Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 5 avril 2016

La chronique du blédard : Désespresse

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 31 mars 2016
Akram Belkaïd, Paris
 
Ecrire une chronique à propos de l’actualité mais essayer d’éviter le monotone et le récurrent, autrement dit le tragique, le douloureux ou l’angoissant. Voilà une mission impossible ou presque. Prenons un flux de dépêches internationales. Quels en sont les titres ? Les attentats à Bruxelles, l’enquête qui avance un jour, qui s’enlise le lendemain. Un attentat, encore un, au Pakistan. Un autre en Irak ou au Yémen. Des affrontements armés en Somalie. Une guerre civile effroyable qui se poursuit au sud-Soudan, un génocide qui menace le Burundi, un potentat africain, un parmi tant d’autres fripouilles, qui se fait réélire malgré les protestations de l’opposition. Opposition muselée, s’entend.
 
Poursuivons. Des réfugiés meurent en mer Egée, des campements sont détruits du côté de Calais, des squats sont évacués ici ou là en Europe, des tags racistes et islamophobes ont été inscrits à la peinture noire sur les murs d’une mosquée. Et cela continue ainsi. Même l’actualité people doit être teintée de gris. Machin va mal, l’autre n’est plus, machine divorce et sombre dans la déprime. Tiens, en ces temps incertains où, il faut bien l’avouer, même le football devient quelque peu lassant avec ses faits divers et son jeu de plus en plus normés, c’est Sa Majesté Johannes Cruyff, dit Johann Ier, autrement dit un symbole de liberté et d’insouciance, qui vient de nous dire adieu.
 
Cela fait longtemps que l’information journalistique est devenue négative par essence (on parlera une autre fois de ce que cela inflige comme dégâts à celui qui la manipule au quotidien). On le sait, un train qui arrive à l’heure, ce n’est pas une info (coco doit dire l’écho). Enfin, en ce qui concerne l’actualité ferroviaire française, cela ne devrait plus être le cas. Car pour ce qui est de l’usager de la ligne 13 du métro parisien, c’est plutôt le respect des horaires (y compris et surtout par temps de pluie) qui mériterait la une des quotidiens. Et ne parlons pas des pauvres usagers du RER ou encore des trains de banlieues et autres inter-cités, notamment ceux qui vont et viennent du côté de la gare Saint-Lazare.
 
De façon générale, il est normal que la presse dénonce ce qui ne va pas, ce qui ne fonctionne pas correctement. Mais cela ne devrait être que l’un de ses rôles et non pas « son » unique rôle. Dans un monde en dérive où les certitudes et même les utopies ont été confisquées par des forces extrémistes pour ne pas dire létales, l’idée de s’attarder sur des faits heureux voire d’aborder un thème donné en dégageant des perspectives souriantes demeure minoritaire. Avouons-le, il est bien plus facile pour la profession de se draper dans la posture de la vigie cassandresque que de chercher à participer à une quelconque tentative de réenchantement.
 
Il faut dire que c’est l’une des règles fondamentales du (bon) journalisme. Quelque chose qui fonctionne, ou plus exactement qui est présentée comme telle, est forcément suspecte. Une alarme doit retentir quand la satisfaction est de mise, quand le discours est optimiste, quand le satisfécit est général (ou presque). Une association prétend faire le bien aux quatre coins du globe et souhaite que l’on parle plus d’elle ? Commençons par vérifier ses finances, ses donateurs, ses failles (règle terrible, plus le but est noble, plus la cuisine interne est peu ragoûtante). Et si les vérifications ne donnent rien, on écoutera poliment ses représentants raconter leurs actions. Et pendant qu’ils parleront on se dira que leur expérience positive pourrait peut être faire un bon encadré pour contrebalancer deux ou trois articles résumant une série de misères politiques, économiques ou sociales.
 
Le journalisme excelle quand il arrive à décrire et décrypter une situation donnée ou quand il démonte un discours formaté et, le plus souvent, mensonger. En ce sens, il est indispensable et sert d’aiguillon pour le changement bénéfique et, le cas échéant, pour l’Etat de droit (ne parlons pas de démocratie). Cela vaut aussi pour l’investigation, celle qui contribue par exemple à mettre en évidence la rapacité des multinationales qui fraudent à tous les niveaux (fiscal, social et même sanitaire et éthique) et l’avidité des patrons plus préoccupés de faire monter le cours de leurs actions que du maintien de l’emploi de leurs salariés.
 
Mais entre ce journalisme d’excellence, auquel on doit ajouter le reportage, à commencer par celui de guerre, et la communication abêtissante, et souvent déguisée, il est peut-être possible de trouver autre chose. Des sujets moins anxiogènes qui contribueraient à faire diminuer le niveau de la désespérance générale. Il ne s’agit en aucun cas d’offrir de l’info « bisounours » mais de tenir compte de ce qui se passe ailleurs que les canaux classiques.
 
Les actions de la société civile sont, par exemple, rarement couvertes ou relayées. Au-delà des rubriques de queue de journal (« ils agissent au quotidien », « profils engagés »), elles ne peuvent prétendre au statut de matière noble. La petite phrase d’un homme politique ou la énième péripétie diplomatique d’une crise internationale auront bien plus de poids pour un redchef peu soucieux d’innover. On peut trouver cela logique sans toutefois réaliser que ce n’est que la conséquence d’un formatage devenu nocif à la longue. C’est peu dire que la presse se cherche un avenir. La remise en cause de cette hiérarchisation normalisée de l’information est peut être une voie à suivre
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Je vous lis depuis le chti....je sais que je trouverai une phrase,un mot,une expression..je ne sais quoi.
mais quelquechose qui fasse que je me sente mieux ..justement pour avoir lu cette presse ,regardé la télé ,écouté la radio.Cela me ronge..et on n'y echappe pas à moins de se couper de la société.Et vous faites partie de ma petite liste ''détox''
J'ai envie de hurler parfois,..non pas parfois ,tous les jours😢..
Vous lire et quelques Autres ici et là,c'est en quelque sorte survivre.
Merci Doc