Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 7 janvier 2017

La chronique du blédard : Alep, Gaza et BHL

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 29 décembre 2016
Akram Belkaïd, Paris

Quelques jours avant la chute d’Alep-est (« la libération d’Alep-est », diront les Poutinolâtres et autres Bacharophiles), une séquence vidéo a cartonné sur internet et les réseaux sociaux. Mise en ligne par le site RT News (ex Russia Today News), un site financé par des fonds publics russes, elle entendait « démonter en deux minutes la rhétorique des médias occidentaux sur la Syrie ». Eva Bartlette, journaliste « indépendante » canadienne y répond à son confrère norvégien Kristoffer Ronnenberg, correspondant d’Aftenposten aux Etats Unis, en déroulant l’habituel argumentaire pro-régime : les médias « mainstream » mentent, les rebelles sont tous des terroristes, les Casques blancs seraient une imposture, etc…

Il ne s’agit pas ici de perdre son temps à répondre à cette propagande qui foisonne sur internet et que la fachosphère reprend et amplifie. On notera simplement que ce qui a donné de l’impact à cette intervention, c’est que la journaliste s’exprimait avec, derrière elle, le logo des Nations unies ce qui a poussé de nombreux internautes à penser que le débat était organisé par l’ONU. En réalité, et le site RT News et ses affidés se sont bien gardés de le préciser, cette conférence de presse était organisée par la Mission permanente de la République syrienne aux Nations Unies, autrement dit la représentation du régime syrien. Celles et ceux qui ignorent le fonctionnement des Nations Unies, et ils semblent être nombreux, doivent savoir que n’importe quelle représentation diplomatique à l’ONU a le droit d’utiliser l’une des nombreuses salles de presse de l’institution sans pour autant que les conférences organisées puissent recevoir le label onusien. Pour résumer, il y a une grande différence entre « conférence organisée à l’ONU » et « conférence organisée par l’ONU ». Mais gageons que cette précision ne convaincra pas celles et ceux qui affirment que « l’ONU a dénoncé les mensonges de la presse mainstream »…

Mais ce qui doit interpeller dans l’affaire, c’est le succès de cette vidéo. On peut le mettre sur le dos de l’audience croissante du conspirationnisme mais cela ne suffit pas. En effet, c’est aussi le résultat de la perte de crédibilité des grands médias quant aux affaires internationales. Si l’on s’en tient au monde arabe, et à sa propension actuelle à réfuter le discours anti-Bachar, deux dossiers donnent de la consistance à cette défiance. Il s’agit de la guerre en Irak de 2003 et la situation du peuple palestinien, notamment à Gaza. Il y a quelques temps, j’ai participé à une émission sur TV5 où le représentant du New York Times a évoqué, sans honte bue, les attentats du 11 septembre 2001 pour justifier l’invasion de l’Irak décidée par George W. Bush et soutenue, entre autres, par Tony Blair. Or, on sait aujourd’hui l’ampleur du dévoiement de ce quotidien dont plusieurs journalistes ont repris sans ciller les mensonges du Pentagone et du Département d’Etat. Certes, le quotidien a présenté ses excuses à ses lecteurs mais ce fut une démarche à minima et, aujourd’hui, ses journalistes s’irritent quand on leur rappelle cette grande erreur. Ils ne veulent pas voir à quel point cette affaire a laissé des traces dans les mémoires. Pire, certains d’entre eux sont même tentés par un certain révisionnisme destiné à minimiser les errements de leur journal dans cette guerre dont l’Irak, en particulier, et le monde arabe en général, continuent de payer le prix fort.

Abordons maintenant la question du peuple palestinien et évoquons une autre vidéo qui a, elle aussi, cartonné sur les réseaux sociaux. Il s’agit du passage du « philosophe » Bernard-Henri Levy dans l’émission Upfront d’Al-Jazeera en langue anglaise. Les questions du journaliste Mehdi Hasan étaient simples et percutantes (BHL n’est jamais, mais vraiment jamais, interviewé de la sorte par les médias français…) : pourquoi l’émoi et la solidarité en faveur d’Alep-est et pourquoi le silence quant au sort du peuple palestinien en Cisjordanie et à Gaza ? Pourquoi évoquer une « no-fly zone » pour Alep et ne pas en avoir fait de même pendant les bombardements de Gaza en 2008-2009 et 2014 ? Déstabilisé, bredouillant dans un anglais plutôt incertain, le coucourdier à la chemise blanche de Saint-Germain-des-Prés a démontré à quel point le double ou triple langage ne le gênait pas en prétendant, entre autres, que la Guerre de Gaza était « défensive » et qu’il convenait de ne pas comparer les deux situations puisque les morts à Alep-est étaient bien plus nombreux que ceux de Gaza. Etrange argument quand on sait que le même personnage affirme qu’il ne faut pas entrer dans « l’arithmétique des morts » quand on lui fait remarquer que le nombre de victimes palestiniennes est bien plus important que les israéliennes.

Certaines causes sont souvent entachées par des soutiens dont elles se seraient bien passées et cela ne doit pas remettre en question leur justesse. Que BHL soutienne tel ou tel soulèvement dans le monde arabe ne doit pas servir de seule justification pour adopter une position contraire. En 1992, et durant les années qui ont suivi, le « philosophe » avait pris parti pour l’interruption du processus électoral en Algérie et s’était même démené pour soutenir nombre d’illustres personnalités algériennes. Si l’on s’en tient au raisonnement qui prévaut aujourd’hui chez nombre de nos concitoyens, cela veut donc dire que les partisans de cette interruption se sont fourvoyés... Bien entendu, l’affaire est plus complexe mais cet exemple précis devrait inciter à juger de certaines situations autrement qu’en se déterminant en fonction de ce qu’en disent la presse occidentale et BHL.
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