Le Quotidien d’Oran, jeudi 14 septembre 2017
Akram Belkaïd, Paris
Dans les récits à hauteur d’homme à propos de
l’immigration maghrébine en France, la figure de la mère est souvent marginale.
On parle des pères, partis de leur pays pour offrir leurs bras à un pays où ils
ont trimé dur. On évoque, de plus en plus souvent, car actualité oblige, les
enfants qui ont grandi sur une terre que l’on continue, d’une manière ou d’une
autre, à présenter comme n’étant pas la leur. Une terre à laquelle ils
devraient sans cesse mériter de pouvoir appartenir… Et puis, il y a ces mères
dont on a du mal à imaginer les chocs du vécu. Le passage du bled, avec ses
règles, ses lois, ses solidarités et ses contraintes, à l’inconnu, au violent.
Au déracinement et au confinement. Ces mères sont présentes dans les
discussions et les souvenirs. Rares sont celles qui sont « le » sujet
même si l’on garde toujours en tête la partie qui leur est consacrées dans la
trilogie « Mémoires d’immigrés » de Yamina Benguigui.
Le journaliste Nadir Dendoune a décidé de
rendre hommage à sa mère (*). Un documentaire de cinquante-cinq minutes sous la
forme d’un huis clos intimiste où prime la parole, en langue kabyle saupoudrée
de quelques mots de français et d’arabe derja,
d’une mère arrivée en France à la fin des années 1950. Une Yemma emblématique de ces femmes de l’Algérie profonde, rurale, qui
ont traversé la Méditerranée. Une vaillante, fière d’avoir élevé ses enfants
dans un environnement inconnu, pour ne pas dire hostile, qu’elle a peu à peu
assimilé. Faire la cuisine, sortir, aller dans les endroits où l’on trouve des
vêtements pas trop chers mais corrects. En un mot, s’aventurer au dehors.
C’est quelque chose qui a toujours fasciné le présent chroniqueur. Comment des
gens non-instruits (elle avoue continuer à essayer d’apprendre à lire)
déploient des sommes d’efforts et d’imagination pour comprendre, déchiffrer et,
surtout, apprivoiser l’inconnu. Souvenir de ce vieux tunisien, rencontré à la
fin des années 1970 dans une station de métro. Un incident sur la ligne
l’obligeait à prendre des correspondances inhabituelles, différentes du trajet
routinier qu’il avait mémorisé. Mais il s’en sortait, notamment grâce aux
couleurs des lignes et aux discussions précédentes avec d’autres immigrés.
Cuisine, vaisselle, nettoyage du sol (« une fois par semaine mais avant,
quand il y avait les enfants, c’était une fois par jour »), café du
matin ou de l’après-midi : on suit donc « Oum Nadir » dans son
petit appartement, au son de l’incontournable Slimane Azem et de ses paroles
sur l’exil et la nostalgie (« loin
de toi [l’Algérie] je vieillis »)
et au fil de digressions diverses où s’expriment l’humilité, la sérénité mais
aussi une foi tranquille. Si elle parle de ses prières à faire, c’est sans insistance.
Face à un jeu télévisé, elle avoue en appeler au Créateur pour qu’il aide les
candidats à l’emporter. « Fille de
la montagne » où elle gardait les chèvres, elle évoque avec pudeur et
retenue le retour impossible au pays brisé par les « corrompus ». Le pays où des terrains ont été achetés,
où une maison a pourtant été construite, château en Kabylie où se projetaient
les rêves d’un mari désormais en maison médicalisée. Un époux et père ayant
perdu la mémoire à qui elle rend visite tous les jours parce que, contrairement
aux hommes à qui il arrive « d’abandonner
leurs femmes », une épouse, selon elle, ne laisse pas tomber celui
avec qui elle est liée depuis plus de soixante ans…
Retour impossible au pays, donc, et ces mots
qui laissent songeurs. « Nous devons
vivre sur la terre des Français. Que Dieu nous pardonne. » Quand elle
est intériorisée, la sensation d’altérité est toujours plus forte que la
satisfaction d’avoir pu construire quelque chose. Pour les enfants nés en
France, la question de l’appartenance ne devrait pas se poser, mais pour leurs
parents venus d’ailleurs, c’est une autre affaire. C’est ce qu’a d’ailleurs
relevé Nadir Dendoune lors d’un débat après la projection de ce documentaire dans
une salle du musée de l’immigration, affreux bâtiment (opinion subjective) dans
le pur style Art déco construit, on ne cessera jamais de relever l’ironie de la
chose, pour l’exposition coloniale de 1931.
Pour celles et ceux qui connaissent Dendoune
et ses provocations sur les réseaux sociaux (il n’y a pas que ça, il y aussi de
courageuses prises de positions et des engagements en faveur notamment de la
Palestine), il y a un certain plaisir à entendre quelques saillies ironiques de
la part de sa maman. Des yeux rieurs, un sourire espiègle et des « tu comprends ce que je viens de
dire ? » Le fils se sent alors obligé d’affirmer qu’il comprend
le kabyle. Affirmation qui, allez savoir pourquoi, provoque quelques rires dans
la salle... On aime aussi l’origine du titre du documentaire. Cela concerne
l’Australie et les figues de barbarie, fruit incontournable dans l’imaginaire
algérien, notamment kabyle, mais on n’en dira pas plus.
Si vous en avez l’occasion, prenez une heure
et écoutez cette vieille dame parler. Car, finalement, c’est aussi une histoire
de solitude que nous montre Nadir Dendoune. Une histoire de daronne, non, plutôt de chibaniya, un mot que l’on aimerait voir
aussi connu que chibani, son masculin
désormais entré dans le langage courant.
1 commentaire:
Certaines ont été veuves à 40 ans , sont allés à l'usine travailler pour élever leurs enfants. D'autres après avoir milité pour le FLN, sont allées aux Tanneries de l'Isère ou ont fait des ménages parce que le mari s'était tué en tombant d'un échafaudage ... Les histoires de ces mères courage sont nombreuses,.. il y a eu des recueils de témoignages et des expo photo mais qui n'ont pas été médiatisé parce que l'ont préfère des images de femmes arabes soumises
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