Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 12 octobre 2014

La chronique du blédard : Zmigri un jour, zmigri toujours ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 9 octobre 2014
Akram Belkaïd, Paris

Samedi 4 octobre, tard dans la nuit, en suivant d’une oreille distraite l’émission « On n’est pas couché », j’ai voulu réagir à l’un des multiples désaccords entre l’invité Eric Zemmour et le journaliste Aymeric Caron. Les deux hommes s’opposaient, entre autres, sur le sens exact du terme « immigré » (le premier ayant tort et le second raison). J’ai alors diffusé sur les réseaux sociaux la définition qu’en donne l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Voici donc ce que dit cet organisme : « Selon la définition adoptée par le Haut Conseil à l'Intégration (en 1992, ndc), un immigré est une personne née étrangère à l'étranger et résidant en France. Les personnes nées françaises à l'étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées. » Jusque-là, il n’y a pas de problème. Boualem, né à Cherchell de nationalité algérienne et qui s’est ensuite installé en France est un immigré. Par contre, Boris né à Béjaïa de parents français et revenu vivre à Lille ne l’est pas.

La suite est bien plus intéressante et c’est elle qui a provoqué un paquet de réactions incrédules quand elles n’étaient pas scandalisées. Que dit encore l’Insee (en reprenant toujours la définition du Haut conseil à l’intégration) ? Tout simplement que « la qualité d'immigré est permanente », c'est-à-dire « qu’un individu continue à appartenir à la population immigrée même s'il devient français par acquisition ». Reprenons donc le cas de Boualem et supposons qu’il soit devenu citoyen français après naturalisation. Malgré cela, il restera toujours considéré comme immigré puisque né hors de France d’une nationalité étrangère. Intéressons-nous aussi à Mustapha, le cousin germain de Boualem. Né à Oran, de nationalité algérienne, il s’est installé ensuite en France mais n’a jamais cherché à être naturalisé. C’est donc à la fois un immigré et un étranger. Première conclusion : Boualem et Mustapha sont deux immigrés, mais l’un est Français et l’autre pas. En clair, les termes « immigré » et « étranger » ne sont pas interchangeables. L’Insee précise d’ailleurs  que « les populations étrangère et immigrée ne se confondent pas » (pour les matheux qui se souviennent des ensembles, on dira qu’il y a juste une grosse intersection ou partie commune entre ces deux catégories). A titre d’exemple, prenons les statistiques de 2006. Il y avait à l’époque 5,156 millions d’immigrés dont 2,066 millions de Français par acquisition nés à l’étranger. On recensait aussi 3,648 millions d’étrangers dont 3,090 millions nés à l’étranger (c’est-à-dire des immigrés) et 0,558 million nés en France.

En reprenant ce dernier chiffre, on se rend compte qu’il peut aussi exister des étrangers qui ne sont pas des immigrés. Il s’agit tout simplement des étrangers nés en France. En bref, la qualité d’immigré est permanente mais elle n’est pas héréditaire puisqu’elle dépend du lieu de naissance. Et c’est bien le caractère permanent du terme immigré qui a provoqué des réactions courroucées à mon message. « Zmigri un jour, zmigri pour toujours ? Si un étranger devient français pourquoi le considérer toute sa vie comme immigré ? C’est insultant, limite raciste ! » m’a écrit une internaute qui voit dans cette distinction une discrimination institutionnalisée. Officiellement, il n’en est rien. Le français « immigré », qui peut d’ailleurs être d’origine canadienne ou islandaise, n’est pas une sous-catégorie spéciale qui aurait des droits différents de ses concitoyens. Certes, dans la réalité, il doit s’accommoder de quelques contraintes – comme celle de devoir fournir plus de documents que d’autres lors du renouvellement de ses papiers d’identité – mais la persistance de sa qualité d’immigré relèverait plus de considérations statistiques et démographiques qu’autre chose. Ce serait un critère d’intégration destiné à juger de l’apport démographique des populations nées hors de France.

En tout état de cause, et la chose est à relever, de nombreuses personnes d’origine étrangère et devenues françaises par acquisition de la nationalité ne supportent pas le qualificatif d’immigré. « A choisir entre les deux, je préfère encore que l’Insee me classe dans la catégorie Français d’origine étrangère » m’a écrit un autre correspondant. Faut-il s’en étonner ? Le terme immigré renvoie à une perception des plus dévalorisantes. C’est l’image du travailleur nord-africain ou subsaharien venu, sans qualification aucune, trimer en France qui s’impose. Que le terme soit toujours utilisé avec mépris par une partie de la France xénophobe n’est pas surprenant. Mais que son fardeau dévalorisant ait été intériorisé par les français d’origine étrangère est particulièrement saisissant. Combien de temps faudra-t-il pour réhabiliter ce terme dans la perception générale ? Qui cherche d’ailleurs à le faire ? A-t-on jamais entendu quelqu’un dire « je suis fier d’être un français immigré » ? En tout état de cause, le Haut conseil à l’intégration serait avisé d’expliquer l’usage officiel de ce terme. Peut-être que cela évitera aussi d’entendre des hommes politiques ou des journalistes parler de « Français immigrés de la troisième génération »…
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