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Le Quotidien d’Oran, jeudi 13 juillet 2017
Akram Belkaïd, Paris
Il y a plus de dix ans, alors qu’il menait une enquête sur
la tuerie du métro Charonne à Paris (8 février 1962, huit victimes des violences policières lors
d’une manifestation anti-OAS, toutes syndiquées à la CGT et, à une exception
près, membres du Parti communiste), le réalisateur et documentariste Daniel
Kupferstein entend parler pour la première fois d’un massacre policier oublié.
Ce dernier a eu lieu à Paris, le 14 juillet 1953, autrement dit plus d’un an
avant le déclenchement de la Guerre d’indépendance (1er novembre
1954). Et, surtout, longtemps avant les
tueries du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 dans la capitale française. Déjà
auteur de « Dissimulation d’un massacre »
(2001) sur la sanglante répression d’octobre 1961, et après avoir réalisé « Mourir à Charonne,
pourquoi ? » (2010) Kupferstein s’est donc attelé à mettre à jour
ce drame que la mémoire collective franco-algérienne a longtemps refoulé. Il en
a tiré un documentaire (2014) puis un livre paru cette année (*).
Les faits sont les suivants. Le 14 juillet 1953, un défilé
social a lieu à Paris à l’initiative notamment de la CGT. Ouvrons ici une
parenthèse en relevant que ce type de manifestation a longtemps été une
tradition (elle fut instaurée à l’époque du Front populaire). Aujourd’hui, la
mémoire de gauche a complètement oublié cette mobilisation, le 14 juillet
n’étant plus que l’occasion d’une parade militaire… Fin de la parenthèse.
Ce 14 juillet-là, le cortège part donc de Bastille en
direction de la place de la Nation. Dans cette procession réunie autour de mots
d’ordre sociaux et syndicaux, il y a plusieurs milliers de militants du
Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Certains d’entre-eux
brandissent un drapeau algérien. D’autres, ont collé à leur veston, la
photographie imprimée ou ronéotypée de Messali Hadj, le grand dirigeant
nationaliste alors emprisonné. « Au
total, note l’auteur, ils sont entre
6 000 et 8 000, soit plus d’un tiers de la totalité des manifestants. Ils
défilent derrière un grand portrait de leur dirigeant Messali Hadj, rangée par
rangée en ordre serré, presque militaire, et encadré par un service d’ordre
repérable à ses brassards verts. » Parmi les slogans que cite le
livre : « A bas le
colonialisme ! Nous voulons l’indépendance ! », « Peuple de France, en défendant tes
libertés tu défends les nôtres ! » et « Libérez Messali Hadj ! Libérez Bourguiba ! »
A la place de la Nation, des heurts avec les forces de l’ordre
ont lieu. Face à des manifestants pacifiques qui ont reçu pour instruction du
MTLD de ne porter aucune arme, la police ouvre le feu à balles réelles et tire
froidement à l’horizontale. Sept hommes sont tués, six nationalistes algériens
et un militant CGT. Les blessés se comptent par dizaines. Abdallah Bacha (25
ans, né à Agbadou), Larbi Daoui (27 ans, né à Aïn Sefra), Abdelkader Draris (32
ans, né à Djebala), Mouhoub Illoul (20 ans, né à Oued Amizour), Maurice Lurot
(41 ans, né à Montcy-Saint-Pierre), Tahar Madjène (26 ans, né au Douar Harbil)
et Amar Tadjadit (26 ans, né au Douar Flissen) sont les victimes de ces
meurtres dont les auteurs ne seront jamais identifiés et encore moins
inquiétés. Car, quelques années plus tard, un juge d’instruction soldera son
enquête par un non-lieu.
Lire l’ouvrage de Kupferstein, c’est revisiter une période
mal connue, celle qui a précédé le déclenchement de la Guerre d’indépendance.
On réalise que l’émigration algérienne a été à la pointe de la revendication
nationaliste. Qu’elle subissait déjà la répression, les arrestations et les
tracasseries de l’administration. On se rend compte aussi de la prégnance de la
violence policière et l’on apprend, au passage, que c’est l’époque où certains
policiers écartés pour collaboration avec l’occupant allemand ont été
réintégrés. C’est aussi une période où la gauche française, notamment
communiste, est bien en peine de se déterminer par rapport aux mots d’ordre
anticolonialistes. Si la base est, en grande majorité solidaire des revendications
algériennes ou maghrébines, les appareils sont dans une position bien plus
ambiguë.
Cette ambiguïté explique, en partie, pourquoi ce massacre a été
oublié. Très vite, le Parti communiste français, tout comme la CGT, ne savent
pas très bien « quoi faire » de ces sept morts (presqu’autant que la
tuerie de Charonne qui est au pinacle de la mémoire de gauche) dont six sont
des nationalistes algériens, militants d’un parti qui a rompu les ponts depuis
longtemps avec le PCF. Une grève massive dans la fonction publique en août
1953, puis les violences liées à la Guerre d’Algérie vont aussi contribuer à
reléguer ce drame dans les oubliettes. Un refoulement dû aussi au fait que la
tuerie a eu lieu « avant » la Guerre d’Algérie et qu’elle ne saurait donc
être excusée par le désormais habituel discours révisionniste qui consiste à
renvoyer dos-à-dos violence coloniale et violence du Front de libération
nationale (FLN). Le 14 juillet 1953, la police française a délibérément tué des
« Arabes » qui manifestaient de manière pacifique pour leurs droits.
Un fait annonciateur de tant d’événements qui ont suivi.
En France, la famille de Maurice Lurot, tombé pour les
droits sociaux mais aussi pour la justice en Algérie, n’a jamais obtenu
réparation. En Algérie, et selon l’enquête de Daniel Kupferstein, les six
victimes nationalistes – elles reposent toute dans leur terre natale - n’ont
jamais bénéficié de la moindre reconnaissance officielle de l’Etat algérien ou
de l’organisation des anciens moudjahidine. Sans même s’en indigner, faut-il
vraiment s’en étonner ?
(*) Les balles du 14
juillet 1953. Le massacre policier oublié de nationalistes algériens à Paris.
Préface de Didier Daeninckx, La Découverte.
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