Le Quotidien d’Oran, jeudi 13 novembre 2014
Akram Belkaïd, Paris
Laisser les
migrants mourir en les abandonnant à leur triste sort en Méditerranée, c’est la décision passée presque
inaperçue que vient de prendre l’Union européenne (UE). Bien sûr, cela n’a pas
été formulé ainsi et la Commission de Bruxelles s’empressera de démentir avec
force indignations pareille affirmation dont la brutalité est pourtant assumée
par le présent chroniqueur. Bien sûr aussi, il y a quelques nuances à
introduire dans le propos liminaire de ce texte mais il n’empêche. Les hommes,
les femmes et les enfants qui s’embarquent, ou s’apprêtent à le faire, sur des coques
de noix à destination des côtes italiennes ou espagnoles risquent bien plus d’y
laisser la vie qu’au cours des mois qui ont précédé.
Souvenons-nous
du terrible début de l’automne 2013 où plus de quatre cent migrants sont morts
noyés au large des îles de Malte et de Lampedusa. Face à l’émotion provoquée
par ce terrible drame, le gouvernement italien a décidé alors de mettre en
place l’opération « Mare Nostrum » dont le but était d’assurer le
sauvetage en mer des candidats à l’émigration en Europe. Soutenus par des
moyens de reconnaissance aérienne, les navires italiens furent habilités à
s’approcher des eaux territoriales libyennes pour se porter au secours de
celles et ceux que les passeurs des réseaux mafieux n’avaient eu aucun scrupule
à faire monter dans des rafiots vermoulus. A l’époque, déjà, cette initiative avait été
critiquée par les organisations humanitaires qui lui reprochaient son manque de
moyens. Que dire aujourd’hui ?
Car depuis le 1er
novembre, « Mare Nostrum » a officiellement été arrêtée par l’Italie
et remplacée par le dispositif « Triton », du nom, ironie morbide, de
ce dieu qui avait le pouvoir de calmer les tempêtes. Cette nouvelle opération
est gérée par l’Union européenne par le biais de Frontex, l’organisme qui
assure la surveillance des frontières extérieures de l’UE. En clair, le sort
des migrants en Méditerranée n’est plus une question humanitaire mais bien
sécuritaire. Autrement dit, l’Europe se portera désormais au secours de celles
et ceux qui se noieront dans ses eaux mais pas au-delà. Elle ne recherchera pas
activement les migrants dans les eaux internationales pour se porter à leur
secours mais se contentera de surveiller ses frontières maritimes notamment
celles où les passages d’embarcations de clandestins sont les plus fréquents.
Selon le
gouvernement italien, « Mare Nostrum » a coûté 114 millions d’euros
soit près de 9 millions d’euros par mois. Le budget alloué à
« Triton » ne dépassera pas quant à lui 2,9 millions d’euros mensuels
soit le tiers de ce qui était précédemment mobilisé. Mécanique, le constat fait
froid dans le dos : moins de moyens cela signifie forcément bien plus de
morts qu’auparavant. Faudra-t-il une nouvelle catastrophe pour que les Européens
reconsidèrent leur décision ? Ce n’est absolument pas sûr. De nombreuses
chancelleries ont fait pression sur l’Italie pour que l’opération « Mare
Nostrum » soit arrêtée car étant considérée comme une facilitation de
l’émigration clandestine en Europe. Ainsi, pour l’Allemagne, ce dispositif a
encouragé les passeurs à multiplier les expéditions y compris les plus
risquées, ces criminels se disant que, de toutes les façons, les Européens se porteraient
systématiquement au secours des embarcations qu’elles soient ou non en
détresse.
Dans le
contexte politique européen marqué par la montée en puissance des partis
xénophobes et populistes, l’abandon de « Mare Nostrum » n’est pas une
surprise. C’est même une concession de taille faite à celles et ceux qui ne se
privent plus pour réclamer que les harragas
soient abandonnés à leur sort ou, pire encore, que leurs bateaux soient coulés
(et eux avec) par les marines européennes. Pour l’heure, l’UE et ses membres
affirment qu’ils continueront de respecter les obligations du droit maritime
ainsi que les conventions internationales concernant les demandeurs d’asile.
Mais en diminuant ses moyens et en reléguant l’action humanitaire au profit du
sécuritaire, on peut dire que l’Europe compte finalement sur la Méditerranée
pour diminuer le flot de migrants clandestins qu’elle est obligée d’accueillir
sur son sol.
Mais, demanderont
certains, « que faire d’autre puisqu’on ne peut accueillir toute la misère
de l’Afrique et du Proche-Orient réunis » ? A l’heure où même le
Maghreb connaît une inquiétante flambée xénophobe qui vise les migrants subsahariens
(mais aussi les réfugiés libyens ou syriens), il y a urgence à rappeler les
principes les plus élémentaires qui fondent l’Humanité. Le fait est que l’être
humain doit assistance à son prochain, quelles que soient sa nationalité, sa
religion ou ses orientations sexuelles. On le sait, le problème de la pauvreté
en Afrique ou celui de l’instabilité politique au Machrek ne peuvent être réglés
que dans la durée (et à condition qu’il existe une volonté politique globale ce
qui, hélas, est loin d’être le cas). Cela signifie que le phénomène des
migrants en Méditerranée ne va pas disparaître de sitôt cela d’autant plus que
l’Europe éprouve une étrange réticence à s’attaquer aux mafias internationales
qui tirent profit de l’immigration clandestine. En attendant que les choses
aillent mieux – cela finira bien par arriver - l’urgence commande donc à la
fraternité. Dans un contexte global où tout semble se détraquer, où l’actualité
quotidienne n’est que sombres nuées, l’heure doit être à l’accueil et au partage.
Par temps de tempêtes, quand il y en a pour cent, il en a aussi pour mille.
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