Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 6 février 2012

La chronique du blédard : Sarkozy ou la stratégie du faux challenger

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Feindre la faiblesse et le découragement pour mieux surprendre son adversaire et le battre. C'est cette stratégie vieille comme le monde que semble vouloir adopter Nicolas Sarkozy face à son adversaire socialiste François Hollande. Il y a une semaine, tous les médias français ont ainsi rendu compte du coup de blues du président sortant. Conversant avec des journalistes dans l'avion qui le ramenait de Guyane, il aurait laissé paraître un certain découragement en évoquant sa possible défaite. « En cas d'échec, j'arrête la politique. Oui, c'est une certitude » aurait-il même déclaré lors de l'un des ces points « off » - où les propos ne sont pas censés être rapportés au public – qu'affectionnent à la fois le locataire de l'Elysée et la caste bien particulière des journalistes politiques. 

Faut-il prendre au sérieux ces confidences – qui ont visiblement semé la panique au sein de l'UMP - et en conclure que le match de la présidentielle est déjà joué ? Bien évidemment non. Voilà plus de dix ans que Nicolas Sarkozy joue et intrigue avec des médias plus ou moins consentants et, surtout, bien peu vigilants. Voilà plus de dix ans qu'il déroule avec minutie ses plans de communication pour parvenir à ses fins : être un super-ministre sous la présidence de Chirac puis succéder à ce dernier en devenant le maître incontesté de la droite française. Et cette fois encore, ce pseudo aveu de faiblesse n'est rien d'autre que de la com', le but étant, entre autre, d'endormir le candidat Hollande en lui faisant croire qu'il a déjà gagné la partie.

Impopulaire, distancé dans les sondages, incapable de regagner en crédibilité après avoir tant promis aux Françaises et aux Français, « Sarko » a visiblement décidé de parier sur la versatilité et la mémoire courte des foules. Il sait qu'en France, on aime bien le second, le challenger, celui qui au départ a peu de chances de gagner. C'est grâce à cela que Chirac avait réussi à redresser la barre en 1995 face à Balladur. Et c'est cette prouesse que le mari de Carla Bruni veut rééditer cette année. Grand amateur de cyclisme, il se souvient que le champion Bernard Hinault n'a jamais été autant populaire que lorsque, affaibli ou vieillissant, sa suprématie sur le Tour de France lui a été âprement disputée par des concurrents comme Laurent Fignon ou, plus encore, comme Greg Lemond.

En 2007, Nicolas Sarkozy a réussi le tour de passe-passe de se présenter comme le candidat de la rupture, faisant oublier qu'il appartenait au gouvernement sortant dont il avait été ministre de l'intérieur à deux reprises et ministre des finances. Une approche qu'il aura du mal à rééditer car la gauche l'attaque déjà sur le bilan de ses cinq années à la tête de l'Etat français. Du coup, il lui faut écrire une autre histoire, celle du chef donné battu par les sondages mais qui, tel un héros de manga, rétablit la situation de manière spectaculaire amenant ses partisans à lui demander pardon pour avoir douté de lui. Sarkozy ne veut rien d'autre qu'imiter Mohamed-Ali qui, face à Foreman à Kinshasa, est longtemps resté dans les cordes prenant coup sur coup avant de décrocher une passe de trois qui envoya son adversaire au tapis.

Dans cette affaire, le président a besoin de la presse ou, du moins, d'une certaine presse. On dit souvent que les médias français ne font pas de cadeaux à Sarkozy. Ce n'est vrai qu'en partie car tel n'est pas le cas avec la majorité des journalistes politiques, friands de petites phrases et de confidences exclusives destinées à théâtraliser la campagne électorale. Pour la plupart, ces confrères ont déjà fauté en présentant le président en proie à des états d'âmes défaitistes sans même avertir leurs lecteurs que tout cela pourrait relever d'une approche dûment réfléchie avec des mots choisis avec précision par on ne sait quel grand expert en communication politique. En politique, le « off » n'est jamais anodin ni sincère. C'est une instrumentalisation, une manipulation, qui doit obliger le journaliste à remettre le propos recueilli en perspective quitte à lui faire perdre sa valeur « scoopique ». Il est vrai qu'il est plus alléchant d'écrire « voilà ce que Sarkozy a confié sous le sceau du secret » que « voilà ce que Sarkozy a voulu nous faire écrire ». Mais passons…

En endossant l'habit du challenger, du moins tant qu'il ne sera pas officiellement dans la course (c'est un autre élément de sa stratégie que de rester le plus longtemps président et non candidat), Sarkozy tente aussi de piéger son adversaire direct en lui faisant commettre des erreurs. Déjà, lors de son passage à la télévision le jeudi 26 janvier, ce dernier est parfois apparu trop sûr de lui, voire même arrogant. De quoi peut-être hérisser certains électeurs ou de faire fuir les indécis dont le choix électoral relèvera plus de l'affect que d'autres critères (d'où l'importance fondamentale des médias notamment de la télévision). Mais le calcul de Sarkozy pourrait ne pas s'arrêter-là. Peut-être pense-t-il que la perspective de sa défaite va faire naître nombre d'appétits et d'ambitions à gauche. Hollande étant (presque) déjà président, qui va empêcher telle ou telle personnalité socialiste de briguer ouvertement le poste de Premier ministre ou tout autre portefeuille prestigieux comme les Affaires étrangères ou la Justice ? On imagine aisément la zizanie et la tchaqlala qui pourraient embraser la gauche et déclencher la machine à perdre. C'est donc à la gauche de rester vigilante et de prendre garde aux intox en se répétant que la campagne est bien loin d'être terminée et que Sarkozy est loin d'avoir dit son dernier mot…

Le Quotidien d'Oran, jeudi 2 février 2012
Akram Belkaïd, Paris
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1 commentaire:

Akram Belkaïd a dit…

Imiter le saule enneigé, faire semblant de rompre en ployant pour surprendre ensuite l'adversaire. Nicolas Sarkozy a lu Docteur Justice quand il était jeune adulte...