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mardi 18 novembre 2014

La chronique du blédard : L’Europe abandonne les migrants en Méditerranée

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 13 novembre 2014
Akram Belkaïd, Paris

Laisser les migrants mourir en les abandonnant à leur triste sort en  Méditerranée, c’est la décision passée presque inaperçue que vient de prendre l’Union européenne (UE). Bien sûr, cela n’a pas été formulé ainsi et la Commission de Bruxelles s’empressera de démentir avec force indignations pareille affirmation dont la brutalité est pourtant assumée par le présent chroniqueur. Bien sûr aussi, il y a quelques nuances à introduire dans le propos liminaire de ce texte mais il n’empêche. Les hommes, les femmes et les enfants qui s’embarquent, ou s’apprêtent à le faire, sur des coques de noix à destination des côtes italiennes ou espagnoles risquent bien plus d’y laisser la vie qu’au cours des mois qui ont précédé.

Souvenons-nous du terrible début de l’automne 2013 où plus de quatre cent migrants sont morts noyés au large des îles de Malte et de Lampedusa. Face à l’émotion provoquée par ce terrible drame, le gouvernement italien a décidé alors de mettre en place l’opération « Mare Nostrum » dont le but était d’assurer le sauvetage en mer des candidats à l’émigration en Europe. Soutenus par des moyens de reconnaissance aérienne, les navires italiens furent habilités à s’approcher des eaux territoriales libyennes pour se porter au secours de celles et ceux que les passeurs des réseaux mafieux n’avaient eu aucun scrupule à faire monter dans des rafiots vermoulus. A l’époque, déjà, cette initiative avait été critiquée par les organisations humanitaires qui lui reprochaient son manque de moyens. Que dire aujourd’hui ?

Car depuis le 1er novembre, « Mare Nostrum » a officiellement été arrêtée par l’Italie et remplacée par le dispositif « Triton », du nom, ironie morbide, de ce dieu qui avait le pouvoir de calmer les tempêtes. Cette nouvelle opération est gérée par l’Union européenne par le biais de Frontex, l’organisme qui assure la surveillance des frontières extérieures de l’UE. En clair, le sort des migrants en Méditerranée n’est plus une question humanitaire mais bien sécuritaire. Autrement dit, l’Europe se portera désormais au secours de celles et ceux qui se noieront dans ses eaux mais pas au-delà. Elle ne recherchera pas activement les migrants dans les eaux internationales pour se porter à leur secours mais se contentera de surveiller ses frontières maritimes notamment celles où les passages d’embarcations de clandestins sont les plus fréquents.

Selon le gouvernement italien, « Mare Nostrum » a coûté 114 millions d’euros soit près de 9 millions d’euros par mois. Le budget alloué à « Triton » ne dépassera pas quant à lui 2,9 millions d’euros mensuels soit le tiers de ce qui était précédemment mobilisé. Mécanique, le constat fait froid dans le dos : moins de moyens cela signifie forcément bien plus de morts qu’auparavant. Faudra-t-il une nouvelle catastrophe pour que les Européens reconsidèrent leur décision ? Ce n’est absolument pas sûr. De nombreuses chancelleries ont fait pression sur l’Italie pour que l’opération « Mare Nostrum » soit arrêtée car étant considérée comme une facilitation de l’émigration clandestine en Europe. Ainsi, pour l’Allemagne, ce dispositif a encouragé les passeurs à multiplier les expéditions y compris les plus risquées, ces criminels se disant que, de toutes les façons, les Européens se porteraient systématiquement au secours des embarcations qu’elles soient ou non en détresse.

Dans le contexte politique européen marqué par la montée en puissance des partis xénophobes et populistes, l’abandon de « Mare Nostrum » n’est pas une surprise. C’est même une concession de taille faite à celles et ceux qui ne se privent plus pour réclamer que les harragas soient abandonnés à leur sort ou, pire encore, que leurs bateaux soient coulés (et eux avec) par les marines européennes. Pour l’heure, l’UE et ses membres affirment qu’ils continueront de respecter les obligations du droit maritime ainsi que les conventions internationales concernant les demandeurs d’asile. Mais en diminuant ses moyens et en reléguant l’action humanitaire au profit du sécuritaire, on peut dire que l’Europe compte finalement sur la Méditerranée pour diminuer le flot de migrants clandestins qu’elle est obligée d’accueillir sur son sol.

Mais, demanderont certains, « que faire d’autre puisqu’on ne peut accueillir toute la misère de l’Afrique et du Proche-Orient réunis » ? A l’heure où même le Maghreb connaît une inquiétante flambée xénophobe qui vise les migrants subsahariens (mais aussi les réfugiés libyens ou syriens), il y a urgence à rappeler les principes les plus élémentaires qui fondent l’Humanité. Le fait est que l’être humain doit assistance à son prochain, quelles que soient sa nationalité, sa religion ou ses orientations sexuelles. On le sait, le problème de la pauvreté en Afrique ou celui de l’instabilité politique au Machrek ne peuvent être réglés que dans la durée (et à condition qu’il existe une volonté politique globale ce qui, hélas, est loin d’être le cas). Cela signifie que le phénomène des migrants en Méditerranée ne va pas disparaître de sitôt cela d’autant plus que l’Europe éprouve une étrange réticence à s’attaquer aux mafias internationales qui tirent profit de l’immigration clandestine. En attendant que les choses aillent mieux – cela finira bien par arriver - l’urgence commande donc à la fraternité. Dans un contexte global où tout semble se détraquer, où l’actualité quotidienne n’est que sombres nuées, l’heure doit être à l’accueil et au partage. Par temps de tempêtes, quand il y en a pour cent, il en a aussi pour mille.
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