les syndicats suivie, au final, par une intervention de
l’Etat. Pour dire les choses autrement, c’est le triple legs du Front
populaire, du programme du gouvernement de la Libération et de mai 1968 que le
Medef veut faire disparaître aujourd’hui. Camarade réveille-toi, ils sont en
train de prendre leur revanche… Faut-il rappeler que le patronat était
violemment opposé à l’instauration des congés payés en 1936, arguant notamment
que cela engendrerait l’oisiveté et la paresse chez les salariés ? Faut-il
rappeler, en remontant plus loin dans le temps, que ce même patronat a défendu
jusqu’au début du XXème siècle le travail des enfants au nom de la
compétitivité par rapport à la concurrence européenne ? On dira que les
mentalités et les idées ont évolué. Peut-être mais le vieux fond hostile aux
« porteurs de casquettes » n’a jamais disparu.
Il est évident
que la France a besoin de réforme notamment une modernisation de sa fonction
publique et un meilleur emploi de l’argent du contribuable. Mais faire porter
la responsabilité de la stagnation aux acquis sociaux – la prochaine cible de
la revendication patronale étant la sécurité sociale mise en place en 1945
ainsi que le contrat de travail indéterminée ou CDI – n’est pas juste. Car s’il
est une chose dont le Medef ne veut jamais parler c’est de sa propre
responsabilité dans la situation économique actuelle. Indécence des salaires
pour de grands patrons dont certains ont pourtant mené leurs entreprises dans
le précipice sans jamais rendre de comptes pour cela. Logique financiaro-boursière
omniprésente et dividendes versés aux actionnaires qui ne cessent d’augmenter
d’une année sur l’autre ce qui, au final, prive l’entreprise de moyens
d’investir et de se développer sur le long terme. Incompétence de dirigeants
dont la morgue (ah, l’université d’été du Medef et ses mines satisfaites) le
dispute à l’ignorance d’un monde qui évolue et où les pré-carrés n’existent
plus. Incapacité à innover pour doper les ventes du « made in
France ». Voilà aussi pourquoi l’économie française tourne mal.
Et il n’y a pas
que cela. Quand le Premier ministre Manuel Valls affirme qu’il aime les
entreprises, on a envie de lui demander lesquelles ? Les grandes ?
Celles dont les conseils d’administration sont tenus par une poignée d’hommes,
copains-coquins ? Ou les petites ? Ces PME qui souffrent, qui se font
écraser par leurs gros donneurs d’ordre, qui sont incapables d’accéder aux
marchés publics autrement que par le biais de la sous-traitance ? De
manière régulière, des rapports sont publiés pour critiquer la dureté des
rapports entre grandes et petites entreprises, notamment en ce qui concerne les
délais de paiement ou les pratiques interdites (usage des marges arrière par
exemple). De cela, le Medef ne parle guère, préférant diffuser l’idée selon
laquelle le responsable, c’est le salarié, ce privilégié qui ose défendre ses
droits…
On aurait tort
de penser qu’il ne s’agit-là que d’une affaire franco-française. La
généralisation dans le monde, certes inégale, des acquis sociaux du
vingtième-siècle doivent beaucoup au progrès social qu’a connu la France au
XXème siècle. Ce qui s’y passe actuellement n’est donc pas anodin. Cela dessine
ce que sera le monde de demain à l’heure où des expressions comme
Etat-providence ou droits sociaux passent pour obsolètes.
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1 commentaire:
Je lis: aux acquis arrachés par le Front populaire en 1936". C'est une erreur qu'il faux souligner. Les conquêtes sociales de 1936 en France ont été acquises par la grève de masse avec occupation d'usines. le gouvernement de Front Populaire n'avait pas inscrit dans son programme cet ensemble d'avancées. Il a été contraint de les entériner.
Mon père était un des dirigeant du syndicat CGT de l'usine Latécoère de Toulouse. Les ouvriers de cette entreprise ont été les 2éme à se mettre en grève avec occupation. Faire grève et diriger une grève était à l'époque et même sous le gouvernement de Front Populaire un très grand risque. Nous devons saluer le courage de la classe ouvrière de France qui a su se battre avec détermination.
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