Le Quotidien d’Oran, jeudi 4 septembre 2014
Akram Belkaïd,
Paris
Dans un récent
numéro, l’hebdomadaire France Football
a consacré sa une aux « cocus de l’été », comprendre les
personnalités du ballon rond ayant connu quelques désagréments durant
l’intersaison (fausses promesses de transfert, moyens financiers réduits,…). En
élargissant le sujet, ce journal aurait pu ajouter à sa liste la majorité des
électeurs de François Hollande qui pensaient avoir envoyé à l’Elysée un homme
de gauche - se proclamant notamment l’adversaire de la finance - mais qui vient
pourtant de nommer un banquier d’affaires au ministère de l’économie. Déjà, la
désignation de Manuel Valls au poste de Premier ministre au printemps dernier
avait été difficile à digérer, ce dernier étant à la fois minoritaire dans son
propre parti et considéré comme un diviseur de la gauche ou de ce qu’il en
reste.
Mais, cette
fois-ci, le président français est allé encore plus loin. Avec Emmanuel Macron
à Bercy, c’est un vrai recentrage politique qui vient d’être enclenché. Certes,
il y a bien longtemps que le terme « socialisme » ne veut plus rien
dire. On se souvient de Lionel Jospin, alors candidat à la présidentielle de
2002, affirmant que son programme n’avait rien de « socialiste ». On
sait aussi que Manuel Valls milite depuis des années pour que le PS change de
dénomination. Un souhait qui lui vaut l’hostilité d’un grand nombre de
militants. Mais, dans le cas présent, l’affaire va au-delà des considérations
sémantiques car c’est bien d’un gros virage à droite qu’il s’agit.
Pour Emmanuel
Macron, être de gauche, signifie « être efficace et recréer les conditions
pour investir, produire et innover ». On sait que cet énarque et ancien
associé-gérant de la banque Rothschild veut contribuer à la mutation
idéologique de la gauche française. Une transformation au nom du
« réalisme » qui s’inspirerait notamment des idées de Tony Blair,
l’ancien Premier ministre britannique et de son mentor Anthony Giddens, le
concepteur de « la Troisième voie ». Pour dire les choses clairement,
et en refusant de se laisser intoxiquer par le nombre impressionnant d’articles
quasi-hagiographiques en faveur de Macron, le nouveau ministre français de
l’économie, ne veut ni plus ni moins que tuer la gauche en faisant basculer le Parti
socialiste vers le centre. Une stratégie destinée à attirer aussi ceux que l’on
appelait hier les gaullistes de gauche, aujourd’hui certainement déçus par la
droitisation radicale de l’UMP ou indignés par les multiples scandales qui l’agitent.
Il est
intéressant de noter qu’Emmanuel Macron, pour ses premières déclarations, a
repris ce fameux discours de l’efficacité et du réalisme que prônent patrons et
patronats. C’est ce discours, entre autre, qui ouvre la voie à la remise en
cause d’acquis sociaux jugés désormais trop coûteux. Par contre, le
banquier-ministre n’a pas évoqué l’urgence d’une plus grande justice sociale ni
la nécessité absolue d’une lutte générale contre les inégalités et leur
aggravation. Il ne s’est pas non plus engagé sur la nécessité de défendre le
service public et de refuser que la concurrence, y compris dans les domaines
non-économiques comme l’éducation, devienne le dogme sur lequel toute politique
doit être bâtie. Pire, dans un contexte marqué par l’incapacité du gouvernement
à renverser la courbe du chômage, l’un de ses ministres n’a rien trouvé de
mieux que de ressortir le discours frelaté à propos des chômeurs qui n’en
feraient pas assez pour retrouver du travail…
C’est un
phénomène bien connu. Quand la gauche échoue – le plus souvent faute d’avoir
osé ou d’être restée fidèle à ses principes – elle se met à singer
grossièrement la droite. Comme Clinton, Blair ou, pire encore, Schroeder, elle multiplie
les concessions aux entreprises (sans rien gagner en retour) et s’adonne à la
« triangulation », c’est-à-dire qu’elle reprend les idées de ses
adversaires politiques, pour garantir sa réélection. Bien sûr, le président
français et sa cour continueront de se proclamer de gauche en insistant sur des
questions sociétales à l’image du mariage pour tous ou encore sur des sujets
rassembleurs comme la défense de la laïcité (cette dernière s’avérant idéale
pour faire diversion en jouant sur les peurs et questionnements identitaires
des français). Mais, au final, ce genre de dérobade, cette socialo-traîtrise ne
conduit qu’à un seul résultat : le retour triomphal, et durable, de la
droite aux affaires.
Pour autant, il
n’est pas interdit de changer d’avis. François Hollande a le droit d’estimer
qu’il lui faut tenter autre chose. Mais, dans une vraie démocratie, pareil
recentrage ne peut s’opérer sans que le peuple ne soit consulté. De même qu’il
est anormal qu’un gouvernement légifère par ordonnances (cela risque d’être le
cas en ce qui concerne le dossier socialement épineux du travail le dimanche),
il n’est pas acceptable que pareil retournement idéologique s’opère sans passer
par les urnes. On rétorquera qu’il suffit que les députés votent la confiance
au gouvernement « Valls 2 ». Certes, mais dans le cas présent,
concernant un tel changement, ce serait un déni de démocratie. La dissolution
de l’Assemblée nationale et la campagne électorale pour les législatives qui
suivraient permettraient de clarifier les positions des uns et des autres. Cela
mettrait de l’ordre dans les rangs de la gauche dont les électeurs pourraient
se déterminer vis-à-vis de ce tournant libéral (au sens français) qui ne dit
pas son nom. Mais il y a peu de chances que cela arrive et il faudra attendre
2017 pour que les électeurs cocufiés par François Hollande lui rendent la
monnaie de sa pièce. A considérer, ce qui est loin d’être garanti, qu’il puisse
(ou ose) se représenter…
PS : cette
chronique a été rédigée avant l’annonce de la sortie du livre de kivousavé. Publication
qui ne change rien à la donne politique mais qui a pour effet de faire passer
le débat politique, le vrai, au second plan. Comme d’habitude…
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